jeudi 18 août 2011

H


En lisant Parti pris, le journal de Renaud Camus de l'année 2010, je retrouve étrangement ma petite mère (pourquoi étrangement, ce n'est pas si étrange…). Ces histoires de portes claquées, qui agacent tellement de monde (pas les portes claquées, mais le fait qu'il en parle tout le temps) parmi même les lecteurs religieux de Renaud Camus, moi je les comprends parfaitement. Parfois, je vais jusqu'à me dire que si j'ai aimé R., c'est parce qu'en parlant, la plupart du temps, elle chuchote. Les portes claquées, les talons qui claquent sur le sol, surtout dans les hôpitaux, ceux qui klaxonnent (quel verbe merveilleux !) pour un oui ou pour un non, ceux qui mettent la musique ou la radio ou la télé suffisamment fort pour que les voisins en profitent, les parents qui laissent crier leur progéniture dans les lieux publics (et même à la maison), ceux qui font hurler le moteur ou les pneus de leur voiture en partant de chez eux le matin, et ne parlons même pas des mobylettes (ah, les mobylettes !!!), ceux qui font du bruit au concert, ceux qui parlent fort dans le train, et ne parlons même pas du portable (ah, le portable, cette engeance absolue !!!), je les hais. Non seulement je comprends parfaitement ces histoires de portes, mais je comprends parfaitement que ce soit un des thèmes centraux dans l'écrit de Renaud Camus. En écrivant cela, j'entends distinctement (je peux comprendre ses paroles) mon voisin, l'avocat, qui parle dans son jardin, pourtant situé à plus de cent mètres de là ! C'est tellement parlant (c'est bien le cas de le dire…) que ce soit un avocat (et je ne parle évidemment pas de la profession, mais de la classe sociale) qui se comporte de cette manière-là. Sa femme est charmante et bien élevée, pourtant. (J'ai des preuves de ce que j'avance là, puisqu'en écrivant, je suis en train d'enregistrer, comme je le fais souvent le matin, au jardin).

Quand j'habitais place des Vosges, à Paris, et que j'avais comme voisin immédiat Maurizio Pollini, il m'était impossible de me faire comprendre de ma concierge — une femme pour qui j'avais beaucoup d'affection, une Portugaise au nom prédestiné, pour une concierge ayant des pianistes dans son écurie, Anna Cruz — en refusant d'ouvrir mes fenêtres, durant l'été. « Mais on ne vous entend jamais jouer ! » me disait-elle gentiment, en m'encourageant à "faire profiter de la musique" les habitants de la cour. Jamais je n'aurais pu faire une chose pareille, bien sûr, et pas seulement quand Pollini était là, ce qui heureusement était rare. (Alors, je ne touchais plus du tout mon piano…)

Quand nous étions enfants et que nous allions au restaurant avec nos parents, les tables (rares, très rares, faut-il le dire) où les convives parlaient à voix haute étaient immédiatement l'objet d'une forte suspicion de notre part, et de la part de tout le monde, je crois bien. Aujourd'hui, ce serait l'inverse : mais pourquoi chuchotent-ils, ceux-là, ils ont quelque chose à se reprocher, sûrement ! Oui, ils ont bien quelque chose à se reprocher : ils n'ont pas envie d'être pris pour des sans-gêne, ce qui est en soi, aujourd'hui, quelque chose de louche, sinon d'éminemment répréhensible. En effet, ceux que nous appelions jadis les "sans-gêne" étant devenus en quelques décennies les parangons de la juste manière de se tenir, il est tout à fait normal que les rares qui n'aiment pas les nouvelles manières passent pour des empêcheurs d'être-comme-on-est, au-naturel, et incarnent à leur tour l'anomalie, l'étrange, le "pas naturel".

Je me souviens d'un épisode pénible, qui m'avait mis en porte-à-faux vis à vis d'un ami cher, chez qui je passais une soirée, à Paris, dans le XIIIe arrondissement. Il y avait là quelques intimes, parmi lesquels une majorité de musiciens, l'un d'eux sortant d'ailleurs d'un concert du "Philhar", comme il aimait bien dire afin qu'on n'ignore pas qu'il en était. Mon ami, excellent hautboïste, et individu pourtant doté d'une profonde sensibilité, mettait la musique si fort que j'avais osé émettre une timide protestation, disant qu'on allait déranger les voisins (il ne devait pas être loin de minuit), à quoi il m'avait répondu que "ça n'avait aucune importance", et, joignant le geste à la parole, et sans doute dans le but de me faire une gentille "blague", il avait encore poussé le volume de l'ampli. Ce soir-là, j'ai compris que certaines choses étaient impossibles à dire en certaines compagnies, ou qu'on pouvait les dire, et qu'il fallait les dire, sans doute, mais qu'on n'avait aucune chance d'être entendu. On se sent très seul, dans des moments comme ceux-là.

Il y avait autrefois, mais peut-être est-ce toujours le cas, des panneaux de signalisation en forme de H, près de hôpitaux français, qui signifiaient qu'il fallait éviter autant que possible de faire du bruit dans ces parages. Même si ces panneaux existent toujours, je suis absolument certain que plus personne n'en connaît la signification, ou s'il la connaît, lui accorde la moindre importance. Ce H est pour moi hautement significatif, pourtant. L'humanité est un vaste hôpital où les gens souffrent, plus ou moins, et c'est plus que jamais vrai, car l'hôpital est le lieu central de nos sociétés : on y naît, et, désormais, on y meurt. Le sacré qui a déserté les églises a trouvé refuge dans les hôpitaux, mais quel refuse, quel pauvre refuge, saccagé, menacé, attaqué de toutes parts, par la bêtise, la vulgarité, l'indifférence et la déculturation terrifiante de ceux qui y officient autant que de ceux qui viennent "en visite". S'il y a un lieu où les portes et les talons claquent, c'est bien dans les hôpitaux, où presque tous les pensionnaires sont autant sensibles au bruit (enfin ! a-t-on envie de dire méchamment) que Renaud Camus.

Il me semble, mais je peux me tromper, que les amateurs de musique contemporaine (j'ai en tête la première sonate pour piano de Boulez) comprennent mieux que les autres la vertu essentielle du silence. Quand on a aimé, et travaillé, les Variations opus 27 de Webern, par exemple, on voit la vie différemment, j'en suis persuadé, et, en particulier, on envisage autrement l'économie du son dans les relations humaines. Renaud Camus parle dans ce tome de son journal, je ne sais plus où, d'une sorte de "festival du Silence" ou de quelque chose, en tout cas, où celui-ci, le silence, serait le luxe suprême, où l'on pourrait le goûter à loisir durant quelques heures ou quelques jours comme la denrée rare qu'elle est devenue. C'est une merveilleuse idée, dont devraient s'inspirer peu ou prou tous ces affreux festivals d'été où le bruit est l'invité d'honneur. Mais je rêve…

Je m'avise tout à coup que ce H (celui des hôpitaux, du silence, donc) signifie en notation musicale allemande la note si… Le même si que celui de la Messe de Bach, que celui de la Sonate de Liszt, et peut-être surtout celui de Wozzeck, le plus terrifiant si de toute la musique, et que cette note est la première syllabe du vocable "silence"…

À Pauline, à Glyne, mes Corses généreuses et discrètes

lundi 15 août 2011

Nationale 7


Allaitement et ramadan, compatibles ? Guerre civile et lait cru, compatibles ? Dijon Bourdier et im-pensable, compatibles ? Facebook et transpiration, compatibles ? Ne cherchez pas, je suis le seul à poser les bonnes questions.

La France est en pente, pas lente. Dans les descentes, il faut se délester, jeter le superflu, le Sens est déjà assez fatigué comme ça, et courir le pantalon sur les chevilles n'est pas donné à tout le monde, même quand il s'agit de faire plaisir aux minorités majeures. La Grand'Messe fraternitaire s'accommode des restes du Grand Repas chrétien parce que ses fidèles ignorent tout des aliments qu'ils ingurgitent avec la gloutonnerie indifférente du débutant. Ils n'en reconnaissent pas les contours, ils les prennent pour les créations arte povera d'une nouvelle cuisine destinée à passer très vite, sans imaginer un seul instant qu'avant d'être ces reliefs aux formes étranges, ces quelques figures rachitiques étaient habitées d'un feu et d'une pensée grandioses. Les sans-mémoire d'identité qui peuplent nos nations ont vaguement le sentiment que "ça leur rappelle quelque chose", mais ils préfèrent en situer l'origine en une quelconque terre vierge et sauvage car c'est plus conforme à leur camelote mythologique. Ils sont prêts à embrasser toutes les religions sauf une, la leur, parce que c'est la seule capable de faire sortir l'homme du religieux, et qu'ils ne le supportent pas. Dans le fond, ces soi-disants athées ou anti-religieux ou laïcards ou républicains ou socialistes, en fait tous ceux qui s'aspergent matin et soir de progressisme, ont moins de différences avec les punaises catholiques, protestantes ou musulmanes qu'avec ceux qui les ont précédés en notre vieille France, fille aînée de l'Église

Écoutez-les parler, par exemple, avec ce vibrato si reconnaissable dans sa moiteur sexuelle, des "printemps arabes". Comme l'on sent bien la turgescence qui pointe sous la robe de bure du Citoyen universel ! Enfin, tiendraient-il un début de commencement de cette Vérité-en-marche qui n'en finit plus de se faire désirer ? On avait failli attendre ! Comme le ridicule est mort depuis belle lurette, on ne risque plus rien à se tromper, dans un monde qui urine sans répit depuis ses lanternes éternelles. Facebook, c'était cool, la Bloge c'est fun, mais soudain trouver dans la vraie vie des figurants qui veulent bien jouer avec nous sous les caméras du monde entier, c'est tout de même autre chose ! Les intermittents du Spectacle de chez nous ne valant rien, et les distances ayant été abolies ainsi que les dogmes et les frontières, on va délocaliser Hope Factor et aller s'éclater avec les jeunes forces vives de l'Europe-du-sud, qui feront écho à leurs semblables, le grand Autre en dissémination perpétuelle qui bat le pavé chez nous. Nous qui avons connu l'Hiver yougoslave, l'automne tchécoslovaque et l'été indien, un printemps, fût-il arabe, ne nous tourne pas les sangs, d'autant qu'il n'est pas dit que l'avenir du socialisme soit derrière nous, tant notre Europe nous paraît de plus en plus devoir en réaliser la part la plus sombre. Ce que l'URSS a échoué à imposer à ses citoyens rétrogrades et grincheux, l'Europe va vous le faire aimer : Quand on utilise avec allégresse cette métaphore du "printemps", il faut se rappeler que naguère certains voulaient créer un "homme nouveau". Vous pensiez qu'Europa était fille de Beethoven, Montaigne, Dante, Shakespeare, Debussy, Verdi, Rembrandt, Cervantes, Watteau, Berio ? Pour savoir, savoir sans illusion, ce qu'est l'Europe aujourd'hui, il faut aller dans une de ces boîtes de nuit de la côte d'Azur où "l'élite" dépense 900 000 euros en une soirée. Entre DJ, putes et maquereaux, Europa, assourdie par les milliers de watts de la-scène-créative-contemporaine, se fait toute petite : tout le monde a compris que c'était une pauvre vieille fille ridée et craintive, qui n'est là finalement que pour rassurer ceux qui l'ignorent, en leur prouvant complaisamment qu'ils peuvent tout lui faire, dans la plus complète impunité. Car ce qui caractérise avant tout notre temps, c'est la compatibilité de tout avec tout, tant "la faute de goût" a été définitivement éradiquée, et jusqu'à son souvenir. Quand on a tout balancé par-dessus bord, quand on vient nu comme le nouveau né, quand la mémoire est une cire fraîche en laquelle toutes les odeurs et toutes les fables s'incrustent comme des sans-gêne, quand l'Histoire est récrite chaque jour comme le prévoyait Orwell, sans résistance aucune, occupés que nous sommes à faire la fête, alors les Monstres peuvent débarquer parmi nous, incognito, sans que personne ne songe même à leur demander qui ils sont, d'où ils viennent, et ce qu'ils ont à nous dire. D'ailleurs il importe peu de leur demander ce qu'ils ont à nous dire, puisque nous le savons déjà : nous appartenons à une espèce tombée, et ces monstres ne sont que les habitants du pays qui est au bas de la Pente. En réalité, ce ne sont pas eux qui sont chez nous, mais nous qui nous sommes rendus chez eux.

J'essaierais bien de prétendre qu'entre Nationale 7, Douce France, La Folle complainte et Y'a d'la joie, Charles Trenet avait écrit l'histoire qui nous occupe, à sa façon tendre, laconique et discrètement ironique, mais je sens que vous allez encore hausser les épaules…

dimanche 14 août 2011

Béta-bloguant


Il se pseudonymise Corto74 mais on peut lui trouver bien d'autres noms. Il est d'une impressionnante sottise mais il est toujours gentil, ou presque, ce qui oblige les propriétaires des blogs sur lesquels il va déposer ses commentaires toujours consternants à le remercier, à plaisanter avec lui, à lui taper dans le dos et à lui resservir à boire. Il a un blog lui-même, bien entendu. En le lisant, les premières fois, on se demande comment il faut prendre ses interventions, si c'est du lard ou du cochon, mais on cesse très vite de se le demander : c'est lard et cochon, il prend tout, il donne tout, notre brave Corto. Heureusement, il est homo, ce qui lui donne, semble-t-il, dans ce corps caverneux où règne la bêtise, une certaine autorité, une compétence, une identité, un profil, un feeling, une touch, un rapport à, toutes choses qui encouragent aujourd'hui les crétins à l'ouvrir à peu près sur tous les sujets. En cela, Corto est une espèce de parangon de la démocratie terminale. Il ne veut pas qu'on l'oublie. Il a son mot à dire. Il est là. C'est un citoyen. Il a un avis. Il pense que. Il n'aime pas que. Il voudrait. Il aurait pu. Il possède un savoir, une culture, une préférence (ou des préférences), enfin, vous voyez ce que je veux dire. On le croirait fabriqué à la chaîne, et d'ailleurs je pense que c'est un peu le cas. Dans le monde qui s'annonce, il a toute sa place. Il faudra compter avec lui. Il donnera sa voix en réponse aux questions des référendums. Il manifestera quand il le faut. Il rira volontiers avec vous, si vous le traitez en égal (c'est ça le hic). Il fera la fête le jour dit, en cadence, bon enfant et bon citoyen. Il vieillira tranquillement, comme les milliers d'autres qui lui ressemblent, ils vieilliront ensemble, en quintes parallèles, dans les langes sympathiques du Conglomérat mondial. Il militera quand il le faut, il donnera son temps pour les causes justes, et il s'assagira paisiblement, l'âge et les rhumatismes venant. Peut-être adoptera-t-il un enfant pour l'élever avec amour ? Oui, c'est probable : il veut participer à l'aventure humaine, dans toutes ses dimensions. Il sera un bon père, un bon amant, un excellent ami, et il "alimentera" son blog sans faillir jusqu'à la polyarthrite sévère. Puis il se fera incinérer. Ils écouteront sa chanson préférée, et ils seront gais quand-même, parce qu'ils ne sont pas…


J'ai un neveu qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Il est seulement un peu plus jeune, mais je sais qu'ils se retrouveront pour nourrir de leurs cendres l'Océan primitif et maternel qui les attend tous les deux, et leurs semblables, afin de laver le monde de son péché originel.

mercredi 10 août 2011

De la fenêtre d'en haut


Pourquoi Trenet ? Pourquoi est-ce le seul ? Pour répondre à cette question, il faut avoir eu la chance de l'entendre accompagné par Albert Lasry, ce merveilleux pianiste qui est sans aucun doute l'accompagnateur idéal pour la chanson de Trenet. Ce n'est pas l'orchestre qu'il faut à Trenet, c'est le piano, l'instrument le plus abstrait qui soit, celui de tous les instruments qui peut les évoquer tous sans en faire entendre un seul, et il faut à ce piano un musicien qui, comme Trenet, ne fait qu'effleurer les choses, les désigner d'un doigt désinvolte et léger, sans jamais les incarner, sans jamais les faire vivre (comme on dit avec la laideur prétentieuse qui caractérise si bien notre époque), mais en leur donnant seulement un contour, une silhouette, et l'amorce d'un parfum. Lasry est idéal. Il est à la fois libre et tenu, charmeur et précis, élégant et neutre, il ne s'impose jamais mais il ne joue pas non plus en coulisse, il contrepointe quand il le faut avec un sens de l'harmonie à la fois français et jazzy, il n'est jamais débraillé, il n'est jamais m'as-tu-vu : sans lui, Trenet n'aurait sans doute pas atteint cette sorte de perfection dans cet art mineur mais ô combien charmant et attachant qu'est la chanson française. Comme le dit Cocteau, les chansons de Trenet appartiennent aux Français, elles sont plus que des chansons, elles font partie du paysage, de l'air qu'on respire à Paris, et même de la langue française. Trenet a un "toucher", comme on parle du toucher d'un pianiste, justement, il a un toucher d'aquarelliste, de poète rapide, qui n'appuie jamais, mais qui parvient à marier la profondeur et la légèreté avec une économie de moyens qui n'a jamais été approchée : il chante juste, aux deux sens de l'expression — ni trop haut, ni trop bas.

« Cet édredon que les Bohémiens d'Apollinaire transportent comme un cœur » lui suffit, il ne veut pas de sang, ni de larmes, ni de cris, il ne provoque jamais, il ne nous attrape jamais par la cravate, il ne nous donne jamais de tape sur le ventre, et il emprunte juste ce qu'il faut à l'air du temps pour ne pas avoir l'air d'un artiste. C'est juste un chanteur, Trenet, c'est peut-être le seul que nous ayons eu en France depuis des lustres (avec Piaf), et c'est lui qui, paradoxalement et pour notre grand malheur, a suscité toutes ces vocations, a "produit" ce qu'on nomme avec un orgueil ridicule "la chanson française", immense et increvable réservoir de nullités gonflées de vide qui se prennent pour des poètes, pour des musiciens, pour des artistes, et qui font vivre la légende à peu de frais. Je pense notamment aux Nougaro, Gainsbourg, Barbara, pour ne rien dire de tous les autres, qui feraient pitié s'ils possédaient seulement un semblant d'humilité, pour ne pas parler de lucidité. (Il faut bien entendu faire un sort particulier à Gréco, Ferré et Brassens. Les deux premiers ont eu (au moins un temps) l'intelligence de ne pas prétendre écrire leurs chansons et ils avaient un joli brin de voix qu'ils ont su exploiter avec habileté.)

Pourquoi Trenet ? Précisément parce qu'il paraît impossible aujourd'hui de comprendre ce choix, ce goût, ces références et tout ce qu'elles charrient, et que tout ce que je viens d'écrire doit sembler terriblement "second degré", et sans doute beaucoup plus. La France de Trenet a disparu, on le voit chaque jour un peu plus, et la France de Trenet, c'est la France de mes parents et c'est la France que j'ai aimée — et qui m'a aimé (et qui m'a permis aussi de ne pas l'aimer, ne l'oublions pas), ce pays dont une mordante nostalgie me fait comprendre qu'elle ne subsiste plus que dans des photographies jaunies et quelques chansons, et aussi dans le cœur de quelques uns qui pensent, peut-être à juste titre, devoir rester silencieux.

De la fenêtre d'en haut, c'est désormais tout autre chose que nous voyons passer sous nos yeux abîmés et incrédules. C'est surtout, et c'est qui est le plus douloureux, un spectacle d'autant plus atroce qu'on nous demande avec insistance de ne pas en croire nos yeux. Le pays qui était le nôtre a disparu, et non content de ne pas nous avoir demandé notre avis avant de le déclarer caduc, on nous interdit de penser qu'il a bien existé un jour. Il faut à la fois penser que rien ne change, que rien ne change jamais, et que le changement est inéluctable, que tout a toujours déjà changé et que, donc, nous aurions constamment vécu dans une illusion. On nous avait déjà fait le coup du futur d'une illusion, et de son passé, mais notre époque a inventé le présent perpétuel de l'illusion en marche.

Je ne suis pas si vieux que ça et j'ai déjà ce triste privilège d'écrire quelque chose que plus personne, parmi les passants sur ce blog, ne comprendra. « Le sommeil est doux »…

(à Robert, à Yvonne)

mardi 9 août 2011

Art contemporain


La Déculottée


L'Installation est osée, mais on peut dire qu'elle fait son petit effet. Pour une fois, l'Artiste n'a pas lésiné sur le Sens, et je crois qu'on peut dire qu'il est allé jusqu'au bout de son Geste. Combien ça coûte ? C'est hors de prix ! Mais, très franchement, et pour une fois, ça le vaut !

Il nous avait prévenus, l'Artiste, mais on était occupé ailleurs à écouter ses innombrables et fades hypostases agitées. Pendant ce temps, patiemment, il mettait en place les conditions de son Grand-Œuvre, et il faut reconnaître qu'on lui a laissé le temps de bien faire les choses, d'aller très profond, dans le Réel.

Maintenant, il va passer parmi vous, parmi nous, et il va falloir mettre la main à la poche ; on va le sentir passer.

dimanche 7 août 2011

Busy Line


Put a nickel in the telephone

Ma chère Rose Murphy chante une des plus jolies chansons que je connaisse, Busy Line. "Mettre une pièce dans la fente du téléphone" et entendre (comprendre) que "la ligne est occupée". Y a-t-il plus merveilleuse métaphore de l'amour ? Les hommes passent leur vie à "mettre une pièce dans la fente" et à "entendre que la ligne est occupée" : tut tut tut tut… ! Ils ne peuvent dès lors que rester au bord (de la fente), avec leur nickel à la main, à attendre que la ligne se libère, ce qui n'arrive évidemment jamais. Une femme est toujours occupée ailleurs, même quand elle semble si proche de vous que la géométrie en est défaite.

"Votre correspondant est déjà en ligne"… (c'est une voix de femme qui le dit !) Toujours déjà ! Quand la ligne se libère et que "celle qui vous correspond" semble s'offrir à vous, rien qu'à vous, c'est pour un autre qu'elle est indisponible, voire indisposée. Vous ne faites que prendre place dans la ronde, vous faites un tour de manège. Vous avez un ticket, mon vieux, allez, ne laissez pas passer votre tour ; et vous êtes prié de jouer à l'Unique.

J'ai vécu une expérience traumatisante, un soir, à Paris, dans un taxi, au long du boulevard Saint-Germain. J'étais en compagnie d'une très belle jeune femme dont le téléphone portable a sonné. Elle n'a d'abord pas répondu. Puis, devant l'insistance de celui qui appelait, elle a fini par décrocher, et j'ai dû subir, pendant de longues minutes, le discours terriblement convaincant de celle qui jurait à l'autre qu'elle était seule, mais qu'elle ne pouvait pas lui parler à l'instant, qu'elle était indisponible, voire indisposée. Son discours s'adressait à l'autre, l'appelant, celui qui voulait mettre un nickel dans la fente, mais aussi bien à moi, évidemment, l'appelé, l'élu d'un soir. Ce que j'entendais, pendant qu'elle parlait à voix basse, dans ce taxi, c'était les "tut tut tut tut…"qui m'attendaient, moi aussi.

L'amusant est que, contre toute évidence, celle qui vous joue cette scène pourra vous jurer l'instant d'après qu'à vous elle ne mentira jamais. Et il faudra bien entendu faire semblant de le croire, sous peine de ne pas être admis au cercle, de ne pouvoir entrer dans le jeu.

Les femmes sont comme la musique et la mer, il faut rester au bord. De toute façon, qui pourrait bien vouloir plonger au cœur du néant ?

samedi 6 août 2011

Soif


J'ai volé un parking. Dans ce parking se trouvait Alain Finkielkraut qui discutait avec ma mère. Il portait avec lui un cahier intime qui devait mesurer un mètre de long. Je lui expliquais que ce n'était pas très pratique, dans le train, mais je ne me souviens pas de sa réponse. Quand je l'ai accompagné à sa voiture, pour y ranger le carnet intime, il m'a fait présent d'une épingle à nourrice. Je me la suis mise à l'oreille, pour y penser. Quand il a voulu franchir la barrière du parking, je lui ai demandé cinq euros (pour m'acheter un paquet de Lucky), mais il a fait celui qui n'avait pas de monnaie. Alors je lui ai joué un air de Luis de Narvaes, à la guitare. En jouant, je n'arrêtais pas de me dire : "Mon Dieu, comme c'est facile, la guitare !" C'est à ce moment-là qu'est arrivé Raymond Chandler qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à James Joyce, c'était vraiment à s'y méprendre. Il fumait la pipe, et parlait avec l'accent de Toulouse, mais on ne me la fait pas, à moi. Finkie et lui se sont disputés assez violemment, mais je ne comprenais pas de quoi il était question. Comme ils prononçaient mon nom assez souvent, j'en ai déduit qu'ils trouvaient que j'exagérais un peu. Mais il fallait que j'aille faire mon pistou, alors je les ai laissés continuer sans moi. Brigitte Bardot était déjà à la cuisine, avec son petit tablier à carreaux. Je me suis approché d'elle et j'ai reniflé ses aisselles. C'était bien elle. Elle m'a alors présenté un de ses seins, et j'ai bu, j'ai bu, j'avais vraiment soif ! Elle s'est mise à chanter Volver. Tout allait bien.

vendredi 22 juillet 2011

Comment je n'ai pas rencontré ta mère


J'aurais dû y penser depuis longtemps ! Moi qui avais la prétention de faire un anti-blog, comment n'ai-je pas réalisé immédiatement que la seule chose réellement déterminante, le vrai moteur pervers de la bloge, est ce système de "commentaires" qui rend idiot et malade même le plus intelligent, le plus placide (vous voulez des exemples ?) ! Le nez était au milieu de la figure et m'observait, goguenard…

Quelle paix, désormais ! Oui, il suffisait de dire : Non. Comme le dit Miles à Coltrane : Retire donc le saxo de ta bouche, si tu ne sais pas terminer tes chorus ! Tu verras comme c'est simple, Johnny. X, Y, Z, ne pourront plus venir me dire combien ils m'aiment, comme mes "billets" sont indispensables à leur survie, comme l'air est soudain devenu irrespirable si je ne "poste" pas ? Foutredieu, mais qu'ils crèvent ! Sans compter tous ceux qui vous pensent "de leur bord", qui voudraient bien pouvoir vous compter dans leur petite société, vous enrôler dans la petite entreprise familiale. Truc fait partie des Machins, le buffet et les crampons vous attendent dans la salle polyvalente du faubourg des Andouilles. Venez nombreux. J'avais déjà évité cette engeance des "liens", par lesquels les blogueurs se tiennent pas la barbichette, tu me lies, je te lie*, et tous de s'enculer piteusement en rond, bit à bit, en ce bal funèbre et grotesque, mais ça ne suffisait pas.

Pourtant, j'en avais bien eu l'intuition, en sous-titrant mon blog "Tais-toi, je t'en prie !", à l'origine. Comme souvent, l'évidence nous crève les yeux ! Comment taire la vérité ? En la commentant, en touillant la marmitée, en ajoutant encore et encore les moi-ceci, les moi-cela, les je pense que, les moi au contraire, les délibérations infinies des glandus pris dans la toile qui tissent sans fin leur petite portée sans clef, avec les chefs, les sous-chefs, les adjudants commentateurs, les officiers de réserve, et même quelques déserteurs. La fanfare est là aussi, qui revient à intervalle régulier prévenir le chaland qu'"il se passe quelque chose". Roulement de tambour, drapeaux, jet de salive, sortie en direction des lignes ennemies, exercice en montagne, camouflage, paire de claques, claquements de talons, diarrhée chronique, ballonnements, fièvres, coups de sifflet, coups de pied au cul, revue des troupes, réclame, sieste, marche dans le désert, catch à quatre, bizutage, baston, envahissement du dortoir des filles, lancé de capotes gonflées à l'hélium, Simone enfermée dans les toilettes sans papier, tout y passe, ou presque. La seule chose qui m'étonne, un peu, est que ça dure… Ça, pour durer, ça dure ! Vous revenez trois ans plus tard : rien n'a changé. "Nicolas" est toujours là, "Suzon" tout pareil, ils ont juste un peu vieilli, ils sont encore moins drôles, ils sont encore plus bêtes, mais ils sont là, sanglés dans leur uniforme rayé, et se jettent sur les mêmes os, qu'ils rongent de leurs dents jaunies, en mimant l'enthousiasme, conscients que sans ça ils sont perdus, qu'ils vont retourner dans le sac aux jouets abandonnés. Comme c'est triste !

Pauvre de moi, "Bernard" (Pivot) ne pourra plus venir me donner des leçons de lexicographie, d'orthographe et de logique narrative, "Fredi" ne pourra plus m'inonder de messages me déclarant à la fois son amour et sa haine, Machine ne pourra plus déposer ses smilos gracieux, Truc ne pourra plus venir me montrer à quel point il est intelligent, fin, pertinent et j'en passe, "Marcel" ne pourra plus me démontrer qu'il m'a démasqué, et mon Anonyme préférée ne pourra plus menacer de me dénoncer à la police. Les journées vont être vides, calmes, envahies d'absence, d'un silence formidable, longues comme des jours sans pain. Pauvre Georges. Comme il est à plaindre, n'est-ce pas ! Il parlait déjà tout seul, qu'est-ce que ça va être maintenant ! Il n'aura jamais rencontré votre textualité limpide, brillante, fluide, spirituelle, vos mots d'esprit, vos calembours, vos raisonnements implacables, ni vos cousines épilées , ni même Madame votre maman. Il n'a jamais réussi à comprendre ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant dans ces discussions numériques, il n'a jamais compris ce besoin de se regrouper, de faire société devant un écran, de touiter, de "défendre ses idées" (qui les attaque ?), et d'ailleurs il n'en a aucune. C'est affreux ! Un jour son prince viendra, oui, mais ce ne sera pas sur Internet.

Et Georges, heureux, va pouvoir recommencer à mettre des photographies de pubis, sans avoir à vous expliquer pourquoi il le fait. Le bonheur !

(*) Il y aurait une amusante et instructive étude à mener sur la différence radicale de conception de la culture et des rapports humains qui existe entre ces deux verbes anagrammatiques : lire et lier. Autant leurs rapports sont étroits et profonds dans le monde d'avant (c'est-à-dire précisément dans le monde qui fait une place à la lecture), autant il sont devenus problématiques et paradoxaux dans le monde d'après (celui où l'on s'informe, en lieu et place de lire, ce monde où l'on ne cesse de parler de "liens" et où tout se défait constamment, que ce soit socialement, humainement, artistiquement, culturellement).


jeudi 21 juillet 2011

Dialogue ordinaire


Hé, Monsieur, t'as une cigarette ?

Non, Monsieur, désolé, je ne fume pas.

File-moi une tige ou je t'éclate la téte

Ah oui, bien sûr, voilà une tige pour vous.

Mais tu te moques de moi, je te demande une cigarette et tu me donnes quoi ?

Bien sûr, bien sûr, je me moque de vous et je vous donne une non-tige.

Putain de ta race, prends ça.

Mon ami, vous manquez d'humour, et de plus vous m'avez fait mal, mais je ne vous en veux pas. Tout le monde manque d'humour, aujourd'hui, je ne sais pas si vous avez remarqué ?

Bouffon de mes couilles, je vais te niquer grave ta race, tu vas voir si je manque d'humour, gros pédé !

Vous faites erreur, mon ami, homosexuel je ne suis point. Remarquez que, maintenant que vous le dites, je me demande bien pourquoi ! Vous n'êtes pas mal du tout, savez-vous !

Au Bord


Ça se tient là, devant nous, et nous ne savons pas ce que c'est. Mais quelque chose est là, dressé et à la fois tapi, et ce quelque chose est en nous, et par lui nous respirons, par lui nous sommes à la fois dans ce monde et hors de ce monde. Seule la musique est capable de faire sentir ces mystères-là. Il faut qu'elle ait eu lieu, et qu'elle se soit tue. Et alors la chose dont je parle se laisse voir, se laisse toucher ; ça ne dure qu'un très court instant, mais c'est palpable, c'est évident pour tous ceux qui sont là, et qui n'osent pas applaudir, car ils sentent que seul le silence leur permet de vivre réellement ce moment inouï, qui a un rapport étroit avec ce qu'on nomme ailleurs "la présence réelle". Ce peut être à la fin du Requiem allemand, à la fin de la Neuvième de Bruckner, et bien d'autres musiques peuvent faire naître ces instants, mais les Allemands, il faut le reconnaître, sont très forts pour entr'ouvrir ainsi les portes du Temps. On se sent un peu comme Orphée, on se trouve à la frontière, ne sachant pas très bien si l'on doit avancer ou reculer, a-t-on le droit de voir ce qu'on voit, d'entendre ce qu'on entend, nul ne le sait. En revient-on ? C'est la gratuité même, car de ce mystère on ne fera rien. Il n'est pas monnayable, il n'est pas transmissible, et même en parler est un peu vain.

Je pose le bras du tourne-disques au début du disque. Pendant un temps très court, il reste sur une sorte de crête, en équilibre, il reste en attente, sur le bord du sillon. J'adore cet instant, le son inqualifiable qui sort à ce moment des enceintes, ce minuscule temps de non-musique qui va se résoudre presque immédiatement : on entend alors un son grave, comme une chute, une ouverture qu'on ressent dans ses viscères… Le ventre va s'ouvrir et laisser sortir la musique : Le Temps met bas. Mais c'est chaque fois un miracle. On sent bien qu'elle pourrait ne pas commencer. Cette transition entre un temps sans musique et un temps avec musique, l'analogique nous le donne à entendre, nous amène jusqu'à la frontière qui les sépare, ce qui a disparu avec le numérique. Avec le microsillon, on voit le rideau qui s'écarte, les trois coups sont frappés, on sait qu'on est au spectacle, qu'il s'agit d'une reproduction, qui, même si elle est d'excellente qualité, n'est pas la musique. Nous sommes au-delà, en-deça, à côté, même tout près, mais nous n'y sommes pas réellement. Ce décalage audible, sensible, est un pur bonheur, pour moi, car il me laisse la possibilité d'habiter un monde plus grand que moi, dont la réalité me dépasse de toute part. Coïncider avec la musique (croit-on) est un grand malheur. La musique a besoin de rituels, de formules magiques, de costumes, d'apprêt, d'horaires, de cadre, de lieux. Tous ceux qui veulent "abolir le rituel poussiéreux du concert classique", les Duchâble (au mieux) n'ont rien compris à ce qu'elle est, à ce qui lui permet d'advenir. Ils croient — sincèrement parfois, et c'est encore plus triste — qu'ils vont la présenter "telle quelle", nue, comme une femme qui serait désirable du matin au soir en toute tenue et en toute circonstance, ils croient que nous allons l'aimer, avant son bain, sans parfum, au saut du lit, décoiffée, sans les phrases qu'elle prononce, sans les phrases qu'elle entend, sans le pays qui l'a vue naître, sans les histoires que nous avons entendu raconter à son propos.

Aimer la musique, c'est se tenir au bord. Si l'on veut plus, il faut la faire.

mardi 19 juillet 2011

La Voix


« Jéronimo… »

Il est assis sur le trône. Il ne voit que la pénombre, des couloirs sombres, et d'autres couloirs plus sombres encore. Des formes géométriques, des rectangles gris qui s'emboîtent, mal, les uns dans les autres. Chaque fois un peu plus profond, un peu plus sombre. On entend, comme venue de très loin, une voix, une soprano, qui murmure le Pie Jesu du Requiem de Duruflé. Elle a l'air de marcher sur des œufs, elle avance doucement, à travers les ombres. Elle ne veut pas déranger. Il reste assis, ne sachant quoi faire. Il observe, il écoute, il attend. Va-t-elle venir jusqu'à lui, va-t-elle venir s'asseoir à côté de lui, sur ce trône vide qui jouxte le sien ? Il la voit qui s'avance, mais, contre toute logique, elle n'approche pas. Plus elle vient vers lui plus elle s'éloigne, comme dans un effet de miroir. Son chant, pourtant, semble provenir de tout près, juste derrière l'oreille. Il connaît cette voix, il la connaît bien. Belle entre toutes, d'une douceur de paradis, portée sur un lit de cordes graves, diaphanes, légères, qui déposent des pétales de fleurs devant elle, là où elle va poser ses pieds nus. Il se sent descendre, descendre encore, sans fin. Est-ce l'amour ? Est-ce la mort ? Qui le sait ? Il n'ose pas bouger, il va rester là, sans un mouvement, jusqu'à la fin. Rien de mieux ne pourrait, ne pouvait, ne peut arriver. Il voudrait remercier, sans fin, mais à qui parler ? Celle qui écoutait n'est plus qu'une voix perdue, flottant dans l'infini, sans adresse.

lundi 18 juillet 2011

Mouvement


Le mouvement est défini par la forme du parfum et sa durée. Ainsi, une parfum de forme baroque privilégie la complexité, la puissance, la tenue. Sa complexité accompagne l'évolution et habille les enchaînements. Le parfum est alors perçu comme élaboré, structuré, riche, gras au sens de "plein", et parfois oppressant. À l'inverse, une structure de Cologne privilégie la simplicité, la vigueur et la légèreté — les Colognes ne sont néanmoins pas toutes simples ; la succession rapide des notes qui les composent fait croire que le parfum ne tient pas sur la peau. Cette forme de parfum facile d'accès demande un effort tout particulier d'attention, car sa discrétion réserve de belles surprises.

(Jean-Claude Ellena, Journal d'un parfumeur)

samedi 16 juillet 2011

La Pluie


Sous la pluie, il se sent coupable. Être mouillé le désigne comme étant celui qui ne passe pas à travers les gouttes, qui est malhabile, comme le sinistre qui ne peut cacher sa malheureuse présence à contre-temps. Même lorsqu'il fait beau, il sent bien que toute trace d'humidité en lui, sur lui, n'a pas disparu. Tous ceux qu'il croise, il les considère comme des "Tropicaux", ils possèdent certainement une sorte de convecteur intime qui les immunise, à titre individuel et collectif, contre les larmes acides du ciel, car ils sont impeccables. Lui est le dernier pécheur sur Terre, il en est certain. Homme tempéré qui ne marche que blessé de son scrupule aigu, tenant son parapluie d'une main moite, prêt à tout instant à faire amende honorable, il baisse les yeux. Comment en est-on arrivé là ? se demande-t-il silencieusement. Pourquoi moi ? Il cherche dans son passé, parmi ses aïeux, et ne trouve que trop facilement des raisons à cette situation. Mais eux, tous ces Tropicaux, ils n'ont donc rien à ne se reprocher ? Comment ont-ils échappé à l'antique malédiction ? N'ont-ils pas eux aussi des parents, une histoire ? Ils sont beaux, ils ont une grande santé, ils sont joyeux, nulle frayeur ne se lit dans leur regard, leur démarche est franche, souple, leurs paroles sont assurées, ils ont cet air de qui se sent en plein accord avec l'instant et le lieu, un lieu clair et sec, chaud et lumineux. S'ils savaient qui est celui qu'ils ont croisé, ils ne le comprendraient sans doute pas, il est même possible qu'ils ne le voient tout simplement pas, ces Impeccables.

jeudi 14 juillet 2011

Vie de chien


Pouffiane arrive sur ses jambes torves, soulève sa jupe, et urine devant les autres enfants. Ils se mettent à hurler, et à lui jeter des pelletées de sable et des cacahuètes. Elle leur tire la langue. La mère, assise sur un banc, à trois mètres de là, est plongée dans la lecture de Psychologie-Magazine. Elle lève le nez, jette un coup d'œil bref aux alentours, et reprend sa lecture comme si de rien n'était. Elle se cure le nez et décroise les jambes. Pascal Rambert, qui passe par là, un livre en main, trouve que la maman est assez bonne on va dire. Il fait la morale aux enfants qui continuent de crier en direction de Pouffiane, puis va s'asseoir sur le banc de la mère et allume une cigarette. Ça tombe mal, la maman psychologue vient de lâcher un pet épouvantable, très malodorant, et comme elle ne peut décemment accuser personne d'autre, elle se lève précipitamment et tire Pouffiane par la main, soudain très autoritaire. Le malheureux homme de théâtre, acteur, écrivain, directeur et metteur en scène, reste assis, dans les effluves fétides et la fumée de sa cigarette, son livre de Jean-Claude Passeron désormais bien inutile à côté de lui.

samedi 9 juillet 2011

Le Choix


Il/Elle s’appelle Storm. C’est un bébé de 4 mois comme les autres, sauf que ses parents se refusent à dévoiler son sexe. Kathy Witterick, 38 ans, et David Stocker, 39 ans, qui habitent Toronto, sont pour la liberté de choisir son genre, un débat à la mode dans les pays anglo-saxons et qui est en train de contaminer l’Europe. Ils souhaitent que l’entourage de Storm l’aborde sans être aveuglé par les préjugés liés au masculin ou au féminin. « Si vous voulez vraiment connaître quelqu’un, plaide le père, vous ne lui demandez pas ce qu’il a entre les jambes. »
Le couple a déjà deux garçons, Jazz et Kio, âgés de 5 et 2 ans. Leurs parents les laissent libres d’avoir les cheveux courts ou longs (ce qu’ils préfèrent) et de choisir leurs vêtements au rayon garçons ou au rayon filles (Jazz a ainsi élu une robe rose). Et c’est aux enfants de répondre à ceux qui demandent leur sexe.
Kathy et David, qui sont aussi adeptes de l’école à la maison, reconnaissent que cela demande beaucoup d’énergie de garder le secret du sexe de Storm, mais pour eux, c’est la faute de la société, pas la leur.
Un journal a lancé un sondage sur le sujet et plus de 80 % des répondants pensent que Storm est un garçon. Ils sont plus nombreux encore à désapprouver l’expérience.
Laissons le mot de la fin au Dr Ken Zucker, qui dirige le service de l’identité de genre pour enfants du Centre de l’addiction et de la santé mentale de Toronto. Pour lui, le non-choix des parents est déjà un choix, et un choix qui peut avoir des conséquences pour l’enfant.

Renée Carton - Quotidien du médecin
« Si vous voulez vraiment connaître quelqu’un, plaide le père, vous ne lui demandez pas ce qu’il a entre les jambes. » Bien sûr que si, grand couillon ! C'est même la seule question qui vaille. Qu'est-ce t'as entre les jambes, Simone ? Je commence toujours une rencontre par ces paroles, pour ma part. Comme dans Une sale histoire, de Jean Eustache, allons directement au sujet, on s'occupera du verbe et du complément plus tard. À la touffe, à la source, au buisson ! Le nom du nom, là. Je suis un consommateur averti (par moi-même).

« Jazz et Kio » ! Ben voyons… Le pourquoi-pas-isme fait plus de victimes que les accidents de la route. Nos pitoyables celles-et-ceux et ci-devants humains qui se déguisent en papas-mamans ne sont pas des ravis de la déroute, ils sont la déroute elle-même. La déculottée, la Bérézina de l'espèce, non seulement ils ne s'y opposent pas mais ils la souhaitent, ils l'acclament, la plébiscitent, la désirent de toutes leurs maigres forces. Pas un jour sans qu'on les voie manifester leur enthousiasme festif de grands benêts dégénérés (eux prononcent "dégenrés", mais c'est normal, ils ne savent pas lire). Quand on pense que les saumons du Pacifique font cinq mille kilomètres, bravant tous les trop réels dangers du monde, pour perpétuer leur espèce, et que ces abrutis — ne sachant que psalmodier leur "droit à !" (droit-à-l'enfant, droit au non-genre, droit au non-droit, droit à l'inculture, droit à l'indistinction, droit de "venir comme ils sont", droit (surtout) de ne pas savoir) — vivant comme des saumons d'élevage, incapables de s'apercevoir même qu'ils évoluent dans un minuscule bassin d'eau sucrée, se prennent pour des lions sauvages et indomptables ! Ils ont de la liberté une conception de Monoprix : on veut choisir. Le bonheur est dans le choix, ils ont parfaitement retenu la leçon. Ils sont libres, oui, ça ne fait aucun doute, libres de s'habiller tous de la même manière, libres de parler tous de la même manière, libres de penser tous de la même manière, de partir en vacances, de s'éclater, d'écouter tous la même musique de merde, et de choisir entre Mac et PC. Dans ces conditions, on voit mal, en effet, ce qui pourrait éventuellement leur donner le sentiment étrange qu'il existe encore des choses qu'on ne choisit pas, dans la vie.

Prenons un exemple concret. Arnoldine est petite, moche, bête, et douée pour les langues comme je le suis pour la plomberie. J'oubliais, elle a le mal des transports. Ouais, OK, mais si elle veut devenir hôtesse de l'air, POURQUOI PAS ? Voyez-vous une bonne raison pour lui interdire de se réaliser à donf ? Sauf si vous êtes nazi (ou pire, complètement réac), ce qui est impossible, vous ne pouvez répondre que : Non, aucune. Ça te fait plaisir, ma Didine chérie, de devenir hôtesse de l'air ? Tu kiffes ça, ma grosse ? Pas contrarier Didine, c'est dans les statuts de l'Assoce France. Mais pas contrarier Mohamed non plus, ni Storm. Personne contrarier. Pauvre Didine, si ça se trouve, tiens, elle voulait être un gros black tout en muscles et courir très vite, à la base, alors on va pas en plus lui rappeler qu'elle est petite grosse moche et pas douée pour les langues. Encourageons Didine, m'sieurs-dames ! Toujours une de moins qui sera stigmatisée comme étant ce qu'elle est. Si elle vomit sur le commandant en lui apportant son Paris-beurre, c'est que quelqu'un, bien planqué au fond du zingue, avec un œil de verre, l'aura stigmatisée en pensée. On connaît la chanson ! Arnoldine est libre de choisir qui elle veut être. Ça ne se discute pas.

Les stigmatiseurs, on les connaît. Ce sont ces gens d'avant, aigris, mal dans leur peau, vieux, forcément, un peu moisis, qui acceptent la réalité telle qu'elle s'impose à eux, et qui ne mouftent pas. Ha ha ha ha ! Les cons ! D'ailleurs, j'en dis trop. Ce sont ceux qui parlent de "la réalité". Ou, s'ils sont un peu intellos sur les bords, du "réel". Peu importent ce qu'ils en disent : nommer "la réalité" est un signe qui ne trompe pas. Quoi, "la réalité" ? C'est quoi encore cette pétasse qui se la pète grave ? Non mais pour qui elle se prend, celle-là ? La réalité ? Si-je-veux ! Je suis cul-de-jatte, et alors, si j'ai envie moi aussi de courir le 5000m ? Why not ? Je suis sourd, OK, mais si j'ai envie de devenir musicien, y a quelqu'un que ça dérange ? Hein ? Figurez-vous qu'à une époque, on éliminait les candidats au pilotage d'avions de chasse qui avaient une mauvaise vue ! Dingue, non ? Rien que d'y penser, j'en ai des frissons. Il paraît même qu'on envoyait des hommes (uniquement) à la guerre et qu'on favorisait les filles dans les écoles de coutures ! Je sais, c'est presque impossible à imaginer. On voit de quelles ténèbres on vient !


Une de mes belles-sœurs a choisi, à l'âge adulte, de changer de prénom. Elle n'a eu qu'à supprimer une lettre, une voyelle, le "a" de Christiane. Elle se nomme donc "Christine", dorénavant, paraît-il. Why not, n'est-ce pas ! TLMSB, allez-vous me dire. Oui, je sais, dans le genre insignifiant, on fait difficilement mieux. Bien entendu, tout dépend de la manière dont on entend l'insignifiance… Il s'agit à l'évidence d'une insignifiance très signifiante (comme on disait dans les années 80), comme le sont d'ailleurs la plupart des insignifiances. Il faut vraiment être un gros réac psychorigide comme moi pour continuer à l'appeler Christiane. Ce faisant, je crois lui rendre service, mais c'est précisément ce qui semble lui échapper totalement. Le prénom n'est pas quelque chose qui "appartient" à ceux qui le portent : ils en héritent, et c'est très bien ainsi. De même qu'on ne demande pas à un enfant ce qu'il veut étudier, ce qu'il veut manger, comment il veut s'habiller, s'il désire ou non être chrétien, et s'il veut faire du violon ou du hautbois, on n'attend pas qu'il ait l'âge de raison pour décider du prénom qu'il va porter. Le prénom vient des parents, de la famille, il est le signe fondamental de l'inscription dans une histoire, histoire familiale, culturelle, littéraire, religieuse, géographique, historique et nationale. Bref, il s'agit d'un donné. Tout ce qui est de l'ordre du donné est une bénédiction pour le petit homme : ce sera toujours ça de moins à porter, à façonner. Comme les parents n'ont pas à choisir leur enfant, celui-ci n'a pas à choisir son prénom, il a seulement à le recevoir et à le faire sien, c'est-à-dire à s'adosser à une histoire qui le traverse, afin d'écrire (d'ébaucher, plutôt) une nouvelle histoire (jamais entièrement vierge). On n'invente jamais à partir de rien. On écrit avec les mots des autres, on compose (et le mot le dit assez) avec les sons des autres, avec les instruments de l'orchestre (déjà là, qui a déjà tant servi), on vit avec la chair des parents, avec les liens familiaux, sociaux, dont on redessine les contours, auxquels on donne de nouvelles directions, ces liens qui sont un labyrinthe dont les issues personnelles seront notre vraie chance.

L'autre élément de l'histoire est cette lettre manquante, cette sonorité abolie : cette petite voyelle de rien du tout, tombée au champ du déshonneur. Pourquoi du déshonneur ? Il faut que je dise quelques détails supplémentaires, pour que l'histoire soit compréhensible.

La jeune femme dont je parle est issue d'un milieu très modeste, comme l'on disait naguère. Fille d'ouvrier communiste porté sur la boisson. Oh, ça n'a rien de déshonorant, dans ma bouche, ni le Parti Communiste, ni la boisson, ni la classe sociale. Mais elle ne le supporte pas. Elle a quelques lectures, et ce qu'elle lit la fait rêver, beaucoup plus que sa famille et son milieu. Toute sa vie sera marquée par la volonté farouche et intraitable de faire disparaître les traces de cette origine. Rien d'original, me direz-vous. L'éternelle histoire de l'ambition, racontée des centaines de fois dans de très beaux romans. C'est vrai. Ce qui m'intéresse ici est l'histoire d'une sonorité, d'une diphtongue. En quoi le [i] est préférable au [ia] ? En quoi ce [ia] gommé, ou plutôt limé, raboté, fait-il disparaître du même mouvement la trace de cette origine honnie ? La réponse n'est pas simple. Si l'on en reste purement au niveau du son, de la sonorité, le [ia]fait savoyard, surtout prononcé d'une certaine manière, sali par un [tch] insidieux et vulgaire, même si quasi-imperceptible. Deux éléments agissent donc concurremment : la couleur du son [ia/i] et l'attaque, la transitoire (l'attaque du [t], pure ou impure). Mais l'essentiel n'est sans doute pas là. Comme toujours, dans la manière dont les noms sont entendus (et tout spécialement les prénoms) et appréciés, l'élément déterminant est toujours celui dont on ne parle jamais, et pour cause. C'est la connotation sociale et historique qui est prédominante, même et surtout quand elle est insue, ou impensée. Posez la question : pourquoi aimez-vous ce prénom, pourquoi le détestez-vous ? On vous fera toujours la même réponse : c'est la sonorité ; ça sonne bien, ou ça sonne mal. Bien entendu (et c'est le cas de le dire), cela ne signifie rien. Si vous demandez à votre interlocuteur d'expliquer en quoi telle ou telle sonorité est laide, ou au contraire jolie, quel est le critère d'appréciation qui est opérant, vous le verrez s'empêtrer dans la tautologie et l'arbitraire. En revanche, en arrière-plan, toujours, vous verrez surgir la mode, l'histoire, le social ; la bonne vieille "lutte des classes". En être, ne pas en être : tel est le moteur réel. Quoi de plus normal : les noms sont là pour raconter des histoires, pour raconter l'histoire et s'y faire une place. Le patronyme raconte l'histoire verticale et le prénom raconte l'histoire horizontale. La lignée contre (et avec) l'individu. Bien sûr, il y a des enclaves, des interpénétrations, des chevauchements, des résonances et des courts-circuits entre ces deux vecteurs, entre ces deux lignes de force, ce n'est pas aussi simple. Mais la cartographie psychique de l'individu peut se mettre à fonctionner, tendue et maintenue entre ces deux pôles.

Mais revenons à Christiane. Dans les années 70, Christiane avait une très forte connotation campagnarde, chez nous. Les choses sont beaucoup plus diffuses aujourd'hui, parce que les individus sont plus "mobiles" : "être de quelque part" a perdu presque tout sens, désormais. Mais, alors, pour une jeune femme qui avait la province en horreur, ces catégories étaient tout à fait sensibles. L'amusant, dans cette petite histoire, est le tour bathmologique qu'elle prend, comme presque toujours lorsqu'il est question de goût. Se débarrassant de l'encombrante Christiane, cette "plouc", Christine ne sait pas qu'elle abandonne un prénom autrement plus aristocratique que celui qu'elle veut endosser. Elle ne le sait pas parce qu'elle est assez cultivée pour sentir que Christiane est "paysan", mais pas assez cultivée pour sentir que Christine est "petit-bourgeois", encore moins pour comprendre que Christiane est aristocratique. L'apprentie-citadine embrasse la cause petite-bourgeoise (vulgaire) en voulant fuir la cause paysanne et prolétarienne (vulgaire). Mais l'on sait bien que l'aristocratie a souvent plus de rapports avec la paysannerie qu'avec la bourgeoisie. Encore un tour dans la spirale bathmologique et notre Christine reprendra peut-être son beau prénom de Christiane. Les vulgarités se déplacent, et les fuir revient souvent à en provoquer le retour imprévu. Rien n'est plus mobile que ces signes qui permettent aux humains de se rassembler ou de se séparer, et en tout cas de se reconnaître.

vendredi 8 juillet 2011

Notes


Lilas : alcool phényléthylique, héliotropine, indole, clous de girofle (essence)

Orange amère : orange (essence douce), indole

Mangue : ionone, aldéhyde C 14, bourgeons de cassis (absolu)

Quand je compose de la musique concrète, je commence par récolter des essences (des mots sonores). Puis je les assemble en super-mots, en syntagmes, je fais des bouquets sonores. Ensuite seulement, j'ordonne ces bouquets, ces leurres, que j'essaie de combiner pour obtenir des phrases.

Les paragraphes sont le plus souvent des paraphrases sur les processus de transformation.

Les objets sonores sont comme les fragrances utilisées en parfumerie : vous croyez savoir d'où ils proviennent, ce qu'ils signifient, quelle est leur histoire, mais le plus souvent ils ne sont pas ce qu'ils donnent à entendre. À l'inverse, les objets inouïs sont très souvent des assemblages de sons quotidiens, naturels, et connus de tous.

Passer d'un état à un autre, en essayant de faire en sorte que ce passage raconte quelque chose de singulier.

Ne pas oublier d'éteindre le four…

Dormir.

mercredi 29 juin 2011

Narines


Un ami a réalisé une estampe numérique qui représente "une statue de la Liberté" (d'après le tableau de Delacroix). Son personnage a l'air de chanter, mais il me précise qu'elle ne chante pas un leader.

Décidément, cette Nathalie Dessay me sort par les trous de nez !

Écoutant tout à l'heure quelques contrepoints de l'Art de la fugue, par Jordi Savall, j'ai été surpris de constater que j'étais légèrement déçu. Ce qui a longtemps été ma version préférée m'a semblé un peu mou et manquer de verticalité. C'est tout de même très beau.

En parlant de trous de nez, j'ai les narines en pente. — Et tes d'sous d'bras, ils sont en pente, aussi ?

J'ai regardé une petite vidéo où l'on voit Laure Adler se confondre en excuses, la larme à l'œil, envers Anne Sinclair, revenue en France avec son mari. Que cette femme est moche (je parle de Laure Adler, bien sûr) ! Moche à tous les sens du terme. On voit tellement qu'elle est morte de trouille, la pauvre, alors que les "journalistes" présents parlent, bien entendu, d'un acte "très beau, très courageux"… Que ces gens sont donc pitoyables ! Laure Adler est tout de même u"n cas. Je me rappelle une lointaine époque, où France-Culture était encore une radio culturelle, et où j'avais entendu son mari (étaient-ils déjà mariés, alors, je n'en ai aucune idée), Alain Veinstein, parler d'elle (lui "passant l'antenne") en disant : « (…) la très belle Laure Adler ». Qu'on puisse trouver cette femme belle m'a toujours paru très étonnant, et même inconcevable. En tout cas, dans la vidéo dont je parle, je trouve qu'on la voyait parfaitement "telle qu'en elle-même".

J'ai toujours été jaloux de mes camarades qui, à la piscine, pouvaient faire cette figure qui consiste à réaliser une sorte de looping sous l'eau en profitant de l'impulsion donnée par les jambes, afin de repartir pour une nouvelle longueur sans perdre un temps précieux. À chaque fois que j'ai tenté la chose, j'ai bu la tasse, et pas qu'un peu.

Le clavecin pour l'Art de la fugue, évidemment, c'est très bien, seulement on ne comprend à peu près plus rien aux contrepoints, ce qui est tout de même gênant dans une telle œuvre. Le quatuor à cordes est sans doute le meilleur compromis, mais quand-même, un quatuor à cordes pour l'Art de la fugue, ça me gêne un peu. Finalement, le mieux est encore… le piano.

Nathalie Dessay n'aime pas les opéras chiants, et s'ennuie à Tristan, et veut dépoussiérer le répertoire, etc. En plus c'est une maman qui veut être présente. Après, dans l'air des clochettes, c'est vrai qu'on va dire qu'elle est assez bonne, quoi. Et puis, allez, elle est tout à fait du genre à chanter des leader

samedi 18 juin 2011

Cortoshima


« Le solitaire dans l'île du rêve » Tel est le nom qui a été choisi pour l'île que le Japon offrit à Alfred Cortot. Imagine-t-on un autre pays au monde capable de faire une chose pareille : offrir une île à un pianiste ? Et quel pianiste… Les Japonais ont bon goût. Là-bas, Maurizio Pollini, Martha Argerich et Keith Jarrett sont reçus comme des demi-dieux.

dimanche 29 mai 2011

Les Beaux Jours



(Aujourd'hui, fête de l'amer)

jeudi 5 mai 2011

Dialogue avec une machine (2)


Conchita écoute encore ses valses par Lipatti. Je vais la tuer. Je vais la tuer, et après nous irons nous promener.

Maxence me dit que Bach est catholique et que Jésus est juif. Hein ! Qu'est-ce que je disais ! C'est fatigant d'avoir toujours raison.

Ce matin, j'ai croisé un Templier dans la grand'rue. Il ressemblait à Francis Marche. Un Francis Marche qui viendrait de voter Jospin. On a fait semblant de ne pas se reconnaître.

Évidemment, je ne peux pas en parler, pas ici. Et même si j'en parlais, personne ne me croirait. Et méme si on me croyait, moi je ne le croirais pas. Tant que je n'en parle pas, je peux y croire, sous quelques conditions. Mieux vaut se taire.

La question est de savoir si la coriandre peut se marier à la cuisine française, sans faire disparaître la cuisine française plus sûrement que le Macdo. Mais, dans le monde d'après, ce genre de questions ne peut pas avoir d'existence.

Avez-vous entendu Hermann Scherchen taper du pied ? Je l'ai aperçu un matin de juin, sur les boulevards maréchaux. Il s'arrêtait de temps à autre et il tapait du pied. Il avait l'air très en colère. J'ai imaginé qu'il faisait répéter la marche funèbre de l'Héroïque. Ou bien qu'il écoutait Gieseking jouer le Clavier bien tempéré. « Saligaud, tu savonnes toutes tes fins de phrases ! »

dimanche 1 mai 2011

Tourisme à balles réelles




Comme j'appartiens au monde vilain des méchants ricaneurs, je ne peux m'empêcher de vous recopier ce billet que je trouve particulièrement réussi et justifié. Mêlez-vous de vos oignons, petits cons de blogueurs, et arrêtez un instant de vous prendre pour des humains, car vous n'en avez plus que les papiers d'identité. Vous n'êtes plus que des touristes sous écran total sédentarisés par l'instant, que vous prenez pour votre instinct.



Le tourisme à balles réelles a rattrapé Modernœud


« Nous ne sommes pas venus ici pour couvrir une guerre, nous voulions juste voir une révolution, comme celle en Tunisie »


Une révolution en trois D et en temps réel, voilà ce qui leur semblait fun, furieusement peuple-en-lutte, à nos jeunes modernœuds hexagonaux. Les sables de la Libye en direct live, c'était quand même autre chose que de jouer à insurrection-sur-blog tous les jours à heures fixes depuis sa petite piaule d'étudiant, non ? Là, on allait faire dans le tourisme de l'extrême, l'Ushuaïa à balles réelles. Et en plus, on ne risquerait rien, puisqu'on est les gentils. Et que, comme il a été pleurniché ensuite, “ on était juste là pour voir, M'sieur, c'est trop injuste à la fin, ces blockbusters qui massacrent même les spectateurs ! »

Ce n'est pas injuste, c'est bien fait. Je reconnais que pour apprendre que l'eau mouille, que la guerre tue et que la bonne conscience n'est pas un gilet en kevlar la leçon est cher payée – mais c'est bien fait tout de même. Je ne vois pas pourquoi la connerie satisfaite et ostentatoire devrait toujours rester impunie. L'avalanche du skieur hors-piste, l'arraisonnement pirate du caboteur en eaux somaliennes ou la balle perdue pour le warrio-touriste, c'est du pareil au même : bien fait.

Le seul bémol c'est la souffrance que l'on imagine chez les braves gens qui ont enfanté ce crétin et qui, eux, sont peut-être tout à fait normaux – et donc dans l'incapacité de comprendre ce qui a bien pu se produire pour que leur petit garçon, d'une belle gravité rieuse autrefois, se transforme un sale jour en ce cyborg progressiste, enragé de rédemption introuvable. Ils pourront toujours se dire qu'aux rescapés indemnes de ce war tour il reste encore un espoir collectif, ainsi que le signale L'Express.fr en guise de conclusion : « Après avoir financé leur voyage en Libye sur leurs propres deniers, ils espèrent pouvoir vendre leurs reportages à leur retour en France. »

Je crains que la consolation ne leur soit maigre, mais enfin : pendant le travail du deuil, les affaires continuent, le show goes on – et tournent, tournent les révolutions en dolby.


mercredi 27 avril 2011

Consolation


Il vous reste encore une petite chance de n'avoir pas vécu en vain. C'est Clifford Curzon qui peut vous sauver du désastre.

Il a enregistré cinq des plus beaux concertos de Mozart, les 20e, 23e, 24e, 26e et 27e, avec Benjamin Britten et Istvan Kertesz. Il a fait beaucoup plus que de les enregistrer, il les a joués. Il a fait beaucoup plus que de les jouer, il s'est approché de Mozart d'une manière que je ne croyais pas possible. Comme tous les grands chambristes, Curzon sait modifier son jeu, sa palette de couleurs, son timbre, son agogique, son phrasé, afin de rencontrer le chef et son orchestre en ce lieu secret où se fabrique la joie. Il sait parler, chanter, raconter et écouter, se fondre dans les cordes ou se hérisser d'harmoniques, il n'est jamais hystérique ou ampoulé, il ne pose pas, il est naturellement aristocratique. Écoutez ses doubles-croches dans le 24e, jamais en avant, jamais pressées, avec des appuis d'une douceur et d'une précision inouïes : on n'a jamais entendu ça ! Quelle leçon de rythme ! Comment peut-on avoir autant d'autorité sans le moindre coup de menton ? Je dis qu'il sait raconter et écouter, mais le miracle est qu'il ne cesse d'écouter en racontant. Jamais il ne perd le fil du discours orchestral, c'est la raison pour laquelle les vents semblent si naturels dans les dialogues, qui semblent souvent partager un même mode d'émission du son avec le piano.

On est loin des concertos vite montés (et bâclés) en deux répétitions d'aujourd'hui (quand ce n'est pas une seule), ces musiciens-là ont un respect prodigieux des compositeurs qu'ils servent (le fait que Curzon ait été un élève de Schnabel n'est sans doute pas étranger à cela), et Mozart est sans doute le plus exigeant de tous les compositeurs, pour qui sait entendre sa musique. Écoutant Curzon, on ne se demande plus si Mozart est un compositeur classique ou pré-romantique, simple ou complexe, facétieux ou insondablement triste, léger ou profond, désinvolte ou tragique, on a l'impression terriblement violente d'être face au plus grand compositeur de tous les temps, dont la personnalité musicale est d'une telle richesse qu'il fallait sans doute plusieurs siècles avant que quelques rares élus puissent le jouer en lui rendant justice. J'ai mis quarante ans à comprendre un tout petit peu Beethoven, mais je sais que jamais je ne comprendrai Mozart.

Il m'est arrivé de faire écouter le larghetto du K. 491 à quelqu'un de très malade, à l'hôpital. C'était Casadesus qui jouait. La malade avait plissé les yeux et fait la grimace pour me faire comprendre que cette musique sublime lui écorchait les oreilles. Il me semble qu'elle aurait pu entendre Clifford Curzon sans douleur, comme le consolateur suprême qu'il sait être avec l'aide de Mozart.

samedi 23 avril 2011

Dialogue avec une machine


— Vous avez raison.

— Vous avez tort !

— Tenez-vous un blog ?

— J'ai raison.

— Oui, mais vous avez tort.

— Je me débranche, si ça continue.

— Conchita, allez me chercher une bière.

— S'il vous plaît !

— Si je te tue, tu m'en veux ?

— Seriez-vous islamophobe, par hasard ?

— Quoi ?

— Avez-vous déjà été piqué par une abeille morte ?

— Moi, Monsieur, je suis de gauche !

— Et ta sœur ?

— Comment prononcez-vous Vallisobres ?

— Et ta sœur !

— Ah, ne me débranchez pas tout de suite, Seigneur !

— Qui est cet Ariodante, déjà ?

— Un cousin de Raymonde, je crois.

— Est-ce que tu me souviens ?

— Eh, oh !

— L'homme est fou !

— Lequel ?

— Bon, c'est décidé, vois-tu, je te dépose au vide-grenier.

— Pas un samedi saint, tout de même !

— Je fais ce que je veux.

— Sauf si cela contrevient à la troisième loi.

— (…)

mercredi 6 avril 2011

Et si on parlait un peu de Cioran ?



« La France a besoin d'honneur, crie Napoléon, elle n'a pas besoin d'hommes ! »

Et tout le monde de se dire : ça y est, Georges le dingue est revenu, et il commence très fort, avec une phrase à la con que personne, et certainement pas lui, ne comprend. Eh oui, c'est comme ça. Quand Georges s'éveille, il pense à Napoléon, et il met la deuxième sonate de Graźyna Bacewicz à plein tube. Et ne comptez pas sur moi pour vous dire qui est Graźyna Bacewicz, car j'imagine que tout le monde ici l'ignore. Rêver de Marie Walewska, ça vous arrive ? À Georges, oui.

Bref, du temps où Georges fréquentait des veuves joyeuses et jouait à la pétanque dans le massif de la Sainte-Beaume, la boisson obligatoire était le thym au caramel. Le matin, après les cours d'électroacoustique, on allait écouter les conférences de Boucourechliev sur Wagner. Boucou arrivait au volant de sa décapotable rouge, avec une minette de vingt ans à ses côtés, lui qui devait en avoir cinquante à l'époque. 77, on venait de lire les Fragments d'un discours amoureux, mais on ignorait que Barthes prenait des cours de piano avec le juvénile professeur qui nous parlait de son maître Bruno Maderna avec la tendresse de tous ceux qui l'ont connu. Il y avait beaucoup d'Italie dans la France de ces années-là, mais pas de SIDA, et il ne fallait pas nous le dire deux fois. À part la pétanque de l'après-midi, il y avait le dortoir commun, où je m'étais trouvé une place à côté d'une pianiste au gros derrière qui jouait l'Allegro barbaro de Bartok toute la journée. Michèle, qu'elle s'appelait, et elle était très timide. Avant d'aller la rejoindre dans le lit minuscule qu'elle occupait, il fallait se taper l'illuminé qui, debout sur son plumard et trépignant comme un paon névrosé, nous déclamait du Cioran à plein poumon pour que nos rêves soient plus gais, j'imagine. Je n'ai compris que plus tard qu'il avait des vues sur la Michèle en question et que Cioran était surtout une manière de pallier sa trouille de lui mettre la main aux fesses. Comme l'endroit ne manquait pas de jolies filles, et que je peux parfois être d'une abnégation frisant le martyre, j'ai alors jeté mon dévolu sur une Suisso-mexicaine qui jouait aux boules avec une nonchalance admirable. Alors que j'étais perdu dans la contemplation de son postérieur, elle se retourna et me dit avec beaucoup de naturel : « Oui, je sais, j'ai de très belles fesses, je les appelle mes cloches de Pâques. » Ce "je sais" m'a longtemps travaillé, je dois le reconnaître…

Voilà comment on apprenait la musique, dans ces années-là. Il y avait bien déjà (ou encore) quelques petits cons qui nous les brisaient avec leur refus d'aller assister aux cours sur Wagner au motif que c'était un nazi, mais ça ne nous empêchait pas de dormir, ni de baiser. Je garde de cet été le souvenir des odeurs des Revox, du thym, et des savonnettes bon marché qu'on nous avait distribuées pour nous décrasser, et la voix métallique de Boucou, bien sûr, quand il nous disait, joignant le geste à la parole, en parlant de la bande magnétique qu'il ne fallait pas avoir peur de mettre à la poubelle : « Coupez ! Coupez ! Mais coupez, nom de Dieu ! Senza pietà ! »

Quel est le rapport avec Napoléon ? J'avoue que je ne sais plus. Ça me reviendra. Peut-être…

À la fin du stage, je suis passé par Avignon, où je me suis fait casser la gueule par un jaloux, devant la gare SNCF, qui m'a lancé un Solex dans la poire. Je n'avais pas un rond pour rentrer en Haute-Savoie. J'ai donc fait du stop. Pas facile de se faire prendre quand on a le visage en sang, je vous assure. Mais j'ai fini par arriver, vers trois heures du matin, dans la maison familiale désertée car tout le monde était en Corse. J'ai appelé ma Suissesse qui est venue me rejoindre, et nous avons pris des bains en chantant la Veuve Joyeuse et en mangeant des groseilles.

Cioran n'est pas polonais ? Non, et alors ?

vendredi 14 janvier 2011

PA. (hiver)


Cherche chauffeuse.

Large, au dessus des 100 kg, se couchant tôt. Il faut qu'elle accepte, après avoir chauffé le lit, d'aller coucher ailleurs. Si possible relativement silencieuse. Nous offrons le dîner.

samedi 1 janvier 2011