mardi 29 décembre 2020

Schubert et Ophélie



On ne peut pas écouter Schubert comme s'il s'agissait d'un compositeur. On ne peut pas aimer Ophélie comme s'il s'agissait d'une femme. Ces deux-là sont d'une race à part le monde. 


vendredi 11 décembre 2020

Les phrases de Marcel Crédi (1)

C'est vers la cinquantaine que Marcel Crédi avait pris l'habitude d'inclure dans ses publications des bordées aléatoires de mots dont la réunion ordonnée en une unité syntaxique de sens était encore appelée "phrase" par certains vieux boucs aux sourcils en bataille. Entre deux énoncés parfaitement explicites, il glissait de temps à autre ces pavés hirsutes qui lui venaient d'on ne sait où. 

Au début, il avait fait ça pour faire rire, pour amuser ses correspondants, mais comme personne ne relevait jamais, il avait fini par penser que ces phrases avaient sans doute quelque signification originale, magique, et que celle-là n'échappait qu'à lui. 

C'est donc avec beaucoup d'espoir et de fièvre qu'il attendait celui qui, un jour, lui répondrait sans marquer de surprise, et ainsi serait susceptible de lui révéler le sens caché de ce que sa main traçait sur le papier en toute liberté. Mais, pour l'heure, seul un silence solennel et un peu inquiétant lui répondait.

Marcel Crédi avait par exemple écrit ceci : « Nous sommes dans un positionnement politique systémique, où toutes fonctions assujetties s'utilise, nécessité faisant loi, bon gré, mal gré, la parole ne se justifiant qu'à l'écoute de diserts silences pour conforter la thèse revendiquée, ou jeter l'anathème sur ses contradicteurs. » , ou encore : « C'est en constatant l'absolue similitude de l'usage politique du mythe, hors cette république qu'eux ne revendiquent pas pour hospice, qu'on prend la dimension sournoise, et planétaire  du réseau de forces noires qui emprisonne nos facultés de penser librement, n'usant que de nos émotions les plus primaires à cette fin, laquelle est de nous contraindre en tous leurs désirs. » 


***

Que des Marcel Crédi existent n'est pas pour nous étonner, non, pas le moins du monde ; ce qui nous étonne fort, en revanche, c'est que des gens leur répondent comme si de rien n'était, dialoguent avec eux, et semblent même comprendre de quoi ils parlent. Cette langue existe donc, des individus la parlent, l'entendent, et l'utilisent pour communiquer entre eux. 

Je propose un exercice métaphysique : lisez ces phrases trois fois de suite, à haute voix, tout en écoutant Dinu Lipatti jouer le choral Jésus, que ma Joie demeure. Le faisant, vous sentirez votre âme quitter doucement votre corps et rejoindre quelque cosmos que nul astrophysicien n'a encore jamais imaginé. 

Marcel Crédi existe, je l'ai rencontré.

AMEN

jeudi 10 décembre 2020

Début

 Parmi tous les débuts de roman que j'ai écrits, je pense que celui-ci est le meilleur. Pour l'instant.


— Écrivez-moi une saloperie.

— Voulez-vous savoir de quoi j'ai envie, là ?

— Oui s'il vous plaît

— Je vais vous le dire.

vendredi 4 décembre 2020

Comment je suis devenu misogyne (2)

Ce qui m'a permis de devenir misogyne sur le tard est la part féminine très développée que je possède. Un homme entièrement viril se contente de ne rien comprendre aux femmes, et il vit très bien avec ça. Il les voit de l'extérieur, comme on regarde un chat, ou un tabouret. Il sait seulement qu'il peut arriver, avec beaucoup de difficultés, à s'en servir, ou à s'en faire accepter, mais comme il n'a pas accès du tout à leur esprit, il ne peut pas les haïr vraiment ; il ne sait même pas pourquoi il en a peur. Il s'asseoit sur le tabouret, et constate que celui-ci est bancal, mais il pense que c'est dans la nature du tabouret d'être bancal, et ne cherche pas plus loin. Et quand il se fait griffer par le chat, il croit que celui-ci s'amuse, ou qu'il a eu peur, en conséquence de quoi il le caresse avec plus de ferveur encore. 

Sans l'écrit, je veux dire sans la lecture de ce qu'écrit une femme dans un réseau social, par exemple, ou encore des textos ou des mails qu'elle nous adresse, jamais je n'aurais imaginé la profondeur du gouffre. Cette expérience a vraiment été une apocalypse. Plus moyen de revenir en arrière, après ça. Elles ne se rendent pas compte à quel point elles se révèlent, du moins je ne le crois pas, car sinon elles sont complètement cinglées. La seule chose dont je pense qu'elle peut s'apparenter un peu avec cette expérience des réseaux sociaux est l'observation d'une femme, en été, sur la plage, en train de lire son magazine, un stylo Bic à la main. 

Avec un peu d'expérience, on s'aperçoit qu'il est urgent, dès qu'un semblant de commerce s'établit avec une de ces créatures, de brûler ses vaisseaux, quoi qu'il puisse en coûter. Le plus tôt est le mieux, croyez-moi. Il faut à tout prix éviter de lui laisser le temps d'ignorer qui on est, et comment on se comporte en société, car elle aurait vite fait sinon d'imposer ses propres normes et coutumes que, bien sûr, elle juge universelles. Car les femmes sont, la plupart du temps, persuadées que la norme est en elles, comme l'utérus est dans leur ventre. Un utérus, une norme, comme on dit une voix, un vote ! Elles ne peuvent pas admettre qu'une norme soit, par définition, quelque chose d'extérieur à l'individu ; elles produisent de la norme comme elles produisent des ovules, et si jamais vous arriviez tout de même à le leur démontrer, elles vous rétorqueraient que c'est bien la preuve que la norme est une notion masculine, puisqu'elle prétend s'imposer à tous. La norme, c'est comme la syntaxe, c'est comme la politesse, ça se situe à l'extérieur de l'individu, et c'est ce qui est intolérable à la femme, car elle est l'individu par excellence — je parle bien sûr de la femme d'aujourd'hui, qui tend à s'affranchir de tous les déterminismes, et de toutes les contraintes, fussent-elles biologiques ou naturelles. Mon corps, mon utérus, mon bébé, mon homme, ma maison, ma piscine, mes varices, mes règles, mon sport, mon yoga, mon ressenti, tout lui appartient en propre, et en même temps, elle peut s'en débarrasser en dix minutes si ça lui chante. 

(…)

Comment je suis devenu misogyne (1)

Pourquoi tout homme doté d'un peu d'intelligence et de goût devient-il forcément misogyne, en ce début de siècle ? À cause d'Internet. C'est depuis que nous rencontrons les femmes par le truchement de l'écrit, qu'il est devenu impossible de ne pas être misogyne. 

Dans le monde que j'ai connu, jusqu'à ma trentième année, c'était leur corps, qu'on rencontrait d'abord. Leurs yeux, leurs jambes, leurs voix, leurs gestes. Parfois leur réputation. L'émerveillement pouvait jouer à plein. Bien sûr, l'intelligence était là, immédiatement, mais comme voilée, habillée par cette divinité de chair. Ou plutôt, cet émerveillement était dès l'origine trouble, troublé par la parole, par les gestes qui agitaient vaguement le liquide dans lequel baignait la statue qui était en face de nous, la faisaient trembler imperceptiblement. Cet émerveillement était impur dès l'origine, et c'est précisément cette impureté qui m'avait fait tant aimer les femmes. 

Même quand je ne savais rien de celle qui, en face de moi dans le métro, par exemple, me faisait basculer dans un monde inconnu, celui de l'amour instantané, même quand je n'avais pas encore entendu sa voix, je sentais bien que cette femme magnifique avait aussi des pensées, des paroles, et des attitudes, qui entreraient en conflit avec cette peau, avec ces seins, avec cette bouche, avec ces mains que je touchais de l'esprit (l'amour n'est pas aveugle, pas du tout, il transperce l'épiderme et le temps, et s'attache aux organes qui barbotent dans la mémoire fumante qui nous observe depuis sa prison invisible), et ce conflit, ou cette contradiction, que je sentais confusément, était sans doute le ferment le plus actif d'un sentiment d'une puissance révoltante. Je l'aimerai quand-même.

L'homme qui s'éprend d'une femme inconnue (rencontrée dans la rue, ou dans le métro, par exemple) veut être à la fois innocent de ce désir et chasseur de femme, sauf si c'est un rhinocéros. Cette impossibilité structurelle a ruiné concrètement mes efforts visant à séduire la femme muette, la femme-corporelle, la passante, mais a construit à mon insu, petit à petit, une autre forme de séduction qui, elle, s'est incarnée dans les phrases. Il n'y a que l'écrit qui peut dire le désir de manière innocente, en le critiquant, et parfois en le niant, très sincèrement. Bien sûr, il n'y a en définitive aucune innocence là-dedans, mais le dédoublement qui s'opère fatalement dans l'esprit de celui qui séduit en écrivant a la même saveur que l'innocence, il le délivre du péché de prédation, ou il l'exonère de la force brute qui s'y attache. 

(…)

mardi 1 décembre 2020

Préambule (1)

Finalement, je me demande s'il ne serait pas mieux pour tout le monde de leur dire immédiatement, à toutes, comme un préambule plein de sympathie et de camaraderie, comme une sorte de postulat positif de départ, en somme, qui ne préjugerait en rien de l'avenir : « Mais tu n'as jamais envisagé que tu pouvais être complètement conne ? ».