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vendredi 15 avril 2022

vendredi 29 octobre 2021

Le sexe dans la cuisine



Jean Anthelme Brillat-Savarin, Auguste Escoffier, Joseph Favre, Philéas Gilbert, Edouard Nignon, Prosper Montagne, Curnonsky, la Mère Poulard, Marcel Rouff, André Pic, Alexandre Dumaine, Fernand Point, Alain Ducasse, Paul Bocuse, Alain Chapel, Roger Vergé, Michel Guérard, Jacques Manière, Marc et Paul Haeberlin, Alain Senderens, Jean et Pierre Troisgros, Joël Robuchon, Bernard Loiseau, Raymond Oliver, Georges Blanc, Pierre Gagnaire, Guy Savoy, Alain Passard, Guy Martin, beaucoup de ces noms m'étaient inconnus.  

Je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce qu'on nomme la gastronomie. J'aime bien la cuisine, et j'aime bien manger, mais je n'ai jamais fait partie de ceux qui font un détour, ou même un voyage, pour aller manger dans un grand restaurant, dans l'un de ces endroits qu'on nomme aujourd'hui restaurants gastronomiques, où le serveur vous souhaite une bonne continuation, ou une bonne dégustation, et même parfois les deux. 

Je connais si mal ce registre de la vie française que je ne découvre qu'aujourd'hui la signification du Guide Michelin. Il me paraît tout à fait extraordinaire que je ne me sois jamais posé la question : pourquoi le Guide Michelin est-il associé de manière si étroite à la cuisine française ? Quel rapport existe-t-il entre les routes et la gastronomie, entre les pneumatiques et le pot-au-feu ? La réponse est pourtant simple. Après la guerre, l'automobile a été un moyen extraordinaire d'aller voir ailleurs si l'on y était. Et quand on va voir ailleurs, on se restaure ailleurs. Ce double mouvement fait de la France un pays à part. Ici, on justifie le voyage par la gastronomie, autant sinon plus que l'inverse. 

Ces nouveaux cuisiniers (les Bocuse, Troisgros, Haeberlin, Chapel, Pic, Senderens, Guérard…) ont, dans les années 60 et 70, changé la manière dont on concevait la cuisine. Avant eux, il y avait des plats (pot-au-feu, blanquette de veau, choucroute, bœuf en daube, cassoulet, gratin dauphinois, hachis Parmentier, poulet rôti, bouillabaisse, poule au pot, etc.), après eux, il y a de la cuisine. La différence entre les plats et la cuisine, c'est qu'un plat traverse le temps, alors que la cuisine se renouvelle au gré du chef. On peut varier un plat, mais parce qu'on peut en faire des variations, il est intemporel. Un pot-au-feu, même exécuté par un chef étoilé, reste un pot-au-feu, comme une sonate composée par Boulez reste une sonate. La cuisine des chefs modernes ne peut se varier, puisqu'elle est, par définition, toujours nouvelle. 

Les Français n'avaient pas besoin de recettes pour faire un pot-au-feu ou un hachis Parmentier. N'importe quelle épouse, n'importe quelle mère, avant 1970, savait faire la cuisine. Il est impossible de ne pas faire de lien entre l'avènement de la "nouvelle cuisine" et la disparition des cuisinières domestiques. Les femmes transmettaient l'héritage, les hommes l'ont remis en question. D'un côté, la transmission, de l'autre, la création. C'est un homme qui dit : « Il m'arrive parfois de mettre du zeste de citron dans le café. » 

Nous le savons tous, les femmes ne savent plus faire la cuisine. En quarante-cinq ans de "fréquentations", je n'ai pas rencontré une femme qui ait été ce qu'on appelle un cordon bleu. Si vous voulez rire, aujourd'hui, il vous suffit de demander un conseil culinaire à une femme. La cuisine traditionnelle s'est éloignée de nous en même temps que la culture et l'orthographe, en même temps que le rock envahissait nos oreilles. Les hommes qui conduisaient des voitures ont aimé aller manger ailleurs que dans les cuisines désertées par leurs femmes, et ils ont rencontré d'autres hommes qui leur préparaient de bons repas. 

On sait que sexualité et nourriture sont étroitement liées. Eh bien voilà, c'est comme ça. Les hommes se séparent de plus en plus des femmes, et ces dernières ont abandonné ce qui leur permettait de tenir les hommes (la cuisine et la féminité). (Aujourd'hui, elles les tiennent par les procès.) C'est un grand mouvement de fond, je crois bien. On ne peut pas tout avoir, n'est-ce pas. Les fucking-machines n'ont que peu d'affinités avec le pot-au-feu. 

samedi 18 avril 2015

Les likes de Jessica


Brandon* a déposé une douzaine de photos de Jessica* sur Facebook. Suivant le nombre de likes que les photos de Jessica récoltent chaque jour, il lui prodigue des attentions amoureuses plus ou moins fortement dosées. Si les douze photos obtiennent moins de 5 likes en tout, dans la journée, il ne lui fait rien du tout. Si les douze photos obtiennent plus de cinquante likes en vingt-quatre heures, elle a droit à un traitement de faveur, et même à un bonus : soit il fait la vaisselle, soit il va faire les courses avec elle. Une fois, le nombre de likes est allé jusqu'à soixante. Elle a eu droit ce jour-là à un bouquet de fleurs. 

Mais soyons un peu plus précis. Entre 5 et 10 likes, des french kiss. Entre 10 et 15 likes, un cunnilingus rapide avant de partir au travail. Entre 15 et 20 likes, coït debout dans la cuisine sans préliminaires. Entre 20 et 25 likes, préliminaires et cunnilingus, 10 à 15 minutes en tout. Entre 25 et 30 likes, on commence à entrer dans les choses sérieuses ; caresses, baisers, coït (deux positions), au lit, avant de dormir. Entre 30 et 35 likes, bougies parfumées, massage des pieds, cunnilingus, baisers, caresses, et coït (trois positions), au lit, entre 20 minutes et une demi-heure. Entre 35 et 40 likes, Jessica a le choix de l'endroit où ils feront l'amour (chambre, salon, voiture), 45 minutes, orgasme non garanti. Entre 40 et 45 likes, bougies parfumées, musique, douche pour Brandon avant les ébats ; massage des pieds et des jambes, préliminaires complets, cunnilingus appuyé, stimulation du point G, coït cinq positions minimum, orgasme garanti (durée ad libitum). Entre 45 et 50 likes, alors là c'est le grand jeu. Massage complet, avec huiles parfumées, sur la table de massage pliante au salon, puis préliminaires au lit, dans la chambre, avec la playlist "crescendo", cunnilingus et feuille de rose, stimulation des points G, H et R, puis coït sept positions, ordre au choix, pour finir par une sodomie. Double orgasme garanti.

Depuis que Brandon a découvert Facebook, la vie sexuelle de Jessica dépend entièrement des amis Facebook de Brandon. Mais Jessica est maline, elle demande à ses amies de devenir les amies Facebook de Brandon, pour qu'elles puissent liker ses photos. Sauf que Brandon est plus malin encore ; il en profite pour exercer au passage un chantage discret sur les nombreuses "amies" de Jessica, dont il a parfaitement compris le petit jeu. Si elles veulent devenir ses amies, elles doivent d'abord passer à la casserole. Finalement, tout le monde s'y retrouve. On se demande si le gouvernement socialiste ne devrait pas penser à instaurer un système dans ce goût-là avec les électeurs. Ah, on me dit que c'est déjà le cas, excusez-moi, la politique, ce n'est pas ma spécialité. 

(*) Les prénoms ont été floutés

jeudi 9 avril 2015

« Le niveau de bruit est inversement proportionnel au degré de civilisation. »


« Je nourris depuis très longtemps l'idée que la quantité de bruit que chacun peut supporter sans difficulté est en raison inverse de la puissance de son esprit ; elle peut donc être considérée comme sa mesure approximative. Voilà pourquoi quand j'entends dans la cour d'une maison des chiens aboyer sans cesse des heures durant, sans qu'on les fasse taire, je sais déjà à quoi m'en tenir quant aux forces intellectuelles du propriétaire. Celui qui a l'habitude de claquer les portes au lieu de les fermer avec sa main, ou qui tolère ce comportement dans sa maison, n'est pas seulement un homme mal élevé mais aussi grossier et borné. En Angleterre, sensible signifie aussi "intelligent" : cet usage repose donc sur une observation fine et précise. Nous deviendrons parfaitement civilisés seulement quand nos oreilles auront elles aussi droit de cité, et quand plus personne ne sera autorisé, dans un périmètre de mille pas, à venir troubler la conscience d'un être pensant par des sifflements, des hurlements, des vociférations, des coups de marteau ou de fouet, des aboiements, etc. »

Schopenhauer (Compléments au livre I du Monde comme Volonté et Représentation. Chapitre 3)

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mardi 3 mars 2015

Bill m'écrit


Quand Bill Gates m'a écrit pour la première fois, j'ai cru qu'on se moquait de moi. J'ai perdu cette première lettre, il est bien possible que je l'ai jetée. À la deuxième, j'ai appelé le numéro de téléphone qui figurait sur la lettre et je suis tombé sur sa secrétaire particulière, qui m'a dit qu'il me rappellerait — heureusement, car je ne voulais pas me ruiner en téléphone. Il ne parle pas très bien français et je ne parle pas un mot d'anglais mais on a tout de même réussi à se comprendre à peu près. Je ne peux malheureusement pas révéler l'objet de cette conversation, il a été très clair sur ce point. J'ai été surpris de découvrir un homme charmant, intelligent, et plus cultivé que je ne l'aurais pensé. 

Bill Gates voulant contacter quelqu'un lui envoie… une lettre. Une lettre écrite au stylo sur du papier, dans une enveloppe timbrée, envoyée par la poste. C'est un peu comme si j'avais reçu un texto de Victor Hugo ou un tweet de Paul Claudel. 

Maintenant que je sais que tout est possible, je m'attends à recevoir un coup de téléphone d'Alain Juppé, furieux de la manière dont j'ai traité la Merveilleuse… 

jeudi 18 décembre 2014

Première ligne (7)


Que s'est-il passé avec les demoiselles d'Avignon ? Et avec celles de Paris, d'Annecy, de Genève ? Le puritanisme prend des formes toujours différentes. Aux confins du désir se tient un griffon patibulaire qui agite une pancarte sur laquelle est inscrit le signe égal. Le vieux conflit était jadis la source à laquelle la vie se régénérait, il est aujourd'hui pourchassé comme le sanglier furieux qu'il peut être parfois. 

Quand Christine a obtenu de son père un magnifique appartement près du Lycée Berthollet, tout a  changé. Nous habitions auparavant une petite chambre, rue du Lac, au domicile d'une vieille dame chez qui j'étais obligé de me faufiler chaque jour en douce pour parvenir au saint des saints.

Toujours cette petite chambre, sombre, bleue, ou brune, je ne sais plus, le lit, la table, un lecteur de cassettes Philips, les toilettes, je ne sais même plus si les toilettes étaient à l'extérieur ou dans la chambre. Est-ce qu'on se désirait ? Est-ce qu'elle me désirait ? Peut-être… Impossible de savoir, c'est trop loin. Ou alors ça n'avait pas de réalité ; cette question n'avait pas d'importance pour moi, c'est plutôt ça. Je l'aimais, ou en tout cas j'en étais persuadé. Aujourd'hui, je ne parviens même plus à croire que c'est possible. Je veux dire : techniquement possible. Comment faisait-on ? Comment ma mère m'avait-elle  laissé partir de la maison alors que je n'avais que seize ans ? Il y avait un café, au coin de la rue, un café assez vaste, avec peu de monde à l'intérieur, un beau café, en face du Prisunic. La rue du Lac est une petite rue qui part du lac qui arrive à la cathédrale, une petite rue tranquille, un peu solitaire, même si elle se trouve en plein milieu de la ville. On habitait juste au-dessus de la Crémerie du Lac, une crémerie assez célèbre, dans cette ville, dans laquelle les gens venaient parfois de loin car on y trouvait des fromages dont la qualité était réputée. Le Prisunic s'appelait, je me rappelle très bien, Printania. Plus jeune, on venait à la ville, avec ma mère, faire des courses à Printania. C'était tout petit, mais elle avait trouvé le moyen de me perdre, là, et j'avais été terrorisé, comme tous les jeunes enfants que les parents perdent dans un magasin qui leur semble immense. Quand je dis terrorisé, c'est vraiment terrorisé. Maman m'a perdu… Elle a perdu son petit. Va-t-elle le chercher ? On prenait le train, et on venait tous les deux à la ville. J'adorais prendre le train avec ma mère, j'adorais ça.  Est-ce que ma mère a rencontré Christine ? Je ne sais plus. À cette époque-là, elle travaillait, c'est la seule période de sa vie où elle a dû travailler. Son mari, mon père, venait de mourir, et elle a tenu la pharmacie, quelque temps. Un jour, c'était encore avant la chambre de la rue du Lac, nous avons pris le train, Christine et moi, de la grande ville vers la petite ville, nous avons fait le trajet inverse de celui que j'avais fait avec ma mère, et nous sommes allés à la maison, chez moi, chez mes parents, chez ma mère. Ma mère ne supportait pas que nous disions "chez moi". Nous devions dire : "chez nos parents", ou "à la maison", mais pas "chez moi". Bref, c'était l'après-midi, on arrive à la maison, on va dans ma chambre, il n'y a personne à la maison, nous sommes tous les deux, Christine et moi, c'est au tout début de notre histoire. Je commence à la déshabiller, elle se laisse faire, on est dans ma chambre, elle est allongée sur le lit, sur le couvre-lit, elle est nue, ou presque, et moi je suis encore habillé. À ce moment-là, le téléphone sonne. Nous avions deux téléphones. Un en bas, dans le hall, près de l'entrée, et un à l'étage, dans la chambre des parents, ou était-ce dans le hall à l'étage, je ne me souviens plus. Avant d'aller répondre, je demande à Christine de rester comme elle est, allongée, nue, sur mon lit. C'est la première fois de ma vie que je vois une fille nue, je veux dire, nue pour moi, que j'ai déshabillée moi-même, et qui s'est laissé faire, et ce coup de téléphone, c'est une catastrophe, vraiment. C'est ma mère qui vérifie que je suis à la maison, oui, maman, je suis là, oui, tout va bien, tu es à la pharmacie, oui, je sais, restes-y, surtout, prends bien ton temps, fais ce que tu as à faire, tout va bien. Et je me précipite à nouveau dans ma chambre où bien sûr Christine n'est plus nue. Elle n'allait pas rester, comme ça, à m'attendre, à poil, comme un fruit abandonné sur le lit à une place de ma chambre, pendant que je parlais au téléphone avec ma mère, non, ça ce n'est pas possible, bien sûr, je le savais, même si elle m'avait promis le contraire. Elle ne s'est pas rhabillée, non, mais elle s'est glissée dans les draps. Elle me dit que je dois me déshabiller aussi, et que je dois la rejoindre. La rejoindre… Je n'ai jamais encore fait l'amour à une fille, enfin, pas vraiment, pas en mettant mon sexe dans son sexe. J'ai du mal à le croire moi-même, mais je ne suis même pas certain de savoir à ce moment-là comment on fait. Toujours est-il que je me mets sur elle, tout va très vite, mais alors vraiment très vite, et je reste là, planté comme une andouille, tétanisé. Elle me sourit. Je n'ai même pas fait attention à elle. Au bout d'un assez long moment, elle me dit à l'oreille que c'était bien mais que… je n'étais pas au bon endroit. Comment ça, pas au bon endroit ? Comment ai-je pu me perdre en route ? Mais, pas au bon endroit, comment ça ? J'étais où ? Alors elle me montre…

Nom d'une pipe, il ne suffit pas d'aller entre les cuisses d'une femme, il faut en plus trouver son sexe, se mettre à l'intérieur, enfin c'est tout un ensemble, comme dirait l'autre. Je me suis senti comme avec le short prince-de-Galles sur le terrain de rugby. Mais pourquoi donc est-ce que personne ne me prévient jamais AVANT ? Les autres ont tous l'air d'être au courant, qui les a prévenus ? Toujours cette sensation que je ne comprends rien à la vie, qu'elle ne parle pas la même langue que moi, ou que mes parents se sont trompés en me mettant dans ce monde-là. Comme c'est étrange, vraiment !

Évidemment, ce ne sont pas les jeunes gens d'aujourd'hui qui auraient ce genre de problèmes, eux qui voient des chattes et des braquemarts toute la journée depuis leurs plus tendres années… On n'a pas encore pris la mesure du monde qui est en train de naître sous nos yeux, ce monde dont les enfants sont élevés à la pornographie "naturelle" et quasi obligatoire, mais je crois qu'on va très vite en voir les effets dévastateurs. On comprend finalement que cette pornographie totalitaire est une émanation du puritanisme qui marche main dans la main avec ceux qui ne supportent pas  la différence sexuelle. Plus la population dans son ensemble est abreuvée de ces images, moins elle est apte à avoir du désir pour un être qui ne lui ressemble pas, plus elle croit montrer de la différence plus elle fabrique du même. La pornographie, c'est la mondialisation de l'espèce prise à la racine. Je parle de la pornographie réelle, celle qui se pratique aujourd'hui, concrètement, pas de la pornographie littéraire, ni même de celle, artisanale, qui était de mise durant ma jeunesse, les sex-shops, les peep-shows, les magazines, les cinémas pornos, les cassettes VHS, celle qui se planquait encore un peu… Je n'ai pas grand-chose contre la pornographie, tant qu'elle n'est pas prescriptive, tant qu'elle se contente d'être un mode d'être parmi d'autres et qu'elle ne nous démontre rien.

Donc, lorsque ma Christine a emménagé dans le grand appartement près du Lycée Berthollet,  tout a changé. Nous étions déjà, à ce moment-là, entrés dans une sorte de conjugalité qui se devait de faire une place à la jalousie, à la tromperie, à la dissimulation, et à la souffrance. C'est la loi : quand la vie vous offre de meilleures conditions de vie, plus d'argent, plus de confort, plus de luxe, plus d'espace, une femme plus belle, plus jeune, vous pouvez être certain qu'au même moment elle s'arrange pour vous le faire payer très cher. Étant convoitée par tout Annecy, il était fatal que Christine augmente le loyer qui me rendait maître de son corps. Je n'irai pas jusqu'à affirmer qu'elle m'a trompé avec tout Annecy, non, ce serait inutilement exagéré, en revanche c'est bien à cette époque que j'ai découvert les affres de la jalousie. C'est très douloureux quand rien ne nous y a préparé, et qu'on n'a même pas eu le temps de s'habituer à cette chose inconcevable encore quelques semaines auparavant, qui est de pouvoir faire l'amour à une déesse à peu près quand on le désire.

Dans la petite chambre de la rue du Lac, nous n'avions rien, mais alors rien de rien, par exemple la seule musique qu'on y ait écoutée, mais des centaines de fois, était la Quarantième de Mozart par Karajan, ce qui fait que cette symphonie est pour moi indéfectiblement liée au reblochon. Il n'était évidemment pas question d'y inviter nos amis, ce qui m'arrangeait sacrément. J'ai trois souvenirs liés à cette chambre. Le premier est le boudin aux pommes (trop de beurre), le deuxième la fellation (incroyable découverte), et le troisième le LSD. Avec Mozart, ça fait quatre. Le conflit (et le confit) sexuel, la différence irréductible (très concrète), l'incompréhension massive (mais qui n'ose pas se dire, ni même se penser), sur fond de Mozart et d'hallucinations visuelles, auditives et temporelles, surtout, tous les ingrédients étaient là, sur scène et en coulisse, prêts à nous pousser vers la fosse sublime et sans fond qu'on appelle la vie.

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samedi 6 décembre 2014

Première ligne (5)

Elle est très belle.

« Pour un Robbe-Grillet, combien d'épigones impuissants ? »

Elle est très belle, vraiment, elle est très belle.

C'est un roman chrétien, malgré tout - J'ai horreur du folklore - Et il s'endort… Je suis le nouveau Pape. François m'ennuyait. À la cave, François. Pousse-toi de là que je m'y mette. Si le Christ n'est pas ressuscité, c'est pas la peine. Et Nicole qui me dit que Jésus n'est pas Dieu ! Autant écouter du rock and roll alors ! J'entends ces belles voix orthodoxes et je vois ce beau visage et je me demande : EST-CE CELA, ÊTRE HEUREUX ? C'est si petit, si minuscule ? Je voudrais connaître la Russie et la Syrie, ce soir. Le froid et le chaud, mais pas le tiède. Comme me le dit Henri Graetz : « Ce sont des choses qui arrivent. »

Elle est vraiment belle, la femme de Bachar el-Assad. Voudrait-elle m'épouser ? Je ne lui poserai pas la question, de peur qu'elle dise oui. Contrairement à ce que tu crois, lecteur, ce sont des choses qui arrivent, que les femmes me disent oui. Mais je n'insiste pas. En effet, toutes celles qui m'ont dit oui m'ont mis dans l'embarras, et parfois dans l'affliction. Quand une femme dit oui, attendez-vous au pire. Au moins quand elles disent non, on sait à peu près à quoi s'en tenir.  « Les enfants, est-ce que je vous aime ? » Bien sûr que non ! Entre Georges V et Champs-Élysées-Clemanceau, elle voit la pancarte sur le quai et me dit oui, allons faire l'amour chez ton frère (on allait acheter du riz complet). 

En réalité, c'est quand nous nous sommes retrouvés à Paris, Ettie et moi, qu'elle m'a dit que la jolie petite blonde avec qui nous avions dormi à Athènes était une Roosevelt. À l'époque, ça m'a fait autant d'effet que si j'avais bu du champagne dans un gobelet en plastique. Il faut vous dire qu'en ce temps-là, je portais une longue robe orange et je jouais de la flûte en bois. Mon frère avait un appartement rue Lauriston, j'aimais beaucoup cet appartement, et j'aimais beaucoup l'odeur de cet appartement. C'est là que j'ai écouté les premiers disques de Nikolaus Harnoncourt, des Brandebourgeois à l'ammoniaque, avec des flûtistes qui jouaient presque aussi mal que moi. Donc Ettie avait de jolis petits seins, à peine un peu allongés sur le côté, et elle avait gardé sa culotte pour entrer dans le lit, détail qui m'avait bouleversé. Mon riz complet avait cuit six heures, on commençait à avoir faim, mais il manquait encore la levure et le gomasio. J'avais de toute façon mis trop de laurier dans l'eau de cuisson. 

Quand j'ai revu Ettie, quarante ans plus tard, elle avait perdu un sein, et l'autre était "reconstruit". Elle était à l'hôtel de la rue Cujas. Il y avait un vieux piano droit dans le salon de l'hôtel, sur lequel j'avais joué en l'attendant. À l'époque, je portais un pantalon en fine cotonnade, rayé blanc et bleu, que j'aimais beaucoup porter l'été. Mais le tissu était vraiment léger et j'avais la bandade plutôt facile. Impossible de tenir la main de ma belle Américaine dans la rue sans que tout le monde ne soit en mesure de constater l'agressivité de mes sentiments pour elle… Avec Ettie, on se revoit tous les vingt ans. En 86, de passage par Paris où elle donnait un concert, elle m'avait retrouvé, un coup de chance. Nous avions passé la soirée ensemble, chastement, à écouter les sonates pour violoncelle et clavier de Bach. À l'époque de ces premières retrouvailles, j'étais écartelé entre Céline et Thérèse, et Anne, au point où j'en étais, je n'aurais pas dit non à une analyse approfondie de la relation entre les pianistes et les violoncellistes autour de la trentaine, mais ce fut une occasion ratée. À l'époque on ne disait pas baiser (je ne dis cela que pour les jeunes lecteurs), on disait "faire l'amour". J'aime bien "baiser", mais il faut reconnaître que "faire l'amour", ce n'est pas si mal que ça, comme expression. Combien d'histoires d'amour qui n'auraient jamais dû être ont commencé parce qu'une fille à montré son con ou ses seins à un garçon, ou même ses orteils ? L'amour se fabrique comme le pain. Il ne suffit pas de cracher en l'air, il faut la pâte, le sel, les mains pour la pétrir, la pâte, et un peu d'eau aussi. Il faut l'odeur, et la peur de rater, et le four. Une certaine température aussi. Mais la peur de rater est essentielle, j'en suis certain. L'Église parle de consommer, et elle sait de quoi il est question. 

Elle est vraiment très belle, Asma el-Assad ! Jésus n'est pas un dieu ! Cette Nicole est complètement folle ! Complètement "pétée", comme elle le dit elle-même. Combien de fois serons-nous revenus sur ce mystère : qu'est-ce que la beauté d'un visage de femme ? Combien de beaux visages de femme avons-nous vus dans notre vie ? Des vraiment beaux. Cinq, dix, quinze ? Et toi ? Et lui ? Et vous ? Je n'aurai pas connu l'Antarctique. Il y a des lieux où nous n'irons jamais. L'île sans nom, le chef-d'œuvre inconnu, les territoires oubliés des cartes, les corps qu'on ne rencontre pas, hic sunt dracones. Un beau visage de femme, c'est par définition une terra incognita. C'est toujours un pôle, un abîme. Entre la convoitise et la possession, il y a le visage. Entre le monde et Je, il y a le désir. Regarder, voir un visage, c'est un crime très doux, c'est un détour à rebours du temps et de la mort. La pâte qui est sortie du ventre de la mère est encore fraîche, chaude, elle est encore en train de lever, sous nos yeux. 

Je n'ai pas rencontré Voltaire, je n'ai pas connu Beckett, je n'ai pas discuté avec Robert Schumann, mais je suis le Pape caché. Celui qui se trouve au Vatican n'est qu'une marionnette dont j'actionne les membres selon ma fantaisie du moment. C'est ce qui le rend si paradoxal et brouillon, car je ne prête pas beaucoup d'attention au fait de ne pas me contredire. Je trouve ça un peu vulgaire. Mon vrai travail consiste à… Je ne sais plus ; j'ai des amnésies de plus en plus fréquentes, mais ça me reviendra. D'ailleurs il est probable que j'en parle dans ce texte lui-même ; je l'ignore car je ne me relis pas. La peur de rater peut nous faire manquer des chefs-dœuvre et découvrir l'amour. Ce sont des choses qui arrivent. 

Au lycée, c'était la plus belle. Elle était blonde, puis elle fut brune. Elle avait de longues jambes et un visage de starlette, et tout le monde la convoitait. Cheveux bouclés, manteau noir et blanc à carreaux, de très beaux seins opulents, dès qu'elle entrait au Semnoz, c'était comme du pain frais qui sort du four, les types avaient la narine frémissante et l'air bête de la bête qui imite l'homme. Je ne sais même pas comment je m'y suis pris. Aucune peur de rater, puisque c'était impossible. Dans la vie, ce sont toujours les choses impossibles qui arrivent en premier. Voilà, elle avait un visage que je ne connaissais pas, que je ne comprenais pas, qui n'avait rien à voir avec ce que j'étais, avec ce qu'on m'avait appris. Elle vivait seule avec sa grand-mère, Christine. Dès que je me suis embarqué dans cette histoire, j'ai cessé de voir au-delà des cinq prochaines minutes de ma vie. J'avais le nez collé sur le présent, quand j'y repense, je me dis que j'avais toutes les chances d'en claquer, mais il y a une force sourde et démentielle, à l'adolescence, mystérieuse, qui permet aux chanceux d'éviter les obstacles qui tueraient les plus solides. Immédiatement, j'ai abdiqué toute prudence, toute sagesse, toute raison, j'ai laissé mon instinct de conservation dans ma chambre d'enfant, ou dans celle de ma mère. C'est la chance, et uniquement la chance, qui m'a maintenu la tête hors de l'eau. Christine m'a fait comprendre l'expression "en un clin d'œil" en un clin d'œil. En quarante secondes, une femme met la main sur vous, et vous lui appartenez corps et âme. Voilà, c'est tout naturel, y a pas de quoi en faire un fromage : Ce sont des choses qui arrivent. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, elles savent parfaitement ce qu'elles sont en train de faire : l'opération leur demande tout de même un certain investissement, mais ça ne les empêche pas de dormir plus d'une nuit ou deux. Je comprends parfaitement qu'on ait brûlé des sorcières au Moyen Âge. Eux au moins avaient les yeux en face des trous. 

Dans le visage des femmes, ici sont les dragons. En observant attentivement Asma el-Assad, je reconnais ma Christine. Elle n'a pas vieilli, elle est toujours la même. Le côté farce de l'histoire est qu'elles nous laissent croire qu'on les possède, qu'on les choisit, ou même qu'on les convoite. Mais regardez donc ce visage ! Pensez-vous réellement qu'un homme puisse se rendre maître d'une chose pareille ? Croyez-vous sérieusement qu'il ait la possibilité de dire seulement : « Je veux » ?

C'est l'hiver, à Annecy. Il fait froid, sec, il fait beau. Près du canal du Thiou, le terrain de basket du lycée. Je regarde, médusé, les filles à l'entraînement. On entend les baskets sur le bitume, les cris, le ballon, les coups de sifflet, la voix du professeur de sport. Elle est là, en short, les cuisses rougies par le froid et l'effort, ses seins tressautent sous le maillot, elle me voit, elle sourit, elle me fait comprendre que je suis au spectacle, que je ne suis là que pour l'admirer, la désirer, que le sujet, c'est elle, la vie, c'est elle, la beauté, c'est elle, qu'elle est tout et que je ne suis là que pour être à elle. Plus tard elle me dira que ça la gênait que je sois là à la regarder, à l'admirer, et plus tard elle sera sincère, mais sur le moment, avec ses cuisses rougies et ses seins qui tressautaient sous le maillot, elle me prenait, tout simplement, elle prenait ma vie, devant tout le monde, comme on prend une plaquette de beurre au supermarché pour la mettre dans son caddy. 

Elle était très belle.

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lundi 11 août 2014

Le Goût, c'est la guerre permanente


Tout à coup – miracle ! – pour une raison inexplicable, cette vulgaire routine radiophonique fit place sans transition à une musique sublime : les premières mesures du Quintette avec clarinette de Mozart prirent possession de notre petit espace avec une sereine autorité, transformant cette salle de café en une antichambre du Paradis. Mais les autres consommateurs, occupés jusqu’alors à bavarder, à jouer aux cartes ou lire les journaux, n’étaient pas sourds après tout : en entendant ces accents célestes, ils s’entre-regardèrent, interloqués. Leur désarroi ne dura que quelques secondes – au soulagement de tous, l’un d’entre eux se leva résolument, vint tourner le bouton de la radio et changea de station, rétablissant ainsi un flot plus familier et rassurant, qu’il fut à nouveau loisible à chacun de tranquillement ignorer. À ce moment, je fus frappé d’une évidence qui ne m’a plus jamais quitté depuis : les vrais philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté – ils ne la reconnaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil, mais c’est pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de laideur. Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie. Le talent inspiré est toujours une insulte à la médiocrité. Et si cela est vrai dans l’ordre esthétique, ce l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beauté artistique, la beauté morale semble avoir le don d’exaspérer notre triste espèce. Le besoin de tout rabaisser à notre misérable niveau, de souiller, moquer, et dégrader tout ce qui nous domine de sa splendeur est probablement l’un des traits les plus désolants de la nature humaine.
(Simon Leys, Le Bonheur des petits poissons)

mardi 8 juillet 2014

Silenciaires


Il y a ceux qui font du bruit, très nombreux, mais il y a aussi, beaucoup moins nombreux, ceux qui font (du) silence. On pense naturellement que le bruit se fabrique alors que le silence n'a rien à voir avec le faire, qu'il ne fait "qu'être là". C'est tout le contraire. Le silence est un travail, comme l'amour. « Ils font beaucoup de bruit, ce soir. » « Il a fait un silence extraordinaire. Ça lui a pris toute la semaine. » Faire du bruit est à la portée de tout le monde ; il suffit de se laisser aller. Faire du silence est un art.

J'ai compris ça un jour, dans le métro, à Paris. Un type jouait de l'accordéon et faisait la manche. Banal. Personne n'écoute, de toute façon ; il s'agit d'un bruit qui s'ajoute aux autres bruits, qui les colore, à peine. Par déformation professionnelle, sans doute, j'écoutais, même si le moins possible. Même le moins possible n'a pas empêché d'entendre que cet abruti avait une manie qui depuis lors m'obsède. Jouant une chanson quelconque, mais connue, il en raccourcissait systématiquement les silences. Les chansons sont faites plus ou moins toutes sur le même modèle : des couplets, des refrains, et à l'intérieur de ces couplets et de ces refrains, des phrases, elles-mêmes séparées par des "silences textuels", qui jouent le rôle de la ponctuation, nécessaire à une compréhension facile de l'histoire. Chacune de ces absences de paroles, il les raccourcissait avec une désinvolture exaspérante. Cela signifiait, littéralement : pas de paroles = pas d'intérêt. Pas d'histoire = Rien. J'étais scandalisé par cette réduction de la chose musicale à une fonction purement informative, utilitaire. C'est le même mépris, c'est la même méprise, qui fait qu'on n'accorde pas d'attention aux phrases, à la syntaxe, aux transitions du discours, mais seulement au message qui, croit-on, serait véhiculé par quelques verbes et quelques substantifs. C'était il y a vingt ans à peu près. Depuis, la chose a fait florès. Écoutez par exemple une assemblée de Français qui chantent la Marseillaise. Vous constaterez que la chose va de plus en plus vite parce que naturellement, ils tentent de chanter ensemble (d'être ensemble), mais que la masse dominante se jette sur la phrase suivante comme si le vide tout relatif entre deux phrases la terrifiait.* Bien sûr, le résultat est que le rythme de la musique est radicalement transformé, et que ce qui est censé aller vers l'efficacité va en réalité vers le chaos, l'asphyxie, l'informe et l'inarticulé. Quand j'avais une quinzaine d'années, mon père s'est mis en tête de m'expliquer ce que signifiait le rubato. C'est une chose très complexe et assez mystérieuse pour un apprenti musicien. Il m'a expliqué que lorsqu'on "volait du temps" (rubare signifie voler), il fallait impérativement le rendre à un autre moment, de manière à ce que l'équilibre ne soit pas rompu, que le tempo ne soit pas corrompu par cette liberté. C'est une des premières choses que j'écoute quand j'entends un interprète, surtout un pianiste : comment négocie-t-il la fin des phrases ? Comment fait-il les transitions ? Comment passe-t-il d'une idée à une autre ? Le tissage des idées musicales est aussi essentiel que les idées elles-mêmes, c'est précisément la trame (du temps) qui rend sensible (et compréhensible) ce qu'on appelle un thème, un motif, une harmonie.

La musique consiste en une succession de tensions et de détentes, c'est-à-dire qu'elle est d'abord un rythme, une respiration, un balancement équilibré entre des moments (comme disent les physiciens) de complexité et des moments de simplicité, entre des moments où l'attention doit se dresser, se durcir, et des moments où elle peut se relâcher. Le compositeur est celui qui sait doser ces forces de manière à ce que le message soit porté sans accrocs, qu'il acquiert une certaine vitesse libératoire propre à l'entendement, qu'il ne tombe pas, et que le sens voyage ainsi sur le dos de ce vecteur en reptation constante. Sans le silence, qui en est le pivot et le centre, pas de rythme, par d'articulation, pas de respiration.

Il faut la plupart du temps se retirer du monde pour faire silence, ce qui prouve s'il en était besoin que la tâche est ardue, qu'elle n'est possible qu'à certaines conditions qui ne se trouvent pas sous le pas d'un cheval. Rares sont ceux qui ont entendu parler le silence et qui ont senti sa force, qui en ont éprouvé les vertus curatives et spirituelles, mais aussi guerrières. Les trompettes de Jéricho ne faisaient sans doute aucun bruit. L'absence de tout "dialogue intérieur" (le parfait silence) est la condition première du pouvoir des sorciers Yaki dont parle Carlos Castaneda dans ses livres.

Cet accordéoniste fondamentalement malhonnête qui ne rendait pas ce qu'il avait volé était l'ange déchu et annonciateur de ce qu'on nomme "les musiques actuelles" (et qui n'ont strictement rien d'actuelles, puisqu'elles ont au minimum deux ou trois siècles de retard sur l'évolution de la musique), ces musiques qui n'ont pas compris que le silence était le carburant fondamental du rythme, qu'il était la flamme qui nettoie les sons et les délivre de la fatalité du bruit.

Toutes les grandes musiques font une place centrale su silence. Beethoven, bien sûr, vient tout de suite à l'esprit, Webern, Debussy, mais tous les autres au moins autant, depuis toujours.

Devant un feu de cheminée, on aime se tenir silencieux et immobile. La première conquête humaine fondamentale a été le feu. La seconde le silence.


(*) J'ai éprouvé le même genre de choses dans les boîtes de strip-tease : une effeuilleuse fait son travail en musique, toujours. Quand il arrive (par accident technique, panne de courant, ou autre) que la musique s'arrête brutalement, elle est terrorisée, littéralement interdite, elle réalise semble-t-il tout à coup qu'elle est nue ! En fait, elle n'est vraiment nue qu'à partir du moment où la musique s'arrête.

vendredi 4 juillet 2014

Des Claques


Le professeur qui m'a le plus intéressé a été la vieille dame qui m'a donné mes premières leçons. En fait elle n'était plus guère capable d'enseigner, ayant — si je ne m'abuse — quatre-vingt neuf ans. C'était une vieille demoiselle, relativement connue à Lemberg, et qui avait donné des cours à ma grand-mère et à ma mère. Il faut comprendre qu'à cette époque, les institutions sociales n'existaient pas et les personnes âgées pouvaient mourir de faim si personne ne s'occupait d'elles. Toute sa vie, cette femme avait donné des cours dans bon nombre de familles qui continuaient à lui envoyer leurs enfants pour lui assurer de quoi vivre. J'avais alors sept ans — c'était en 1902 ; elle était née en 1815. Elle avait été l'élève d'un fils de Mozart. Mozart avait deux fils ; l'un était négociant et vivait en Italie. L'autre était musicien et vivait à Lemberg. Il donnait des cours de piano et dirigeait des chœurs. Il eut, entre autres élèves, cette femme complètement sclérosée qui fut donc mon premier professeur. Un jour qu'elle voulait m'apprendre la clef de fa, elle dut demander à ma mère, qui m'accompagnait toujours, quelle note se trouvait sur la première ligne de la clef de fa. Elle ne pouvait rien raconter de sérieux sur Mozart ; elle était tout juste capable de me donner des claques. J'ignore si c'est dans la tradition de Mozart !

(…)

lundi 9 juin 2014

Fèves fraiches


Choisissez bien vos fèves, c'est important. Ce ne sont pas les jolies, qui sont bonnes, le choix de la fève n'a rien à voir avec celui des haricots verts, il faut prendre les grosses.

Faites bouillir une casserole d'eau salée, et jetez-y les fèves, préalablement sorties de leur gangue. Ôtez la casserole du feu au bout de deux à trois minutes, selon la grosseur des fèves. Versez-les dans une passoire, et réservez-les.

Faites cuire un œuf mollet. (Soyons précis : un peu plus que mollet, un peu moins que dur.)

Émincez une gousse d'ail, très fin. Coupez — un peu — de ciboulette (en très petits brins).

Quand les fèves sont tièdes, enlevez la peau, c'est très facile. Placez-les dans un bol. Émiettez-y l'œuf. Ajoutez de la fleur de sel, une cuillerée à soupe (ou plus, cela dépend du nombre de fèves) de très bonne huile d'olive, l'ail et la ciboulette. Surtout pas de vinaigre. Remuez, et placez au réfrigérateur.

Vous pouvez consommer, au bout d'une demi-heure.

lundi 21 avril 2014

Juan


— Vous connaissiez Juan ?
— Je ne crois pas, non, qui est-ce ?
— Mais si vous le connaissiez, bien sûr !
— Enfin, peut-être, mais je ne me rappelle plus.
— Peut-être n'avez-vous pas envie de vous en souvenir…
— Mais c'est absurde, voyons ! Pourquoi ne voudrais-je pas m'en souvenir ?
— C'est toujours comme ça, à propos de Juan.
— C'était quelqu'un de dangereux.
— Mais non, simplement il avait peur.
— Mais peur de quoi ?
— Oh, je ne sais pas. On parle d'un secret…
— Vous parlez de cet enregistrement ?
— Oui, c'est ça, une bande magnétique.
— Vous lui en voulez ?
— Non, non, je le plains.
— L'année dernière, il vivait déjà avec Terry ?
— Je ne crois pas. Mais maintenant il est en danger.
— Mais puisqu'il est mort ?
— Pardon, je ne parle pas de Juan, je parle de Philippe.
— Juan le savait, il est mort.
— Savait quoi ?
— Et Gérard, il est au courant ?
— Pas encore, mais il pourrait bien l'apprendre.
— Par Terry ?
— Je crois.
— Dites-le à Gérard, mettez-le en garde !
— Il ne me croirait pas…
— Mais de quoi était-il question ?
— On parle de choses effroyables !
— Il vaut mieux oublier tout ça.
— Non, ce n'est pas possible d'oublier, c'est impossible.
— Vous êtes sûre qu'il ne s'est pas…
— Qu'il ne s'est pas moqué de moi ? Je ne peux pas le croire… Vous non plus vous ne me croyez pas.
— Philippe pourrait sans doute vous renseigner.
— Écoutez, je n'ai vu Juan qu'une ou deux fois. Mais Terry n'était pas la seule à le connaître, il avait des amis, il connaissait des gens, il faudrait les retrouver, les interroger, leur demander ce qu'il faisait dans les derniers jours.
— Je ne sais plus quoi faire.
— Le club des cœurs brisés… Ça s'arrangera !
— Vous avez du feu ?
— Que penseriez-vous si je vous disais que vous êtes en danger ?
— À cause de moi ?
— Oui, à cause d'elle.
— Tu as entendu, Terry ?
— Oui, j'ai entendu.
— Et ça ne te fait pas rire ?
— Mais non. Pas du tout ! Je trouve ça plutôt flatteur.
— Il ne parlait pas pour qu'on le comprenne…
— Oui, nous n'avions qu'à nous estimer heureux quand il était là !
— Il nous a laissé tomber plusieurs fois !
— Mais il est toujours revenu.
— C'est vrai, toujours, sauf…
— Quelle genre de fille est Terry ?
— Mais regardez-là.
— Très belle, très dure.
— Pour moi c'est elle qui l'a détraqué.
— Ça n'a pas dû être joli…
— On ne pouvait plus rien dire, rien faire, on ne savait jamais comment il le prendrait.
— Et Philippe ?
— Oh… Philippe…
— Je n'ai jamais voulu m'occuper de ces histoires, ni savoir… Des complots, des secrets…
— La Révolution
— "Vendu, fini, pourri" c'était ses mots.
— On n'osait plus le questionner.
— Mais cet enregistrement… Quelqu'un doit bien le posséder ?
— Maintenant, oui, ça me revient. Juan, oui, c'est ça…
— Mais si Philippe ne sait pas…
— Il sait forcément.
— Qu'est-ce que c'est ?
— On vous l'a dit : une bande de magnétophone.
— Vous vous rappelez certainement : à qui l'aurait-il confiée ?
— Non, vraiment, non, je ne vois pas.
— Il y a bien le Docteur…
— Oui, il admirait beaucoup Juan. Il le protégeait, même.
— En fait, c'est surtout Terry qui l'intéressait.
— Vous avez connu Juan ?
— Non. Justement, je voulais vous demander…
— Un curieux spécimen d'une race en voie de disparition. Les individualistes forcenés, ces gens qui veulent tout détruire et qui se détruisent d'abord eux-mêmes, par une sorte de fatalité biologique. Juan m'a beaucoup déçu, beaucoup… J'adore la musique ! Un instant, j'avais fondé de grands espoirs sur lui,  mais vite déçus : trop subjectif. Beaucoup trop ! Il était de ces gens qui croient qu'il suffit de se jeter en avant pour résoudre tous les problèmes. 
— Sans calcul ?
— Voilà, sans calcul. Et pourtant, le calcul… C'est fou tout ce qu'on peut faire avec quelques chiffres sur un tableau noir. 

mercredi 16 avril 2014

Médecine


Je connais un remède contre la dépression. Voulez-vous connaître mon remède contre la dépression ? Non, je ne crois pas. Tout le monde aime la dépression, tout le monde aime être déprimé. Personne ne veut être triste, personne ne veut vivre dans le chagrin, personne ne veut être malheureux, mais tout le monde aime la dépression, j'en suis convaincu. Bon, je vous donne quand-même mon remède contre la dépression, ce sera fait et on pourra passer à autre chose. C'est très simple. Mettez vos mains sous vos aisselles, la droite sous l'aisselle gauche, la gauche sous l'aisselle droite, les bras croisés sur la poitrine, laissez-les dans cette position cinq secondes, puis portez-les à vos narines. Vous sentez ? Reproduisez l'opération quatre à cinq fois par jour. Mais ce n'est pas tout. Mettez sur la platine l'ouverture des Noces de Figaro, de Mozart, dans l'interprétation de Karajan (celles qu'il a enregistrées en 1950, avec les Wiener Philharmoniker et Schwarzkopf, Seefried, Jurinac, Kunz, London, oui, celles sans les récitatifs, en monophonie). Seulement l'ouverture. Ça ne dure pas longtemps, rassurez-vous, à peine quatre minutes. Vous entendez ?

J'ai donné mon truc contre la dépression, naguère, à une amie très chère. Elle m'a répondu : « Ça ne sent pas bon ! » ou quelque chose du genre. Les bras nous en tombent ! Ça ne sent pas bon… Non, je crois qu'elle m'a dit : « Il y a des odeurs que je préfère à celle-là… » Tout le malentendu humain est résumé, concentré, dans cette réponse, si vous voulez mon avis. Allez écrire (ou faire lire) de la poésie, après une réponse comme celle-là… Et Mozart, il sent bon ? Quelqu'un qui vous fait ce genre de réponse ne peut pas avoir un bon sens du rythme, c'est évident. 

mercredi 12 mars 2014

Mettre toute la vaisselle sur la table


Il faut entendre le Duke annoncer « Sam Woodyard », son batteur, il faut entendre toute la gourmandise sonore qu'il met dans ces quelques syllabes, pour comprendre ce qu'est le plaisir dans la musique. Sam Woodyard n'a jamais eu de professeur, dans sa vie de musicien. C'est Clark Terry, assis près de lui, qui lui expliquait les morceaux, au fur et à mesure qu'ils les jouaient avec Ellignton. « Gaffe-moi ça, tout le monde va essayer de se débrouiller… » Sam Woodyard va apprendre la batterie en accompagnant l'orgue de Milt Buckner, c'est une très bonne école, d'accompagner un organiste, pour un batteur, quand il s'agit d'entrer dans un big-band. Pousser un organiste, c'est un peu comparable à pousser les quatorze musiciens d'un big-band, quand on est de la section rythmique. Sam n'est pas un bon lecteur, mais il possède une excellente oreille et une bonne mémoire. Mais surtout, il met tout son cœur à jouer pour l'orchestre, pas pour lui. Depuis le début, il a toujours fait ainsi, en pensant à l'orchestre avant de penser à lui, à la batterie. Duke Ellington avait le don très sûr de savoir recruter les musiciens qui étaient à leur place, dans l'orchestre, en plus d'être les meilleurs. Johnny Hodges, Cootie Williams, Ben Webster, Ray Nance, Jimmy Hamilton, Sonny Greer, Cat Anderson, Russell Procope, Paul Gonsalves, Clark Terry, Aaron Bell, etc., ce ne sont pas seulement de merveilleux instrumentistes, ce sont aussi et peut-être surtout de fantastiques musiciens d'orchestre. 

Un jour que Billy Strayhorn demandait, lors d'une séance d'enregistrement : « Où est ma partition ? » Sam (qui n'en avait jamais) enchaîna : « Et la mienne ? » À quoi, Tom Whaley (copiste) répondit en lui faisant passer une feuille de papier sur laquelle était inscrit un simple "P", qui pouvait signifier : « Sois Personnel. » Ou bien : « Sois Prêt. » ou encore : « Sois Présent. » Duke avait une expression particulièrement destinée à son batteur, qui tenait lieu de partition et de grand P : « Mets toute la vaisselle sur la table ! », qui est une très vieille expression du Sud. C'est ce qu'a fait Ellington toute sa vie, de mettre toute la vaisselle sur la table, même si son menu était par ailleurs très rigoureux : jus de pamplemousse, steak et salade. Un homme qui avait lu quatre fois la Bible en entier, qui avait pris un grand plaisir à converser avec la reine Elizabeth, qui avait peur d'être "empoisonné par l'air pur", et qui ne se déplaçait jamais sans sa trousse médicale portant l'inscription : "Dr E.K.E." (Docteur Edward Kennedy Ellington). En plein milieu d'une répétition, il pouvait réclamer à son médecin et ami Arthur Logan qu'il lui prenne le pouls. « On ne sait jamais comment on se porte avant d'avoir pris l'avis de son médecin. » Évidemment, la meilleure manière de savoir comment il se porte est encore pour Duke Ellington de mettre toute la vaisselle sur la table, en compagnie de ses musiciens. 

vendredi 21 février 2014

Élixir parégorique


Pour un médecin, un anti-inflammatoire prescrit par un confrère n'est jamais un anti-inflammatoire. Je ne sais pas ce qu'ils ont avec ce type de médicaments, mais c'est systématique. À chaque fois qu'un médecin me demande le nom de l'anti-inflammatoire qu'on m'a prescrit comme un anti-inflammatoire, il m'objecte qu'il ne s'agit pas d'un anti-inflammatoire. À croire vraiment que ces médicaments n'existent pas. D'ailleurs, les médicaments existent de moins en moins. Tout le monde se met à parler de "molécules". Tu prends quelle molécule, toi, contre l'insomnie ? On se croirait dans un jeu littéraire où il faut remplacer les mots simples par des mots compliqués mais synonymes. Les verbes regarder et voir sont en train de disparaître sous nos yeux. Tout le monde, désormais, visionne. T'as visionné le dernier film de Tartoflan, avec Judas Badaoui ? Je l'ai trouvé juste incroyable. Un peu avant que je me tire du conservatoire, l'épais crétin qui avait été nommé directeur et qui faisait des réunions à tour de bras adorait le vocable de "problématique". Je ne pourrai pas être à l'heure à votre réunion, j'ai une problématique avec mon chien, qu'il faut que j'amène chez le véto ! Pas de souci ! Je crois qu'on va lui administrer une molécule. D'ailleurs, à ce propos, j'ai visionné une vidéo trop cool sur Internet où le chien à la base il était pas endormi, pour le geste, tu vois, c'était complètement top, et au final il avait pas l'air du tout de souffrir, je veux dire. Le "geste" aussi, c'est un nouveau mot qu'est assez sympa, on va dire. En chirurgie ou dans le commerce, c'est clair que ça investit assez l'espace des échanges locutoires. 

On me dira que je fais comme les médecins avec la musique. Mais moi c'est pas pareil, c'est parce que je suis pas sympa limite méchant. Tu aimes ça, comme musique ? Quelle musique, où t'as vu de la musique ? Je sais, y paraît que je suis assez chiant, comme mec. Pénible gredin. Handicapé du rapport humain. Quand j'étais jeune, on disait asocial. Atrabilaire. Monsieur Non. Esprit de contradiction. 

J'aime les médicaments. J'ai toujours vécu dans et par les médicaments. À la maison, l'armoire à pharmacie était énorme. Du sol au plafond. J'adorais fouiller la-dedans. L'odeur. Essayer des choses.  Théralène en gouttes, Optalidon en comprimés, charbon. Un de mes préférés était l'Élixir parégorique. J'ai appris plus tard que ça contenait de l'opium. Un jour, à Paris, dans la rue Vieille du Temple, un clochard titubait devant moi, sur le trottoir. Il a fini par s'asseoir, faute de pouvoir continuer à marcher. Il a laissé tomber un flacon d'Élixir parégorique qu'il tenait à la main. Un bon souvenir… C'est bon de savoir qu'on a des pilules, ou des gouttes, ou des gélules, pour ça, et encore pour ça, et qu'en pleine nuit, quand on se lève en pensant que notre dernière heure est venue, on va pouvoir trouver quelque chose dans l'armoire à pharmacie qui va au moins nous soulager un peu jusqu'au matin. Rendez-nous l'Élixir parégorique ! Rien que le nom me fait du bien… Tristan et Isolde, je suis sûr qu'ils connaissaient. 

Maintenant que j'y pense, je me demande si tout ce qui déconne dans ma vie ne serait pas lié au sevrage d'Élixir parégorique…

Et maintenant que j'y pense encore un peu plus, je me demande si ceux qui nous parlent, à la radio, au gouvernement, dans les écoles, dans les journaux, dans les pharmacies, dans les mairies, ne devraient pas augmenter la dose de parégorique, pour commencer, puisqu'ils semblent tout à fait incapables d'apprendre à parler français. Cette perte presque totale du langage articulé et ordonné, ça doit venir d'une douleur affreuse, d'une chose qui les fait souffrir à l'intérieur, qui les tourmente, qui les obnubile tellement qu'ils ne peuvent plus fixer leur attention sur les mots qu'ils emploient, et qui fait qu'ils ne peuvent que régurgiter docilement la bouillie qu'on leur verse dans le gosier, ça doit être ça. Hollande, par exemple, on voit bien qu'il a un problème, qu'il n'arrive plus à prononcer une phrase sans s'arrêter tous les trois mots, Vals pareil, c'est comme s'ils avaient avalé une arête géante, ils doivent reprendre leur souffle comme une parturiente sur le point d'éjecter son polichinelle et d'en mettre plein les murs. Ils souffrent, ces pauvres gens, il faut les soulager, les péridurer au parégorique, les remplir de farine à hypnose, sinon c'est pas humain, on serait des nazis de les laisser dans cet état ! J'entends déjà ceux qui vont me dire que c'est parce qu'ils n'ont rien à dire… Non !!! Même s'ils n'ont rien à dire, il faut leur permettre de le dire, et si possible de le dire clairement. Qu'on sache si on est mardi ou jeudi. Il ne faut stigmatiser personne, les handicapés sont des êtres humains comme les autres qu'on n'a pas le droit de laisser au bord du chemin, en souffrance. Enfin moi c'est comme ça que je vois les choses. Anti-inflammatoires pour tous ! Distributions gratuites dans la rue et dans les ministères. Cures de sommeil. Nabila en perfusion. Hollande à Baden-Baden. Valls à Vichy. Pendant ce temps, on expédiera les affaires courantes, on s'occupera des Suisses et des fromages. On connaît la problématique. On a les molécules. No souci !

mercredi 22 janvier 2014

Dies irae


Il va tous nous tuer ? Tous, jusqu'au dernier. On fait comme si on ne le savait pas. C'est pourtant ce qu'il fait depuis que le monde est monde. Il y met un point d'honneur. Les hommes, les animaux, les bactéries, les oiseaux, tout y passe, chaque être vivant. Il n'en rate aucun. Mêmes les créatures du fond de l'océan, celles qu'on ne voit jamais ? Même celles-là ! Et le point noir minuscule, tout là-haut, dans la nuée ? Pareil. Les plus grands massacres, les génocides, perpétrés par les hommes, à côté, ce n'est rien, ça ne compte pas. On ne verrait pas la différence, au bout du compte. 

Il ne nous sort du noir que pour mieux nous y replonger. Juste le temps qu'on aperçoive du blanc, du rouge, du jaune, du bleu, un peu de violet, et hop, c'est fini, noir total. Toutes ces femmes qui accouchent, à l'hôpital, chez elle dans leur baignoire, au bord de la rivière, dans la voiture, qui gueulent tout ce qu'elles peuvent et se prennent pour des héroïnes, qui mettent leurs exploits sur Youtube, qui se font filmer, applaudir, lapider, violer, payer, qui nous obligent à regarder entre leurs jambes, le saint sacrement des origines, tout ce théâtre glaireux et sanguinolent, toute cette lamentable frime pour qu'on ait l'impression d'être vivant. Action. Cut. Vivant de quoi ? Quel cinéma ! Vous allez manifester, ce week-end ? Vous n'y allez pas ? Vous allez regarder la télé, alors ? Il y a un reportage sur les fourmis. Je parie qu'on va nous parler de démocratie…

Ma vie, mon œuvre, mon tas d'or, toutes les filles que j'ai baisées. Une fois qu'on a réglé ce dossier, qu'est-ce qu'on fait ? Sur Flickr, on m'a invité à devenir membre du Club of Extraordinary Green Sexy Dress. Je me tâte… Que ne ferait-on pas pour se sentir vivant !

(à Monsieur Jean-Philippe Boursier)

mercredi 1 janvier 2014

Le Pont de l'Alma


Freud est né en 1856, l'année de la mort de Schumann. La même année, le gouvernement français persuade Robert-Houdin, le magicien, de l'aider à mettre un terme aux révoltes tribales dirigées contre le gouvernement colonial français en Algérie. Le 31 octobre, une trentaine de chefs tribaux offrent au magicien français un manuscrit enluminé louant son art et promettant à la France leur indéfectible allégeance. 

Je retourne me coucher.

vendredi 18 octobre 2013

Virons les boudins !



C'était ma contribution, essentielle et définitive, au débat étiko-maboul de la semaine. Bonsoir.

mardi 27 août 2013

Pour le gène occasionné…




Les femmes sont généreuses. Au bout d'un certain temps, elles ne vous en veulent plus du tout de tout le mal qu'elles vous ont fait.


mercredi 17 juillet 2013

Harmonie


Presque au hasard, un extrait du Traité d'Harmonie d'Arnold Schoenberg, achevé il y a un siècle, en 1911 exactement. 

J'en profite pour corriger une information erronée que j'ai pu lire ici ou là, sur Internet. L'édition française de l'Harmonielehre date de 1983. La traduction est due à Gérard Gubisch.