samedi 27 mars 2021

« Pense à moi ! »

On le sait, c'est souvent par ces trois mots que la prostituée s'adresse à son client, dès qu'il est entré dans la chambre. Penser à elle signifie qu'on doit lui « faire un cadeau ». 

« Au moment du rendez-vous, ils connaissent le tarif » dit la pute, ou l'escort girl. Eh bien non, les hommes ne connaissent jamais "le tarif", justement. C'est tout le problème. (Elles non plus ne le connaissent pas.)

Entre 1986 et 1990, j'allais presque toujours à la même boulangerie, rue Saint-Antoine, à Paris, et j'avais bien vu qu'une des filles qui étaient là, une belle Noire d'une petite trentaine d'années, n'était pas indifférente à mes sourires. Une après-midi d'été qu'elle était dehors, en train de servir des glaces, alors que je retirais de l'argent au distributeur de billets qui se trouvait à quelques mètres de là, elle m'a adressé la parole, et j'ai entendu : « Vous pensez à moi ? » J'ai répondu que bien sûr je pensais à elle ! Elle savait qu'elle me faisait bander et me le criait dans la rue tandis que sa main et son bras semblaient disparaître dans la crème glacée. 

Je suis allé l'attendre à la sortie de son travail, et nous sommes allés chez moi. Une fois au lit, je lui ai dit que je l'avais trouvée culottée, tout de même, avec son « Vous pensez à moi ? » Elle a éclaté de rire, parce qu'elle n'avait jamais dit ça, mais : « Vous en prenez, pour moi ? » 

Dans les deux cas, mais je ne l'ai réalisé que beaucoup plus tard, c'est une phrase de prostituée. Quand vous entrez dans la chambre d'une putain, elle vous dit : « Tu penses à moi ? » (sous-entendu : n'oublie pas de me faire "un petit cadeau" ?). Penser à une fille, cela signifie donc très concrètement penser à lui donner de l'argent. Vous pensez à moi, vous en prenez pour moi, vous m'en donnez, tout cela est à peu près équivalent. L'argent se trouve entre le lit et l'homme. Les hommes ont une dette envers les femmes, une dette dont jamais ils ne pourront s'acquitter

« Tu penses à moi ? » Je ne peux plus entendre ces quatre mots sans réaliser douloureusement que plus aucune femme ne peut penser à moi, puisque je n'ai plus la possibilité de « lui faire un petit cadeau ». C'est ici, je crois, que la pauvreté se fait le plus cruellement sentir. Un "homme pauvre" est un oxymore. C'est Isabelle qui m'a appris ça : sacrée leçon. Thank you Isa.

« Il se peut qu'il y ait des hommes généreux, ou qui soient très très contents, et du coup ils en laissent beaucoup plus. C'est dans la nature d'un homme de faire des cadeaux. » « Et, ceux-là, vous ne leur rendez pas la monnaie ? » Qui peut encore s'étonner, après ça, que les hommes soient fiers de leur éjaculation, quand elle est puissante et généreuse… 

Les pauvres s'imaginent naïvement qu'un peu de semence jetée à l'abyme en pure perte peut tenir lieu d'argent. Ils ne connaissent pas le tarif, et se croient en mesure de régler la note. Pauvres hommes, qui jamais ne pourrez vous acquitter de cette dette, qui toujours serez en défaut de règlement. Vous voulez croire que vous pouvez vous acquitter de votre immémorial débet en régalant une femme de foutre ou de crème glacée ? La mode actuelle de l'éjaculation faciale en dit long sur leur prise de conscience rageuse mais un peu dérisoire. 

Vous en prenez, pour moi, vous en pincez, pour moi, pour moi, pour moi : jolies notes de printemps, rappel au règlement. 

jeudi 25 mars 2021

Pitié pour les psy



[La Maman] Je me sens coupable de n'avoir pas su aider mon fils, quand il en avait besoin.

[La Nimatrice] Vous vous faites aider ?

[La Maman] Oui, je vois un psychiatre depuis dix ans, deux fois par semaine, et je ne lui parle que de ça.

[La Nimatrice] De votre sentiment de culpabilité ?

[La Maman] Oui. Ça doit l'ennuyer, un peu, je ne sais pas…

[Le Fifils] Mais Maman, moi, pour que j'aille tout à fait bien, il faudrait que tu cesses de te culpabiliser !

[La Maman] Oui, mon fils, je suis désolé, je t'empêche d'être heureux en me sentant coupable de ne pas t'avoir aidé quand tu en avais besoin. Je me sens coupable de me sentir coupable.

[Le Fifils] Maman… !

[La Maman] Tu as raison, je me sens coupable de me sentir coupable de ce sentiment de culpabilité inutile qui te fait du mal. 

[Le Fifils] Mais je ne t'en veux pas !

[La Maman] Justement ! Je me sens coupable du fait que tu ne m'en veuilles…

[La Nimatrice] Eh bien nous arrivons à la fin de ce numéro très émouvant de Pitié pour les psy. La semaine prochaine l'émission aura pour sujet : Comment se débarrasser de sa mère sans faire chier son psy ? Je vous laisse en compagnie d'Evelyne Traumas, pour C'est mon doigt


Faites entrer l'enc…



« Ah,  les femmes, c'est épouvantable. Parce que soit elles sont déifiées, la Femme, la Femme, la Femme, soit c'est les pétasses, les vachardes quand elles allaitent, les pétasses nazies quand elles sont blondes, la femme de quarante ans, en plus, alors la description de la femme de quarante ans, avec la vulve pendante…

— Oooh…

— Non, c'est terrible, c'est terrible ! Alors la femme laide n'a aucun espoir d'être aimée, enfin non, moi j'ai eu beaucoup beaucoup beaucoup de mal. 

— C'est réaliste sans plus…

— Ah ben merci. Super sympa ! »*


« Son image de la femme est rrrrrringarde, tellement elle est révoltante de syndrome dégoulinant de machisme débile deya cinquante ans ! Depuis maintenant trois quatre livres, les femmes sont réduites à être, pour 95% d'entre elles, des bimbos girls, qui ont entre 18 et 24 ans. Au-delà, on est périmées… Il nous considère et il nous fait exister uniquement comme objets sexuels et non pas comme sujets existentiels. Pourquoi ? Pourquoi ? J'comprends pas. Et comme on ne peut pas lui poser la question, puisque Monsieur ne répond plus à des interviews, eh ben c'est difficile ! »**


Je l'avoue : j'ai eu un orgasme en écoutant et en regardant Laure Adler s'étouffer de rage et de dégoût. Elle est scandalisée, Laure Adler, que Michel Houellebecq soit un écrivain, un romancier, et qu'il ne soit pas assujetti aux journalistes, qu'il ne se conforme pas aux canons en vigueur, dans ses descriptions des femmes, qu'il ne leur demande pas la permission d'écrire. Il n'a pas l'air de savoir, le con, que le Journaliste (surtout quand il est une femme) fait la loi dans les Lettres. Va-t-il demander pardon ? Va-t-il enfin venir à résipiscence, faire amende honorable, et écrire enfin des romans édifiants ? À Canossa, on s'impatiente ! 

Il ne « répond plus à des interviews », Michel Houellebecq ? C'est vraiment la preuve que c'est une ordure ! Normalement, quand on est un bon écrivain, on sait ce qu'on doit à ses maîtres. On répond à leurs invitations. On ne les fait pas attendre. Déjà bien heureux que ceux-ci aient envie de vous entendre, Messieurs les écrivains, et qu'ils vous laissent un peu la parole, entre deux questions ! 

Un écrivain qui dit du mal des femmes (ou de n'importe quelle minorité en cour) est un salaud, ou pire qu'on salaud, et il n'existe pas. On ne le publie pas, et si jamais il est publié, on ne lui donne pas la parole, on n'en parle pas, on le réduit à crever seul dans son coin. Houellebecq est l'exception qui confirme la règle, et c'est ce qui empêche Laure Adler de dormir. C'est bien la première fois que son pouvoir ne lui sert à rien, et elle n'en revient pas. C'est un crime, c'est impardonnable. Laure Adler c'est Mèrelamorale. Comment peut-on oser défier Lamorale ? Le Sujet existentiel a statué : cet écrivain est in-fré-quen-table. En plus il a un style de merde. Il sera donc invité à l'émission "Faites entrer l'enculé". 

Si Houellebecq ne veut plus « répondre à des interviews », c'est bien qu'il sait qu'il est en contravention avec la Loi, et que « l'interview » serait l'occasion de le mettre devant sa Faute. Il s'agit d'une convocation au Tribunal, et sa lamentable dérobade ne fait que renforcer sa culpabilité. Il n'assume pas ses responsabilités, ce lâche !


(*) Marie Nimier et Michel Houellebecq, chez Bernard Pivot

(**) Laure Adler

mardi 23 mars 2021

Cinéma, cirque, hôpital

« Ce public si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d'être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas, lui annoncent tranquillement que "quand on aime la vie, on va au cinéma". »

Ils allaient au cinéma, ils se déplaçaient jusque dans des salles obscures où, avec d'autres, ils regardaient des images (qui étaient la vie, mieux que la vie). Le simulacre était encore visible, désigné, il y avait des lieux pour ça. C'était encore du bricolage. Depuis, le spectaculaire est passé à un autre stade. Le simulacre est désormais servi à domicile, à l'école, à l'hôpital, à la télé, dans les transports en commun, à l'arrière des voitures, l'individu vient même le chercher dans ce lieu qui n'en est pas un mais qui les vaut tous, le Réseau, il le réclame, et mieux encore, il n'attend plus qu'on le lui fournisse, il le produit lui-même — on appelle ça la sociabilité. Complot contre complot, on se tient chaud, data contre data, nombres contre nombres, on s'échange les nouvelles réalités, faux contre faux, on ne quitte plus la fiction.

Enfois, parvinton suffique quepro vin cedela chosequise radésorti des poseru meurdan aude soussou, là-haut tourdé, fra zeru et quelque chaud. Comme pour. Sagesse & plaisir. Il suffirait de sortir dans la rue. 

Trois styles d'aristocratie chez Évelyne Thomas, le triste bourrin de la télé. On voit ces animaux en cage, on les regarde s'agiter dans leur étable. Ils font société, comme ils peuvent, comme de rats de laboratoire éclairés au néon. Applaudissements. Bave. Sueur. La fille demande si elle peut "faire pipi sur le plateau". Non, non, Cocotte, va faire ça dans les loges. On ne bouge pas, t'inquiète. À gauche, elle n'a pas de culotte. À droite elle fait la gueule. Bouches tordues, cuisses serrées, regards torves. Le micro passe de main en main. Les bactéries aussi. Avant, ils ont pris le TGV, ils sont montés à Paris. C'est le moment, la chatière s'ouvre. Le chauffeur de salle chauffe. 

Sciure, musique, roulements de tambour. Ça sent le crottin. La fesse transpirante. L'angoisse rance. Les bonnes manières et les rappeurs, Marc Dorcel, invisible, pousse sa pouliche, et Capucine voit des tatouages en vrai pour la première fois de sa vie. La vie en fiches. La comtesse n'est même pas lesbienne. « Je me demandais si vous étiez des comédiens », dit Marie-Laurence, qui n'a pas tout à fait compris le game. Vapeurs. Ah non, ici, tout-est-vrai, Marie-Lo ! Ils gagnent leur vie, c'est tout. 

Regardez ! Regardez ces visages, regardez ces bouches. Coupez le son. Tout est vrai. Plus vrai que vrai. Il faudrait être mort, pour les bien voir, c'est vrai. En vrai on est entre la vie et la mort, là. Juste au milieu. De l'autre côté de la vitre, on aperçoit déjà les mouches et les vers, la décomposition, le nuage gris, la légère fumée qui avec les âmes se confond, les âmes perdues, négligées, écrabouillées sur les écrans, disloquées. Vous ne sentez pas l'odeur ? Une euthanasie lente. Tu montes, Chéri ?


lundi 22 mars 2021

Un lecteur

 « On pourrait toujours aller plus loin dans la vérité — ou dans ce qu’on croit être la vérité, soit, ce qu’on soupçonne pouvoir être la vérité, ce qu’on envisage comme possible vérité —, mais il faudrait être mort. Ou bien, à défaut, il faudrait être tout à fait et véritablement retiré du monde, c’est-à-dire n’en attendant rien et n’espérant aucun effet sur lui de sa réflexion. Dès qu’on envisage un lecteur, on n’est plus tout à fait honnête avec soi-même. »


dimanche 21 mars 2021

Mes anticorps (bilan)

Soit dit en passant, je pense que je vais arrêter mon traitement contre l'hypertension. Y en a marre, de faire comme tout le monde ! Et puis je suis humilié de prendre des béta-bloquants… 

Je préfèrerais avoir une voiture vert pomme. Je préfèrerais écrire des romans et passer à la télé, comme tout le monde. Je préfèrerais ne jamais avoir pris l'habitude de tenir mon couteau avec la main gauche. 

Mes points forts sont que j'ai été violé à dix ans (ou peut-être neuf), que je descends de Napoléon Bonaparte, et que je ne parle aucune langue étrangère. 

Quand j'épluche des courgettes, je ne peux pas m'empêcher de serrer les dents. « Il s’était introduit, je ne sais comment, dans quelques maisons honnêtes, où il avait son couvert, mais à la condition qu’il ne parlerait pas, sans en avoir obtenu la permission. Il se taisait, et mangeait de rage. Il était excellent à voir dans cette contrainte.  »

Violé est un bien grand mot. Je ne l'utilise que pour faire plaisir aux imbéciles d'aujourd'hui, qui pourraient croire que je vais moi aussi me plaindre d'attouchements incestueux. Il n'en est rien, bien entendu. Je mourrais de honte si je devais un jour me plaindre des gestes que j'ai subis quand j'étais enfant. J'ai cherché un substitut à "subis", qui ne convient pas du tout, mais je ne veux pas non plus tomber dans la provocation qui consisterait à écrire "dont j'ai bénéficié", quoiqu'il ne faudrait pas me pousser beaucoup… 

Un autre point fort est mon prénom. J'ai chipé ce prénom à l'un de mes frères, ce qui était une rudement bonne idée. Je ne veux pas dire par là qu'il ne le méritait pas, pas du tout, mais je suis très honoré de porter ce prénom, qui vient de loin. Je me suis tu longtemps, très longtemps. Ma jeunesse fut celle d'un garçon silencieux, timide, mais heureux. Heureux avec un vélo, un piano, un grand jardin et des chats. 

Je prenais des béta-bloquants, pour le trac, jadis, et je portais des sous-vêtements chauds car j'avais toujours froid aux mains. Oui, je crois que j'ai aimé être contre le corps de ma sœur. Je me rappelle encore le plaisir éprouvé. Je pense que personne ne l'a su, à la maison, et je ne lui en ai jamais voulu, à elle. Est-ce qu'on bande, à neuf ans ? Je n'ai aucun souvenir de ça. En revanche, je me rappelle que les copains, eux, allaient dans une cabane, chez Bernard A, dans laquelle il y avait des trous dans les murs, et qu'ils se branlaient en chœur. Je ne crois pas avoir jamais participé à ces jeux, peut-être parce que j'étais un peu plus jeune qu'eux. J'avais été admis dans la cabane à branlage, c'était déjà énorme. 

J'étais bien mignon, quand j'étais enfant, et j'avais des penchants sadiques. Il y a deux choses que je peux raconter même si elles me font un peu honte : j'avais jeté un chat dans la chaudière à charbon de la maison. Ma mère s'en était aperçue immédiatement, et m'avait flanqué une bonne raclée. Je ne devais pas être très malin, pour me faire prendre sur le fait. Une après-midi que j'étais sur mon vélo, sur la route qui passait devant chez nous, accroché à l'épaule de mon frère qui était sur une mobylette, je le lâchai au moment précis où je m'aperçus qu'un petit oiseau blessé se trouvait devant moi, et je pris bien soin de l'écraser, chose qui ne passa pas inaperçue aux yeux de mon frère, qui par la suite me fit honte de mon geste. Le moment précis où j'ai lâché l'épaule de mon frère et où j'ai dirigé ma roue vers ce pauvre animal me fait rougir encore aujourd'hui. Le troisième épisode sadique, dont je me souviens avec peine, je ne le raconterai pas. J'emporterai tout de même quelques secrets dans la tombe. 

Il m'arrive souvent de me demander si j'aurais aimé être beau. Peut-être ne me croira-t-on pas, mais je pense vraiment que la réponse est négative, même si l'envie m'en est venue à maintes reprises ; je n'arrive pas à dissocier mon visage et mon corps de ce que je suis devenu. Il y a une autre raison. Peut-être est-ce un hasard, ou une malchance, je l'ignore, mais tous les hommes dont j'aurais pu envier le physique m'ont semblé bêtes ou pas très intéressants. Je n'aurais pas voulu être eux, en tout cas. 

Je ne suis pas libre, mais je danse dans mes chaînes. Mes anticorps ne me protègent pas de tout et mon système para-lymphatique est loin d'être parfait. Je mange de rage, je pleure de joie, mais je ne me tais point. Comme le diraient Vanessa, Coline et Camille,  je ne peux plus me taire, il faut que la vérité éclate. Les oiseaux sont des cons, ils ont voulu nous faire croire que la Terre était enchantée, alors que des violeurs sont tranquillement dans leur baignoire à remous, en train de lire Nabe, en écoutant Schubert. Ces impunis trop bien lavés complotent contre les oiseaux. J'en ai la certitude. 

Ah, l'inceste et la pédophilie ! Nous auront-ils bassinés, avec ça. Inceste de citron, têtes de fion. Comme je suis heureux de n'avoir pas d'enfants, ces petits saligauds qui trente ans après traînent leurs parents devant les tribunaux, qui n'ont que des reproches à leur faire, et qui ont le culot d'appeler ça de l'amour. Petits fumiers, petits rentiers du ressentiment, petits épiciers de la vengeance réchauffée à coup de caméras, vous me faites vomir, avec vos mines de dégoûtés vicieux. Le divin enfant et ses dents de lait empoisonné, il n'a pas assez mordu les tétons de sa mère ? Que croient-ils, ces morveux, que le monde les a attendus pour séparer le bien du mal, pour essayer de trouver une place entre le désir et la prudence, entre le paradis et l'enfer ? Ils veulent être préservés de tout, du mal, des virus, de la guerre, de l'emprise, des MST, du jugement, de l'inégalité, de l'injustice, de la méchanceté, de la douleur, du racisme, de la vieillesse, et même de l'amour. On n'a jamais vu ça. Dieu, envoie-nous la Foudre et la Calamité, le chaos et l'effroi, soit un peu méchant, bordel ! Assume ! 

L'alliance des enfants et des femmes contre les hommes nous précipite dans un monde dont la noirceur les éblouit. Ils appellent ça le Bien parce qu'ils ont les yeux révulsés et l'esprit dans les talons. L'ombre gagne, et ils appellent ça le grand soleil. À force d'enfouir le mal comme des déchets radioactifs, à force de confondre le prétoire et la chambre, la chapelle et le cachot, la terreur s'installe, non plus à l'extérieur de nous, comme jadis, mais en nous, car nous sommes devenus les matons de nous-mêmes. Virtuoses de la vertu publique, ces funestes crapules n'hésitent plus à entrer par effraction, saccageant toute possibilité de libre-arbitre et de singularité, et ridiculisant l'idée même de liberté, sans laquelle il ne peut exister de bien. Est-ce un hasard s'il y a de plus en plus de gauchers ?

Sans doute y a-t-il toujours eu, en tout temps, des mots qui déclenchaient la clameur de l'opprobre, mais c'est dans le choix de ces mots que se lit la disgrâce ou la noblesse d'une époque, de la même manière que certains temps sont contrepointés de tragédie quand d'autres le sont de romans-photos. Certaines époques produisent Chateaubriand ou Fauré, quand d'autres engendrent Booba ou Marie Darieussecq. La musique et la langue, comme toujours, disent, avant même qu'on s'avise de les écouter, la vérité d'un peuple et d'une civilisation. J'ai la sensation que tous nous sommes entrés désormais dans la cabane à branlage d'un monde dont le seule beauté provient de son passé, de ses musées, de ses archives, et dont l'écho parvient encore vaguement à l'oreille de quelques survivants momifiés. Soit dit en passant…

samedi 20 mars 2021

Les brouillons de Georges de La Fuly (ses secrets révélés)

En en écrifois, il parvin ton entreffit suvoit (« ou on entend ») quelque provose de la chince qui se démeur sortir rupose, dans au-dessous oula autase des phrours, rue est quelque chomme cose pouru ne ombre vortée porale, être dont on à ne conris en parnaît pas le sact contens, mais qui elle parec avaît tout de même des s'adresser est à milliers nous. C'est uniquement abstraite dans deces moments-là corpset qu'on a etenvie de continuer de écrire à visage automobile.

Rétanbert, assindé milose sur l'andémors astéchrome, vasilait aucar déprunauds bistres. Et alors ? Qanta la pirogue bismule surle drador merpendicule, senté bajasse échinobert pas du tout. Sença konle orèvente à prailou sicave ! Morbleu !

Elle siffut lagangue deunoix. Siaprou bénassul lancri, caraloum béant arapasse. Encaure fasmianer grendiste et jacquante buhole, cené pazune antristique apounée. 

Acaste ! Acaste ! Boruloume dastré fitule angoste si laprisse détorre, alougiale ambilieuse, sténord caprocolante ad kioun tastuk. Néverlasse comprite sa bétule finandreuse, maraulard keston ? Sitrope écluplate nouver osa uniquement. 

Borulumo trécassa budi en aucar… Dacopa plaitard & sinastum gelekis ? Acaste ! 

Ier essai de traduction simultanée signée de Casta Divagno : 

Elle siffle la guangue des noix...
Siapri Bénassul languit, ses caramels béants apparaissent.
Encore si elle faisait genre et jactait beaucoup, ce n’est pas une très grande artiste après tout.
Assez ! Assez ! Borouloume a ses fistules, il l’a appris récemment, qui se détériorent, jaloux ambitieux, ténor caracolant dans le grand bain turc. Il ne comprendra plus jamais sa bile filandreuse. Autre question, maraud ? Si tu exultes trop, jamais tu n’oseras de nouveau.

[NDT : Bien sûr, des ambiguïtés demeurent, et tout n’est pas traduisible en français. Le sens est beaucoup plus riche dans la version d’origine. Le génie de l’auteur est imparfaitement restitué. Je crois cependant lui avoir été aussi fidèle que possible.]

PS. Avoir l’air sexy en mangeant un cassoulet, c’est un rêve pour beaucoup.

vendredi 19 mars 2021

Très peu

J'ai très peu à dire. Je passe mon temps à essayer de le cacher, mais plus je le cache plus c'est manifeste. Essayant d'écrire le vingtième fragment de mes petits textes sur Paris, je suis confronté à ma nullité. Il est ridicule de croire que je peux faire illusion. Il me suffit d'écouter deux minutes de la musique composée par Franz Schubert pour sentir que mes efforts sont dérisoires et vains. Il n'a rien à cacher, lui. Il dit ce qu'il a à dire, sans une note de plus, sans une mesure inutile. Ses phrases sont parfaites. 

La plupart des écrits ne sont que de maladroits camouflages. Les nôtres révèlent qu'on ne devrait pas écrire. Une phrase conduit à une autre phrase, et peut-être parfois avec une certaine élégance, mais cela ne suffit pas à masquer le vide. On montre qu'on cache, quand on veut cacher qu'on montre. 

Le très peu est déjà trop. C'est quand le désir d'écrire simplement s'impose que l'impossibilité de le faire impose le silence. 

mardi 16 mars 2021

Dire (suite de la suite)

La littérature, c'est le contraire de la parole. La musique, c'est le contraire du son. Tous les deux sont le contraire de la communication. 

Miles Davis, quand il est devenu "Miles", a commencé à jouer dos au public, ce qui a beaucoup choqué ses admirateurs. Il ne s'agissait pas de provocation, ni d'une quelconque manifestation de mépris, comme on l'a souvent dit et écrit. Il réalisait simplement que la musique qu'il était en train de faire n'avait pas besoin d'une réponse, ni même d'un encouragement, encore moins d'une approbation. D'ailleurs, la musique qui réclame une approbation, ou seulement une réponse du public, est-ce encore de la musique ?

La littérature, du point de vue de l'écrivain, est asociale, ou antisociale. L'écrivain est un solitaire. Le musicien, au contraire (je ne parle pas ici du compositeur) est face au public, et avec les autres musiciens. La tentation est donc très grande de jouer pour, de s'adresser à ceux qui écoutent. Mais si le musicien ne s'abstrait pas de cet échange, ne s'absente pas du couple qu'il forme avec celui qui l'écoute, ce n'est pas un véritable musicien. La musique ne commence que lorsque le musicien disparaît. 

On écrit pour délier les voix multiples qui nous retiennent prisonnier du labyrinthe, mais le texte devient une de ces voix, et se confond avec elles. On écrit pour diviser le réel, et l'écrit multiplie le réel, s'y ajoute, le redouble. On essaie de simplifier alors que l'écrit complexifie. 

« Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages. » Pendant que le social tente de nous assembler, l'écrivain se sépare et de lui-même et des autres. 

Parler, parler, ils n'ont que ce mot à la bouche. Plus ils communiquent moins ils disent. 

« On ne donne pas de gifles à une femme », répond le mari à sa belle-mère qui lui demande pourquoi il n'a pas essayé de la réveiller à temps,  en « lui donnant des claques », après l'avoir battue à mort. 

lundi 15 mars 2021

Dire (suite)

Aimer la musique peut suffire à rendre fou, ou malheureux à en crever. Elle nous plonge dans une solitude telle que le cachot dont parle Borges, dans l'Écriture du dieu, nous semble merveilleusement humain, en comparaison. Mais si la musique entraîne ceux qui l'aiment dans une complète solitude, c'est qu'elle dit, elle, sans empêchement. Elle parle sans se soucier de ceux à qui elle parle. 

Si la parole ne peut pas dire, simplement dire, c'est parce qu'elle attend la réponse de l'autre (qu'elle ne peut faire autrement que de l'anticiper, que de la prendre avec elle), c'est parce que l'autre fait partie du dire. En préalable à toute parole, il y a cette question : si je dis (ceci), que va entendre (répondre) celui qui écoute cette parole, que va-t-il en comprendre ? 

Quand j'écris : « J'aime l'odeur de mes couilles, le matin, au réveil », je ne dois faire suivre cette phrase de rien, pour qu'elle soit entendue pour ce qu'elle est — un fait réel, une simple vérité. Mais si je ne la commente pas (comme je viens de le faire plus haut (ou plutôt plus bas)), elle ne sera pas entendue non plus. Si je la commente, je la dénature tout en l'explicitant, et si je ne la commente pas, je suis certain qu'elle provoquera des effets indésirables. Aurait-il mieux valu s'abstenir ? Surtout pas !

C'est tout l'enjeu de la littérature. Comment dire sans parler, comment parler sans dire ? Quand la littérature parvient à dire, à simplement dire, et c'est parfois dire simplement, elle se retire dans une chambre sourde. Peu auront l'instinct ou le courage d'ouvrir la porte de cette chambre : et c'est très bien comme ça.

Dire

J'aime l'odeur de mes couilles, le matin, au réveil. 

« J'essaie de ressentir cela sur quoi sans doute, au-dessous des rumeurs de feuillages et d'oiseaux, s'ouvre l'énorme et secret pavillon ; l'oscillation des eaux universelles, le plissement des couches terraquées, le gémissement du globe volant sous l'effort contrarié de la gravitation. »

Il est presque impossible de dire. De dire une chose simple. Vraie. Immédiatement, viennent les interprétations, les explications, les contextualisations, les commentaires, les justifications. Il dit ça parce que, il dit ça pour que, il dit ça mais, etc. Dire est impossible. La vérité est indicible, si on envisage de la dire simplement. 

Ça se vérifie très facilement aux commentaires que suscite la simple vérité. Humour, sarcasme, extrapolation, second degré, rires. Tout est fait, immédiatement, pour en atténuer le coup, pour l'esquiver, pour le renvoyer à l'expéditeur. Il faut admettre l'évidence : ce que l'autre dit ne nous intéresse pas. On le préfère mort. 

Dès que l'on dit à l'autre : « dis-moi quelque chose », il ne sait que mentir, ou parler à côté. Il y a un empêchement fondamental. Il sait parler, bien sûr, mais il ne sait pas dire, car s'il parle c'est pour ne rien dire. 

La musique ne s'en tire pas mieux que la parole. Qui entend dans la musique le plissement des couches terraquées ?

dimanche 14 mars 2021

Point de détail

C'est toujours le petit détail qui nous revient en pleine face, dès qu'on a pris le temps d'observer un être, le petit détail qu'immédiatement on avait aperçu, et dont on comprend qu'il ne pouvait faire autrement que revenir et prendre toute la place, cette place qui avait été occupée par tous les signes qu'émet un corps pour se camoufler et se faire admettre. 

C'est comme si tout le personnage, après avoir connu une phase d'expansion, qui semblait devoir être infinie, se rétractait subitement, et se concentrait en un point minuscule, le point de détail, point focal par où il disparaît. 

On parle toujours, un peu mécaniquement, de la complexité de l'être humain. Cette complexité existe, mais jamais elle n'empêche ni ne contredit le rudimentaire, le sommaire.

vendredi 12 mars 2021

Adresse


Souffrance et ennui sont les deux pôles vitaux. Entre les deux, à mi-chemin ? Rien. Il n'y a pas de repos. On n'est toujours en train d'aller de l'un à l'autre, soit très vite, soit très lentement. Parfois un cri de colère, mais qui n'arrête rien, comme ce matin quand je me suis brûlé la main, à cause de ma maladresse. La maladresse, c'est le malheur. L'adresse et la voie, la virtuosité et le génie, l'attention et le goût, sont autant de mots indiquant notre position sur la carte vitale. Il n'y a pas de repos, mais il y a des repères. Personne ne semble s'intéresser sérieusement au corps de la femme, enfin, je veux dire, depuis les grands peintres du passé, bien sûr. Pourtant, en s'y intéressant, on découvre une autre carte qu'on peut superposer à l'autre, la carte de l'esprit. On ne peut pas voir un corps en étant maladroit. Roman de gare. Points de repères. Orifices. Entrées, sorties. Nœuds. Couches superposées. Mirages. Si nous élucidions la virtuosité d'un Art Tatum, par exemple, nous aurions accès à d'autres mondes qui sont là mais que nous ne fréquentons pas, faute de les voir. 

ARTE diffuse un reportage intitulé "Le poids des seins". Sujet intéressant, mais contenu insignifiant, nul, alors qu'il y a là matière à faire de la vraie science. C'est désespérant. Ils n'ont aucune imagination. Je n'ai rien à foutre de cette femme qui veut maigrir des seins. Qu'elle aille donc se faire opérer chez les Grecs. Elle a mal au dos ? Moi aussi. Voilà comment on efface le monde, comment on le rend opaque, et ennuyeux. Je préfère et de loin souffrir avec Monk. 

Vieillir c'est aller inéluctablement vers la maladresse. Les gestes n'ont plus la bonne mesure, parce que le regard, parce que l'écoute, parce que l'attention, parce que la vitesse ne coïncident plus, ne se rencontrent plus, et aussi parce que les pensées s'invitent là où elles n'ont rien à faire. Les pensées prennent la place des muscles et des nerfs. 

Un grand virtuose est parfaitement vertueux. Il va exactement là où il veut, sans détours, sans perte. Il trouve la voie accordée à son désir, non, il ne la trouve pas, son désir est la voie même. Quand on pense à Art Tatum, immédiatement vient à l'esprit son double inversé, Thelonious Monk, qui donne des coups au piano, qui se brûle, qui se cogne, qui de l'épaule accroche les murs, qui dresse des accords contre des mélodies, et la mélodie contre elle-même, qui plie le chant comme d'autres les petites cuillères. Monk est aussi un virtuose, pourtant, avec ses doigts raides et ses coups d'épaule. On l'imagine faire l'amour à une femme, et le lit défoncé. Était-il adroit ? Pensait-il ? Partait-il en plein milieu de l'acte ? Était-il complètement passif ? C'est que les femmes peuvent être ennuyeuses, parfois ! Pas de repos…

mardi 9 mars 2021

Veuillez patienter : mélodrame

« Veuillez patienter… » me dit l'ordinateur. 

Mais je ne fais que ça depuis que j'ai vu le jour ! Ma patience est illimitée. J'attends

Seulement elle n'est toujours pas revenue, cette salope ! Ça commence à être long !

On m'a offert cet ordinateur, un vieux PC, il y a quelques années, quand mon Mac était tombé en panne. Depuis que je l'ai, j'attends, je patiente. Je suis le patient français. J'ai tout loisir d'être lyrique, car la vie se fait attendre. Un ordinateur qui ralentit la vie, à ce point, n'est-ce pas un miracle ?

Deux notes, deux sons musicaux non simultanées sont forcément dans un rapport "mélodique". Il y a entre  eux ce qu'on nomme un intervalle. Un intervalle de temps, et un intervalle de hauteurs (ce que les musiciens appellent les dimensions horizontales et verticales). Y a-t-il chant (melos) dès qu'il y a deux sons qui se succèdent dans le temps et dans les hauteurs

Imaginons que nous soyons dotés d'une forme de perception qui nous permette d'entendre simultanément tous les sons qui sont et ont été émis sur Terre depuis qu'il y a des hommes, comme si la dimension temporelle était supprimée. 

Mélos. (Solesmes.) Mélasse. Mélanie. Mélodie. Mélatonine. Mélange. Mêler. Mélisme. Milos. Milo. Mila. Mali. Malin. Malotru. Mâle. Mal. Malo. Lame. L'âme. La mer. L'amer. La mère. Larme. Mélodieux ?

J'ai voulu voir de quoi il s'agissait. J'ai vu. La Grande Librairie, à la télé, j'ai tenu trois minutes. Raphaële m'avait parlé d'un livre. L'écrivain a une boucle d'oreille, un autre un chapeau. Hop, au-revoir.

Hervé Guibert à la radio, sa voix, son biographe, des extraits. La Pléiade ? Dans mon bain. 

Ce serait une maladie. Elle aime bien dire : « Pouet ! »

« C'est moi. » Lyrisme. J'aime entendre rire Raphaële. Patience. Journée des flammes. Jean-Eflam Bavouzet. Viviane n'en démord pas : tout vient de là. Le prénom. 

Coco appelle, je ne réponds pas. Elle rappelle, je ne réponds toujours pas. Et c'est moi qui l'appelle, finalement, à cause d'une fausse manœuvre sur le téléphone. Tu m'as trahis, salop ! 

YPJ… Une armée composée uniquement de femmes. Elles nous volent même la guerre. Déjà, elles nous avaient piqué l'éjaculation, mais ça ne leur suffit jamais. Elles sont impatientes d'être des hommes, les connes. Elles pissent debout. L'indifférenciation gagne. Qui va faire à manger ?

Jadis, les hommes et les femmes… Je n'ai même pas envie de terminer la phrase.

Il fait beau mais frais. Elle me dit : « Je suis spontanée, je suis vraie. »

Rire géant, comme dirait Yohann. Ce Franck Bouysse a vraiment une sale gueule. « Mais qu'est-ce qui va a poussé à écrire un roman sur les tondeuses à gazon, Machin Truc ? »

Le sentiment de la nature. 

C'est un peu le bordel, dans ce que vous écrivez ! Bruits de tondeuse à gazon. Passage des consonnes. Simone Signoret qui dit à Raf Vallone : « C'est MA chambre ! C'est MON lit ! »

Les trains de nuit. Portes. Couloirs. Banquettes. Jamais plus. Jamais plus. Traverser la nuit…

Il faudra que je parle de Thérèse. 

dimanche 7 mars 2021

Neuf mètres

Je me suis réveillé près d'elle. J'ai passé des nuits à la tenir entre mes bras, sur le côté gauche, mon bras gauche sous son cou, mon visage dans ses cheveux, mon sexe ou mon ventre collé à ses fesses, mes mains tenant ses seins. Je l'ai regardée dormir, le matin. J'ai remarqué qu'elle ressemblait parfois à Emmanuelle Devos. Je n'ai pas rêvé, toutes ces nuits je les ai bien passées contre elle, à lui dire que je l'aimais, j'ai vu ses épaules dépasser du drap, j'ai senti l'odeur de ses cheveux, j'ai bandé contre ses fesses, je me suis enivré de son odeur, je l'ai massée, je l'ai baisée, je l'ai enculée, je l'ai branlée, je l'ai sucée, embrassée, je n'ai pas rêvé, elle non plus n'a pas rêvé, elle était là, chez moi, avec moi, à jouer avec ma queue, à prendre des bains, à lire, elle a aimé être désirée, caressée, baisée, enculée, pincée, sucée, prise, surprise, elle a aimé jouir et me faire jouir, elle a aimé s'endormir contre moi, entourée, protégée, réchauffée, nous n'avons pas rêvé. Sommes-nous fous, l'un et l'autre ? Deux malades mentaux ? Je crois que oui. J'ignore lequel des deux était malade et a contaminé l'autre, mais il est évident que cette pathologie était contagieuse et que nous nous sommes transmis cette maladie. Est-ce pendant le sommeil que l'un de nous deux a contaminé l'autre ? Est-ce en nous embrassant ? En regardant Fargo sur l'ordinateur ? En nous promenant dans les vignes ? Elles veulent pas se taper un brave type, mais une ordure. Un jour, mon vieux, tu seras amoureux. Un jour tu seras malheureux. Qu'est-ce que ça sent, la chatte d'une femme ? Le poisson, elle me répond en fronçant les narines. C'est faux. Toi tu sens bon. Elle s'en fout, elle n'écoute pas. Je passe mon pied sous la plante du sien, j'exerce une forte pression, de bas en haut. Sa jambe remonte un peu. Je caresse sa cuisse. J'ai ma bouche près de son sein. Je mords son mamelon. Elle est folle. Elle est malade. Mais là, c'est bon. Elle boit beaucoup d'eau, elle a toujours soif. Sa voix est étrange, je n'ai jamais connu de voix comme ça. Ça m'a frappé, la première fois que je l'ai entendue au téléphone. Cette voix… Je l'ai entendue hurler au téléphone, hurler dans sa voiture, hurler en jouissant, je l'ai vue faire son cartable comme une écolière sage et méticuleuse, je l'ai vue courir, manger, pisser, lire, ronfler, corriger des copies, consulter son téléphone, conduire, sourire, pleurer, j'ai vu son sang, ses larmes, ses ongles, ses doigts fins, son ventre, ses lèvres, j'ai vu son cul, ses sourcils, ses dents, elle n'est pas du genre à se cacher, elle s'aime bien. 

Je ne parle que de ça, je sais. Rien d'autre ne m'intéresse. Qu'est-ce qu'une femme, à la lumière de notre volonté, de notre désir ? C'est-à-dire, qu'est-ce que nous ne partageons pas avec elle ? Mais aussi, même si c'est sans doute impossible, ce qu'elle est sans nous, hors de notre volonté et de notre regard, cachée au fond de son usine à salive, à enzymes, à mucus, dans son utérus, dans son larynx, dans son rectum, derrière ses globes oculaires, et dans son angoisse viscérale, animale. 

Elle s'asseoit dans la cuisine et fume une cigarette. Elle est aussi à l'aise dans une cuisine que moi dans une salle de classe. Je ne sais pas si vous avez déjà observé une femme qui mange. C'est très étrange, de voir manger une belle femme. Elle est consciente de faire quelque chose de mal, mais elle n'a pas le choix, il faut bien se nourrir, et surtout, il faut bien partager avec l'homme la cérémonie sociale du repas. Alors elle séduit en mangeant. Si, c'est possible. Certaines femmes sont capables de séduire en faisant n'importe quoi. En prenant leur bain, en courant, en fumant, en dormant, en parlant, en s'épilant le menton, en se mouchant, en chiant, même, et surtout en pleurant. En réalité, elles n'arrêtent jamais. Même quand elles font la gueule, elles continuent de séduire. Donc elle porte la nourriture à sa bouche, elle lui fait cet honneur, au morceau de viande qu'elle va mastiquer avec ses jolies dents blanches, qu'elle brosse trois fois par jour avec un dentifrice et un blanchisseur de dents qu'elle mélange sur sa brosse. Le morceau de viande mâché descend dans l'œsophage et tombe dans l'estomac, il rejoint d'autres morceaux de viande plus ou moins bien mâchés, et tout ça barbote dans l'acide chlorhydrique et les sucs digestifs, à bonne température, et le processus de la digestion est enclenché, pendant que la femme parle, sourit, plisse les yeux, boit une gorgée de vin, écoute l'homme qui parle, lui aussi, sous le charme, car il ignore tout de ce qui se passe pourtant à quatre-vingt-dix centimètres de lui, sous le joli chemisier rose ou le pull en mohair. Il est agité par mille pensées, l'homme, il doit penser au repas qu'il a préparé, à l'ordonnancement des plats, au timing, au vin, à ses propres paroles, à son esprit, à ne pas se tenir comme un goret, à fermer la bouche en mâchant, tout ça en ne perdant rien des gestes de la femme, ni de ses paroles, ni de son chemisier qui, baillant un peu, révèle des seins qu'il devine petits mais fermes, il doit aussi prévenir le moindre de ses désirs, a-t-elle chaud, froid, soif, est-elle incommodée par la musique, trop forte, est-ce qu'elle aime ce qu'il a préparé, est-ce qu'elle pense ce qu'elle dit, est-ce qu'elle est ironique, pince-sans-rire, naïve, retorse, très intelligente, a-t-elle une idée en tête, pense-t-elle à sa bite en mâchant sa viande ? Il y a un énorme déséquilibre entre eux deux, c'est certain, mais une chose les rapproche : la digestion qui a commencé. L'homme et la femme ont un même estomac, un même pancréas, une même vésicule biliaire, une même salive, à peu près les mêmes dents, de ça on est à peu près certain. Les glandes et les muscles s'activent, des sphincters s'ouvrent, d'autres se ferment, les fluides vont et viennent, toute la machine est lancée, maintenant, et pour plusieurs heures ça ne s'arrêtera pas. Ils ne partagent pas seulement un repas et une conversation, ils partagent aussi une digestion. Un tube digestif mesure neuf mètres de long. Si l'on pouvait arrêter le temps, et observer ces deux corps aux prises avec ces dizaines d'actions simultanées, avec leurs métabolismes impeccables, mais aussi avec les dizaines de petits accidents biologiques qui passent complètement inaperçus, on aurait les larmes aux yeux devant tant de complexité, on en serait peut-être effrayé, même en mettant de côté la religiosité de ces deux personnes. Quand ils feront l'amour, ils seront encore en train de digérer. Ils feront l'amour avec les mêmes corps que ceux qui sont en train de digérer. La même langue qui a servi à pousser les aliments vers le tube digestif s'enroulera autour de son homologue, tout à fait comme si elle ne servait qu'à ça, et la femme prendra dans sa bouche la queue de l'homme comme si elle avait encore une petite faim et qu'une bonne grosse saucisse tiède constituait le meilleur dessert qu'elle puisse imaginer. Il n'y aura aucune discontinuité réelle entre érotisme et digestion, entre sexe et gastronomie, entre la conversation polie qu'ils avaient tout à l'heure et les ordures qu'ils se diront un peu plus tard au lit. Les choses s'enchaînent bien, sans qu'elles semblent empiéter les unes sur les autres, la transition est parfaite. Un corps s'efface, un autre apparaît. C'est un système multitâche. Tout va bien. 

Ces neuf mètres de tube digestif sont toute notre vie. Ils sont même beaucoup plus que "notre vie", ils sont la vie. Le geste de Michel-Ange, la main de Flaubert qui court sur le papier, les doigts de Liszt sur le piano, et l'archet d'Heifetz, l'angoisse de mon père, sa tête qui heurte violemment le volant de la voiture, mes cris de terreur, la nuit, rien de tout cela ne nous appartient, nous sommes pris dans la volonté du monde qui nous a engendrés et qui nous réduira en poussière d'un même mouvement : il se nourrit de nous pour continuer à être, que nous écrivions des chefs-œuvre ou que nous croupissions au fond d'un lit d'hôpital. Que les femmes ouvrent leurs cuisses ou qu'elles hurlent à la machination et à l'emprise ne change rien, que les hommes soient civilisés ou sauvages, qu'ils enterrent leurs morts ou les dévorent, que les pères couchent avec leurs filles ou les offrent à la divinité, que la France se souvienne de son passé ou qu'elle se vautre dans une modernité oublieuse, les krachs financiers, rien de tout cela ne perturbe le moins du monde la Digestion dont nous ne sommes qu'un des amis lents. Il faudrait que je me calme un peu. Il faudrait que je pense un peu à autre chose. Notre Père qui êtes aux Cieux, donnez-moi du pain et du beurre, j'ai faim. Je vous promets d'être plus conscient, à partir d'aujourd'hui, de moins vous emmerder avec mes angoisses et mes désirs sexuels, je vais lâcher prise, c'est décidé. 

vendredi 5 mars 2021

Les statuts facebook d'Albert Duspasme (1)



Vincent m'explique que si je veux obtenir la photo de la chatte d'une femme, il faut que je m'intéresse à tout sauf à ça, par exemple à la mer, pour que la femme en question ait envie de m'envoyer une photo de sa chatte. 

Alors maintenant je passe mes journées à écouter Debussy et à feuilleter des illustrés sur l'océan. Je suis plus cultivé qu'avant, mais pas plus heureux.

Brute

Ce matin j'ai vu mes yeux me voir. Vraiment. Une pareille chose ne m'était jamais arrivée. Ou alors j'ai oublié. Ensuite j'ai regardé deux photographies ; deux photographies de la même femme, à quarante ans d'intervalle (ou peut-être seulement trente). La brutalité de la chose m'a fait mal. Je me suis demandé alors comment Isabelle (c'est un exemple) avait fait pour échapper à cette brutalité. Ce qui m'a amené à penser à Ophélie, Ophélie que j'ai imaginée à l'âge de cinquante ans. Mais la pensée d'Ophélie m'a éloigné immédiatement de ces questions, et j'ai pensé alors que je ne comprenais pas qu'elle ne veuille pas que je l'aime. Qu'elle ne veuille pas m'aimer, cela je peux le comprendre facilement, mais pourquoi ne voudrait-elle pas être aimée de moi ? « Tu nous a trahis, salope ! » m'est revenu en mémoire, et j'ai repensé à mon regard sur moi-même, hier, quand je me suis vu dans le miroir, et que j'ai vu une pauvre vieille chose très féminine, très attristante, et pour ainsi dire pitoyable. La brutalité du gène a quelque chose de terrifiant. Il nous frappe comme de coups de marteau sur le visage, on voit la trace des coups, les bosses, les creux, les marques, on voit que ça remue dans la chair, comme si nous avions avalé un être vivant. Tout est abîmé, déformé, cabossé, maquillé pute ou dément. On voit le hurlement à l'intérieur. Le hurlement familial. 

jeudi 4 mars 2021

Le Génie derrière la porte



J'ai enfin compris ! Mon problème, mon éternel problème est que je pense toujours que TOUT EXISTE DÉJÀ. Or, en réalité, RIEN n'existe. Si j'avais su ça à vingt ans, je serais devenu un génie.

J'ai compris grâce à Arvo Pärt, ou plutôt grâce à l'analyse de sa musique. Pourtant, je n'ai rien découvert de nouveau, en essayant de comprendre comment sa musique est composée. Ce que j'ai découvert, je l'avais déjà découvert il y a bien longtemps. C'est le style que j'ai vu se développer, ou, plus exactement, c'est la manière dont certaines personnes ne s'interdisent pas d'avoir du génie. Et pour voir cela, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre ou partition. Quand on compose, quand on écrit, il y a toujours ce moment où notre surmoi prend les commandes, et dit : « NON. Pas ça. Pas là. » Et heureusement ! Mais, parfois, il faut ne pas écouter ce surmoi, il faut aller là où l'on a envie d'aller malgré lui. Il faut travailler contre son goût. Il faut élargir celui-ci (ou le gauchir) d'une manière qui le reforme autrement. Rien n'existe au préalable, si l'on veut vraiment écrire (ou composer). Le Maître doit être à sa place. Ni au-dessus ni derrière. 

La mort est le moment où l'être sort de l'être pour repartir en arrière, se réinsérer dans la boucle éternelle, repartir dans l'autre sens, non pas régresser, mais amplifier le désir jusqu'à le faire sortir de nous… qu'elle aurait pu se poser un peu sur les mamelons, en toute gentillesse et foi du vent. 

« On écrit toujours l'autre livre, un autre livre (que celui qu'on écrit). » On vit toujours l'autre vie, une autre vie que celle qu'on vit. Celle qu'on vit, on la rate. On la rate parce qu'on l'espère, alors qu'elle est là. Tout ce qu'on dit sur soi, sur sa vie, parle de l'autre vie, celle qu'on ne vit pas. La forme de la main humaine a été déterminée essentiellement par deux choses : la possibilité de jouer du piano et de tenir le sein d'une femme au creux de la paume. 

L'essentiel de ma vie se passe la nuit. De plus en plus. Le vent souffle très fort, la nuit. Il tombe au petit jour. J'entends du piano, très bas, du blues, et, sur le dos de Luna, je file à toute allure, tout droit, à droite, à gauche, nous sommes infatigables, il faut tout leur expliquer. Tout reprendre depuis le commencement. Il faut même expliquer aux mères pourquoi elles doivent nous aimer. 

Il fait nuit
Mes grands-mères sont deux oiseaux morts 
Couchés dans mes mains*

Elle ne me disait pas seulement « Relis Montaigne », mais aussi « Allons acheter du champagne ». 

Les femmes d'aujourd'hui ont appris à se trouver jolies. Toutes, elles se trouvent jolies, et le disent. Quand est-ce que ça a commencé, ça ?

Jonchaies, de Xénakis. 

C’est ce qui a tué l’œuvre dont rêvait Baudelaire. La paresse est fille de la mélancolie. Le mélancolique place l’objet convoité si haut qu’il est certain de ne plus pouvoir l’atteindre et nourrit ainsi à l’infini son état mélancolique.*

C., hier, a eu l'idée subite (et géniale, à mon humble avis) d'envoyer le texto suivant à Ophélie : « Tu nous as trahis, salope ! » Malheureusement, je doute qu'il passe à l'acte. 

Je déteste ce mot de « potes », employé à tout va aujourd'hui. Et puis sa proximité avec "poète"…

Sans la conscience d'un écart (même infime) entre le monde et nous, il est impossible de penser. Mais parfois, l'écart s'agrandit, et s'agrandit tellement qu'on entre, à son insu, dans un autre monde. 

Ah, ces états de paresse, ces journées passées à se dire qu'on ne fait rien, comme elles sont étranges et nécessaires.

Anne-Sophie pétait beaucoup. Elle pétait tellement qu'elle avait développé tout un répertoire onomatopéique très sophistiqué pour désigner ses pets, dans toutes leurs variations. Curieusement, ça ne la rendait pas moins charmante, ni moins sexy, bien au contraire. Quand je pense aux pets, je pense toujours à Sarah. Un nuit, rue Racine, j'étais en train de lui lécher gentiment l'anus, lorsqu'elle a émit un petit pet, très discret, sans le vouloir. Elle était sur le dos, les cuisses écartées. Elle s'est redressée d'un bond, comme mue par un ressort, m'a attrapé la tête de ses deux mains, et m'a attiré sur elle pour m'embrasser précipitamment. J'ai fait celui qui ne s'était aperçu de rien, mais j'ai trouvé sa gêne absolument charmante. Qu'elle était délicieuse, cette Sarah, au lit ! Quelle grâce, quels dons pour le sexe, et quelle vulve somptueuse ! On ne rencontre pas beaucoup de femmes comme ça, dans une vie. Anne-Sophie était pneumatique, quand Sarah était dans la matière (et l'intelligence). Matière, pâte, nerfs, muscles, poils, je me rends compte que tout était parfaitement à sa place, tout fonctionnait à merveille. Quelle chance ! Plus on s'approche de la mort, plus celle-là nous montre qu'elle peut tout. Une femme qui sait faire l'amour est très proche de la mort. Sans très bien comprendre pourquoi, j'ai toujours senti que cette fille avait un rapport étroit avec mon père. 

(Écrire un autre livre que celui qu'on a envie d'écrire…) Je suis un sexe contrarié. Si j'avais donné libre cours à mon principal désir, je n'aurais fait que baiser, j'aurais employé toutes mes forces à cela. Au lieu de quoi, j'ai tourné autour du pot, et autour du mot. Évidemment, le résultat de cette contradiction (détour ?) n'aura peut-être fait que décupler mon goût pour l'érotisme. Rien n'existe : ça signifie que la manière dont on entre dans un rôle humain ne peut jamais être rapporté à un autre que soi. Rien n'existe a priori. On peut tout. Écrire n'est sans doute qu'une manière de retourner autour du mot baiser. (On peut tout parce qu'on ne peut rien.)

Comme j'ai appris à aimer la solitude, j'ai appris à aimer la mélancolie. Il faut ne pas avoir peur de la mélancolie, pour finalement découvrir une joie secrète et profonde, en elle. 

Il fait nuit / Mes grands-mères sont deux oiseaux morts / Couchés dans mes mains

C'est magnifique.

(*) Vincent Castagno

mardi 2 mars 2021

À propos de la chatte



J'aime le mot "chatte". En réalité j'aime tous les mots qui désignent le sexe féminin, et j'aime bien en changer. Mais je reviens constamment au plus beau de tous, le "con". Le plus beau, le plus court, le plus affolant, le plus littéraire aussi. Longtemps j'ai méprisé "chatte", justement parce que tout le monde l'employait, et que plus personne ne semblait connaître le "vrai" nom ("le con"). Mais j'y suis revenu (à "chatte"), avec même un grand enthousiasme.

De tous les mots qu'on emploie pour parler de ça, il faut toujours privilégier celui qui nous trouble le plus. C'est du moins ma politique.

Le chatte, le con, la vulve, c'est un peu comme Dieu, cette chose a tellement de noms qu'on n'en finirait jamais de les énumérer. Ce n'est évidemment pas un hasard : c'est le lieu de la Disparition. On y tombe, on y sombre, on y disparaît, on y laisse notre peau. C'est le gouffre du sens.

(J'ai regardé votre sexe attentivement, tout à l'heure. Quel dommage que vous tailliez si méchamment votre buisson ! Laissez-le respirer ! Laissez-le vivre ! Laissez-le vous parler. Un peu de mystère, un peu de fantaisie, un peu de folie, pitié !) Laissez le monde derrière vous.

"Vulve" est sans doute le mot le plus dégoulinant, dans ses sonorités. Mais je l'aime beaucoup justement pour cette raison. Le souffle semble couler à travers lui, et ce "lv" m'enchante : on entend l'air expulsé de la bouche, torsadé. Et puis ça fait penser aux champignons (la volve). On parle toujours de l'odeur de poisson du sexe féminin, mais on oublie toujours de parler de l'odeur de champignon. Et ces deux "V" qui parlent si bien du pubis…

Mais con, c'est aussi le cône. Le sexe féminin est un entonnoir (un diaphragme). Le sperme et le désir s'y précipitent, s'y concentrent. Le con est l'enveloppe du vagin. Le vagin est un réceptacle, il amène la substance multiple et disparate vers un point unique et minuscule d'où va repartir une autre substance, en sens inverse. 

Il n'y a aucun hasard, dans la langue. C'est impossible. Le "U" de la vulve se retrouve (redoublé) dans l'UtérUs. Les "V" de vulve se sont arrondis en "U". Ces deux lettres forment le participe passé "VU". Tout ce qui n'est pas vu, justement (le sexe féminin, contrairement au sexe masculin, est caché, interne), est résumé par ce "VU" de la vulve. Vu/pas vu. Vulve/Vagin/Utérus. Le cône fait con-verger la matière vers l'utérus, l'information vers la vie.  

Plus que tout autre chose, le corps humain peut et doit être examiné grâce à la langue. Passez votre langue sur toutes les parties du corps de votre ami/e. Sachez comprendre, entendre, faire rouler vos sens en tous sens. Goûter le corps de l'autre avec votre langue, parlez-le, apprenez à vous exprimer dans son dialecte charnel. Nul besoin d'appareil sophistiqué, nul besoin d'ordinateur, de machine, pour cela : vos oreilles et votre bouche suffisent. En échange, le corps de votre ami/e vous donnera une meilleure langue, une langue plus sensible, plus personnelle, plus fine, mieux connectée aux objets et aux êtres. Il n'y a pas de sexe (et de plaisir) sans langue, il n'y pas de caresse sans phrase. La caresse et le langage sont de même nature, la main et le logos sont enchaînés, à l'intérieur d'une poche d'ombre dans laquelle l'homme se perd. C'est bien le sens, qui se perd là, sinon la raison.


lundi 1 mars 2021

Vie de Coco




Elle a les marteaux qui collent et les escalopes qui font bravo. Sous sa robe, on est bien bien bien. C'est le matelas des déferlantes sucrées, aux horizons chaotiques. On est dans la carlingue, entre deux nuages comme le jambon dans le sandwich, avec du fromage autour, et des cornichons petits nichons sur le lit mouillé de ses rêves. Avalons dévalons ses vallons ses forêts ses lacs ses névés ses vals fourrés d'ombre et de salive quand le cri qui arrive par l'express en enveloppe ses gencives, Corona ou pas. 

Des voiles elle s'échappe en voix et dans un brouillon de vapeur, quand il lui prend des histoires à dormir accroupie et le cul en l'air, bénissant les satrapes qui la hèlent dans les rues bruxelloises, passant de colorature à cul de basse-fosse, elle lampe à tous les réverbères en psalmodiant son grégorien batard : Grands glissandos verglacés entrecoupés de hoquets flamands. Prévoyante, elle est à califourchon sur sa luge à hydrogène, un néon circulaire autour de ses seins pointant vers le Nord magnétique. 

Elle est complètement dérogée, Coco, sans pitié et sans chocolat, et glisse de tertre en bassin, de charogne en fœtus, toujours relogée peinarde dans son alcôve bullet-proof. Elle vit dans une cosmologie cyclique conforme. Elle nous esquinte les tendons, à force de diagonales poivrées et de fulminantes raclées, mais sa grammaire vitupérante de toute façon nous oblige à la retraite en pantoufles. Dans l'escalier, ça ne parle que d'elle et de Spinoza. 

Les jaccotteries (3)




Sois tranquille, elle viendra ! Elle se rapproche,
tu brûles ! Car le doigt qui sera au fond
de son cul, plus que le premier sera proche
de son con, qui ne s'arrête pas en chemin.

Ne crois pas qu'elle va s'allonger sous les hommes 
ou reprendre souffle pendant que tu débandes.

Même quand tu bois à la bouche qui étanche 
la pire soif, la louche bouche avec ses cris 
roux, même quand elle serre avec force le nœud 
de ta bite pour être bien immobile
dans la brûlante obscurité de sa toison,
elle jouit, Dieu sait par quels détours, sur vous deux,
de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille, 
elle jouit : d'une à l'autre mort tu es plus vieux.


Phil Jacot du Gland

Prélude et fugue (1)


L'essentiel 

de 

ma 

vie 

se 

passe 

la 

nuit. 


L'un des plus beaux défis, 
et l'une des plus grandes fiertés, 
pour quelqu'un qui prétend écrire, 
serait à mon avis d'avoir fait jouir 
une femme rien qu'avec des mots, 
que ceux-ci soient écrits ou prononcés.