lundi 31 juillet 2017

Au nord de l'avenir, ta psyché incontinente…



Elisabeth est adorable. Elle n'a qu'un seul défaut : elle est croyante. Tellement croyante que ça nous enlève toute foi dans la foi. Quand je parle avec Elisabeth, je ne peux plus me dire que j'ai la foi. On dirait que toute ma foi immédiatement fuit hors de moi. Il est amusant de se dire que notre foi pourrait être relative, qu'elle dépendrait d'une certaine façon de la personne en face de qui on se trouve, avec laquelle on parle. J'imagine qu'aucun catholique ne pourrait admettre cela. On va peut-être me répondre qu'il en va ainsi parce que ma foi n'est pas de première qualité ; c'est sans doute vrai. 

« La chute des glaces, le dérèglement climatique et un tas d'autres emmerdes écologiques eurent à la longue pour effet d'aligner toutes les gonzesses de la planète : un matin, elles se levèrent toutes réglées à l'identique, toutes indisponibles en même temps. Ce fut une grande catastrophe. On eut besoin d'amour. De beaucoup d'amour. D’énormément d'amour. Et de lingettes. » C'est Jean Quatremaille qui écrit ça.

Il y a une éternité que je ne me suis pas servi d'un DAB. Tous ces gens qui font ça très naturellement… me fascinent. On appuie sur des boutons et on "retire" de l'argent. Ça leur tombe du ciel. L'argent, c'est comme la foi : on en a plus avec certaines personnes qu'avec d'autres. Je t'en fiche mon billet ! Eh bien, oui, vas-y.

« Certains astéroïdes sont de véritables mines d’or. Par exemple, le plus riche d’entre eux jamais découvert, nommé Psyché, large de 213 kilomètres de diamètre, est presque exclusivement constitué d’un alliage de ferronickel. Aux cours actuels du fer et du nickel, la valeur de ce caillou s’élève théoriquement à 10 000 quadrillions de dollars… Ce qui vaut plus que toute la richesse de la Terre. » Salut, Psyché, ça te dérangerait de tomber dans mon jardin ?

Il faut souligner, il faut faire des notes. Dans les fleuves, au nord de l’avenir, je ne jette le filet qu’avec hésitation… À quelle gare descendez-vous, Mademoiselle ? ALZHEIMER

Et de lingettes… Je prétends que seuls ceux qui entendent mal au commencement de leur vie apprennent à écouter. Les autres sont maudits : toute leur vie, ils continueront à ne rien comprendre parce qu'ils n'auront jamais eu à chercher comment devait s'entendre tel ou tel vocable. Linge, lingette, lingerie, l'ange, langer, singe, songe, Ponge, Monge, Tonton René avait l'accent grenoblois et il avait une sacrée descente. E pericoloso sporgersi.

Ne vous penchez jamais sur une femme, malheureux, elle ne vous le pardonnera jamais. Elle tient à ses petits secrets et à ses petits arrangements comme à la prunelle de ses yeux. Le soleil noir de l'être ne se couche jamais sur ces créatures. Il les maintient dans une orgie de lumière même au plus profond du gouffre. Elles ne veulent jamais changer de vie, parce qu'elles ne vivent pas. Se mouvoir dans l'absolu au risque de ne jamais en sortir — en sortir pour voir de quoi on a l'air, vu de l'extérieur —, voilà leur dogme. 

Jeanne et René, les emmerdes écologiques, je peux vous dire qu'ils s'en tapaient, mais alors à un point… Vous n'avez même pas idée. 

Cabeceo



Sur son œil est greffée la brindille qui signalait aux forêts le chemin : sœur dans la fratrie des regards, elle fait bourgeonner la pousse, la noire. 

Elle est assise. Elle attend. En face, une vingtaine d'hommes. À côté d'elle, elles sont une trentaine. Elle regarde les pieds, les souliers des hommes. Elle n'ose pas lever les yeux. Tout juste si elle se donne la permission de regarder le bas de leurs jambes, la manière dont le pantalon tombe sur la chaussure. Certains ne cirent pas la semelle…

La trêve est donc finie, Vénus ? Tu rallumes la guerre ?

Elle les a vus entrer dans la milonga. Elle était déjà assise. À ce moment-là, parlant entre eux, ils semblaient ne pas faire attention, alors elle en a profité pour les dévisager rapidement, sans s'attarder. Elle a repéré leurs manières de marcher, elle les a classés mentalement. Les vieux, les jeunes, les entre-deux-âges. Elle a senti une vague de parfums mélangés qui accompagnait l'entrée des mâles. Il fait chaud.

Alors, folle, haletante, égarée, hors d'haleine, au son du tambourin elle les guide dans l'épaisse forêt. 

Elle sent son cœur qui se serre. Il faut lever les yeux vers les hommes, sans insister, passer très vite d'un visage à l'autre, dans la crainte de voir celui-ci vous rendre votre regard, et vous signifier ainsi que c'est vous qu'il veut, et dans l'espoir que celui-là, au contraire… Elle donne à son regard un ton neutre et léger, qui n'adhère pas. Elle balaie l'assemblée des hommes, de droite à gauche, en une seconde c'est fait. Elle ne dansera pas lors de cette première tanda. Soulagée. Elle pourra observer les danseurs, même si elle en connaît déjà beaucoup. Il y en a trois qu'elle redoute particulièrement. Mauvaises odeurs, mauvais danseurs, mauvaise tenue, différence de taille trop marquée, désir apparent, conversation…

À hauteur de bouche, perceptible : excroissance, ténèbre. 

Les couples entrent sur la piste, la tension retombe un peu. Elle observe ses compagnes, celles qui ne dansent pas, leurs tenues, elle observe leurs visages, elle y voit la sueur, les tics, la peur. Et si elle restait toute la soirée assise… Ça lui est déjà arrivé. On ne sait jamais pourquoi. Quelle idée d'être là, comme une proie en attente de son chasseur, comme une proie qui espère être chassée…

Pauvre sot, si toi tu ne te soucies pas de surveiller ta femme, fais-le pour moi : mieux gardée, elle serait plus désirable à mes yeux !

Ce n'est pas la première fois qu'elle se dit qu'elle est folle. Elle va encore se coucher à quatre heures du matin et demain elle travaille. Si personne ne la fait danser, elle arrête, c'est décidé. Tout ça pour un hypothétique tangasme… Elle se trouve grotesque. Elle a envie de pleurer. Elle a mal aux pieds avant même d'avoir dansé.

Une torpeur profonde est tombée sur elles, a fermé leurs yeux.

Le tango, ce n'est pas de la danse, c'est une manière de marcher. Poitrine vers l'avant, le haut de corps ne monte ni ne descend. Les femmes font plus de figures que les hommes.

Et je voulais la consoler. Les ordres étaient donnés, le départ était prêt. 

Je ne te regarde pas mais c'est toi. Ne me marche pas sur les pieds, grand con. 

samedi 29 juillet 2017

L'infirmière



Nous sortions d'une réunion à propos de notre mère, avec le chef de service de l'hôpital, à laquelle Raphaële, médecin elle aussi, avait assisté.  Comme nous regagnions nos voitures respectives, mes deux frères et moi, je leur dis, sans les regarder : « Elle est sacrément jolie, hein ! » 

Je savais qu'ils se méprendraient sur mes paroles et ça n'a pas manqué. Ils ont rivalisé d'éloge à propos de la beauté de Raphaële. 

« Ah mais je ne parlais pas d'elle ! Je parlais de Smahen, l'infirmière… »


jeudi 27 juillet 2017

Intimacy with a twi$t



« Sexe trantrique. Juste pour un soir. Aime être regardée, câlins, et films érotiques. » (Ashley)

« Une fois qu'on commence à parler, pour une raison étrange, les hommes ont l'envie irrésistible d'envoyer une photo de bite. Des photos de leur pénis. Parfois c'est la première photo. »
« J'ai rencontré beaucoup d'hommes, des politiciens, on avait de tout, de l'ouvrier à l'étudiant. »
« Avec le site, on évitait les collègues de travail, les amis de la famille. » (Madison)

Ça ce sont les (rares*) femmes qui parlent. 

Life is short. Have an affair. 

Malgré la crise de 2008, AshleyMadison paraît invulnérable. 55 millions de dollars de bénéfices brut. 37 millions d'inscrits en 2015, 54 en 2017… Invulnérable financièrement, mais pas informatiquement. 

Le 19 juillet 2015, le site est piraté.

We are the Impact Team. AM & EM must shut down immediately and permanently. Si ALM [Avid Life Media] n'obéit pas immédiatement, la liste des clients, leurs photos, numéros de téléphone, fantasmes, profils bancaires ["profils bancaires" est un euphémisme pour signifier numéros et codes de cartes de crédit], adresses, et emails, seront rendus publics.

Suicides, divorces, démissions, drames en tout genre…

837 profiles utilisant le même email, ce sont les "iconians", les robots qui envoient des messages ("want to sex chat ?") aux vrais utilisateurs, qui doivent payer pour leur répondre. Sur 200 profiles avec lesquels il a "interagi", Tom pense qu'un seul était une vraie femme. Les 199 autres étaient donc des robots. 

« Ce n'est qu'un site de divertissement. Il est possible que vous parliez avec un robot. » Ces deux petites phrases de rien du tout étaient "enterrées" au milieu des statuts légaux du site. Évidemment, personne ne les lit. 

Mais c'est après le piratage des sites AshleyMadison et EstablishedMen par The Impact Team que les choses sérieuses commencent. 

Les corbeaux entrent dans la danse, attirés par l'odeur du sang. Puisque The Impact Team a tout mis sur la place publique, après le refus d'ALM de fermer ses sites, des centaines de hackers se jettent sur les données des clients et les font chanter. 900 $ pour ne pas envoyer les emails à la femme ou à l'employeur du pauvre type pris la main dans le sac… 



« J'ai un coup de retard, mais je vais vous faire très mal, J'AI BEAUCOUP DE MOYENS. » (Noël Biderman) menace au téléphone le propriétaire de AshleyMadisonSucks, un forum où tous les déçus d'AshleyMadison se rencontrent, racontent leurs déboires et tentent de s'organiser pour demander réparation pour les préjudices subis.


— Suzy, que faisais-tu le mois dernier ?
— No Job !
— Et maintenant, que fais-tu ?
— Blowjobs.

Les étudiantes cherchent un job, après les examens ? ArrangementsFinder (qui fait partie d'ALM) peut vous arranger un Sugar Dady. « S'agit-il de prostitution ? Non, c'est une autre forme d'intimité. » 

« Dans cette configuration, l'homme subvient aux besoins de la femme. » Il s'agit un arrangement. ["Intimacy with a twist"… (la formule est magnifique !)] Mais le mariage n'est-il pas un "arrangement" ? « C'est là que les belles plantes peuvent trouver un gros portefeuille. » Intimacy with a twi$t…

Les enquêteurs sérieux se sont rendu compte qu'AshleyMadison et EstablishedMen généraient beaucoup moins de profits que ceux mis en avant par Noël Biderman, le PDG du groupe. Sous ces deux sites émergés "respectables", une myriade de sites pornographiques spécialisés étaient profondément immergés. 

« Cerise sur le gâteau, des données censées avoir été supprimées ne l’étaient pas. AshleyMadison proposait à ses utilisateurs de payer pour éliminer leurs données une fois qu’ils s’étaient désabonnés du site. Or des informations personnelles de personnes qui avaient payé se sont retrouvées dans la base de données d’utilisateurs d’Ashley Madison publiée sur Internet.
Pour leur défense, les responsables d’Ashley Madison ont déclaré aux enquêteurs qu’ils conservaient les données des comptes désactivés au cas où leurs utilisateurs décideraient finalement de revenir sur le site. Ainsi, ils pouvaient retrouver un profil intact. Seulement, ceux qui font marche arrière se décident, dans 99% des cas, moins d’un mois après la suppression de leur compte, souligne le rapport. Ce qui n’a pas empêché Ashley Madison de conserver indéfiniment les informations des utilisateurs qui n’avaient pas réactivé leur compte. » (Libération, 24 août 2016)

« Ruby Life, le nouveau propriétaire d'AshleyMadison propose 11,2 millions de dollars aux victimes de son piratage. » (Le Monde, 17 juillet 2017)


(*) Pour 11 000 000 d'hommes (tous vrais, eux), 2000 vraies femmes, tel est le ratio réel, démontré lors du piratage. 

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A/ Ces hackers du bien (The Impact Team, en l'occurrence) sont des enflures mille fois plus dangereuses que ceux qu'ils prétendent combattre. Sous prétexte de dénoncer et mettre à mal une entreprise évidemment crapuleuse et amorale (il faudrait être sacrément débile pour penser que les patrons d'Avid Life Media sont des philanthropes), ils n'hésitent pas à sacrifier les pauvres bougres qui se sont laissés aller à faire appel aux services d'AshleyMadison. Ainsi se vérifie une fois de plus l'axiome : faire le bien des autres sans leur demander leur avis conduit immanquablement au pire. Les bienfaiteurs sont souvent plus dangereux que les malfaiteurs. L'éthique devrait être réservée à des individus qui ont une sexualité très épanouie et qui ne s'occupent de ça qu'à leurs heures perdues. Au nom du Bien se commettent toujours les pires horreurs. 

B/ Les liens entre pornographie, sexualité, prostitution, drogue, crime, vie sociale, famille, et politique, devraient être étudiés sérieusement. On ne comprend rien à la pornographie si l'on pense qu'il s'agit d'un domaine "spécialisé" qui ne touche que des pervers asociaux et des adolescents en manque d'éducation sexuelle. La pornographie (j'emploie ici cette expression au sens large qu'elle me semble devoir prendre désormais) est devenue depuis la révolution numérique (et la mondialisation qui l'accompagne nécessairement) un continent immense, d'une puissance absolument redoutable, un véritable cancer qui ronge notre société de l'intérieur, qui attaque toutes ses strates comme un acide.



La prostitution est un phénomène indéracinable. Sans doute parce que la prostitution est extrêmement proche du mariage et, en cela, comprise dans la relation hétérosexuelle et plus généralement dans les relations entre les hommes et les femmes. Le mariage est à la base de la famille et de la descendance. Le mariage est un contrat entre un homme et une femme, la prostitution aussi. La prostitution est un CDD alors que le mariage est un CDI. Mais la prostitution est une sorte d'anti-mariage : contrat sexuel qui exclue le sexuel, en quelque sorte, puisqu'il s'agit d'une sexualité à blanc, sans effet autre que la consolidation paradoxale de l'autre sexualité, la vraie, celle qui perpétue l'espèce. Il y a donc des femmes qui se sacrifient pour que d'autres femmes gardent leurs maris et fassent des enfants. La prostitution est l'envers du mariage. Elle en est à la fois la part sombre et propice, précieux adjuvant et baume adoucissant, face cachée sans laquelle beaucoup d'unions ne résisteraient pas à leur tête à tête prolongé. Bien sûr, elle n'est pas que cela, mais c'est une part très importante de sa fonction sociale et symbolique. Une maîtresse est toujours beaucoup plus difficile à gérer qu'une relation sexuelle tarifée, sans compter qu'elle revient plus cher. La maîtresse ressemble beaucoup à l'épouse. Elle en a souvent les exigences, qui rendent la chose difficile, alors que la prostituée permet à l'homme de lui prêter tous les traits psychologiques et sexuels que sa femme refusera toujours d'endosser. Une épouse est une sorte de prostituée, dans le schéma bourgeois, qui n'en a ni l'aspect, ni le langage, ni la clairvoyance. Quand l'homme se rend au bordel, il voit à quoi sert son argent. Il le voit même immédiatement. Tous les hommes savent instinctivement que la prostituée est leur amie.

Ce qui a changé radicalement, ce n'est pas la prostitution, c'est la pornographie. Tout le monde continue à parler de la pornographie en imaginant vaguement des femmes nues sur du papier glacé ou des acteurs pathétiques qui miment l'acte sexuel sur l'écran de l'ordinateur. Si la prostitution n'a guère changé depuis des siècles, si elle s'est seulement adaptée aux circonstances, à la technique, aux évolutions sociales, la pornographie, elle, a effectué une mue extrêmement rapide, spectaculaire et a pris une ampleur que personne ne pouvait imaginer il y a encore un demi-siècle. Elle n'était jusque là qu'une sorte de divertissement amateur et l'on pensait qu'elle ne faisait que singer le réel d'une manière un peu dérisoire et malhabile. Ce temps-là est révolu. Elle n'était qu'un des aspects du sexe, et le plus honteux ; elle est devenue à la fois le moteur, le décor, la théorie, le théâtre, l'imaginaire, le carburant, le sujet, et c'est elle qui fournit désormais le gros des bataillons. Elle a sa police, ses théoriciens, ses administrateurs, ses ministres, ses ambassadeurs, ses techniciens, ses ouvriers spécialisés, ses services secrets, ses informaticiens, ses artistes, ses lobbyistes, et son petit personnel. Elle a l'argent. Et elle a une chose qui lui donne une puissance gigantesque : sa quasi invisibilité. Oh, je sais ce que vous allez me répondre : on ne voit qu'elle, on ne parle que d'elle, elle est partout. Mais c'est faux. Quand on parle d'elle on ne parle pas d'elle. On la prend pour ce qu'elle n'est pas, et on ne voit pas ce qu'elle est. Intimacy with a twist ? Non, la pornographie est très loin de n'être que ça ! Son croisement avec le Numérique ne lui a pas seulement donné une puissance phénoménale, il a fait d'elle le principal agent d'une décomposition de l'être qui ne sera pleinement visible que lorsque celui-ci aura atteint son point de non-retour. La pornographie ne peut pas être pensée en dehors de son rapport avec la marchandisation du corps humain et de ses organes, de la falsification générale du réel, de la production de masse, de la désexualisation, de l'hébétude médiatique, de l'illettrisme, du festivisme, du Remplacisme global et de l'obsolescence de l'homme. Si vous croyez que la pornographie est un passe-temps sans conséquences destiné à vider les couilles de quelques obsédés sexuels tout en les empêchant de se livrer à des activités criminelles, c'est que vous ne connaissez pas du tout la pornographie réelle. Il ne s'agit plus du tout d'un dérivatif. Vous avez vingt ans de retard et, surtout, vous ne vivez pas dans le monde dans lequel vous croyez vivre.

AshleyMadison est lancé en 2001. 2001, ce n'est pas une date comme une autre. Plutôt que l'Odyssée de l'espace (il y en a de moins en moins, de l'espace), on pourrait parler d'une Odyssée de l'Espèce. Le troisième millénaire nous fait réellement entrer dans un monde complètement différent de celui qu'on a connu, mais il a ceci de singulier qu'il prend les habits du monde ancien. Il garde les vieux mots, et la ruse suffit, semble-t-il, à berner les humains qui pensent reconnaître les antiques choses, simplement parce qu'ils reconnaissent les vieux mots. On leur dit sexe, homme, femme, désir, amour, rencontre, couple, corps, musique, culture, politique, travail, art, parole, guerre, et ils pensent qu'on leur parle de sexe, de l'homme, de la femme, du désir, de l'amour, des rencontres, du couple, du corps, de la musique, de la culture, de la politique, du travail, de l'art, de la parole et de la guerre. Ils n'y regardent pas à deux fois. D'ailleurs, ils n'ont pas du tout envie d'y regarder à deux fois, ils ont seulement envie de croire que rien ne change jamais, et que les mêmes mots désignent les mêmes choses, de toute éternité. — au moins de leur éternité à eux. Ce n'est pas qu'AshleyMadison "fasse la promotion de l'infidélité", qui rend la chose terrible. Comme le dit très bien Noël Biderman, les hommes et les femmes ne l'ont pas attendu pour être infidèles, et pour trouver des moyens et des raisons à leur infidélité. Si "le couple traditionnel" ne fonctionne plus, ce n'est pas à cause de Biderman ou de ses semblables. Biderman n'a pas inventé la dévaluation de la Parole, ni rendu les gens illettrés, ou amnésiques, ni lancé des avions contre des tours, ni forcé des femmes à se prostituer, il n'a pas battu sa femme, ni vendu les reins de ses enfants, ni inventé un langage informatique, ni changé de sexe. C'est seulement un homme d'affaires qui a vu dans quel monde nous évoluions et qui a voulu en tirer partie. Il n'est pas différent de vous et moi. Peut-être aime-t-il un peu plus l'argent, c'est tout.

Les hackers éthiques qui ont précipité sa chute sont bien plus adaptés au monde qui a surgi en 2001 qu'un Noël Biderman. Lui cherche seulement à en tirer profit, eux veulent le promouvoir, ce monde, et veillent sur lui avec un soin jaloux : ils ne veulent pas qu'on l'abîme. Ils sont les chantres de l'Égalité, de la Transparence, de l'épanouissement personnel, et ils luttent contre la négativité humaine comme les bons petits soldats du Bien qu'ils sont. Comme tous ceux qui sont dans le camp du Bien, ils n'ont de compte à rendre à personne, et ils tranchent les têtes avec le sentiment de le faire pour le bien de l'humanité. Les Bienfaisants malfaisants sont à l'image de ce monde nouveau, ils ont tout pour eux. On ne discute pas avec les Bienfaisants. On les soutient ou on disparaît, puisqu'ils sont les Vainqueurs de demain.

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Qu'est-ce que la pornographie, en 2017 ? C'est bien plus que la pornographie. C'est une manière de penser. C'est une manière de regarder le monde. C'est une manière d'avoir accès au monde. C'est une manière d'être exposé (en permanence) au reste du monde. C'est une manière de voir le corps féminin et masculin. C'est un travail. C'est un divertissement. C'est un business. Ce sont des flux d'argent colossaux. C'est une drogue. C'est un "lien social". C'est un succédané de la prostitution "réelle". C'est un job. C'est un pouvoir. Ce sont des emplois, des locations immobilières, des achats de matériel vidéo. Ce sont des recettes fiscales. C'est de la finance. Ce sont des images et des sons. C'est une norme. C'est surtout une manière de nier et de refuser la vie, et de perdre la face.

Naguère, quand la pornographie était une petite entreprise familiale pour voyeurs honteux, on pouvait distinguer le versant de la production du versant de la consommation. Il y avait ceux qui faisaient des films, qui publiaient des magazines, qui tenaient des sex-shops (et trois ou quatre patrons qui avaient réussi), et ceux qui achetaient les magazines, qui allaient voir ces films, qui entraient dans les sex-shops. Les choses étaient très simples. On produit à un bout, on consomme à l'autre. Commerce, industrie, offre, demande, économie, profits, exploitation, croissances, faillites, syndicats, on connaît bien tout ça. Chacun son rôle et les vaches seront bien gardées. Les producteurs prenaient des risques (socialement et financièrement) et les consommateurs prenaient le risque (minime, il est vrai, mais tout de même) d'être surpris en train de consommer. Internet est arrivé et a fait exploser le modèle. Pas seulement Internet, bien sûr, mais aussi la fameuse démocratisation des moyens techniques, la "démocratisation du luxe". Chacun avait désormais un ordinateur, une web-cam, un appareil photo et une caméra numériques, et une connexion internet à haut-débit. Youpee ! se sont dit des milliers d'hommes et de femmes. D'un côté, chacun pouvait voir très simplement ce qui auparavant exigeait de l'amateur des comportements légèrement déviants (par rapport à la norme sociale en vigueur), et qui exigeait en outre de se déplacer, d'y aller. D'un autre côté, le monde des producteurs a explosé : tout le monde peut désormais produire du porno, très simplement et à moindre frais, et sans devoir se déplacer. Pour la "musique" il y a eu le "home-studio", pour le porno la web-cam et le haut-débit. C'est encore plus simple. Aucun mode d'emploi fastidieux à lire, aucun apprentissage rébarbatif, aucune expertise dans aucun domaine. Le Pour Tous (et Par Tous) du sexe était né. Comme la chose a rencontré — il n'y a pas de hasards en ce domaine — l'abandon du modèle social patriarcal et l'abandon du modèle ontologique et politique de la Verticalité et de la Hiérarchie, à quoi s'est ajoutée la dislocation de la Famille, l'explosion a été à la hauteur de toutes les forces qui convergeaient. Si l'on pouvait lancer des avions contre des tours, et en faire le spectacle le plus regardé au monde, on pouvait aussi lancer les corps et les pratiques de tous dans la marmite du spectacle planétaire.

À cela s'est ajouté un élément dont on parle peu mais qui est fondamental et qui donne à la chose son caractère diabolique : la reproductibilité infinie. L'Analogique permet la copie, quand le Numérique permet la dissémination sans possibilité de contrôle. Et ça change tout. Il était bien sûr possible de copier une cassette VHS et de la faire circuler, mais c'était toujours dans un cercle restreint qui était plus ou moins contrôlable. Avec le Numérique, avec la multiplication à l'infini des nouveaux moyens de stockage, et la transmission via Internet, plus aucun contrôle n'est possible. Chaque image (chaque son, chaque information) déposée sur Internet est virtuellement là pour toujours. Le monde bascule quand une parole prononcée à telle occasion, quand un geste fait dans telle situation, peut être vu par tout le monde, dans une semaine, un an, un siècle. Un cycle de mort s'est enclenché paradoxalement à ce moment-là. La vie n'est pas faite pour être infinie. On pourrait même soutenir que l'immortalité (je ne parle pas de l'immortalité au sens où l'entendent les chrétiens, ici) est un principe contraire à la vie. Une vie, ça nécessite une naissance, un entretien (une durée), un déclin et une mort. C'est comme le son. Un son infini n'est plus un son. Une vie qui se reproduit à l'infini, un corps qui se montre à l'infini perdent leur caractère vital, singulier, unique parce que limité. L'illimité est un poison séduisant mais terrible. Le visage se défait littéralement quand il est reproduit à l'infini, quand il est convoqué d'un clic et répudié d'un autre clic. Il cesse d'être une injonction et une loi pour celui qui le croise. La réalité se venge d'être coupée de la contingence.

La pornographie, jadis, c'était des personnes, des femmes, des hommes, Untel, Unetelle, qui se montraient à nous, à ceux d'entre nous qui avaient envie de les voir. Maintenant, ce sont des cougars, des MILFS, des teens, des gays, des épilées, des poilues, des grosses, des maigres, des obèses, des granny (grands-mères), des pisseuses, des écartelées, des dominés, des salopes, des "candides", des pèteuses, des voisines, des belles-mères, des beaux-fils, des sœurs, des femmes-fontaines, des vierges, des musulmanes, des complètement beurrées, des étudiantes, des épouses, des employées, des pharmaciennes, des secrétaires, des noires, des blanches, des asiatiques, des rousses, des brunes, des blondes, des albinos, des naturelles, des transexuelles, des hippies, des nonnes, des scatos, des moches, des jolies, des unijambistes, des naines, des femmes enceintes, des fistées, des gang-banguées, des chauves, des hindoues, etc. Chaque catégorie a son public. Personne n'est oublié. Pour Tous & Par Tous ! Vous ne voulez voir que des chattes, que des trous du cul, que des seins, que des pieds, que des fesses, que des nuques, que des genoux, c'est possible aussi. Choisissez dans le catalogue.

Allez faire un tour sur les sites spécialisés, vous allez vous rendre compte qu'il n'existe plus de lieux privés. Les toilettes des lieux publics (et parfois privés), les cabines d'essayage des grands magasins, des restaurants, des piscines, des SPA, des esthéticiennes, des salles de sport, les douches publiques, les bains publics, il y a des caméras partout, sur les plages, dans les voitures, dans la rue, dans les cages d'escalier, même dans les avions et dans les trains. Il n'y a plus un endroit au monde où vous pouvez dire avec certitude : là je suis seul, personne ne peut me voir. Les Japonais, par exemple, sont très friands des femmes aux prises avec leurs besoins élémentaires. J'ai vu un jour une séquence incroyable. On suivait une jeune et jolie Japonaise prise d'une envie pressante. Elle arrive, fébrile, dans des toilettes publiques et constate que toutes les cabines sont occupées. On la voit qui se décompose littéralement, c'est terrible, on souffre avec elle, elle attend, elle trépigne, de plus en plus fébrile, jusqu'au moment où elle peut plus se retenir, et va s'accroupir un peu plus loin pour chier, la honte au front, avant de s'enfuir le plus vite possible du lieu où le voyeur l'a surprise. Très souvent les caméras sont à l'intérieur même des toilettes, je veux dire de la cuvette, je ne sais même pas comment la chose est possible, techniquement, mais le fait est là. Ils prennent des risques considérables pour obtenir ces images volées. Le trou dans la porte des chiottes paraît bien anodin et même ridicule, quand on voit la débauche de moyens techniques qui permet à peu près tout aujourd'hui, et ce tout, ne l'oubliez pas, étant désormais à la portée de tout un chacun, ce qui multiplie dans par mille et même par cent mille les occasions.

Car la nouvelle pornographie, et c'est le point le plus important, celui qui change tout, n'est plus produite par des professionnels. La pornographie du XXIe siècle, c'est celle de votre voisine, de votre locataire, de votre étudiante, de la marchande de fromage du supermarché, de votre cousine, de votre fille, et même de votre mère. Combien de fois ai-je essayé d'avoir cette discussion avec l'une de ces strip-teaseuses contemporaines qu'on appelle les "cameuses" : « Avez-vous pensé que ce que vous montrez de vous, aujourd'hui, sera vu, potentiellement, par votre fils, par votre fille, par votre petite-fille ? » Elles le comprennent, intellectuellement, bien sûr, mais on dirait que quelque chose les empêche d'aller jusqu'au bout de leur raisonnement, d'imaginer réellement la scène. « Ben dis-donc, Mamie, hein, c'était quelque chose ! » Elle ne se projètent pas dans l'avenir — ou font semblant. Mais comment peut-on imaginer que les rapports entre les personnes, entre les générations, entre les membres d'une famille, résistent à ça ? Voir une jeune fille de dix-huit ans à peine montrer chaque soir son trou du cul écartelé à la terre entière, et le faire comme s'il s'agissait d'une chose parfaitement normale, banale, qui va de soi, a quelque chose de terrifiant. Ce n'est pas ce qu'elle montre qui me terrifie, il m'en faut plus, mais c'est ce que va produire chez elle et dans son cercle de relations cette monstration — monstrueusement banale. Tout se passe comme si "ce qui est possible, on le fait". Je peux montrer ma chatte à la terre entière et gagner quelques dollars en le faisant ? Il faudrait être fou pour ne pas le faire ! Elles ne sont pas plus bêtes que d'autres, elles ne sont pas plus vénales que d'autres, ces cameuses, elles ont simplement été mises en contact avec une sorte de travail qui ne demande aucune qualification et contre lequel la morale d'aujourd'hui ne peut plus rien. Et qui n'a pas besoin d'argent ? Qui n'a pas un ordinateur muni d'une web-cam ? Je ne suis pas allé vérifier mais je suis absolument certain que la même chose existe pour des filles qui sont loin d'avoir dix-huit ans. À partir du moment où la demande existe, vous pouvez être certains que la réponse est là.

Moi qui ai toujours eu une passion pour le corps féminin et qui ai toujours revendiqué mon voyeurisme, je me suis surpris, ces derniers jours, à me désabonner de tous les contacts sur Flickr qui montraient des photos de nu. Je n'en peux plus. J'en ai trop vus. Ils me gâchent la vie, ils me gâchent la vue. Je ne regrette pas du tout d'avoir été un amoureux fou du corps féminin, mais ils ont réussi à me gâcher mon plaisir, ces cons. Le plaisir venait en très grande partie de la difficulté à voir ce que les femmes essayaient plus ou moins de nous cacher. Si l'on ouvre les harems — ce qu'on a désiré plus que tout —, il n'y a plus aucun plaisir à y aller voir. Et là, ce ne sont pas seulement les harems qui sont ouverts, ce sont les chambres à coucher, les salles de bains, les toilettes, les intérieurs de toutes les femmes du monde, jeunes, vieilles, pauvres, riches, inconnues, célèbres, moches, ravissantes, tristes, maussades, fatiguées, désespérées. Ils auront la peau du désir, ces salauds. J'ai toujours été très fier d'avoir réussi à faire que mes petites amies se déshabillent devant l'objectif, parce que c'était difficile. Aujourd'hui, ce qui est difficile, c'est de persuader une fille de ne pas se mettre à poil devant un objectif. À peine ai-je un début de relation avec une fille qu'elle me demande si je vais la prendre en photo, et de m'expliquer qu'elle sera ravie de poser pour moi… Toutes les femmes se montrent nues devant l'objectif de leurs maris, toutes les rencontres de passage se prennent nues en photo et envoie ça à leur copain du moment. Quand je pense que nous n'osions pas faire développer nos pellicules par des professionnels, il y a encore trente ans…

Il y a bien eu un twist dans l'intimacy, oui, c'est indéniable. Quelque chose s'est tordu, quelque chose s'est perdu. Quelle intimité ? Où ça ? Ne parlons même pas de pudeur… On pourrait presque se rassurer en pensant qu'après tout, celles qui se montrent ainsi grâce à leur web-cam le font par intérêt, pour gagner quelques dollars. Regardez Chaturbate (contraction de Chat+masturbate). Ils ont inventé une chose géniale. La carte bleue du type est directement reliée à la chatte de la fille. Il paie, ça vibre. Et plus il paie cher, et plus ça vibre fort et longtemps. Mais bien entendu, les filles qui pratiquent ce genre de travail vous jureront leurs grands dieux qu'il ne s'agit pas du tout de prostitution, que ça n'a rien à voir, puisqu'elles n'ont aucun contact réel avec le client. Et c'est la vérité. Au moins, elles ne risquent pas de tomber sur un cinglé qui les viole et les torture, c'est déjà ça. Pour le reste, bien sûr que c'est de la prostitution ! C'est une nouvelle sorte de prostitution, sans risque, ni sanitaire ni physique, mais c'est tout de même de la prostitution. Leur corps leur rapporte de l'argent et procure du plaisir au client. Il y a bien un échange, même s'il ne passe pas par le sens du toucher. La dématérialisation de la caresse, il fallait y penser ! Directement du compte en banque au point G ! C'est là que se situe le twist, le tournant, la mutation. On ne passe plus par le contact entre deux êtres humains. Il cesse d'être indispensable. Et ce qui n'est pas indispensable finit toujours par disparaître.

Je te touche avec mon argent… Certains diront que rien n'a changé depuis le commencement des relations entre les hommes et les femmes. Pas d'argent ? Tu ne touches pas. No money ? Tu ne couches pas. Chez AshleyMadison, sans argent, les photos des femmes restaient floues et l'homme restait muet. Sésame ouvre-toi… La magie de l'époque est très sommaire. Euro, dollar, yen… Il faut que ça circule. On ne s'arrête pas à un visage, à une voix, à un destin. On avance, la Visa en main, et on prend sa place dans la chaîne. Les femmes sont des trous par lesquels la monnaie circule. Interchangeables. Remplaçables. Que voulez-vous ? Gros seins, petit cul, chatte épilée, brune ? Nous en avons 4789. Toutes aussi belles les unes que les autres. Mais si vous la voulez moche et vieille, pas de problème, on a aussi.

La nouvelle pornographie est géniale. Vous savez pourquoi ? Parce qu'elle a compris qu'en faisant travailler tout le monde, tout le monde y gagnait. Abbywinters est un des premiers sites pornographiques à avoir compris ça, et la fille qui le tenait a fait fortune. Ce sont les filles elles-mêmes (de très jeunes et très jolies filles ordinaires, australiennes) qui se filment entre elles. Elle a réussi à les persuader que c'était non seulement naturel de se montrer ainsi, que c'était même très sain,  mais qu'en plus il n'y avait pas de patron, pas de hiérarchie, qu'il n'y avait pas d'un côté les professionnelles de l'image et de l'autre les filles qui se caressent devant la caméra, non, ce sont les mêmes. Tout le monde met la main à la pâte (et c'est le cas de le dire)… Les filles se filment entre elles, ramènent leur boyfriend pour l'occasion, et tout le monde est content. On montre tout, on ne cache rien, et tout ça est fait pour le bonheur de l'humanité. Si en plus on peut se faire un peu de blé… Ce ne sont pas du tout des actrices (même si quelques unes le sont devenues par la suite), ce ne sont pas du tout des pros, ce sont des filles comme vous en rencontrez tous les jours, au lycée, au supermarché, en boîte, à la poste, dans la rue, et les voyeurs raffolent de ça, justement. Les girls next door sont mille fois plus excitantes, avec tous leurs défauts, que les "stars du x".

La nouvelle pornographie est un système. Elle a aboli les frontières entre ancienne pornographie et prostitution, entre public et privé, entre licite et illicite, entre professionnels et amateurs, entre belles et moches, entre jeunes et vieux, toutes les races sont mélangées, elle utilise tous les moyens techniques, tous les supports, tous les médias, elle s'adresse à tout le monde, c'est un peu comme une drogue qui ne serait ni douce ni dure par principe, mais tout à la fois, selon l'heure, le désir, l'humeur, le temps dont on dispose et la fantaisie du moment. Elle peut s'adapter à tout et à tous, elle n'a pas un public, elle les a tous, elle n'a pas de morale mais elle ne cherche pas non plus à choquer, tout cela est dépassé, elle veut seulement correspondre aux attentes de ceux qui sont ses patients, car elle les soigne, elle les rassure, elle les distrait, elle les console. Je fais le pari que parmi mille jeunes Français de douze à dix-huit ans, pris au hasard, dans toutes les classes de la société, seule une petite soixantaine n'est pas encore tombée dans ses raies, ne pense pas comme elle, ne lui obéit pas au doigt et à l'œil, même si c'est une maîtresse libérale et tolérante. Ils n'ont pas le choix, les pauvres. Elle a investi tous les domaines de la société, et elle parle la même langue qu'eux.

Au départ, il y avait seulement le désir d'un amant de procurer à l'autre un peu de plaisir (un plaisir qui allait en retour attiser le désir), de lui donner quelque chose d'unique, d'intime, et de très singulier. Regarde-moi, c'est moi, je suis unique, ces gestes, ces poses, ces gémissements, c'est à toi qu'ils sont destinés, je te les offre pour que tu me voies comme personne ne peut me voir. Ce sexe, cette bouche, cette voix, cette peau, ce geste, ils ne sont beaux que pour toi. Et c'était merveilleux, ce don spontané, rare et inventif. La pornographie a compris qu'il y avait là un matériau inestimable, car toujours fabriqué et amélioré par les fantasmes de celui qui regarde. La pornographie est un système extrêmement intelligent, sous ses dehors grossiers et vulgaires, car elle recycle tout ce qui lui tombe entre les mains. La nouvelle pornographie est très puissante parce qu'elle n'exclut personne. Elle donne à chacun ce qu'il attend, à l'heure qu'il a choisie, avec l'intensité qu'il désire, et selon le mode qu'il préfère. Et puis surtout elle a trouvé en Internet un partenaire extraordinaire. Ils s'entendent à la perfection, ces deux-là, et ils ne sont pas près de divorcer, d'autant qu'on a de plus en plus de mal à les distinguer. Il me semble assez difficile d'imaginer un Internet sans pornographie. On a même l'impression que le réseau des réseaux a été inventé pour elle. Internet, c'est d'abord et avant tout l'intimité mise à la portée du monde entier, ou le monde entier qui arrive dans votre intimité. Dans la Roumanie de Ceaușescu, les gens avaient pris l'habitude de ne jamais parler à cœur ouvert quand ils étaient chez eux, de peur que les micros de la Securitate soient ouverts. Internet bat la pauvre Securitate à plates coutures : désormais, plus besoin de micros cachés dans les lampes de chevet, puisque les internautes se proposent de tout révéler au monde entier, sans que personne ne le leur demande. C'est la grande, la profonde différence entre la pornographie à la papa et la nouvelle pornographie : voyeurs et exhibitionnistes sont une seule et même population, puisqu'il n'existe plus de dedans, de dehors, de vie privée, d'intimité, de séparation, d'inégalité ; chacun peut en être, chacun peut en faire, tenir la caméra ou le godemichet, pardon, le sex-toy, puisque tout ceci n'est qu'un jeu… Si tu n'as pas encore twisté ta vie, sache que ça va venir, forcément. Un jour ça te coûtera quelques dollars, un autre ça te rapportera quelques dollars, peu importe, la seule chose qui importe étant d'être dans le flux, dans l'échange, dans le liquide amniotique de l'Image dématérialisée et immortelle. Que tu sois dans le voyeurisme ou dans l'exhibitionnisme n'a aucune importance, rien n'est essentiel, rien n'est fixé une fois pour toutes, tout est échangeable, permutable, réversible, c'est le règne du jeu permanent, c'est l'âge de l'adolescence ad vitam æternam. Inutile de s'énerver, laisse-toi aller, lâche prise, laisse-toi prendre par le courant, tu n'es qu'une adresse ip et quelques bits qui circulent à toute vitesse dans des câbles sous la mer. Le reste ne compte pas.

Ce qui a changé, ce qui change tout, c'est que la nouvelle pornographie change le monde, est en train de le changer profondément, alors que l'ancienne n'avait aucune incidence sur la vie des hommes et des femmes de ces temps-là.





lundi 24 juillet 2017

Ô vieillesse ennemie…



J'en ai connu quelques uns comme ça. À vingt ans, ils étaient cons. À trente ans, à quarante ans, ils étaient toujours aussi cons. Mais à soixante, ils le sont encore. La vieillesse, la bienheureuse vieillesse ne peut rien pour eux, dirait-on, elle les a oubliés, ou alors elle a eu peur de se salir en les touchant, et les a laissés intacts, dans leur jus.

Luc Besson est un bon exemple de cette race d'hommes oubliés par la vieillesse, mais j'en connais d'autres, dont je ne peux pas divulguer les noms. 

À ceux-là, très à plaindre, je ne dis rien. Rien de rien. Et d'ailleurs, s'ils sont à plaindre, objectivement, ce n'est pas moi qui les plaindrai. L'enfance qui se perpétue chez l'homme est un trésor, à condition qu'elle soit cultivée dans la bonne terre.

J. Vallet



Pourquoi Jacques Vallet (l'écrivain) m'a-t-il appelé au téléphone (en 2005 ou 2006, je ne me souviens plus très bien), alors que je ne le connais pas du tout, et alors, surtout, que j'étais en liste rouge ?

1/ Il (m')a appelé au hasard.

2/ Il s'est trompé de numéro. (…)

3/ Il a voulu m'appeler.

4/ Un technicien facétieux a composé le numéro pour lui.

___


1. Le hasard. Bon, très bien, il n'y a pas grand-chose à ajouter. Sauf que je n'y crois pas du tout.

2. Comment ça, il s'est trompé de numéro ? Ça n'explique évidemment rien du tout. Et ça renvoie à l'explication n°1, qui n'est pas convaincante.

3. Alors là, je veux bien, mais ça pose plusieurs questions :

a. Pourquoi aurait-il voulu m'appeler ?

b. Comment a-t-il obtenu mon numéro de téléphone, puisque j'étais en liste rouge ?

Le petit a pose plusieurs questions :

a'. A-t-il voulu m'appeler parce que nous avons presque le même nom ? (Ça paraît un peu maigre comme explication !) Si c'est la bonne raison, il a dû appeler beaucoup de monde, ce jour-là.

a". Il avait quelque chose à me demander. Mais dans ce cas-là, il aurait rappelé. La seule chose qu'il aurait pu vouloir me demander, étant donné que nous ne nous connaissons pas, ç'aurait été quelque chose en rapport avec notre presque homonymie ; ce qui renvoie au a'.

a'''. C'était un jeu. Un jeu idiot, certes, mais un jeu quand-même. Mais quel aurait été l'enjeu de ce jeu ? Mystère…

Le petit b est intrigant, mais la solution ne paraît pas complètement irréaliste. Il suffit sans doute de connaître quelqu'un dans la police, ou dans l'entreprise qui à l'époque, si je ne m'abuse, s'appelait encore France Telecom.

4. La farce d'un technicien de France Telecom est toujours possible, évidemment, mais paraît tout de même peu probable. Et puis quoi ? Il compose le numéro, mon numéro, et après me met en relation avec Jacques Vallet ? Ça paraît bien complexe, et ça manque de spontanéité, pour une blague. Et  puis même si l'on admet cette hypothèse, comment expliquer qu'il m'ait choisi, moi, amateur de littérature, alors que des Jérôme Vallet, il y a en a des dizaines, et peut-être plus, en France qui, eux, n'en ont sans doute rien à faire, de la littérature ?

Non, plus j'y pense et plus je me dis qu'aucune de ces hypothèses n'est la bonne.

Pour résoudre le mystère, il faut sans doute faire intervenir un tiers. Un tiers qui me connaît, qui sait que j'aime la littérature, et qui connaît Jacques Vallet — au moins de nom. Mais qui ? Ce tiers ne se serait jamais manifesté pour me révéler la blague, depuis 2005 ? Là aussi, ça paraît tiré par les cheveux.


Si vous avez la solution, appelez-moi (mais je suis en liste rouge)… Ou appelez Jacques Vallet et demandez-lui de m'appeler. 

dimanche 23 juillet 2017

Remplacisme



Les trotskistes à la Plenel veulent l’invasion migratoire par haine de la civilisation européenne, du christianisme, de la France, de la culture occidentale et de son héritage, de son héritabilité, de sa transmission, qui leur paraît un scandale d’injustice car elle est inégale. Les remplacistes à la Juncker, eux, désirent et encouragent de toutes leurs forces cette même invasion comme un élément capital de la gestion économique et financière du parc humain : la fabrique à grande échelle de l’homme interchangeable, celui que réclament les intérêts bien compris de la superclasse. Toutes les officines antiracistes ont bénéficié des largesses du patronat, trop heureux de soutenir, comme un gage d’ouverture d’esprit, de progressisme et de rigueur républicaine, un mouvement qui ne faisait qu’apporter de l’eau à ses moulins, des ressources humaines peu coûteuses à ses usines, et des auréoles de vertu à ses fronts bronzés. C’est quand ils étaient le plus cynique, quand ils exprimaient le plus crument leurs désirs et leurs appétits, quand ils trahissaient le plus directement les patries qu’ils ne connaissaient plus qu’à peine, que le patronat et ses banques s’attiraient les plus utiles certificats de dévouement aux droits de l’homme et aux principes fondateurs — on pourra songer ici à la belle figure de Mme Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef et immigrationniste enragée. Le remplacisme arrangeait tout le monde et c’est pour cela qu’il est si fort : aux belles âmes il prodiguait les financements dont elles ont toujours besoin, au capitalisme nomade il apportait, sous sa couverture d’antiracisme, un vernis de modernisme et de générosité. Il ne manquait plus que le pape pour bénir ces noces implacables. Il est là.

Renaud Camus, extrait du Journal du 18 mai 2016

samedi 22 juillet 2017

Inconscient



Vous ne respectez jamais votre parole, vous trompez votre femme, vous arrivez en retard au travail, vous êtes d'un radinisme pathologique, vous mentez sans même savoir pourquoi ?

No souci. Faites appel à inconscient.com 

inconscient.com, toujours là quand vous avez besoin de nous ! Devis gratuit sur dossier.

vendredi 21 juillet 2017

Et encore…


« Et encore, je ne suis resté que cinq ans ! »

Clavinova


« Elle va encore nous gonfler longtemps, la taspé qui dégobille sur son clavinova ? J'ai un rencard, moi ! »

mercredi 19 juillet 2017

À propos d'une pétition…


Renaud Camus, journal du dimanche 16 juillet 2017

À propos de souci, la pétition continue de m’en donner elle aussi, bien que je n’en sois pas l’organisateur, ni le responsable logistique (heureusement pour elle !). Certes on a supprimé l’exigence d’une confirmation de la signature par courrier électronique, qui était très lourde, techniquement, et fonctionnait très mal. Cette suppression m’a permis de signer moi-même, et elle a rendu possible de le faire à quelques centaines d’autres personnes, longtemps empêchées comme moi. En ce sens c’était un progrès, que je célébrais hier soir ici même, un peu prématurément. Dans cette brèche ce sont engouffrés, en effet, toute sorte de fâcheux, de pénibles, d’irresponsables et d’adversaires patentés qui, pour déconsidérer l’initiative, signent “Adolf Hitler” ou “N. de Lautre”. De toute façon la surabondance de prénoms, d’initiales et surtout de pseudonymes d’un goût le plus souvent douteux, suffit à dépouiller le texte et la revendication qu’il porte de la plus grande part de leur poids éventuel et de leur sérieux. Voici donc qu’après m’être félicité de l’abolition de l’exigence de confirmation, je suis obligé de la déplorer. Il faudrait rétablir cette étape un peu lourde, mais faire en sorte que le cheminement qu’elle implique soit rendu aisé, ou seulement possible, pour tous, ce qui n’était pas le cas dans le premier arrangement. Dans ces domaines très spécialisés, j’en suis réduit au vœu pieux.

Bien affligeantes aussi sont les réactions coutumières des uns ou des autres, selon lesquelles les pétitions ne servent à rien — ce n’est pas cela qu’il faut faire, ce n’est pas à Ouchikh ou à moi qu’il revient de le faire, mieux vaudrait descendre dans la rue, arrêter les discours et passer à l’action, etc. Les mêmes, probablement, quand on les a appelés à manifester concrètement, place Denfert-Rochereau, place d’Italie, à la Bastille, devant Notre-Dame ou ailleurs, sont venus à huit cents, de toute la France, à trois cents, à quelques dizaines ou pas du tout — surtout pas du tout. Quoi qu’on fasse, ce n’est jamais à leurs yeux le bon geste, le bon moment, les bons protagonistes. Ils abondent en niaiseries convenues, pas forcément fausses, mais plus nuisibles que ce qu’elles affectent de dénoncer (“la guerre des égos”), en références fétiches (“il faudrait des couilles”), en soupçons insultants et qui bien entendu parlent surtout de ceux qui les émettent (“vendre des cartes d’adhésion… ”) ; bref, en préalables constats d’impuissance, qui sont les plus efficaces de tous les motifs d’impuissance. Et terriblement frappant, chaque fois, en parallèle à cela, est le manque de soutien réciproque, entre tous ceux, groupes ou individus, qui sont censés penser à peu près la même chose que les promoteurs de telle ou telle initiative.

Moi, contre toute attente, je trouve que je suis un modèle de bonne camaraderie, d’esprit de corps et d’ardeur unitaire. Je fais de mon mieux, avec mes maigres moyens, pour appuyer toutes les ébauches de refus de l’invasion, de révolte ou de regroupement qui se présentent, si excentriques ou désespérées qu’elles puissent paraître. Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne me rend guère la pareille. Je ne suis pas près d’oublier le défaut de réponse,  les dérobades ou les fins de non-recevoir expressément signifiées, lors de la “conférence de Belle-Fontaine”, en août et septembre 2013. Une puissante organisation comme Fdessouche n’a pour ainsi dire jamais levé le petit doigt pour apporter son appui au moindre des projets que j’aie pu avancer. Si un jour il arrivait, après miracle, que la dissidence vainquît, la liste des occasions perdues, des années gâchées, des politiques du héron — autant et plus encore que de l’autruche — serait interminable.

Ce constat devrait décourager. Pourquoi vouloir sauver un peuple qui veut mourir, et sans cesse cherche des excuses à tout subir ? Pourquoi essayer de retenir, au bord du suicide, une civilisation qui n’aspire à rien d’autre que lui ?  Eh bien, parce que ce serait donner raison à ceux qui ont voulu, et créé, cet état de fait. Ce serait consacrer leur victoire, la leur offrir sur un plateau. Cette apathie mortelle où l’on voit gésir les Européens, cette veulerie hagarde où se complaisent les Français, cette hébétude ivre de sa propre impuissance, fascinée par la mort annoncée, fière du déshonneur promis, elles sont une création de tous les instants, un empoisonnement caractérisé des sources et des âmes. Il m’importe peu, après tout, d’encourir le reproche rituel et mécanique de conspirationnisme. Le terme n’a été inventé qu’à une seule fin : décourager toute réflexion sur l’entreprise de démoralisation et d’infantilisation en cours dans la société toute entière — entreprise que j’ai nommée, selon les contextes, Décivilisation, Grande Déculturation, industrie de l’hébétude ou remplacisme global ;  et pour laquelle le terme de conspiration serait, bien entendu, dérisoirement insuffisant — il ne s’agit pas de conspiration mais d’une effroyable machine à broyer les volontés, les intelligences, les fureurs et même les chagrins ; elle broiera jusqu’à ceux qui l’alimentent, et qui en tirent profit. 

dimanche 16 juillet 2017

Les porcs d'époque


« Si une danseuse-étoile peut dire très tranquillement, à la télévision, à propos de son statut, "On en chie pour en arriver là", on ne voit plus très bien à quoi sert la danse classique.  »

J'adore ce tweet de Renaud Camus. En ultra-concentré, c'est tout ce que m'inspire l'époque. 

Danseuse-étoile… Concertiste… Professeur… Président de la République… Tous, ils en chient. Tous, ils s'emmerdent. Tous, même, j'en jurerais, ils s'en battent les couilles. Ça les gave. Grave.

La grossièreté, c'est un art. Elle peut être raffinée ou vulgaire. Le vulgaire est tellement courant aujourd'hui qu'il n'est même plus sexy. C'est un peu comme le mensonge chez un menteur pathologique ; il cesse d'être drôle, baroque, surprenant, désarçonnant, troublant. C'est juste de la merde. De la merde grasse et puante. Ça empuantit l'atmosphère pour des prunes. Ça sert à rien, juste à puer.

À quoi sert la danse classique ? À la même chose que la musique classique. À façonner la grossièreté, à lui donner une forme, un cadre, parce que ceux qui ont le sens du classicisme ne gaspillent pas la grossièreté, ni ne la confondent avec la vulgarité. Écoutez la grossièreté de Mozart, ça va redonner un sens à votre pauvre vie.


samedi 8 juillet 2017

Éditeur (musique, culture, concept, français, etc.)



« L'éditeur photo le plus avancé au monde » (publicité)

L'"éditeur", au sens numérique du terme, c'est désormais le logiciel. Ce n'est plus QUELQU'UN, une personne qui aime les livres (et peut-être la littérature) et qui en publie (c'est-à-dire les met à disposition d'un public), c'est un processus technologique, c'est QUELQUE CHOSE.

Et qu'est-ce qu'un "logiciel" ? Neuf fois sur dix, à cette question, on répond : un outil, ou un instrument. Mais c'est faux. Un outil ou un instrument se plie à vos désirs, à vos caprices, à votre imagination, une fois surmontée, difficilement, la phase d'apprentissage, alors qu'un logiciel vous force à penser comme lui, après vous avoir donné l'illusion d'être là pour vous servir.

Quand on apprend le piano, par exemple (et c'est l'un des instruments les plus difficiles, dont l'apprentissage est le plus long), on apprend petit à petit à s'en dégager, à être libre. Un logiciel ne vous libère pas, il vous amène insidieusement là où il règne en maître.

Là réside le grand mensonge de l'informatique. On se dit : pour être libre, je dois apprendre à maitriser cet outil, car on réfléchit comme on a toujours eu l'habitude de le faire. Un instrument demande une forme de maitrise, sinon il est au mieux inutile, au pire dangereux. En conséquence de quoi, on apprend la langue des logiciels (car les logiciels sont des machines dont le moteur est une certaine forme de discours), la langue des réseaux, la langue des machines. Mais cette langue (qui n'en est pas une) est un leurre. Elle fait en sorte que vous soyez toujours à la traîne, à la dérive, et que vous ne puissiez jamais "la maitriser". En revanche, elle, elle vous apprend, elle vous connaît de mieux en mieux, et un beau jour, elle vous maitrisera pour de bon.

Dans cet horrible syntagme, « éditeur-photo », il faut entendre la disparition de la main humaine, de la main humaine singulière, unique, irremplaçable, de la main humaine capable de maitrise et d'art, mais aussi la disparition de la langue, et enfin la disparition de la photographie. Ça fait beaucoup à la fois.

La seule petite chance de l'homme face au "logiciel", c'est sa bêtise

vendredi 7 juillet 2017

Pour le mal



L'humanité arrive à son terme. À quoi le voit-on ? À ce qu'elle en appelle constamment au sens, à ce qu'elle abolit les dernières barrières, les dernières frontières, à ce qu'elle hait la distinction, les distinctions, les inégalités, les dénivelés, les distances, la distance, le temps, la durée, les siècles, les heures, les exceptions, les règles, les règlements, les conventions, la grammaire, la syntaxe, l'orthographe, la médiation, le retard, les cloisons, les murs, le secret, le silence. L'altérité vraie. Elle fait place nette pour la mort indifférenciée, pour la grande égalité ultime, elle mêmifie la réalité.

Il y a autre chose. Les gentilles sociétés produisent de la merde. Nous sommes une société gentille. Nous ne voulons pas faire de mal aux animaux, nous ne voulons pas faire de mal à la Terre, à la mer, au ciel, aux montagnes, à l'air, aux planètes, aux taureaux. Plus nous voulons être gentil avec tout le monde plus nous produisons du toc, du simili, du laid, du banal, du médiocre. Plus nous essayons de ne pas abîmer, de respecter, d'épargner, plus nous nous abîmons nous-mêmes dans un leurre morbide. Dépression, dilution, cadavres en lévitation dans la banlieue universelle…

L'ivoire, les parfums, l'or, les pierres précieuses, le charbon, la fourrure, l'argent, les couleurs, le cuir, le bois, les cheveux, le crin, les peaux, la corne, tout ce qui est noble est arraché à la nature et aux animaux, fait souffrir, est injuste, cruel, égoïste, est le produit d'un vol et d'une violence. Les animaux avaient appris à se méfier de l'homme, quand ils ne lui étaient pas asservis, quand ils étaient encore des animaux. La longue chaîne immémoriale des prédations est pourtant ce qui tenait le monde en équilibre. Les hommes mangeaient les animaux qui mangeaient d'autres animaux. Du cerveau de l'homme aux pierres du chemin, en passant par les heures d'ennui, il y avait une continuité que tout le monde pouvait sentir, sinon comprendre. 

Tout cela fonctionnait très bien dans un monde de trois milliards d'êtres humains. Nous étions en équilibre. Équilibre instable, qui pouvait traverser des crises, mais équilibre tout de même. La révolution industrielle, avec ses moteurs et sa production de masse, avec ses objets fabriqués à la chaîne, une population mondiale en explosion, et maintenant la technologie et l'informatique, ont définitivement rompu cet équilibre, ces équilibres hiérarchisés s'imbriquant les uns dans les autres. Il est devenu impossible à un cerveau humain de concevoir les calculs (et donc les nouveaux objets) que permet l'informatique, l'homme a perdu le contact charnel qu'il avait avec la matière. Ils habitent le même monde mais ne se parlent plus. Il y avait une forme d'harmonie dans le monde, tant que celui-ci ne se pensait pas comme une chose globale, une harmonie faite des tensions et des respirations qui reliaient en les pondérant les diverses entités qui le constituaient. On disait "le monde", mais n'existait alors que l'effort d'abstraction qu'on appelait ainsi. Maintenant que le monde est devenu une réalité concrète, que n'importe qui sur le globe peut appréhender, observer, et parcourir en tous sens, cette harmonie est vouée à disparaître, et dans un temps mille fois plus bref que celui qu'elle a mis à se bâtir. Les distances se sont trop raccourcies, les durées aussi, ce qui ne permet plus à la machine-monde de respirer librement. Elle suffoque. Elle bute constamment sur elle-même. Trop d'hommes, pas assez de distances.

Je suis intimement persuadé que le végétarisme est l'une des grandes catastrophes de notre époque. Les bouffeurs de légumes, qui se croient aux avant-postes de la modernité, sont en fait les fossoyeurs du monde ; ils sont ce qui se fait de pire, dans l'ordre de l'humain. L'homme et l'animal se partagent la Terre et la Nature, et leur lutte est garante de la survie de notre humanité. Quand celle-là se veut toute puissante et qu'elle prend pitié de ce qui n'est pas elle, c'est qu'elle est entrée dans un processus d'autodestruction. La lutte, le conflit, le partage des tâches, des territoires, la séparation des ordres et des espèces est la seule manière humaine de persister dans l'humanité. Les mondes en phase de croissance excluent, les mondes décadents incluent, et considèrent qu'ils sont responsables de tout, terrible péché d'orgueil qui est le symptôme de la maladie terminale qui les emportera. Il faut une dose d'inhumanité à l'humanité pour qu'elle se continue.

Les artistes sympa produisent de la merde, les sociétés sympa produisent de la mort. Elles ont cherché le bonheur et l'apaisement, elles ont trouvé l'excrément et la désolation. Rendez-nous l'ivoire, la fourrure, le bois, le cuir, le sang et les larmes, les mythes, la virilité, les dieux et le luxe de la guerre pour une femme. Rendez-nous la ville, la campagne, la nature, le vide, l'attente de l'être, le mépris, la force du fort et la faiblesse du faible. Rendez-nous la musique, surtout, la musique et son bel alter-ego, le chant enté du silence et de l'amour. Rendez-nous la méchanceté, la cruauté et l'altière indifférence de celui qui traverse notre vie comme la mort qui nous frôle à l'aube. Je ne veux pas mourir dans ce monde déjà mort. 

mercredi 5 juillet 2017

NON



2. 501. Jeune fille, bl., jolie, 28 ans, 20.000 fr. économies, catholique, épous. M. ay. situation.

NON

2.529. Jeune fille, 25 ans, acajou, mince, très jolie, jolies jambes, sans fortune, dactylo ville province, épouserait M. ayant situation stable. Cherche avant tout tendresse.

NON

2.530. Demoiselle, 40 ans, aristocratie, f. unique, légèrement intellectuelle, viv. château, 200.000 fr. dot. épous. M. cathol. très distingué, même sans fortune, préfèr. noblesse.

NON

2.550. J. fille, 21 ans, fille d'officier de marine, orphel., très gentille, châtain clair, yeux marrons, petite, mince, bien faite, habitant Finistère, sans espoir de fortune.

NON

2.554. Veuve, 49 ans, enjouée, très affectueuse, grande sensibilité, sentimentale, vie intérieure très riche, disting., excell. santé, femme idéale d'intérieur, supérieure en tous points, avoir 250.000 rentes, propriété, désirer. corresp. vue mariage avec Monsieur d'absolue bonne foi, situation financière analogue, pour assurer quiétude, sécurité, dans confiance réciproque & tendresse mutuelle. Sérieux. Adr. exacte.

NON

2.563. Jeune fille artiste, qualités personnelles, cœur & cran, indépendante, libre & seule, désire mariage avec garçon sympathique.

NON

2.565. Marquise, très grande, yeux bleu vert changeants, cheveux blond naturel, bien faite, jolie femme, très élég., ligne femme du monde, très disting., bijoux, épous. M. bel homme, genre américain. 

NON

2.574. Jeune fille honnête, saine, viv. campagne chez sa mère, désire mariage.

NON

2.576 bis. Employée châtain, vingt-neuf ans, douce, docile, soigneuse, 600 fr. par mois, légère tuberculose guérissable, épouserait Monsieur moins 45 ans voulant vraiment la rendre heureuse. Fortune indifférente. Quitterait province.

NON

Vapeurs


NKM aime le tromé et la diversité, la rue et les corps anonymes. C'est cool. Elle kiffe le populo, la foule, les quartiers, les frotti-frotta qui sentent la sueur et l'Afrique, les stations Strasbourg-St-Denis et Château-Rouge, enjamber les portillons et faire du womanspreading face à la racaille. No souci ! Sacrée Nath ! Elle a en dans le bénard, notre nana-ministre ! Ne croyez pas que vous l'intimidez avec votre cuir et votre mégot au coin de l'avaloir. Vous vous fourrez le pointu dans les mirettes. Elle sifflera l'absinthe que vous n'avez pas encore eu le cran d'allumer, tirera le mégot aussi vite qu'elle développe sa bagoule sur un plateau télé, et aura le boyau rigolard quand vous l'appellerez Madame. Elle est comme ça, Nath ! Elle peut très bien s'allonger sur un banc du tromé en écoutant du rap. No problem ! Partir en liche dans les bas-fonds, c'est son trip. Frôler la raclure, ça l'inonde de joie. À l'aise partout, c'est sa devise. 

 Mais si un blancos décati la traite de « Bobo de merde ! », elle s'effondre, Nath. Elle a ses vapeurs, elle toune de l'œil, elle bat de l'aile, elle se couche en travers, elle s'évapore dans les paradis artificiels, elle prend la couche d'ozone pour un clic-clac, elle rejoint le bitume vite fait, elle s'accouple à l'horizontal comme une noyée urbaine qui cherche son dauphin virtuel, elle aspire les particules fines comme si c'était de la poudre cosmique. Faut l’envelopper vite fait dans la couvrante dorée, faut la câliner au champagne, la dorloter au macaron Ladurée, lui défriser le ventricule et rameuter les deux chambres. C'est fragile, une Nathalie sans caméra.

samedi 1 juillet 2017

En avance, en retard, mais vite


« L'amant c'est celui qui prend le risque d'aimer sans être aimé. Il fait des avances, il est en avance. [L'amant est Dieu]. En effet, Dieu, qui n'est pas obligé d'aimer, aime tout le monde et nous laisse libres de ne pas l'aimer. »

Elle était en avance. Tellement qu'à peine ai-je eu le temps de la rejoindre dans l'amour qu'elle était déjà repartie. 

Elle est arrivée, au volant de sa petite voiture bleue. Vroum. Elle a enfoncé le portail de la maison. Vite, c'est moi, vite, Ma Vie, vite, c'est toi. Elle a fait des kilomètres, seule sur la route. Elle a appuyé sur le champignon, elle a roulé. Elle a fait des avances. Indice d'amour maximal. Elle était grosse d'amour, de don, de projets. Vroum. Parler ? Pour quoi faire ? Attendre, pourquoi ? Vroum vroum. Et on se mariera et on invitera Machin Truc. Vite ! Elle a crié très fort, tout de suite. Hurlé, même ! Don Juan en chemisier, ongles faits, impeccable, jolie, parfumée, coiffée, yeux bleus, tout de suite, allons, nous réglerons les détails plus tard. C'est toi. Pousse-toi, je dors à gauche. Un miroir dans la chambre. C'est chez moi. C'est nous. C'est toi et c'est moi. Oui, j'avais une vie, mais rien. C'est toi. Tu m'aimes ? Encore, redis-le encore. Ciel. Bleu ciel, la voiture, pas bleue. Vroum. C'est moi, je suis ton amante. La seule. Je suis belle, mais pour toi. Tu vois ? Champagne ! Buvons à nous. Je suis folle de toi. Tu m'aimes ? Vroum

Mon Amour, Mon Très Chéri, Ma Vie, C'est Moi, je suis à toi, je me donne complètement, entièrement, sans reste, prends tout, tout est à toi, vite, viens là, plus près, partout, oui, là et là et ici aussi. Tu as vu, j'ai tout risqué pour toi. Il a suffi d'un soir et d'un alcool de poire. Nous irons partout, partout là-bas et encore ici aussi, loin et près, le soir le matin la nuit au soleil comme tu veux partout allongés debout sur le ventre en planant au-dessus des toits en rêve en dur en croix même s'il pleut debout dans le vent dans la mer sous le sable au Brésil. Je suis raide dingue d'amour. Vite. Tout est là. Regarde, j'ouvre ma valise, mon ventre, mon cœur, mes tripes, ma bouche, viens. Entre. 

Mon Amour ventricule, intestins, pieds, vertèbres, Mon Amour cristal, huiles essentielles, vitamines, Mon Amour alcool, urine, larmes, Mon Amour cachets, pyjama, bain, Mon Amour Davila, Flaubert, Montaigne. Elle a essayé. Très vite. Puis, très vite aussi, s'est reconnue. Encore celle-là ? Toujours elle ? Sur mon chemin ? Ça ne passe pas ? Ça revient ? Elle a tempêté, crié, et puis, très vite aussi, s'est lassée, s'est reconnue encore, et s'est enfuie. Le miroir, insupportable miroir. On a beau le briser…

N'est pas Dieu qui veut. Dieu est pressé mais il a tout son  temps. Il est le temps. Il sait comment ça marche. L'amour… De quoi me parlez-vous ?