vendredi 22 juillet 2011

Comment je n'ai pas rencontré ta mère


J'aurais dû y penser depuis longtemps ! Moi qui avais la prétention de faire un anti-blog, comment n'ai-je pas réalisé immédiatement que la seule chose réellement déterminante, le vrai moteur pervers de la bloge, est ce système de "commentaires" qui rend idiot et malade même le plus intelligent, le plus placide (vous voulez des exemples ?) ! Le nez était au milieu de la figure et m'observait, goguenard…

Quelle paix, désormais ! Oui, il suffisait de dire : Non. Comme le dit Miles à Coltrane : Retire donc le saxo de ta bouche, si tu ne sais pas terminer tes chorus ! Tu verras comme c'est simple, Johnny. X, Y, Z, ne pourront plus venir me dire combien ils m'aiment, comme mes "billets" sont indispensables à leur survie, comme l'air est soudain devenu irrespirable si je ne "poste" pas ? Foutredieu, mais qu'ils crèvent ! Sans compter tous ceux qui vous pensent "de leur bord", qui voudraient bien pouvoir vous compter dans leur petite société, vous enrôler dans la petite entreprise familiale. Truc fait partie des Machins, le buffet et les crampons vous attendent dans la salle polyvalente du faubourg des Andouilles. Venez nombreux. J'avais déjà évité cette engeance des "liens", par lesquels les blogueurs se tiennent pas la barbichette, tu me lies, je te lie*, et tous de s'enculer piteusement en rond, bit à bit, en ce bal funèbre et grotesque, mais ça ne suffisait pas.

Pourtant, j'en avais bien eu l'intuition, en sous-titrant mon blog "Tais-toi, je t'en prie !", à l'origine. Comme souvent, l'évidence nous crève les yeux ! Comment taire la vérité ? En la commentant, en touillant la marmitée, en ajoutant encore et encore les moi-ceci, les moi-cela, les je pense que, les moi au contraire, les délibérations infinies des glandus pris dans la toile qui tissent sans fin leur petite portée sans clef, avec les chefs, les sous-chefs, les adjudants commentateurs, les officiers de réserve, et même quelques déserteurs. La fanfare est là aussi, qui revient à intervalle régulier prévenir le chaland qu'"il se passe quelque chose". Roulement de tambour, drapeaux, jet de salive, sortie en direction des lignes ennemies, exercice en montagne, camouflage, paire de claques, claquements de talons, diarrhée chronique, ballonnements, fièvres, coups de sifflet, coups de pied au cul, revue des troupes, réclame, sieste, marche dans le désert, catch à quatre, bizutage, baston, envahissement du dortoir des filles, lancé de capotes gonflées à l'hélium, Simone enfermée dans les toilettes sans papier, tout y passe, ou presque. La seule chose qui m'étonne, un peu, est que ça dure… Ça, pour durer, ça dure ! Vous revenez trois ans plus tard : rien n'a changé. "Nicolas" est toujours là, "Suzon" tout pareil, ils ont juste un peu vieilli, ils sont encore moins drôles, ils sont encore plus bêtes, mais ils sont là, sanglés dans leur uniforme rayé, et se jettent sur les mêmes os, qu'ils rongent de leurs dents jaunies, en mimant l'enthousiasme, conscients que sans ça ils sont perdus, qu'ils vont retourner dans le sac aux jouets abandonnés. Comme c'est triste !

Pauvre de moi, "Bernard" (Pivot) ne pourra plus venir me donner des leçons de lexicographie, d'orthographe et de logique narrative, "Fredi" ne pourra plus m'inonder de messages me déclarant à la fois son amour et sa haine, Machine ne pourra plus déposer ses smilos gracieux, Truc ne pourra plus venir me montrer à quel point il est intelligent, fin, pertinent et j'en passe, "Marcel" ne pourra plus me démontrer qu'il m'a démasqué, et mon Anonyme préférée ne pourra plus menacer de me dénoncer à la police. Les journées vont être vides, calmes, envahies d'absence, d'un silence formidable, longues comme des jours sans pain. Pauvre Georges. Comme il est à plaindre, n'est-ce pas ! Il parlait déjà tout seul, qu'est-ce que ça va être maintenant ! Il n'aura jamais rencontré votre textualité limpide, brillante, fluide, spirituelle, vos mots d'esprit, vos calembours, vos raisonnements implacables, ni vos cousines épilées , ni même Madame votre maman. Il n'a jamais réussi à comprendre ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant dans ces discussions numériques, il n'a jamais compris ce besoin de se regrouper, de faire société devant un écran, de touiter, de "défendre ses idées" (qui les attaque ?), et d'ailleurs il n'en a aucune. C'est affreux ! Un jour son prince viendra, oui, mais ce ne sera pas sur Internet.

Et Georges, heureux, va pouvoir recommencer à mettre des photographies de pubis, sans avoir à vous expliquer pourquoi il le fait. Le bonheur !

(*) Il y aurait une amusante et instructive étude à mener sur la différence radicale de conception de la culture et des rapports humains qui existe entre ces deux verbes anagrammatiques : lire et lier. Autant leurs rapports sont étroits et profonds dans le monde d'avant (c'est-à-dire précisément dans le monde qui fait une place à la lecture), autant il sont devenus problématiques et paradoxaux dans le monde d'après (celui où l'on s'informe, en lieu et place de lire, ce monde où l'on ne cesse de parler de "liens" et où tout se défait constamment, que ce soit socialement, humainement, artistiquement, culturellement).