mardi 26 février 2019

La molaire et le soutien-gorge



Je vois sur les réseaux sociaux un certain nombre de gens qui se moquent de ceux qui "croient" que la Terre est plate. Ils s'en moquent en leur disant : « Ah ah ah ! Vous croyez que la Terre est plate, bande d'ignares, alors qu'elle est ronde ! »

Pourtant, eux aussi croient que la Terre est ronde. Ils le croient même plus que ceux qui "croient" que la Terre est plate, à mon avis, car ces derniers le constatent tous les jours, alors que ceux qui croient que la Terre est ronde sont obligés de croire la science qui leur a appris que la Terre était ronde.

Il en va de la Terre comme de la matière. On sait (parce qu'on nous l'a appris) que la matière est constituée d'atomes vibrants qui ne sont même pas collés les uns aux autres ; on devrait donc logiquement en déduire (au minimum) que les objets n'ont pas de forme bien définie. Et pourtant, nous reconnaissons immédiatement une table, une molaire, un soutien-gorge.

Ceux qui reconnaissent immédiatement un soutien-gorge – et dont je m'honore de faire partie – sont donc faits de la même pâte que ceux qui constatent que la Terre est plate. Et ceux qui, suivant la Science, croient que la Terre est ronde ne devraient jamais réussir à mordre une femme allongée sur une table. On les plaint.

lundi 25 février 2019

Un Os



Une splendeur ! On n'a jamais rien vu de tel ! C'est inconcevable, que cette chose soit là, sur le couvre-lit vert, offerte, rayonnante, inoffensive ! Une manne ! Une apocalypse de chair, une révélation laiteuse, une gratification horizontale, rien que pour mes yeux, alors que je n'ai rien fait pour la mériter. Vous avez remarqué qu'en français "cadeau" est synonyme de "présent". C'est un présent. C'est même LE présent. Le temps s'arrête, pour moi seul, pour me permettre de contempler le chef-d'œuvre qu'il a étendu là, sous mes yeux. Je n'en reviens pas. J'étais le puceau timide et complexé, et je suis transfiguré, je suis l'élu. Ma chambre n'est plus ma chambre, c'est un palais, c'est une cathédrale, c'est un autel, et la petite lumière rouge est allumée, et je suis le Prêtre qui va sacrifier l'Agneau qui vient de naître, l'Agneau qui est venu de lui-même s'offrir au couteau du Sacrificateur bienveillant. Le silence se fait tout naturellement, en cette après-midi bénie d'octobre, ou novembre, dans la maison dont je suis le roi.

Impossible de me rappeler comment je m'y suis pris. J'étais très timide, pourtant. Et certainement pas le plus beau du lycée, quand je suis arrivé à Gabriel Fauré, en première. Toujours est-il que c'est moi qu'elle a choisi, la reine Christine, celle que tout le monde voulait, et pas seulement parmi les premières, mais jusqu'aux terminales. C'était la plus belle fille du lycée, tout le monde s'accordait sur ce constat. Elle était grande, elle avait du chien, elle avait des jambes sublimes, un visage qui faisait penser à BB, un petit nez en trompette adorable, de très beaux yeux, et une poitrine qu'on devinait très épanouie. Je l'ai d'abord connue blonde, la déesse. Et un jour, j'arrive au Semnoz, le bistrot qui se trouvait en face de Gabriel Fauré, où notre bande avait ses habitudes, et je la vois brune, dans son manteau à carreaux blanc et noir. Le choc ! « Pourquoi tu t'es teint les cheveux ? » Elle rigole, et Martine aussi. En fait, elle est brune, bien sûr, et n'était blonde que parce que tout le monde lui disait qu'elle était sublime, comme ça. J'aurais dû m'en douter, moi qui connaissais la couleur de sa touffe. Mais, plus naïf et crétin que moi, ça n'existait pas.

Elle avait déjà fait l'amour. Pas moi. Enfin, pas vraiment. Elle n'avait qu'un an de plus que moi, mais on sentait bien qu'elle était déjà très assurée, dans ce domaine. Pourtant, elle ne m'a pas pris de haut, pas du tout, même si elle a dû quand-même bien rigoler. Ce qui ne me fait pas rire du tout, moi, c'est tous les petits détails que j'ai oubliés, qui ont disparu définitivement de ma mémoire ! Ça me rend dingue. Ses pieds, par exemple… Je ne les vois plus. Je revois ses mains. Je revois son visage. Je revois bien ses cuisses, rougies par le froid, quand elle jouait au hand-ball, sur le terrain de sport du lycée, et que je l'observais depuis la rue de la gare. Je revois d'autres détails, mais, par exemple, il m'est impossible de savoir avec certitude si elle se rasait les aisselles. Sa copine Joëlle, en tout cas, cette voluptueuse et plantureuse Arabe qui sortait avec mon ami Yves, ne se les rasait pas, ça j'en suis sûr.

J'ai convaincu ma déesse de me suivre dans la maison familiale, vide jusqu'au soir, à dix-huit kilomètres d'Annecy. Nous avons pris le train. Brève station à la cuisine, où on boit du lait, puis on monte dans ma chambre. Neuf, cinq, six, c'est le nombre de marches de l'escalier en chêne, puis la chambre à gauche, après une commode, en arrivant au premier. Il y a trois autres chambres, une salle de bains et des toilettes, à cet étage. Ma mère a fait installer un deuxième téléphone dans sa chambre, depuis peu. Christine s'asseoit sur mon lit. Je la rejoins, on s'embrasse. Très peu de mots sont échangés.

Le lit est petit, c'est un lit à une place, un lit d'adolescent. Il y a deux fenêtres, dans la chambre, une qui donne au nord, et une qui donne à l'est. Le lit est près de la fenêtre qui donne à l'est.  Dans une petite armoire, dans l'autre coin de la chambre, il y a les tracts que j'écris et que je tape ensuite à la machine. Des tracts politiques.

On est au Pont-des-Iles, près du Chéran, j'ai froid aux pieds, c'est dimanche, l'eau de la rivière est boueuse, Christine m'apprend que ses parents veulent qu'elle rentre à Nice, définitivement. « Je pars avec toi. » Je n'ai pas réfléchi trois secondes, c'est une évidence, pour moi. Je ne peux pas la quitter. Heureusement, ils changeront d'avis, confrontés à l'obstination farouche de leur fille à rester à Annecy, c'est-à-dire avec moi. C'est le premier vrai coup dur de ma vie. La perdre, alors que je venais de la rencontrer, aurait été trop dur : il est évident que ne je n'y aurais pas survécu. Je ne fais pas le rapprochement avec la mort de mon père, survenue quelques mois plus tôt.

Le lit est petit, Christine est assise. Elle a ôté son manteau noir et blanc à carreaux, qu'elle a posé sur mon bureau, elle porte un pull mauve et un pantalon. On s'embrasse. J'ai passé ma main sous son pull et je malaxe ses seins que je devine prodigieux à travers le soutien-gorge. Elle me demande si je ne veux pas qu'elle enlève son pull. Je ne refuse pas. Elle apparaît en soutien-gorge blanc, j'en ai le souffle coupé. C'est pas facile, la vie d'un garçon, quand il arrive à cet instant crucial de sa vie. Il y tant de choses qu'on doit penser en même temps.

Être visité… Comme par Dieu, oui. Il arrive qu'Il se manifeste, dans un rêve, par exemple. Mais là ce n'est pas Dieu qui me rend visite, c'est une déesse. Elle m'a choisi. Elle s'est rendue dans ma petite chambre d'adolescent, en toute confiance. Elle est assise sur le lit, à côté de moi, en pantalon et soutien-gorge, ses cheveux tombent sur ses épaules, elle sourit. Elle est à ma merci mais elle n'a pas l'air effrayée du tout. À quoi faut-il penser, dans ces moments-là ? À tout. On ne peut pas se contenter de penser aux seins de la déesse. Il y a par exemple le soutien-gorge, qu'on essaie de dégrafer d'une seule main, on avait étudié le mécanisme auparavant, mais ça rate, alors on y met les deux mains, mais même comme ça, on n'y parvient pas, alors la déesse se dévoue, et avec un sourire… encore un. On entend les bruits alentour, la vieille pendule du hall qui sonne la demie de trois heures. À trois heures et demie, j'ai vu les seins de ma déesse. On est au sommet de la montagne, le regard porte loin dans la nuée, tout est terriblement ralenti, le temps semble suspendu à ces aréoles divines, qui provoquent en moi une commotion cérébrale, la modulation est osée, mais je dois détacher mon regard de cette pure merveille, sinon elle va prendre peur, celle dont la respiration fait trembler doucement ces monts sacrés recouverts des deux pièces d'or brun. Alors c'est la fuite en avant, je veux la voir nue, nue, entièrement nue, je veux tout à la fois, je me précipite sur le bouton de son pantalon, hop, et puis la fermeture éclair, ça y est, et puis elle se renverse en arrière, suffisamment pour que je puisse tirer sur les jambes du pantalon, elle s'appuie sur un coude, je n'ose pas regarder son visage. Le pantalon, ça y est, mais je ne m'attendais pas à ça, elle porte un collant. Qu'importe, c'est encore plus beau ! La culotte blanche, à travers le fin rideau du collant, qui lui donne encore plus de mystère, Pourtant je suis un peu décontenancé par cet obstacle supplémentaire ; je n'ai jamais vu le haut d'un collant. Je ne comprends pas tout de suite ce qu'il faut en faire. Christine me vient en aide charitablement. Pas de mots.

J'ai fait une compote de pommes. Mais comme c'était la première fois que j'en faisais une, j'ai mis du beurre, beaucoup de beurre. Ma mère, à qui je téléphone pour vérifier, me dit qu'il ne fallait pas. C'est pour accompagner le boudin. On s'est fait à manger, dans la petite chambre de bonne que Christine loue depuis quelque temps, rue du Lac, chez une vieille dame qui ne doit surtout pas m'apercevoir. J'ai quitté la maison, je suis avec elle, je ne la quitte plus. Ma tante dit à ma mère qu'elle est complètement folle de me lâcher la bride. Et de fait, je vais assez rarement en cours. Le quartier est très agréable, on est en plein centre, et tout près du Pâquier, au bord du lac, où l'on passe beaucoup de temps, avec les copains, même en plein hiver. On a un lecteur de cassettes Philips et une seule cassette : la Quarantième de Mozart par Karajan. Tout va bien.

Au sommet de ses longues jambes, sa culotte de coton blanc. Gonflée. Bombée. Comme si à l'intérieur un soufflé était en train de cuire, au four. Je vois surtout le haut des cuisses, la frontière, la coupure franche entre le tissu et la chair. Mes tempes bourdonnent. Elle soulève son bassin, la culotte vient très facilement, je la jette derrière moi. J'ai à peine eu le temps d'apercevoir ce qui ressemble à une cicatrice boursoufflée. Christine met sa main sur son sexe, puis veut se glisser sous le couvre-lit. Je lui dis Non ! reste comme ça. Le téléphone sonne. Elle est nue, entièrement nue, sur mon lit, et le téléphone sonne ! Elle me dit : Va répondre, allez, dépêche-toi. Je lui demande de rester comme ça, de ne pas bouger, tu me promets, hein, et je file dans la chambre de ma mère. Ma mère ! C'est ma mère qui veut savoir si tout va bien ! Ma mère me téléphone évidemment à ce moment-là ! Et à l'époque, il n'existait pas de web-cams, les mères n'avaient pas besoin de ça pour savoir qu'il se passait quelque chose de définitif, à la maison, pendant qu'elles travaillaient, quelque chose de définitivement définitif pour leur petit dernier, le seul puceau de la famille, qu'il aurait fallu protéger de ces petites salopes qui venaient montrer leur chatte en douce à la chair de leur chair, quand celle-ci était sans défense, hors de portée de la vestale. Oui, Maman, tout va bien, mais faut que je te laisse, là.

Tout va bien. Quand je reviens, elle s'est faufilée sous le couvre-lit… Elle avait froid, soi-disant… Et je n'ose pas lui demander d'en sortir, bien sûr. Alors, comme un idiot, je me désape à toute vitesse, enfin, je garde mon slip, et je la rejoins à l'abri de Celle-qui-n'est-pas-là-mais-qui-voit-tout. Elle écarte les cuisses, et je me retrouve tout naturellement à faire des va-et-vient qui me conduisent en quelques secondes à une piteuse éjaculation. La prochaine fois, il ne faudra pas que j'oublie de penser à un problème de maths ou aux tonalités à six bémols au moins. Je n'ose pas la regarder, j'ai enfoui mon visage entre ses seins et je ne bouge plus. Et là, je l'entends qui me chuchote à l'oreille : « Tu n'étais pas au bon endroit. » Pas au bon endroit ?! Il existe donc plusieurs endroits où l'on peut faire ça ? Ces femmes sont vraiment extraordinaires !

Je constate que la petite lumière rouge est toujours allumée, même après mon catastrophique coït dévoyé. À seize ans, on peut recommencer immédiatement, et l'avantage, c'est que la deuxième fois, on met quelques secondes de plus. Bref, je ne suis pas encore tout à fait au point, mais l'avenir s'annonce radieux. Et cette fois-ci, elle me permet de regarder brièvement la chose extraordinaire qu'elle a au bas du ventre, ou en haut des cuisses. (Ça s'appelle le pubis, de pubes, les poils.) Je passe doucement ma main dans ces poils et j'ai un avant-goût du paradis. (On l'appelle aussi le Mont de Vénus, sans doute parce que Vénus était une femme à la pilosité généreuse.) Je l'aime et je l'aimerai jusqu'à ce que la mort nous sépare. (Maintenant, quand je regarderai une femme en culotte, je comprendrai beaucoup mieux ce que je vois.) En attendant ce triste moment, je ne pense pas une seule fois qu'elle n'a sans doute pas éprouvé beaucoup de plaisir. Moi, je suis à la fois comblé et honteux, et bombardé de vingt mille questions que je garde pour moi ; on s'est assez ridiculisé pour aujourd'hui. On se rattrapera demain, en étudiant de plus près l'éminence triangulaire située à la partie inférieure du bas-ventre, qui se couvre de poils à l’époque de la puberté.

À seize ans, il n'y a pas la moindre trace de poison dans le présent. Le présent est indemne, il n'a pratiquement aucune ramification, ni dans le passé ni dans l'avenir. On prend tout, on le gobe sans l'éplucher, on avale tout, avec la peau et l'emballage. On a l'estomac solide. La petite lumière rouge ne s'est plus jamais éteinte, jusqu'à mes dix-sept ans et demi. Même quand Christine m'a salement trompé avec des gauchistes de passage dans l'appartement que ses parents lui avaient finalement loué à Annecy, près du lycée Bertholet, la loupiote me tenait la bite en état d'alerte permanent. Mon passage à niveau laissait passer tous les trains, à un rythme effréné. J'aurais pu lécher les trottoirs où ma déesse posait les pieds. Quand elle était malade, j'étudiais la médecine, quand elle draguait un marxiste, je lisais Marx, quand elle prenait du LSD, j'en prenais aussi. Un jour, j'ai fait dix kilomètres à pied tellement elle m'avait fait souffrir. Nous étions montés au Parmelan, au-dessus d'Annecy, et, dans le refuge, elle s'était laissé conter fleurette par un sale con plus âgé qui jouait de la guitare. La douleur a été intense, et j'ai préféré disparaître un moment. Mais en même temps, comment aurais-je pu ne pas comprendre que tout le monde tombe amoureux d'elle ? Une déesse n'appartient pas à un mortel. C'est d'ailleurs elle qui m'avait appris la signification de l'expression "conter fleurette", preuve qu'elle était beaucoup plus intelligente que moi qui ne parvenais pas à décoller mon nez de l'amour ridicule que j'éprouvais pour elle. Enfin, je dis ridicule, mais avec des seins pareils, rien n'est jamais ridicule, on le sait bien.

Ce que j'ai appris beaucoup plus tard, c'est que le pubis était aussi un os !

mercredi 13 février 2019

Occupé !


Dieu voulait entrer dans les
Toilettes pendant que j'y étais.
Je lui ai fait comprendre que c'était occupé
Mais il n'a pas tenu compte
De mon avertissement.

Il m'a dit : « Je suis partout chez moi »
Peut-être, que je lui réponds, mais
Faut pas te plaindre, après.
Alors, pour me faire pardonner,
J'ai mis le quintette de Brahms.

On s'est séparés bons amis.

mardi 12 février 2019

Restos du Cœur



Dans mon assiette il y a des frites et du sang. Je trempe les frites dans le sang, moutarde rouge qui me sort des trous de nez. C'est doux, amer, écœurant. Je vomis dans l'assiette.

Tout ça pour une parole que je n'ai pas osé prononcer ?

Il va falloir finir les frites et boire la bière chaude ; ah non, c'est de la pisse. On peut dire que je suis un petit veinard. Il y a tant de gens qui n'ont rien à manger. 

Poème pour elle



« Merde. Je suis malade. »

Le non-être, dans la pièce d'à côté,
comme un grand feu pâle et prétentieux.

Je n'ai pas grand-chose de plus
à dire que le silence.

lundi 11 février 2019

Précipice



Il y a quelques années, j'ai contracté une affection qui, sans être grave, est néanmoins invalidante. Au début, je n'y ai pas pris garde, je l'avoue. Je pensais me livrer de mon plein gré à un exercice de projection, ou de simulation, qui pouvait être amusant, consolant, ou instructif. Mais j'ai dû peu à peu me faire une raison : ma volonté n'était plus en cause. La chose se produisait désormais sans que je le décide ou le désire. 

Il m'est devenu impossible de voir une jolie jeune femme sans systématiquement l'imaginer avec trente ans de plus. À son beau visage se superpose immédiatement un autre visage, celui qu'elle aura dans quelques décennies ; son corps gracieux et souple s'efface sous celui qui sera le sien quand elle aura cinquante ou soixante ans. Ce qui n'était au commencement qu'un jeu est devenu une malédiction. J'aimerais me réjouir de la beauté qui m'est offerte, j'aimerais en jouir tranquillement, et sans arrières pensées, mais c'est devenu impossible. 

À peine mon regard se porte-t-il sur le visage de la belle que je vois ses joues se modifier horriblement, ses yeux s'enfoncer petit à petit dans leurs orbites, son cou, sa bouche, se tordre, son front et sa peau prendre un aspect qui la transforme absolument, et parfois, même, la rend méconnaissable. Il n'y a guère que le nez qui résiste un peu à la métamorphose, et ce n'est pas toujours pour le mieux. 

À peine mes yeux entrent-ils en contact avec cette jeune femme qu'une sorte de mécanisme infernal et invincible se met en branle. J'ai à peine le temps de l'apercevoir telle qu'elle est que déjà elle est telle qu'elle sera. Elle prend un coup de temps, comme on prend un coup de soleil. Elle est précipitée. Le temps ne l'attend pas. Il rend ce qu'on ne lui a pas encore donné. 

(La femme, comme la lune, possède deux faces. Et c'est parce qu'elle possède une face cachée, éternellement cachée (et que cette face cachée, toujours déjà là, ne varie pas) qu'elle peut se montrer à nous dans toute son innocente obscénité. Plus elle se montre, plus la femme cache ce qu'elle ne montre pas.)

Le temps des femmes n'est pas vraiment compatible avec celui des hommes ; on le vérifie chaque jour. L'horloge féminine est indexée sur la beauté, l'horloge masculine sur la puissance. La baignoire et l'automobile sont des véhicules qui se rencontrent rarement sans dommages. 

Je l'observe depuis un moment déjà. Je vois ses cuisses produire le mouvement qui la fait avancer sur le bitume. Le derrière suit, un peu à contrecœur. Le dos aussi. Et même les bras. Quarante années  ne se sont pas passées, mais le dos est figé, coagulé. On remarque surtout les fesses, molles, et la manière dont les pieds se posent sur le trottoir, à plat, comme s'ils avaient pour fonction de maintenir celui-là, de le fixer au sol. C'est la même femme. Alors tout a changé. Elle a oublié depuis longtemps celle qu'elle était quand elle avait vingt ans. Non, elle ne l'a pas oubliée ; c'est ce qui lui donne cette démarche grotesque. Elle n'a pas pu se défaire de ses souvenirs. Mais le corps a continué. Ils ont vécu leur vie chacun de leur côté, elle et son corps ; ils se sont séparés depuis un moment déjà. Parfois, sur un trottoir ou sur un malentendu, ils se retrouvent, et ces retrouvailles sont douloureuses. Ils se reconnaissent mais ils font semblant de s'ignorer, car leurs espérances sont trop différentes. Il serait difficile d'entamer une vraie conversation : ils le savent tous les deux. Alors ils se contentent de se dévisager du coin de l'œil, comme lorsqu'on n'est pas complètement certain de croiser dans la rue quelqu'un de la famille.

Quand par hasard il m'arrive d'imaginer jeune une femme qui a la cinquantaine, ou la soixantaine, je ne crois pas réparer une injustice. Au contraire, j'ai la sensation de commettre un péché, et de me ridiculiser. Alors je détourne le regard et je cherche des yeux une jeune fille pour la précipiter vers son destin. Son ignorance me console de sa morgue mais ma tristesse n'en est pas diminuée. 

dimanche 10 février 2019

J'ai



J'ai bien aimé les fesses des femmes. J'ai bien aimé leurs seins, aussi. J'ai aimé aussi leurs jambes, et spécialement leurs cuisses. J'ai bien aimé leurs ventres, aussi, parfois. J'ai bien aimé leurs chattes, souvent, et aussi leurs culs. J'ai parfois aimé leurs visages, j'ai quelquefois aimé leurs mains, et même leurs pieds. J'ai souvent aimé leurs cheveux, et leurs poils. Mais ce que j'ai préféré, je crois, c'est leurs odeurs. Pas toutes, non, pas toutes. Mais quand-même, l'odeur d'une femme qu'on aime, c'est le paradis. Si une femme c'est de la prose, son odeur c'est de la poésie. 

Et j'ai bien aimé ce mot : « Odeur », qui commence comme une ode, et qui finit dans les heures, qui s'ouvre, rond comme une bouche ou un trou du cul, et se continue dans le bonheur qui roule jusqu'à l'horreur des pleurs – ou des fleurs mortes.

J'ai bien aimé vivre. J'ai bien aimé la musique. J'ai bien aimé dormir. J'ai bien aimé rêver, ah oui, j'ai bien aimé. J'ai bien aimé étudier, et j'ai bien aimé jouer du piano. J'ai bien aimé les partitions et j'ai bien aimé les livres. J'ai bien aimé attendre. J'ai bien aimé comprendre. J'ai bien aimé voir et j'ai bien aimé écouter. J'ai bien aimé sentir et j'ai bien aimé me souvenir. J'ai bien aimé qu'on m'aime. J'ai bien aimé désirer, j'ai bien aimé certaines douleurs, et certaines couleurs. J'ai bien aimé certaines voix. J'ai bien aimé mon père, et j'ai bien aimé ma mère. J'ai bien aimé le froid, l'hiver, et la montagne, et la mer aussi, et la chaleur, et la nudité, et les corps anonymes, et le sable, et le vent. J'ai bien aimé me perdre, et me retrouver, mais j'ai surtout bien aimé rentrer, revenir à la maison, retrouver le foyer, la chambre, le lit, la nuit. J'ai bien aimé le temps infini. 

J'ai bien aimé être chez moi. J'ai bien aimé être moi. J'ai bien aimé être. 


Mais surtout, j'ai bien aimé aimer. 

Ça gargouille…

On met tout
dans la bouille

De ceux qui
ont des couilles


Et les con-
nards se brouillent

Comme les
œufs qu'on touille

Il en faut
pour qu'elles mouillent

Sans passer
pour des nouilles

Et déjà
elles bafouillent

Quand là on
s'agenouille

Entre les
lèvres rouille

De leur bel-
le cramouille

Qui revien-
nent bredouilles


samedi 9 février 2019

Au commencement était l'amour



Chaque jour, quand je me mets devant le clavier, revient cet incipit, cette clé chiffrée : « Au commencement était l'amour ». Tout ce que j'écris pourrait débuter ainsi. C'est l'immuable point de départ. C'est l'éternel retour de la même cause, et de la cause même. Chaque jour s'ouvre sous le regard de l'amour perdu, forclos, excommunié par le bruit et la température de la crainte, du tohu-bohu réchauffé souffrant.

La seule manière que je connaisse pour que l'amour revienne habiter l'être, c'est la musique. Y en a-t-il d'autres ? Ceux qui aiment la musique sont des êtres éperdus d'amour, toujours. 

« Car il faut que tu saches que, nous autres poètes, nous ne pouvons suivre le chemin de la beauté sans qu'Éros se joigne à nous et prenne la direction : encore que nous puissions être des héros à notre façon, et des gens de guerre disciplinés, nous sommes comme les femmes, car la passion est pour nous édification, et notre aspiration doit demeurer amour… »

Bien sûr, si je dis qu'une des plus belles et profondes manifestations de l'amour nous est donnée dans le premier mouvement des variations opus 27 de Webern, il n'y aura pas grand-monde pour me croire. Raison de plus pour le dire.

Mais le commencement de quoi ?



Je suis vide. Je me raccroche à ce que je peux, à trois mesures de piano, à deux phrases de Platon. Mon propre corps ne fonctionne plus vraiment. Et plus j'avance vers la fin plus le commencement revient, comme le fa-ré-fa-ré lancinant du second mouvement de l'opus 11 de Schœnberg qui refuse de céder… La-si-ré / ré-mi-sol#… Quel clavier ?

Et puis cette merveille de grâce et de douleur :



vendredi 8 février 2019

Phallus

Il pense se référer à Churchill mais cite Coluche.

Il croit citer Platon mais cite Thomas Mann.

Il veut en appeler à Bossuet mais cite Audiard.

Il convoque Jérôme Vallet et il cite Georges de La Fuly.

(etc.)

mercredi 6 février 2019

Charlotte



Charlotte est sophrologue. Mais Charlotte est sympa. Elle est même hyper-cool, Charlotte. Charlotte, c'est bien simple, elle te donne le smile.

Charlotte est épanouie. Et comme elle est sympa, forcément, elle veut que vous le soyez aussi. Alors, Charlotte, elle a créé un blog, Charlotte. Un blog sympa et cool où vous apprendrez tout ce qu'il vous faut pour être cool et sympa. Un blog qui vous donnera le smile. Tout le monde devrait avoir le smile. Toi, moi, lui, elle, vous, oui, le smile est un droit de l'humain. « La personnalité est à l’homme ce que le parfum est à la fleur » comme dirait Charlotte qui a lu ça dans les œuvres complètes de Charles-M Schwab. La personnalité de Charlotte est un parfum qui a le smile. Ça c'est de moi, mais c'est pas mal non plus. C'est synthétique. Charlotte est blonde, Charlotte est jolie, Charlotte est jeune, sportive, optimiste, curieuse, en introspection positive constante (suite à de nombreuses écorchures probablement, comme tout le monde) et HYPERACTIVE avant TOUT. Comme on le voit, un beau brin de femme qui a mis le turbo dans sa life !

Et bien sûr Charlotte veut s’épanouir dans son métier. Elle a envie de se lever le matin pour se consacrer à ce qu'elle aime le plus : aider les autres. Elle a toujours eu cette affinité pour le social, ce qui est très certainement lié aux difficultés qu'elle a connues dans son passé (les écorchures). Mais Charlotte, toute à sa générosité, voulait également vivre une expérience professionnelle en Afrique de l’Ouest. Charlotte, elle nous avoue qu'elle est tombée amoureuse de cette partie du monde lors de son tour du monde (un long périple qui a duré 16 mois). Quand Charlotte est rentrée à Paris, pleine d’émotions et surtout résolue à changer sa vie, elle a alors pris deux décisions. La première était de devenir Charlotte, et la deuxième de devenir encore plus Charlotte. Mais, me direz-vous, que signifie « devenir Charlotte » ? C'est tout simple : devenir Charlotte signifie réfléchir avec son cœur plutôt qu'avec sa tête. Charlotte a donc préféré choisir de vivre de façon plus risquée mais avec ENTIÈRETÉ. Mais, me direz-vous, que signifie « Vivre avec ENTIÈRETÉ » ? C'est tout simple : cela signifie ajouter des cordes de compétences à son arc humain, et vivre pleinement, de tout son être, selon les règles que celui-ci s'est fixées librement et en toute conscience.

Pourquoi Charlotte a-t-elle voulu devenir Charlotte ? Parce que couper avec les codes, les règles, le conformisme, les traditions de notre société et ce qu’elle tente de faire de nous était la seule voie qui s'offrait à ce cœur simple. Ce qu'il faut, c'est se donner les moyens de réaliser ses rêves, et ça, Charlotte l'a bien compris. Ce qu'elle veut, Charlotte, c'est vivre des expériences uniques, faire des voyages, des rencontres atypiques, et expérimenter de nouveaux concepts sportifs. et c'est pour ça qu'elle réalise de nombreuses formations professionnelles et personnelles, des thérapies, des retraites.  Argent de côté, sac à dos, rencontres, découvertes, changement, introspection, évolution : l’envie de nouveautés en fer de lance, Charlotte se lance à la conquête du monde du Bien. Ton Bien, son Bien, notre Bien, votre Bien, le Bien de toutes et tous, le Smile parfait, le Smile ouvert, le Smile généreux, c'est ça qui motive Charlotte, et s’il y a bien un trait de caractère qui la définit, Charlotte, c’est celui-ci : une envie forte et prenante de vouloir être PARTOUT à la fois. Ses amis disent souvent d'elle qu'elle vit plusieurs journées, en une même journée.

Mais j'allais oublier le plus important, et le plus surprenant ! Charlotte adore l'écrivain Frédéric Lenoir (qu'elle écrit Frédéric LENOIR), qui lui aussi est partout à la fois, enfin, surtout à la télé. En une même journée, ces deux-là, chacun dans le partage et l'expression, en vivent mille. « Bien être et good vibes », telle pourrait être leur devise commune, car ils ont à cœur d'offrir leur façon de vivre, leur passion et leur vécu. Quitter sa zone de confort (et croyez-la, ce n'est pas évident), apprendre à se connaître (Charlotte est une disciple de Socrate), voilà les moyens qu'ils vous proposent, si vous acceptez qu'ils vous donnent leur smile, ou, plutôt, qu'ils vous donnent les moyens de trouver le vôtre – parce que, nourrir un pauvre, c'est bien, mais apprendre à un pauvre à pêcher dans la Seine, c'est mieux. Et ça, c'est LA MÉTHODE SMILE. 

Alors, si toi aussi tu veux partir à la recherche de YOUR SMILE, en introspection positive constante, je te fais passer un message fort : abonne-toi au blog de Charlotte et prends rendez-vous immédiatement avec Charlotte. Toi aussi, tu peux avoir le smile. Toi aussi tu peux prendre ta vie en main. Toi aussi tu peux être heureux. 

SMILE & BISOU

lundi 4 février 2019

Ça crève les yeux !





De quelque côté qu'ils se tournent, les Français de France sont pris à partie par des forces hostiles. Celle de la Clique (gouvernement + caste médiatico-artistique + intellectuels de cour + justice & police) du côté pile, du côté remplaciste, et celle de la racaille du côté face, côté remplaçants. Comment ne pas se sentir trahi, abandonné, quand plus personne ne semble avoir la moindre sympathie pour ce que l'on est, quand tout paraît adverse, défavorable au peuple historique auquel on appartient ? Comment ne pas désespérer quand on se sent exilé dans son propre pays ?

Les Gilets jaunes ont voulu se rendre visibles, ils ont voulu revenir sur la scène politique et historique de la nation française, de laquelle ils avaient été chassés depuis quarante ans. Ce retour intempestif est une faute de goût impardonnable, pour la Clique. Leur cas était réglé, à ces Français de l'ancienne France, on était passé à autre chose. Ils ont la prétention de refuser la transition – non pas écologique, mais – ontologique. Leurs yeux sont ataviquement fixés sur un passé qu'on prétend nier, ou caviarder, un passé encombrant en ce qu'il contredit le nouveau récit, et c'est pourquoi il faut les leur crever. Éborgner les Gilets jaunes est un geste hautement symbolique. Le pouvoir ne supporte pas qu'ils aient ouvert les yeux sur la réalité de la France contemporaine. L'administration avait pris l'habitude de gérer des aveugles enchaînés à leur aphasie ; elle est très en colère de constater que certains ont encore deux yeux en état de marche et un larynx d'où proviennent quelques demandes gênantes. Entre grenades lacrymogènes et flash-ball, ce sont la parole et le regard des Français qu'on cherche à empêcher, c'est le visage des Français qu'on veut défigurer. 

Je les admire beaucoup d'être dans la rue chaque samedi, de camper sur leurs ronds-points et leurs positions, de se tenir là, envers et contre tout, malgré la répression odieuse dont ils sont victimes. Je ne suis pas de ceux qui leur reprochent de ne pas se battre pour les bonnes raisons, car je sais que ce qu'ils endurent est insupportable. 

Voilà

Tout et dit.


dimanche 3 février 2019

Lire et écrire (2)

C'est connu.

Écrivez un texte sur un sujet donné, un texte qui vous demandera quelques heures de travail, en précisant bien les limites et les contours de ce sujet, et les raisons pour lesquelles vous avez pensé qu'il pouvait être légitime de l'écrire : vous pouvez être absolument certain qu'un lecteur avisé viendra vous mordre les mollets pour une chiure de mouche complètement hors-sujet, afin de vous prouver qu'on ne la lui fait pas – et qu'il vous a à l'œil.

Il faudrait faire une typologie des lectures. Pourquoi lit-on et comment lit-on ? Trop vaste question, pour moi…

vendredi 1 février 2019

De retour de colo

Nous étions à quelques jours de Noël et j'étais de retour de la clinique, où je venais de subir une coloscopie. La femme, au volant de l'ambulance (ou du taxi, je ne me souviens plus), me demanda si j'étais libre pour le réveillon.

« Libre pour quoi faire ? »

À sa réponse, je compris que j'étais encore un peu dans le cirage…

Tout de même ! Me proposer ça au sortir d'une coloscopie… Certains sont vraiment prêts à tout pour jouer au Scrabble !