vendredi 29 avril 2016

« Il y avait toujours des jolies filles assises près des touches graves du piano. »



Chaque journée à ne pas sortir de chez moi est une victoire sur le monde. Je m'amuse tellement à lire les autres. C'en devient presque obscène. Être sur Facebook, par exemple, c'est aussi amusant que de lire Molière. J'ai découvert une mine intarissable de précieuses ridicules ; je ne m'en lasse pas. Je suis heureux comme un enfant à qui l'on a offert un jeu à Noël. Internet, paradis des voyeurs. 

Je mélange les lectures webmatiques avec la lecture traditionnelle. J'écoute Jankélévitch sous-titré, c'est merveilleux de drôlerie. En même temps, j'écoute les premières sonates de Mozart. L'herbe a beaucoup poussé, les fleurs sont toutes sorties, le jardin est en pleine exubérance, il me ravit, j'habite au milieu de la jungle. Cette nuit, j'ai découvert le Big Bounce. Enfin autre chose que ce foutu Big Bang ! Boulez, Musset, Verlaine, journal de Richard Millet, Chalamov, Scherchen. Ce pauvre Millet ferait mieux de ne pas publier ce journal, qui éclaire sa personnalité d'une lumière impitoyable. Il a le béret incliné sur l'oreille, c'est le Lazare Ponticelli de la littérature. Vous me direz…

Ponticelli, ça me fait penser évidemment à ponticello, jouer "sul ponticello", pour les cordes. « On peut amplifier le crescendo en venant jouer de plus en plus près du chevalet (…) » note Hermann Scherchen dans son texte sur la direction d'orchestre. J'apprends énormément dans ce livre.  

J'ai rêvé de Sarah, cette nuit. Sarah sul ponticello, Sarah sur le petit cheval cabré. Sarah me jouant la sarabande de la cinquième suite, nue dans la chambre du sixième étage. Sarah à la cigarette, Sarah au ventre plat, Sarah dont j'ai relu de vieilles lettres hier, des lettres si enfantines. The Big Bounce… La Joie du mandarin de cuivre… Le printemps à Paris, l'Odéon, le Procope. Oser…

Oser, ce n'est finalement pas si simple. Du moins le constate-t-on chaque jour en voyant le peu de facilité qu'ont les gens autour de nous à se livrer tels qu'en eux-mêmes, à jouer, à ne pas se prendre au piège de leur image. Être léger pour être profond. Le texte biblique est-il : « Dieu est créateur de toute chose dans l'univers. » ou bien : « Dieu est créateur de toute chose. » [dont l'univers]. Ça change tout. Dieu est-il dans l'univers, ou est-il extrinsèque à l'univers ? Si l'univers est incréé, il est en quelque sorte le grand rival de Dieu. 

« Fernand me fait découvrir le Clavier bien tempéré par Richter, que j'écoute en regardant une petite pluie d'orage. » Hier j'ai découvert, grâce à Hugues Dufourt, sur Facebook, une pièce de Bach pour clavier que je ne connaissais pas. Un aria avec variations, le BWV 898. Œuvre très séduisante, un peu dans le style des toccatas, dont l'aria final est étrangement nommé variation. Il y a quelque chose de cabré, dans les toccatas de Bach pour clavier, qui me plaît infiniment. Une fleur qui se dresse, au printemps, dans toute la gloire inconsciente de sa jeunesse… Chants d'oiseaux, piano, café. « Il y avait toujours des jolies filles assises près des touches graves du piano. » Les jolies filles ne le resteront pas longtemps. On met beaucoup de temps à comprendre ça. C'est inadmissible. Les plus jolies sont celles qui ont le plus à perdre ; ça les rend folles. Littéralement. 

Où sont passés mes carnets ? Où sont passées mes jeunes années ? Aujourd'hui, j'ai envie de vivre en mi majeur

mardi 26 avril 2016

L'Instant Cavanna (deuxième épisode)



Mais voyons concrètement à quoi ressemble un instant zéro, chez Fabien Oguh. Avant que de songer à inscrire à l'encre des phrases sur ses grands cahiers vierges, il remplissait chaque soir des cassettes audio de sa voix chemtrailisée. Écoutons un peu sur quelle matière féconde le marteau de son esprit frappait sans relâche depuis ses onze ans. En fond sonore, l'opus 109 de Ludwig van Beethoven. 

« Pourquoi c'est à la mode pas rancunier ce n'est pas une raison pour me suis intéressée elle-même c'est au contraire une vente de ne pas s'y intéresser. L'as rome personnellement je ne m'intéresse pas rien et c'est à la mode dans l'importante attribuée alors voilà qu'aujourd'hui par nos contemporains je ne vois rien d'autre que couple le plus quand la passion égaler la nuit dernière. Seulement le 28e ce nouveau mal du nouveau siècle est celui qui a dû passer dans la rue le 9e siècle à quoi répond à supportable pour doctoral et parole cette étape de plus en plus métaphysique plus l'Allemagne s'est abattue depuis la guerre sur le théâtre, le roman et même la plus répandue sexuels le rapport une touche glamour sans doute plus frileux et les permis dans le monde de kilogrammes passionnés. Je le reconnais beaucoup plus être le plus atteint que le Mozambique. Louis plus de diminuer ratisser sujet mais c'est peut-être pour le réduire il avait vraiment qui est ancienne car c'est bien le cas de le dire, ceux qui lisaient de pérorer dix cartes le plus sur l'angoissé aujourd'hui vous ne sont nullement les plus angoissés. Les surprises ne sont pas du tout ceux qui l'ont le plus tragiquement qui est prouvée pendant les quatre années d'épreuves nous avons vécu et au cours desquelles sans une comédie avoir véritablement l'expérience de leur voiture. Et vice-versa ceux qui ont le mieux connu pour apporter les années terribles au cours de ce long cauchemar et qui peut être fort et le plus de raison d'en parler. C'est le plus souvent le pire où le sortant d'une amende par le plan local ce chapitre et il était même à cette discrétion qu'on les reconnaît, car le propre de la véritable renvoi qu'Apple garde à vue et d'être maître la masse qui pérore la boîte quille qui gazouille. L'équipe habillée comme celle de nos contemporains il est évidemment une joueuse, une plaisanterie, l'idée d'un prix littéraire. Mme Khadija de l'angoissé de leurs boîtes littéraires d'aujourd'hui, au cas où il aurait entendu parler de nos angoisses, certains ont même parlé de moments. Elle pourrait peut-être nous consulter ou plutôt on va consulter les rescapés de l'ampleur et de la persécution. Il aurait peut-être enfin, c'est quelque chose, à leur apprendre. Ceci dit, la philosophie n'est pas là nécessairement pour poser des problèmes multimédia de cours relevés de taliance immédiate et pour la nation. C'est peut-être une de ses vocations c'était précisément dès qu'une vieille idée du sentiment gratuit muse désintéressé un peu arbitraire comme celui-là. »

(…)

lundi 25 avril 2016

Qui est là ?



Elle est allongée sur le lit

Qui ? Qui est-ce ? Qui est allongé sur le lit ? Elle ? 

Non, ce n'est pas elle. Je ne la reconnais pas, même si c'est bien son corps qui est là, allongé sur ce lit, allongé sur son lit. Il aura suffi que l'âme la quitte pour que le corps que j'ai devant moi soit le corps d'une étrangère. Je suis seul avec elle, avec elle qui n'est plus elle. Je n'ose pas parler. La vraie  m'entendrait parler à la fausse. Mes paroles seraient des mensonges. 

Qui est ?

Cette statue de pierre est-elle au moins une représentation, une figure de celle que j'ai connue ?

Les corps disparaissent, mais avant de disparaître, ils sont le signe de l'âme qui n'est plus là. La parole manque, toujours. Il faudrait être capable d'en rire mais je n'ai aucun sens de l'humour. « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? » Avant l'âme, c'est la parole qui fait défaut, à supposer que les deux choses se distinguent. Si les apôtres avaient su veiller avec Jésus…

Mais non. Le feu vivant ce n'est pas donné à tout le monde. Le plus important était de ne pas être encore mort. « Et c'était merveilleux de ne pas avoir à se dépêcher, de pouvoir réfléchir lentement. »

On donne rendez-vous et personne ne vient. Tout le monde dit qu'il comprend l'importance du rendez-vous, qu'on peut compter sur lui. Tout le monde n'y sera pas, il n'y aura personne. Et si jamais vous faites mine de lui rappeler sa parole, il se fâche.

Tous ont déjà la face hippocratique. Ils sont morts avant la mort. Ils parlent mais de leur bouche ne sortent que des mensonges, c'est à cela qu'on reconnaît la mort avant la mort. Leur absence crève l'écran.

Ce n'est pas une étrangère, c'est autre chose. Mais tous ceux qui se trouvent devant nous n'y sont pas non plus. Ni là ni ailleurs. Les corps durcis de l'absence au présent. « Bon Dieu c'qu'ils sont lourds ! » comme disait l'autre. Si au moins cette non présence était légère, mais non, c'est tout le contraire. L'heure est au moins très sévère. Toutes les heures sont épaissies, indigestes, épouvantables, alors que le feu les creuserait d'une présence réelle si légère.

Ça sent l'été. Un silence de sieste. Le vide. Qui n'est pas là ? J'ai devant les yeux des toilettes de train, vous savez, les grandes toilettes bruyantes des vieux trains, où l'on voyait la voie défiler à travers le trou, l'après-midi. On a tous eu des aventures là-dedans. Le contrôleur frappe à la porte. « Qui est là ? » Personne. La vie a fui dans le trou des chiottes. La vie.

Je me souviens de la vie. Elle était allongée sur le lit, elle était belle. C'était l'été. 

vendredi 22 avril 2016

L'Instant Cavanna (premier épisode)



Fabien Oguh possédait quelque deux cents cahiers grand format à grands carreaux, vierges, de quatre-vingt-seize pages chacun. Il en achetait cinq par mois, et choisissait toujours le même modèle (format 21 x 29,7 cm, sur papier velin de 90g). Il les empilait soigneusement et voyait avec satisfaction les piles grandir petit à petit. Il n'éprouvait aucune hâte mais il savait qu'un jour ces cahiers lui serviraient à écrire son histoire. C'est très sereinement qu'il se constituait ces réserves car il savait qu'il n'était pas temps pour lui d'écrire une histoire qu'il n'avait que très partiellement vécue.

Le nombre complémentaire suffirait à préciser le hasard (sic). Fabien Oguh était un spécialiste du Temps, le Temps avec majuscule, bien entendu. La clarté de ses exposés était célèbre, jusque dans le milieu de la musique contemporaine. Il avait beau s'interroger sur la vérité de la science, la science n'avait eu d'autre vérité à lui opposer que celle qui consiste à poser comme indécidable le fait qu'elle existe.

« Ah, la Science ! », lui arrivait-il de dire…

L'Univers a-t-il, oui ou non, connu un Instant Zéro ? Fabien Oguh se posait régulièrement cette question dans la solitude de son deux pièces cuisine à Gennevilliers. S'il se posait régulièrement cette question, c'était sans aucun espoir d'y apporter une réponse satisfaisante. Il se posait la question comme on fait des pompes, comme on se brosse les dents, comme on se fait la raie au milieu ou comme on astique son bandonéon.

« Science incontinente n'est qu'urine de larmes », lui disait toujours sa maman, quand elle voulait le culpabiliser parce qu'il passait en boucle Vissi d'arte chanté par Prince, cette ruine filiforme et fragile comme un ré dièse de passage. « Instant zéro mon cul ! » répondait-il avec un à-propos déconcertant.

(…)

mercredi 20 avril 2016

Una corda



Dans mon rêve je fais semblant de dormir. Rubinstein joue le premier concerto de Brahms. Ma respiration est difficile à contrôler. Lenteur, mais pas trop. La lenteur est le souvenir. Brahms, son opus 118, l'intermezzo en la majeur, que j'aime tellement jouer, mais, encore plus, la sixième pièce du recueil, en mi bémol mineur, avec son thème qui s'enroule sur lui-même. Est-ce le matin ? Le matin dans le jardin, à Fuveau, au soleil, avec la femme que je regarde trop. La femme pas encore lavée, pas coiffée, les traits tirés, si belle en son négligé froissé, qui est là, qui met du miel sur sa tartine, pas complètement naturelle. J'emplis d'air mes poumons, jusqu'au moment où ils se mettent à frémir ; c'est comme un spasme douloureux ; un souvenir, dans la lenteur du matin… Je ne vois pas bien le clavier, la lumière n'est pas idéale ; les touches noires ont l'air d'avoir disparu ; tout est blanc ; j'entends une longue série de trilles ; je vide mes poumons, mes paupières se serrent un peu trop. Aveugle. Je suis dans la chambre de la place des Vosges, les volets sont fermés, un peu de lumière entre par la salle de bain. J'entends du piano. Brahms, encore. La dernière des quatre ballades opus 10 que j'avais jouée sur son dos nu, una corda

Est-ce que vous savez regarder une femme, vous ? Moi je ne sais pas. Je la regarde trop. Comme le héros du Diable au corps, je l'empêche de me regarder. Je lui fais peur. Je ne sais pas utiliser la pédale una corda. Je pense à George Szell disant à Gould, qu'il dirigeait dans un concerto, qu'il avait « une sonorité efféminée » parce qu'il jouait tout le concerto avec la pédale de gauche enfoncée. Le pianiste l'avait très mal pris, avec juste raison, à mon avis. Il n'y a pas plus viril que le piano de Gould. 

Toujours dans le jardin, j'entends Orientale, de Granados. Elle est allée se mettre au piano. Comme je me trouve à cent mètres de la source sonore, la musique est mélangée des sons du jardin, de la nature. Le jet d'eau. La chienne me regarde, puis se recouche, en paix. Tous les deux nous écoutons la musique. Do-ré-mi-sol-mi-ré-do… Toute la lumière du monde est là, pour nous trois, dans le matin de juin.

Ne te retourne pas, quand tu sors des enfers. Ne te presse pas. Écoute…

jeudi 14 avril 2016

Seuil



Il y a dans la vie de tout homme un moment très particulier où celui-là cesse d'éprouver le passage du temps comme la douleur essentielle d'être ; c'est la nuit qui en général nous révèle ce seuil inimidant, quand la terreur de l'insomnie laisse la place au plaisir pur d'être là, allongé, vivant, au cœur du monde, au cœur d'un monde dont le bruit et la fureur ne nous parviennent plus qu'étouffés et diffus, inoffensifs.

Jusqu'à une date proche, il me semblait entendre le grincement atroce du monde sur son axe, la Terre ne tournant sur elle-même que dans le but d'approcher mon être de la mort : bruit effroyable, terrorisant. Il s'est tu d'un seul coup.

Je ne sais ce qui a brisé les liens que le temps avait noués avec l'abîme à travers mon corps et je ne les ai d'ailleurs perçus que rétrospectivement, au moment même où ils ont cessé de me tenir sous leur emprise.