dimanche 19 avril 2009

Quoi ?

Pardon ?

(…)

Non, pas tant que je serai vivant !

(…)

Oui, c'est-à-dire que pris séparément, on peut les confondre, mais l'ensemble n'est jamais loin de l'idée.

(…)

Annecy ? Oui, c'est une jolie ville où il ne fait pas bon s'ennuyer.

(…)

À l'hôtel ? Ah, oui, si nous ne sommes pas ensemble, je pense que oui.

(…)

Elle est folle, folle à lier vous voyez, folle comme folle qu'on n'en fait plus. Après avoir épousseté les livres, elle est partie se noyer, gentiment.

(…)

Oh, ça ne m'étonnerait pas, vous savez. Si ça se trouve, on va l'apprendre par les journaux.

(…)

Il y a six ans, oui, six ans déjà.

(…)

Comme un âne, vous voulez dire !

mercredi 8 avril 2009

Robinets mal fermés

Le mari de mon amie, architecte bien bâti, et très virilement, parle ainsi : « Qu'ai-je à faire, moi, de vos bruits de chasse d'eau, de robinets mal fermés, de tout ce quotidien que vous nous imposez ? Le quotidien, je l'ai déjà chez moi, ce n'est pas ce que je demande à l'art ! » Heureusement pour nous, il n'aime pas non plus Pelléas, qu'il juge outrageusement mièvre et insupportable dans sa prosodie maniérée.

Mon amie est la fille d'un des grands écrivains du XXe siècle, l'un des derniers surréalistes. Elle sourit gentiment, ne prend pas parti, sa vertu moderne (et sa délicatesse naturelle) l'empêchant de suivre son mari, mais je sais bien qu'elle n'aime pas non plus la musique qu'il fustige avec ses mots de tailleur de pierres.

Chez eux on fait un excellent dîner.


Le problème, comme on disait de mon temps (qui réservait le souci à des pensées plus hautes ou plus intimes), est que ceux qui bricolent ces musiques de robinets mal fermés n'aiment pas non plus Pelléas et Mélisande. Ils veulent bien affirmer que Debussy-Ravel (c'est l'un de ces syntagmes figés qui leur évitent de connaître) c'est très bien, à condition d'ajouter qu'ils « ont influencé Bill Evans », mais ils n'ont pas l'air de comprendre que Debussy c'est aussi Pelléas, que sans connaître Pelléas on ne comprend pas grand-chose à Debussy, de la même manière que sans comprendre que Webern est un ultra-romantique, on ne peut pas l'entendre vraiment.

C'est toujours un peu le même procédé de pensée qui est à l'œuvre. On "aime" un art (un artiste) à cause de l'idéologie qu'on lui prête, de manière le plus souvent totalement anachronique et téléologique. Mélange de paresse intellectuelle et morale qui fait le lit de nos modernes engourdis.

lundi 6 avril 2009

Raymond Barre Phillips


Raymond Barre Phillips Chandler s'est arrêté devant moi. Ça alors ! Mais pourquoi ?

Autour de nous, la rue bruyante, froide, grise, malodorante. J'ouvre les bras, comme ravi de retrouver un vieil ami. Il porte un manteau, d'un beau tissu, mais qui me semble un peu court, un petit chapeau sombre, et des lunettes aux verres cassés. Il a l'air à peine surpris de ces marques d'amitié. « Sais-tu, Chérie, que… » Il ne me laisse pas finir, il entonne les premières mesures de la sonate pour basson et piano que je viens tout juste d'achever : ré-do-si, faaa, sol-la, et j'enchaîne par la partie de piano, comme je peux. Nous allons comme ça jusqu'au développement, puis nous nous saluons et il continue son chemin, comme s'il ne s'était rien passé. C'est d'ailleurs la pure vérité. Que s'est-il passé, hormis une rencontre entre deux hommes, comme il s'en produit tant chaque jour sur terre ?



samedi 4 avril 2009

Page 56


« (…) Ils peuvent s'éblouir du moindre signe d'allure et l'élever en royauté. [Ils] comblent les vides, hissent les choses et les êtres à la hauteur de leur regard. Seule tragédie, ils ne réalisent pas qu'ils agissent.

Eux, lucides en d'autres temps, contemplent l'autre sans savoir qu'ils l'ont ajusté, rehaussé, transfiguré. Ils aiment alors de passion, sentant obscurément qu'il n'y a hors de toute sagesse que celui-ci peut être regardé.

Mais un jour, amer, l'élu s'évapore sans grâce et se montre tel qu'il est : touchant roseau, enlacé à ses racines, ployant déjà sous sa propre courbe, roseau parmi les roseaux, chétive pousse qui se laisse happer et pointe sa hauteur désorientée vers le ciel, l'espace d'un hasard, dans l'instantané des grands vents. »