jeudi 29 juin 2017

Le Ressenti


« Les Français ressemblent à des gens qui seraient déjà réfugiés au premier étage de leur maison, le rez-de-chaussée sous l’eau, et qui écouteraient la radio pour savoir si l’on peut, ou non, parler d’inondation. » (Journal de Renaud Camus du mercredi 28 juin 2017)

Lisant cela, à l'instant, je pense que c'est exactement le cas (sans même parler du Grand Remplacement). Les gens ont besoin qu'on leur dise, par exemple, quelle est "la température ressentie". Il ne suffit pas que les météorologues leur donnent la température mesurée, non, il faut encore qu'on leur dise s'ils ont chaud ou pas. Pas s'il FAIT chaud, mais s'ils ONT chaud.

• Vous êtes fiévreux, vous avez froid et votre front est brûlant ? Oui, d'accord, mais que dit le thermomètre ?

• Vous êtes triste, la douleur vous broie le ventre, vous êtes chagriné au plus profond de vous par la mort d'un être cher ? Oui, d'accord, très bien, mais êtes-vous "dépressif", qu'en dit le psychiatre ? Combien de temps va durer le deuil ?

• Il fait un temps épouvantable, il pleut, il fait froid, il grêle, même. Parfait, mais n'iriez-vous pas regarder ce qu'en dit la Météo sur Internet ?

• Cette musique est épouvantable, elle vous est insupportable, vous la trouvez nulle, vous avez envie d'éteindre le poste. Certes, mais avez-vous pensé à demander l'avis d'un critique musical ?

• Vous trouvez la ville sale, bruyante, d'une laideur repoussante ? Elle vous donne envie de fuir ? C'est vite dit ! N'avez-vous pas lu dans le Journal de l'Agglo qu'il fait bon y vivre, et que nombre d'améliorations ont été apportées à votre commune ?

• En ville, justement, vous ne voyez que des être difformes, laids, mal fagotés, des femmes avec des derrières monstrueux, des hommes qui crachent par terre et qui parlent fort ? Erreur ! Ils sont habillés de manière gaie et colorée, c'est tout, et ils expriment leur joie de vivre par des gestes idoines. Quant aux derrières monstrueux des femmes que vous croisez, c'est votre misogynie qui est seule en cause.


Toute la question est donc de savoir quel est le ressenti des Français, concernant l'immigration de masse, l'invasion, le changement de peuple et de civilisation, la contre-colonisation, le Remplacisme, etc. Mais comme le ressenti des Français leur est fourni gracieusement par les experts, les sociologues, les démographes, les intellectuels, les savants de toute sorte, on est bien tranquille, il suffit de faire parler les voix autorisées (au sens propre), et les Français relaieront docilement l'information, d'autant que ça les arrange bien car ils n'ont aucune envie de se révolter sérieusement. Ils veulent bien se révolter pour rire, pour montrer qu'on ne la leur fait pas, ils veulent bien mettre dans l'urne un bulletin qui est censé exprimer toute leur révolte, mais ils le font en secret, avec de la fierté et de la honte mêlées inextricablement, et tout en sachant pertinemment que cela ne sert à rien. 

Ensuite, quand tout sera achevé, ils diront qu'ils l'avaient bien dit et qu'on ne les a pas écoutés, qu'on ne les écoute jamais. Ils auront même oublié sincèrement qu'ils parlaient à voix basse, y compris dans leur propre jardin, et que même entre amis ils hésitaient à mettre la conversation sur le sujet. 

On n'a jamais autant employé ce pauvre vocable de "ressenti" qu'en une époque où précisément le ressenti (la sensation, l'impression) nous est livré clef-en-main par le technicien des profondeurs (sociales). Je ne croise plus, personnellement, que des gens qui ne savent pas quoi penser de ce qu'ils voient, de ce qu'ils entendent, de ce qu'ils lisent. Et moins ils savent qu'en penser, plus ils affirment haut et fort leur "ressenti". L'hébétude est d'une telle profondeur qu'on ne la remarque plus, qu'il n'y a plus personne pour la remarquer. Je ne sais pas… Peut-être qu'il en fut toujours ainsi ; c'est possible, après tout, même si j'ai beaucoup de mal à le croire. Car la chose aujourd'hui se travaille dès l'enfance, et surtout à l'école, qui est en ce domaine d'une redoutable efficacité. Tout individu qui en sort dorénavant est parfaitement apte à ne pas voir, ne pas entendre, ne pas lire, ne pas comprendre, et surtout, à ne pas distinguer. Ne parlons pas d'histoire, de géographie, d'art et de sciences, puisque pas un de ces petits robots déculturés ne sait même lire. Alors penser

Si l'on vous dit que « le niveau monte », c'est que le niveau monte. Le niveau de l'eau ? Mais ferme ta gueule, Georges, puisqu'on te dit que la culture se répand partout, grâce notamment à la technologie, grâce à l'antiracisme, grâce à la démocratie ! Tu vois bien, non ? Tu le ressens bien, ce changement magnifique ? HEIN ? T'es d'accord ? Mais réponds, merde !

mercredi 28 juin 2017

La Place du mort


« Crainte pour tout ce que mon exister – malgré son innocence intentionnelle et consciente – peut accomplir de violence et de meurtre. Crainte qui remonte derrière ma ‘‘conscience de soi’’ et quels que soient vers la bonne conscience les retours de la pure persévérance dans l’être. La crainte d’occuper dans le Da de mon Dasein, la place de quelqu’un ; incapacité d’avoir un lieu – une profonde utopie. Crainte qui me vient du visage d’autrui. »


C'est Emmanuel Levinas qui écrit cela, dans Ethique comme philosophie première. Ce que j'observe, au contraire, c'est que les vivants sont très assurés de leur "da". Ils ne doutent jamais qu'un mort « soit mieux là où il est », et trouvent toujours les meilleures raisons à sa "disparition", ou, sinon à sa mort effective, du moins à sa place dans l'Au-delà, même (et surtout, à ce qu'il me semble !) quand ils ne sont pas croyants. Très étrange facilité qu'ont les vivants (les survivants, donc) à se trouver justifiés dans leur être-là. Eux qui n'arrêtent pas de dire que les disparus sont irremplaçables, ils les remplacent en réalité par un discours et une attitude qui en permanence gomment cette absence, une fois passée la sidération liée à l'annonce de la mort. Ils n'ont aucunement l'impression de prendre la place d'un mort car ils voient les morts comme des inexistants. Comment pourrait-on occuper la place de quelqu'un qui précisément n'a pas de place ? Or les morts ont une place bien à eux, qui n'est ni celle qu'ils avaient dans la vie ni celle qu'on leur attribue bêtement à leur décès. Leur absence ne les empêche nullement d'être, au contraire. Beaucoup de "mes morts" sont plus vivants que les vivants que je croise tous les jours. Comme Dieu, ils deviennent présents au carré, plus présents que nous, omniprésents, par leur absence même, car ils sont présents éternellement et en tout lieu. Pourtant ces morts sont bien morts, il n'est pas question de le nier, et ce n'est pas la vie éternelle dans laquelle nous les retrouverons qui peut effacer cette mort atroce. Ces deux sortes de vie ne se recoupent pas. 

Un mort n'est pas un inexistant, c'est un super-existant.

(…)