lundi 24 août 2020

Et l'amour ?


Je viens de comprendre (grâce à une aimable correspondante) que les illusions pouvaient avoir elles-mêmes des illusions. Et ça change tout !

En effet, si les illusions ont des illusions, les illusions que nous avons peuvent être des illusions au carré, des sortes de super-illusions. Mais la question que je me pose est la suivante : est-ce qu'une super-illusion n'est pas en définitive une non-illusion ? Et donc, si une illusion nôtre est elle-même une illusion (ou a l'illusion d'être une illusion), est-ce que cela ne signifie pas qu'en réalité nous n'avons aucune illusion ?

Si nous n'avons aucune illusion, à quoi attribuer ce besoin de penser que nous avons des illusions qui sont susceptibles de cesser d'en être ? Comment une chose qui n'est pas pourrait elle disparaître ?
Pensons à l'amour, par exemple, mais aussi à la mort…

La mort est seulement le contraire de la vie : quand la vie cesse, on parle de la mort, parce que c'est plus pratique, mais on parle d'une chose qui n'existe pas. Quand la vie cesse, rien ne commence, puisque ce qui commence, c'est le rien. C'est la raison pour laquelle la mort ne pourra jamais disparaître, alors que la vie, elle, pourra être anéantie.

Le silence, c'est la même chose. Pour faire disparaître le silence, vous pouvez faire du bruit (son inverse), vous pouvez le masquer, mais vous n'arrêterez pas le silence. Le silence continue, en même temps que le bruit : c'est seulement que vous ne pouvez plus l'entendre à cause du bruit. En revanche, le bruit, lui, vous pouvez l'arrêtez.

Et l'amour, me direz-vous ? Eh bien quoi, l'amour ? Vous pensiez que j'allais vous expliquer l'amour, et sa disparition impossible ? Vous êtes plein d'illusions, à ce que je vois ; ce qui est une excellente chose.

Repassez donc un autre jour, on verra ce qu'on peut faire.


— O —


C'est moi. C'est tout.

Elle ne dit rien.
Elle n'exprime rien.
Elle se tient devant l'Objectif, sans aucune intentiOn, ni tensiOn.
Elle ne pOse pas.
Elle ne se dépOse pas sur vOus qui la regardez. Elle reste en elle.
Elle est là, là Où l'Objectif l'a fixée.
Et cette présence n'implique rien, n'indique rien. Cette présence reste présence, ne sOrt pas d'elle-même, ne s'agrippe pas au regardeur.

Ophélie disparaît dans l'O de son prénOm.

Elle Ouvre la bOuche pour dire "je", mais le rOnd de sa bOuche Ouverte est un gOuffre sans fOnd qui absOrbe le temps et l'espace, et le mOi et le vOus.

Oh, pliée… Ô le temps stupéfié, pétrifié, défié ! Qui va là ?

Qui n'est pas là ?

PersOnne pour le dire.

Seulement une image. 

L'objectif est Objectif. Ophélie aussi. 

On a l'impressiOn d'une nature mOrte. Qui mOntre un visage comme une nature mOrte ?

Ophélie se laisse vOir, mais ne participe pas à l'acte de phOtOgraphie, à sa cérémOnie. Elle n'entretient aucune relatiOn avec celui qui regarde. Elle sait qu'il est là, derrière l'Objectif, c'est tOut. 

Elle est enclOse. Vous la vOyez, mais vOus restez à l'extérieur du cercle

dimanche 23 août 2020

Sans visage


C'est donc maintenant. Le pire n'a pas de visage et ils sont heureux du pire. La guerre, la famine, la peste, les catastrophes avaient un visage, notre époque n'en a plus. C'est arrivé doucement, sans annonce et sans cris. Les médecins ont un temps pris le pouvoir, et puis l'ont laissé à ceux qui en voulaient. Tous ont poussé un soupir de soulagement. Ils ne voulaient pas mourir.

Les visages n'avaient plus aucune utilité, on ne les regardait plus, les gens marchaient la tête baissée, les yeux rivés aux larges trottoirs, personne ne regardait personne, ni les hommes les femmes, ni les femmes les hommes, ni les jeunes les vieux, ni les vieux les jeunes, les yeux ne servaient plus qu'à voir les objets, les oreilles qu'à entendre les consignes, très simples, toujours les mêmes, on avait supprimé tous les obstacles, tous les monuments, statues, édifices qui n'avaient pas une utilité pratique. Il n'y avait plus qu'un seul prénom masculin, et un seul prénom féminin, tout ce qui aurait pu distinguer un individu d'un autre individu avait été soigneusement effacé, ou caché, il n'y avait plus ni étrangers ni différences, à part, très atténuées, celles de l'âge et du sexe, la disparition du visage ayant beaucoup facilité les choses, tout le monde avait la même couleur de peau, et il ne restait qu'une seule langue. Personne ne mourait plus, et l'on s'arrêtait de vieillir aux alentours de la cinquantaine. Bien entendu, il n'y avait plus de naissances, pour maintenir stable la population. Les interactions entre les individus étaient réduites au stricte nécessaire, la sexualité était interdite, la parole de divertissement aussi. Le plus étonnant était qu'il n'y avait aucune puissance gouvernementale et coercitive à l'origine de ces changements, les choses s'étaient faites toutes seules, c'est le peuple lui-même qui avait organisé la vie nouvelle de cette manière, et chacun semblait trouver qu'il n'en existait pas de meilleure.

(…)

samedi 22 août 2020

Voulez-vous désactiver votre compte ?


Je ne suis pas fait pour le bonheur. C'est une évidence. J'avais rencontré une étoile. Elle m'a filé entre les doigts. Je ne sais même pas pourquoi j'insiste, ni pourquoi j'ai cru avoir le droit de la contempler quelques courts instants. La vie et ses plaisirs ne veulent pas de moi. Ils me l'ont signifié tant de fois que je m'étonne d'être encore là, bouche et mains ouvertes, mendiant auquel on se heurte en sortant de la messe. J'aurai tout connu, du côté sombre de l'existence, et très peu de son côté lumineux. Ce qui étonne, quand on me connaît un peu, c'est ma naïveté. Je crois à ce qu'on me dit, comme si une femme avait déjà dit la vérité, une seule fois, depuis que le monde est monde. 

Comme à chaque fois que le destin me maltraite sans raison, je me répète que c’est mieux ainsi, que de cette façon j’évite tous les désagréments et les douleurs qui sont indéfectiblement liés à l’amour. J’arrive même à m’en convaincre, à certaines heures de la journée, car il faut bien rester à sa place, et l’aimer, celle que la Tristesse éternelle a imaginée pour moi dans sa grande mansuétude. 

Ce n’est pas grave, me dis-je. En effet, ce n’est pas grave. Qu’est-ce qui est grave, en somme ? Ce qui aurait été grave est que je ne sache pas jouer de piano, que ma mère et mon père ne m’aiment pas, que la chienne avec laquelle j’ai partagé dix années de ma vie ait été malheureuse avec moi, et que je n’aie jamais entendu l’Art de la Fugue


mercredi 19 août 2020

De la morale et des gros seins en rapport avec la musique

Ici et là, on me demande de justifier ce que j'ai écrit concernant les femmes chefs d'orchestre. Et puis quoi, encore ? C'est bien plutôt ceux qui acceptent cet état de fait sans broncher, à qui l'on devrait demander de se justifier !

Ça me fait penser à un coup de téléphone assez récent que j'ai eu, avec une vieille amie. Sa froideur, et même sa disparition, depuis quelque temps, m'étonnaient un peu, car nous avions été très proches. Mais j'ai bien vite compris. Après quelques amabilités ordinaires, elle m'a demandé des nouvelles de « [m]on ami Renaud Camus ». Et j'ai senti dans sa voix, car elle n'osait pas trop me chatouiller directement là-dessus, un profond reproche moral. Au lieu de l'engueuler vertement, j'ai essayé de me justifier et de justifier les positions de Renaud Camus ! Après avoir raccroché l'appareil, je m'en suis voulu énormément. C'est moi, qui aurais dû logiquement lui faire une leçon de morale, et certainement pas elle. Ce sont ceux qui font semblant de ne pas voir, ou de ne pas comprendre, qui sont coupables d'une faute morale grave. 

Au moins un point positif. Avec les femmes chefs d'orchestre, et à cause de leur poitrine, les ostéopathes gagneront mieux leur vie. En effet, une femme chef d'orchestre est obligée, si elle a de gros seins, d'étendre les bras plus loin de son corps qu'un homme. Non seulement elle sera plus fatiguée à la fin du concert, mais il est probable qu'elle souffrira vite des épaules et du dos. 

Nous nous justifions facilement des fautes que nous n'avons pas commises, mais jamais de celles que nous commettons. Il y a presque toujours maldonne sur la faute. Je me demande si cela n'a pas quelque chose à voir avec la disparition du Péché originel. 

Normalement, le visage du chef n'est visible que des musiciens, car c'est à eux qu'il s'adresse. La caméra qui, désormais, filme systématiquement le chef de face, devait fatalement amener celui-ci à devenir un histrion. Je me demande si les chefs d'orchestre ne vont pas finir, quand il n'y aura plus que des femmes, ou des trans, par diriger face au public, en tournant le dos à l'orchestre. 

Normalement, personne ne nous voit en train de faire l'amour, ou de déféquer. Comme cet état de fait est largement derrière nous, je me demande s'il y aura des histrions de la défécation, comme il existe déjà des stars du X. Il est possible que cela existe déjà et que je ne sois pas au courant. 

mardi 18 août 2020

U/Y


Parlez français !

Ne dites pas "cluster", mais dites clystère !

lundi 17 août 2020

La pataphysique à la portée des mouches à merde (notes)


Le corniste du Royal Concertgebouw Orchestra va aux répétitions en shorts ! En shorts !!!

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Facebook m'interdit de publier et de commenter (et même de "laïker", comme l'écrit Vincent Castagno) pendant une semaine, au motif que j'avais écrit : « Il faut interdire absolument aux femmes de diriger des orchestres. » C'est merveilleux. On n'a plus le droit d'émettre une opinion sur un sujet qu'on connaît un million de fois mieux que les gens qui nous empêchent de l'exprimer. Mahomet a vaincu Voltaire, comme on l'apprend aujourd'hui, et des ignares dopés au silicium, au fin fond de je ne sais où, me tapent sur les doigts parce que je pense que les femmes chefs d'orchestre annoncent inéluctablement la mort prochaine de la musique. Voilà qui donne une idée de la merveilleuse cocotte dans laquelle nous mijotons : une opinion que les censeurs ne sont pas à même, je ne dis même pas de comprendre, mais d'entendre, d'évaluer, de classer, est caviardée parce que, dans leur sale petite langue égalitaire et renfrognée, j'ai "discriminé une minorité", les femmes (les minorités sont toutes sacrées, mais parmi elles, une minorité est plus sacrée que les autres, les femmes ; c'est en quelque sorte la minorité-étalon). Une lumière s'est allumée sur le tableau de bord de la réponse immunitaire du Planétarium équitable et inclusif, et, aussitôt, les gommes numériques se sont mises en action. J'avais pourtant pris soin de mettre la phrase entre guillemets, lui donnant ainsi la valeur d'une opinion parmi d'autres. Mais ils ne connaissent pas les degrés du discours, ni ses subtilités. Seuls les mots comptent, et leur implication idéologique — et même ce mot d'idéologie est encore bien trop vaste. Si la pensée autrefois avait été aussi fruste, pour ne pas dire autre chose, des Mahler et des Strauss n'auraient jamais vu le jour, et Proust aurait écrit sa Recherche en deux cents pages.

D'un côté je m'en fiche complètement, et je trouve ça merveilleux et cocasse, et d'un autre côté, c'est évidemment tragique. Mais je ne suis décidément pas d'humeur tragique, en ce moment. Que le monde sombre dans un cul de basse-fosse me paraît ce soir assez juste et mérité.

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Les cinq sens sont des filtres entre la réalité et nous. Une société absolument totalitaire voudra évidemment les supprimer. Nous serons directement branchés en permanence sur le Réel, sans aucune possibilité d'interprétation ni de recul.

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La manière dont chacun se fraie un chemin dans la jungle de l'information décentralisée et horizontalisée est en train de devenir un des enjeux principaux de nos sociétés.

Finalement, l'intelligence (logique et aptitude à discriminer), bafouée et méprisée, au même titre que la langue, revient d'une manière inattendue et spectaculaire.

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L'idéal du XXIe siècle en train de se faire, c'est un homme tronc, métisse absolu, ni homme ni femme, sans bouche, sans yeux, sans oreilles, sans sexe. On le mettra dans des boîtes à chaussure et on lui fera écouter (directement par le cerveau) les consignes du jour, qu'il ne pourra de toute façon ni contester ni approuver.

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Un monde dans lequel on peut vendre des bananes pelées et des tomates tranchées (sous vide) est un monde qui permet absolument tout, y compris la farce planétaire du coronavirus.

Nous n'aurons bientôt plus besoin de nos mains. Déjà, les yeux et les oreilles avaient cessé de servir, et le sexe a suivi…

Il nous reste encore une bouche, mais déjà on la couvre.

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Les antiracistes sont des criminels. Ils ont attrapé dans leur filets industriels de très nombreux individus qui, non seulement n'étaient pas racistes, mais qui avaient le racisme en horreur, et leur ont inoculé une saloperie de vaccin qui a déclenché l'orage cytokinique qui va les conduire inévitablement à un racisme de troisième niveau.

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L'antiracisme, c'est un vaccin obligatoire qu'on vous fait alors que vous n'aviez aucune chance d'attraper cette maladie, et qui va au contraire vous la coller pour de bon.

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Le tact est pour moi la qualité suprême. Mais le tact n'est pas seulement le tact.

"Tact" est sans aucun doute un des plus beaux mots de la langue, un des plus fins, un des plus riches et un des plus délicats, dans sa brièveté percussive. Il se trouve au point d'intersection du toucher (tâter), du goût (à la fois au sens psychologique et physiologique : taster) et du rythme (takt). Le tact est un mélange subtil de toutes ces qualité, il est une sorte d'intelligence plus subtile et plus immédiate que l'intelligence.

Donc le tact c'est la mesure, la mesure exacte, précise, la justesse, et peut-être aussi la justice.

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— Salut ça va ?

— Pas trop. Avec le masque, je me sens grave défactualisée… 

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— Tu fais la gueule ?

— Comment tu le sais ?

— T'as oublié de mettre ton masque.

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L'éphèbe d'Erevan, comme l'appelle drôlement Bruno Deluce, s'est surpassé. Il n'était pas assez ridicule comme ça, parmi ses bonnes femmes et ses "lives", il a fallu qu'il vienne s'étaler en public comme un goéland mazouté qui viendrait interrompre une représentation d'Aïda à Orange, parce qu'il a cru entendre une note qui lui déplaisait. Ce type est fabuleux. Il me reproche, si sa péroraison en langue insigne est passible de traduction, de vouloir être "original", alors qu'on le voit déployer des efforts absolument gigantesques pour se faire remarquer, à l'aide de mots et de concepts qu'il vient de pécher, un quart d'heure plus tôt , dans son dictionnaire des syntagmes ronflants. Il m'explique par exemple qu'il est atteint (atteint, ça, on avait remarqué) du "syndrome d'incompréhension compensatoire". Ça ne s'invente pas. Comme le dit le même Bruno Deluce, qui est souvent très drôle, on dirait une chanson parodique des Inconnus. Puisque j'en étais à me débarrasser (enfin !) de ce crétin de Marc Alpoppo, le "Philosophe" (qui s'est cru obligé de nous montrer ses diplômes !), j'en ai profité, au passage, pour dire à Michou Pectorian ce que tout le monde pense de lui sans oser lui dire. J'ai toujours trouvé grotesques et insupportables les gens qui pètent plus haut que leur cul. Quand on ne sait pas écrire en français, on écrit des phrases simples ; il n'y a pas de honte à ça, bien au contraire, et c'est même la seule façon d'apprendre à écrire et à penser. Ce n'est pas parce qu'on a un clavier d'ordinateur sous la main qu'on est obligé d'appuyer sur toutes les touches. C'est les singes, qui se comportent ainsi, ou les nouveaux nés. Pectorian, c'est la pataphysique à la portée des mouches à merde. Deluce a décidément un sens de la formule tout à fait réjouissant. À propos du bateleur endimanché, il parle "d'incontinence sémantique". L'image est très juste. Les phrases lui sortent du gosier (ou du clavier) comme un flot incontrôlable, en effet, c'est comme si l'on était témoin d'un affreux carambolage des mots qui semblent vouloir tous arriver à destination en même temps. Ceux-ci sont attrapés au vol, à la radio, ou je ne sais où, ceux-là extirpés de force du dictionnaire, où ils pionçaient paisiblement, et tous sont jetés sur l'écran comme des coquillettes dans la soupe. Ah oui, j'allais oublier : il me compare à Jean Carmet. Ça doit sûrement signifier quelque chose… Mais lui, en revanche, il se compare à… Louis Malle ! Ce type est un génie, c'est indiscutable !

Comme tous les médiocres complexés qui se trainaillent sur Facebook (Alpoppo, Azolay, Duhler et Cie) il croit me blesser en me disant que je suis bien au-dessous de Renaud Camus (ils n'osent pas tout à fait le nommer, car ils savent probablement que celui-ci m'a déjà défendu à plusieurs reprises contre ces andouilles patibulaires et névrosées qui ne cessent de lui lécher les bottes, avant de le vouer aux gémonies, quand ils ne sentent pas assez remerciés de leur servilité graillonneuse et postillonnante) — comme si j'avais la prétention et l'inconscience de me comparer à un Renaud Camus ! Mais, évidemment, comme ils ne savent pas lire, ils mélangent tout et ne feraient pas la différence entre un aphorisme de Cioran, de Camus (l'écrivain), ou de Cristóbal Neverlost.

Les imbéciles ne prennent au sérieux que les sérieux pathologiques, c'est en général à cela qu'on les reconnaît : ceux qui ont pris soin de se coller un tampon "sérieux" sur le front leur en imposent.  D'ailleurs, la récente affaire de la bite (celle de Camus, pas la mienne) l'a amplement démontré.

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Il est toujours extraordinairement difficile de discuter (ou même de s'engueuler) avec un imbécile, on le sait. L'imbécile s'autorise à peu près tout, quand on essaie de rester au plus près de la vérité. L'imbécile vous renvoie la balle dans les genoux, quand vous l'attendiez dans les yeux, et, surtout, il va vous retourner éternellement les compliments que vous lui faites, puisqu'ils n'en a pas en propre à sa disposition. Il va en outre essayer de vous blesser en inventant, alors que la seule manière de faire mal, il n'y en a pas d'autres, est de se contenter de ce qui est, sans en rajouter. L'imbécile n'a pas de règles, ni de références, en dehors des bricolages hallucinés qui n'ont de sens que pour lui, et qu'il est capable de remettre en question dans la minute, s'il pense que vous ne le voyez pas.

Parler, discuter, polémiquer avec un imbécile, c'est un peu comme de dresser un château de cartes sur une piste de danse très fréquentée.

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Ce que je dis des femmes chefs d'orchestre est évidemment à rapprocher de ce que j'ai constaté en regardant les passionnantes masterclasses de direction d'orchestre organisées par et avec le Royal Concertgebouw Orchestra, avec Daniele Gatti et Iván Fischer : la moyenne d'âge très basse des musiciens de l'orchestre et la féminisation outrancière de ses membres. Et tous les musiciens âgés du Concertgebouw, où sont-ils passés ? On les a mis à la porte ? Ils sont morts du Covid ? Qu'on ne me dise pas que cette féminisation et ce favoritisme accordé à la jeunesse ne sont pas une conséquence directe de l'idéologie qui ravage nos sociétés !

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L'explosion qui a eu lieu à Beyrouth, il y a quelques jours, retentit chez nous. Le Liban n'est pas seulement un pays du Moyen-Orient, il est aussi ici, à l'intérieur de nos frontières : il faudrait être fou pour ne pas le voir.

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Tous ces apprentis chefs d'orchestre ont en commun un défaut : ils en font trop. On a l'impression qu'ils ont travaillé leur gestuelle devant un miroir, et qu'ils sont très contents de leurs beaux gestes, et de l'énergie qu'ils dégagent. Les orchestres ne sont pas idiots. Ils ont l'habitude qu'on leur demande beaucoup, et la surenchère ne peut que les conduire à faire moins, surtout quand ils voient que le chef ne sait pas exactement ce qu'il désire entendre, et s'accroche désespérément à deux ou trois traits qu'il croit "personnels". Cette manie, de plus en plus répandue (qui vient de Bernstein ?), de laisser voir sur son visage ce qu'on ressent intérieurement, ou ce qu'exprime la musique, est insupportable.

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Certaines opinions (ou idées) sont tellement "impensables" pour nos pauvres contemporains, qu'ils suffoquent, dès qu'on ose les énoncer.

Il n'y a rien de plus jouissif, je trouve, que dire — en passant — quelque chose qui nous semble une évidence, quand on sait qu'on aura immédiatement tout le monde contre soi. L'exemple des femmes chefs d'orchestre est l'un des meilleurs qu'on puisse imaginer.

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Dans une répétition de la Cinquième de Beethoven qu'il est en train de diriger, Harnoncourt (l'Harnoncourt de la maturité, pas celui des débuts) explique à la flûtiste qu'il ne sait pas si le piccolo utilisé par Beethoven, à l'époque, était de telle sorte ou de telle autre sorte. Il joint le geste à la parole. Celle-ci (elle doit avoir trente ans), immédiatement, lui montre qu'il s'agit bien du piccolo dont elle joue

Extraordinaire arrogance, et combien ridicule, des jeunes gens, qui expliquent aux vieux des choses que ceux-là connaissent depuis trente ans. Je me suis fait expliquer la vie, l'amour, les femmes, la morale, l'autre jour, par une jeune femme de trente ans qui a en ces domaines autant d'expérience que moi dans celui de l'alpinisme.

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En shorts !!!

mercredi 12 août 2020

La Sérénade interrompue


Les hommes donnent leur sperme aux femmes qui donnent leur lait aux hommes qui donnent leur sperme aux femmes qui donnent leur lait…

Un certain temps que ça dure ! Ç'aurait pu continuer encore longtemps. On aurait pu croire le monde éternel, comme Dieu. 

Mais on a tué Dieu — son immortalité l'a protégé de la mort, pas de nous —, et comme Dieu était la garantie-or des mondes, le nôtre est en train de s'arrêter tout doucement aussi. Les hommes donnant leur sperme se sont lassés d'être ces hommes qui donnaient leur sperme aux femmes qui donnaient leur lait aux hommes…

On le sent bien. Les gens sont très différents, depuis quelques mois. Ils ont compris. La fin est proche, une certaine fin, en tout cas, qu'on ne sait pas très bien imaginer, mais qui est inéluctable. Il y a ceux qui choisissent d'avoir peur, de se calfeutrer, de se masquer, de se protéger, de se bourrer d'anxiolytiques, et de se brancher en continu sur la tétée médiatique, et ceux qui choisissent de jouir, en pensant que peut-être cette fois-là est la dernière. Des barrières tombent, des idées viennent, des liens improbables se créent, des désirs forclos ressurgissent…

Les sentiments filiaux des parricides sont paroxystiques, dès que survient l'éclipse verticale. Ceux-là ont décidé de briser le cercle des générations. On ne se protège jamais assez des créatures que nous avons nous-mêmes engendrées. Mais il n'était pas dans la nature des hommes de se méfier de leurs enfants, dont ils pensaient qu'ils étaient là d'abord pour prolonger les temps. 

lundi 10 août 2020

Leur morale n'est pas la nôtre


On a parfaitement le droit de penser et d'écrire qu'Aragon et Hugo sont des cons, naturellement. Ce peut même être l'occasion d'un beau morceau d'écriture. L'ennui, avec ce genre de règlements de compte post-mortem, c'est que tous les cons s'engouffrent comme un seul homme dans la brèche. Et les cons aiment ça, qu'on cherche des poux dans la tête des génies. Ils raffolent de ça. C'est tout de même assez pénible, de penser que des hommes nous sont tellement supérieurs. Il faut bien que l'égalité — l'ultime valeur — passe par là aussi. 

C'est bien un truc de profs, ça, d'aller vérifier que les écrivains sont des gens bien. Il ne faut pas s'étonner que l'école soit en ruine. J'imagine que dans un futur proche, des milices de l'égalité de principe entre les hommes seront chargées d'aller ratiboiser un peu quelques têtes qui dépassent trop, afin de nous confectionner un passé à la mesure de notre merveilleux présent. Ces gens-là n'aiment pas les dénivelés, ils vivent dans de grandes plaines où le même soleil darde la même lumière pour tous, et où il est éternellement midi. 

On connaît la chanson. Rousseau était un salaud, Proust était un peu sadique, Beethoven asocial, Céline antisémite, Mozart scato, Gould détestait les légumes, Albert Cohen était misogyne, Untel était raciste, l'autre pédophile, celui-là homophobe, la liste est longue comme les bras tendus des égalitaires. 

C'est toujours pour de bonnes raisons qu'on se sent pousser ces ailes de vertu qui nous consolent de notre propre médiocrité, et la vertu vengeresse est bien plus contagieuse que le coronavirus.


samedi 8 août 2020

Dédicace



Ophélie Simonin a déposé sur Facebook les Myrthen Lieder de Schumann (offerts en cadeau de mariage à Clara, si j'ai bien compris). Le premier de ces Lieder est Widmung, Dédicace, sur un texte de Friedrich Rückert*…

Elle ne peut pas savoir à quel point cette musique me troue le cœur. Elle a déposé ça ce matin, dans l'interprétation de Fischer-Dieskau et Jorg Demus. J'ai écouté les Lieder en entier, puis, évidemment, j'en suis vite revenu à Widmung, perdant pied, plongeant dans la douleur à une vitesse monstrueuse. L'explosion de la fin, déchirante, comme un cœur ouvert à vif, et livré à des mains qu'on espère innocentes, m'arrache l'âme, me la fait sortir de la poitrine. Comment suis-je en état de supporter une telle émotion, je m'étonne moi-même ; je n'en aurais pas été capable il y a trente ans, et cette résistance m'inquiète. 

Schumann est le musicien dangereux par excellence. On suffoque, devant de telles mélodies qui sont des maladies chantées. Et le plus étrange est que cette musique me bouleverse encore plus dans la transcription qu'en a donnée Liszt. Débarrassée de la vocalité et de ses affects, elle parvient au chant  essentiel et impalpable, sublime : c'est à l'intérieur de nous que ça chante. 

La musique ne devrait-elle pas consoler ?




(*) Du meine Seele, du mein Herz,
Du meine Wonn' mein Schmerz,
Du meine Welt, in der ich lebe,
Mein Himmel du, darin ich schwebe,
O du mein Grab, in das hinab
Ich ewig meinen Kummer gab!
Du bist die Ruh, du bist der Frieden,
Du bist der Himmel, mir beschieden.
Daß du mich liebst, macht mich mir wert,
Dein Blick hat mich vor mir verklärt,
Du hebst mich liebend über mich,
Mein guter Geist, mein beßres Ich !

Toi mon âme, toi mon coeur,
Toi ma joie de vivre, toi ma peine,
Toi mon monde, dans lequel je vis,
Mon ciel c'est toi, auquel je suis suspendu,
O toi mon tombeau, dans lequel
Je déposerai pour toujours mon chagrin.
Tu es la tranquillité, tu es la paix,
Tu es le ciel qui m'est échu.
Que tu m'aimes, me rend digne,
Ton regard est la lumière de mes yeux,
Ton amour m'élève au-dessus de moi-même,
Mon bon esprit, mon meilleur moi !

lundi 3 août 2020

La Guerre ou la Paix ?




La jeune strip-teaseuse, australienne, est nue, à moitié allongée. Elle lit Anna Karénine, en anglais. On entend un nocturne de Chopin, tout bas.

Les tokens ("pourboires") envoyés régulièrement (ou plutôt irrégulièrement) par les invisibles admirateurs font vibrer (plus ou moins fort et plus ou moins longtemps, selon la somme envoyée) le godemichet qu'elle a dans le vagin. Elle essaie de poursuivre sa lecture sans anicroches.

Je me dis qu'elle a trouvé un moyen pas trop désagréable de gagner un peu d'argent de poche. Mais je vois qu'elle arrive à la fin du livre. Va-t-elle poursuivre avec un autre roman, le Rouge et le Noir, L'Éducation sentimentale, ou va-t-elle clore cette expérience avec Guerre et Paix ? 

dimanche 2 août 2020

Le cul des femmes


J'adore le mot "derrière". J'aime le mot cul, aussi, naturellement, mais je trouve que parler du derrière d'une femme est encore plus évocateur, et même… plus cru. Pourtant, la figure de style est censée amoindrir, et même oblitérer la crudité du juste terme. Mais quel est le terme exact, justement ? Est-ce "fesses" ? Oui et non. Un cul, c'est plus (ou moins) que des fesses. 

En lisant Pascal Adam, j'ai appris qu'un prose, en argot, c'était un cul. Du coup on se demande ce que pourrait être le vers. 

Le plus agréable, avec la langue… c'est tout de même de passer d'un état à un autre. D'une litote à une grossièreté, par exemple, du raffinement le plus extrême à la salacité, de la tenue au débraillé, de se déplacer en zigzag sur le clavier des signifiants et du sens, de crever la poche à signifiés et les voir se disperser comme des osselets qu'on a lancés en l'air avant de les rattraper de justesse. Je plains beaucoup, par exemple, ceux qui ne sont pas sensibles à l'obscénité joyeuse, effervescente. Je viens de lire un douzain de Pierre Louÿs qui est exactement de cet ordre, c'est un régal. 

J'aime le mot derrière, parce que je l'entends comme plus personne ne l'entend aujourd'hui. Le même Pascal Adam prend Anouilh à témoin, qui explique que le vocable « cul est un noble et vieux mot français qui n’avait jamais fait peur à personne jusqu’aux bourgeois minables du XIXe qui ont eu la grotesque idée de lui substituer le mot derrière ; or un derrière de bouteille, ça ne voudrait strictement rien dire. » Et je comprends très bien la réaction d'Anouilh, seulement ce n'est pas la mienne. Moi je n'ai pas peur du tout du mot cul, que j'emploie toute la journée. Au contraire, je l'aime un peu trop. Il est difficile, sinon impossible, d'expliquer ce qu'on entend dans un mot, comment ce mot se présente à nous, accompagné de quelles connotations, de quelles sonorités, de quelles phrases, de quelles constellations de sens et d'emplois. 

Parfois on renonce à un mot (je pense à "derrière") à force de voir que personne ne l'entend comme nous. C'est dommage, mais on sait que si on l'employait dans le sens qui nous plaît tant (je dis "sens" par commodité, mais il ne s'agit pas du tout de sens, justement), tout le monde passerait à côté de ce sens. Et puis, quelques heures ou quelques semaines après, on se dit : mais est-ce si sûr, justement, que personne ne l'entende comme nous ? Même si c'est le cas, ne pourrait-on arriver à le faire entendre à notre manière ? Et, tout à coup, on se rend compte que c'est précisément le propre de la littérature, cela. Un écrivain est capable de nous faire lire à sa manière. Les mots, nous les connaissons, ce sont les nôtres, mais dès qu'on lit Proust, par exemple, les mots qu'on lit sont les siens, et les phrases que nous lisons, nous n'aurions jamais été en mesure de les imaginer sans lui. Il nous prête son oreille et sa vue, et sa mâchoire. On croit lire "table", "chien", "fenêtre", mais ce que nous lisons, c'est autre chose, ce sont la table, le chien et la fenêtre que Proust a vus, et à cette table, à ce chien et à cette fenêtre s'agrègent aussitôt une table, un chien et une fenêtre autres qui ne les quitteront plus, tout est multiplié, diffracté, renvoyé en écho ou absorbé en un tissu neuf.

Le cul n'est pas le cul. Il est le cul plus les fesses, plus la raie, plus le con, au moins — plus la femme elle-même. Ou alors, le cul n'est pas le cul, il peut aussi être moins que ce tout et se focaliser sur l'anus, être aspiré par lui. De quoi tu parles, quand tu dis cul ? La question est d'importance, croyez-moi. Faut-il métonymiser, synecdoquer, troper, soustraire, additionner, multiplier, diviser ? Les mots vont dans tous les sens à la vitesse de la pensée, et même plus vite.  Mais si je dis que le cul est le cul plus quelque chose, il est aussi beaucoup plus que tout ce que je pourrais énumérer. À quoi le résumer ? Et comment ? Entre résumé et énumération, voilà où se situe le territoire où fleurissent les connotations.

Mais prenons un exemple concret. Un femme marche dans la rue. Vous la voyez passer, et vous vous dites : « Quel beau cul ! » De quoi parlons-nous ? Que regarde exactement l'homme qui trouve que cette femme a un beau cul ? Évidemment pas son anus, qu'il ne voit pas. Ses fesses ? Oui, sans doute, mais pas seulement. Il regarde des fesses accrochées à un bassin, à des hanches, à un ventre, des fesses qui bougent au-dessus des cuisses, et tout ceci forme un ensemble dont les éléments sont dépendants les uns des autres. C'est un système, un cul. C'est un balancier, c'est une théorie, c'est une pesée, c'est le centre d'opérations d'où partent toutes les fibres qui font de la femme une femme, et de l'homme un voyeur. Matrice, ventre, sexe, fonctions excrétrices, tout est là, posé sur les jambes qui sont chargées de le livrer à domicile. Un cul, c'est l'opposé de la tête. D'ailleurs, certaines femmes sont montées à l'envers : elles ont le cul à la place du visage et leur cul semble parler. Quand on dit "fondement", on entend aussi bien les fondations que le fond, mais aussi la fonderie (ça chauffe, là). Quand on dit "postérieur", on entend ce qui vient après, et il est vrai que parfois le cul arrive après la femme. Mais je trouve que la plupart du temps, c'est avant, qu'il arrive. Le cul est là avant la femme. Il la devance, comme une ombre inversée. Avant même qu'elle soit là, face à nous, c'est son cul qui nous regarde et nous aborde.

Oui, je sais, ce texte est vraiment bordélique. On n'y comprend pas grand-chose. Je ne sais même pas exactement de quoi ça parle. Je voulais parler du mot derrière, mais comment parler du derrière sans parler du cul ? Et si je parle du cul, est-ce que je parle de cul ? Il paraît difficile de séparer les choses. Et si je parle de cul, vais-je aussi parler de sexe ? D'ailleurs, parler de cul, est-ce que ce n'est pas la même chose que parler de sexe ? On dirait bien. Et on a vu plus haut que le sexe était compris dans le cul, le cul-théorie. Le cul comprend le sexe et le cul. Certains diront même les seins, mais on na va pas compliquer à plaisir. D'ailleurs, si l'on affirme que le cul comprend les seins, pourquoi ne comprendrait-il pas le ventre et les cuisses, par exemple ? Et la bouche ? Ne nous laissons pas distraire. Revenons au fondement. Commençons par le noyau dur : sexe, fesses.

Dans le con tout est bon : Un hexasyllabe un peu rond ! Je l'avoue facilement, je suis un admirateur du sexe de la femme, la vulve, le con, la chatte, la motte, la touffe, la fente, le bijou, la moule, l'abricot, la figue, la foufoune, l'huis, la petite église. Je n'ai aucun mépris pour le sexe de l'homme, que je peux même trouver beau, à l'occasion, mais je n'éprouve pas la sainte vénération que celui de la femme provoque chez moi. Je n'en avais pas réellement vu, ou plutôt regardé, avant mes vingt-cinq ans, c'est sans doute une des raisons qui expliquent cette fascination, mais ce n'est pas la seule ! Le sexe d'une femme, c'est une ouverture sur des mondes opposés et complémentaires. C'est le point focal auquel on finit toujours pas arriver, qu'on regarde la bouche, les yeux, ou les mains d'une femme, et son ventre, et ses cuisses, et ses pieds. Derrière sa bouche est son sexe, dans ses yeux se reflète le con, dans ses mains ouvertes se tient la vulve en majesté, la Mandorle, l'amande sainte qui contient le monde.

V. me dit qu'il ne voit pas de beauté dans les organes génitaux, mais seulement dans le visage et les mains. Je n'arrive pas à comprendre cela. Le visage ne se reflète-t-il pas partout, dans toutes les parties du corps ? Je suis désolé, mais si l'on regarde un trou du cul, on voit le visage de sa propriétaire — c'est la même langue, que ces deux-là parlent. Un beau ventre, par exemple, est-ce que ce n'est pas aussi beau que de belles mains ? Les pieds d'une femme, quand ils sont jolis, ne sont-ils pas aussi intéressants que ses yeux ? Et ses mollets, et ses seins, vus de dessous, et la légère bosse de son pubis, et ses hanches ? Y a-t-il quelque chose de plus émouvant que les petites lèvres du sexe d'une femme, des ailes de papillon charnues ou fines comme du papier ? Je ne peux pas concevoir qu'on aime une femme en aimant seulement son visage. C'est comme si l'on n'aimait que les thèmes d'une sonate. Qu'on fasse la fine bouche devant un tel trésor me semble parfaitement incompréhensible.

Mais je me suis considérablement éloigné du sujet de ce texte, si sujet il y a bien. Ce que je voulais dire, je crois, est que tout ce qu'il y a de beau dans le corps d'une femme, on peut l'appeler cul. Con. Cul. Ces mots de trois lettres sont admirables. Deux consonnes et une voyelle suffisent à résumer une femme ! Le "cou", avec ses deux voyelles, en dit déjà moins. Mais "derrière", alors ? Derrière la femme ? La dernière femme vue de derrière ? Là je suis un peu bouleversé, parce que je viens d'écouter Michelangeli jouer les Children's Corner de Debussy, et je ne comprends tout simplement pas comment c'est possible, comment on peut avoir un tel contrôle de la touche, de son attaque, de son enfoncement, et un tel contrôle du poids et de la vitesse de chaque doigt. Cet homme est une énigme. Mais le toucher de Michelangeli me ramène au cul, parce que le cul appelle le toucher. Même si on ne le touche jamais, on l'aime ou on ne l'aime pas en fonction du toucher imaginé. Un cul, ce n'est pas seulement une forme, c'est aussi une matière, une profondeur, une élasticité, un enfoncement — comme les touches d'un piano. Et là je pense bien sûr aux fesses, mais aussi aux cuisses, au ventre, et au sexe.

Il est si difficile pour moi de parler des mots sans parler de la chair, je m'en aperçois aujourd'hui. Peut-être est-ce là une sorte de perversion, je n'en serais pas surpris. Mais je n'en suis pas convaincu. Est-ce que les mots sortent d'ailleurs que d'une cavité à la fois charnelle et osseuse ? Est-ce que les mots ne sont pas écrits par des mains, par des doigts, est-ce que les mots ne sont pas ouïs par des oreilles ? Tout passe par la chair, par les os, par les nerfs, par les cavités, par les amas graisseux, par les muscles, par la peau et les glandes, d'une manière ou d'une autre.

Finalement, est-ce que tout viendrait de la femme ? Le langage et la chair, dans un mélange informe, d'abord, placenta de sens, large bavure d'oxymores, phrases spongieuses et sanguinolentes, syntaxe molle, verbes en formation, adjectifs lactés, en globulance, dans une fermentation translucide de mémoire décomposée, sans ponctuation, ça coule et ça roule, mi liquide mi grumeaux, ruisseau un peu dégueulasse mais où l'on distingue, flottant ça et là, des îlots instables ; tout ça, plus  tard, bien plus tard, se retrouvant comme humeurs et pensées, dont ceux qu'elles traversent ne sauront plus l'origine marécageuse ni l'improbable confluence. Quelle organisation impensable aura pris cette bourbe en considération, et pourquoi, alors qu'il aurait été si simple de la laisser en l'état. Pourquoi l'Art de la Fugue, pourquoi Homère ? Les arbres et les rochers suffisaient bien, et les fruits et les oiseaux. Pourquoi le cul des femmes, pourquoi le désir ? Pourquoi la rencontre d'une main et d'une croupe, qui va donner tant de tableaux, de poèmes, de musiques, de phrases gorgées de foutre, de joie et d'esprit ? Pourquoi la rime, pourquoi le rythme ? Pourquoi celle-là, ou celle-ci, et aucune autre ?

Les mots et le con, comme les notes et l'instrument. Que des bouches et des oreilles soient des vagins un peu particuliers me semble aller de soi. L'art de la figue… ÉCOUTEZ ! Écoutez cette ravissante sonate en ut majeur de Galuppi, jouée par Michelangeli. La jeune fille qui s'exprime là, elle est nue, au soleil, elle ne cache rien, elle parle pour elle, mais aussi pour vous, c'est gratuit, c'est un don, voyez comme c'est beau ! Ça ne reviendra pas, et pourtant c'est toujours là, pour l'éternité. Allez-vous passer, voûté, tordu par la peur et l'angoisse, ou allez-vous goûter aux fruits divins ? Souriez ! Personne ne vous voit. Personne ne vous croit non plus, rassurez-vous. Vous pourrez raconter l'histoire, plus tard, en toute quiétude. Le miracle est seulement pour vous, ici et maintenant, intransmissible comme le sont les miracles. Si vous passez, vous êtes passé

Le cul des femmes est présent, toujours au présent. Ça se parle. Ça s'entend.