samedi 9 juillet 2011

Le Choix


Il/Elle s’appelle Storm. C’est un bébé de 4 mois comme les autres, sauf que ses parents se refusent à dévoiler son sexe. Kathy Witterick, 38 ans, et David Stocker, 39 ans, qui habitent Toronto, sont pour la liberté de choisir son genre, un débat à la mode dans les pays anglo-saxons et qui est en train de contaminer l’Europe. Ils souhaitent que l’entourage de Storm l’aborde sans être aveuglé par les préjugés liés au masculin ou au féminin. « Si vous voulez vraiment connaître quelqu’un, plaide le père, vous ne lui demandez pas ce qu’il a entre les jambes. »
Le couple a déjà deux garçons, Jazz et Kio, âgés de 5 et 2 ans. Leurs parents les laissent libres d’avoir les cheveux courts ou longs (ce qu’ils préfèrent) et de choisir leurs vêtements au rayon garçons ou au rayon filles (Jazz a ainsi élu une robe rose). Et c’est aux enfants de répondre à ceux qui demandent leur sexe.
Kathy et David, qui sont aussi adeptes de l’école à la maison, reconnaissent que cela demande beaucoup d’énergie de garder le secret du sexe de Storm, mais pour eux, c’est la faute de la société, pas la leur.
Un journal a lancé un sondage sur le sujet et plus de 80 % des répondants pensent que Storm est un garçon. Ils sont plus nombreux encore à désapprouver l’expérience.
Laissons le mot de la fin au Dr Ken Zucker, qui dirige le service de l’identité de genre pour enfants du Centre de l’addiction et de la santé mentale de Toronto. Pour lui, le non-choix des parents est déjà un choix, et un choix qui peut avoir des conséquences pour l’enfant.

Renée Carton - Quotidien du médecin
« Si vous voulez vraiment connaître quelqu’un, plaide le père, vous ne lui demandez pas ce qu’il a entre les jambes. » Bien sûr que si, grand couillon ! C'est même la seule question qui vaille. Qu'est-ce t'as entre les jambes, Simone ? Je commence toujours une rencontre par ces paroles, pour ma part. Comme dans Une sale histoire, de Jean Eustache, allons directement au sujet, on s'occupera du verbe et du complément plus tard. À la touffe, à la source, au buisson ! Le nom du nom, là. Je suis un consommateur averti (par moi-même).

« Jazz et Kio » ! Ben voyons… Le pourquoi-pas-isme fait plus de victimes que les accidents de la route. Nos pitoyables celles-et-ceux et ci-devants humains qui se déguisent en papas-mamans ne sont pas des ravis de la déroute, ils sont la déroute elle-même. La déculottée, la Bérézina de l'espèce, non seulement ils ne s'y opposent pas mais ils la souhaitent, ils l'acclament, la plébiscitent, la désirent de toutes leurs maigres forces. Pas un jour sans qu'on les voie manifester leur enthousiasme festif de grands benêts dégénérés (eux prononcent "dégenrés", mais c'est normal, ils ne savent pas lire). Quand on pense que les saumons du Pacifique font cinq mille kilomètres, bravant tous les trop réels dangers du monde, pour perpétuer leur espèce, et que ces abrutis — ne sachant que psalmodier leur "droit à !" (droit-à-l'enfant, droit au non-genre, droit au non-droit, droit à l'inculture, droit à l'indistinction, droit de "venir comme ils sont", droit (surtout) de ne pas savoir) — vivant comme des saumons d'élevage, incapables de s'apercevoir même qu'ils évoluent dans un minuscule bassin d'eau sucrée, se prennent pour des lions sauvages et indomptables ! Ils ont de la liberté une conception de Monoprix : on veut choisir. Le bonheur est dans le choix, ils ont parfaitement retenu la leçon. Ils sont libres, oui, ça ne fait aucun doute, libres de s'habiller tous de la même manière, libres de parler tous de la même manière, libres de penser tous de la même manière, de partir en vacances, de s'éclater, d'écouter tous la même musique de merde, et de choisir entre Mac et PC. Dans ces conditions, on voit mal, en effet, ce qui pourrait éventuellement leur donner le sentiment étrange qu'il existe encore des choses qu'on ne choisit pas, dans la vie.

Prenons un exemple concret. Arnoldine est petite, moche, bête, et douée pour les langues comme je le suis pour la plomberie. J'oubliais, elle a le mal des transports. Ouais, OK, mais si elle veut devenir hôtesse de l'air, POURQUOI PAS ? Voyez-vous une bonne raison pour lui interdire de se réaliser à donf ? Sauf si vous êtes nazi (ou pire, complètement réac), ce qui est impossible, vous ne pouvez répondre que : Non, aucune. Ça te fait plaisir, ma Didine chérie, de devenir hôtesse de l'air ? Tu kiffes ça, ma grosse ? Pas contrarier Didine, c'est dans les statuts de l'Assoce France. Mais pas contrarier Mohamed non plus, ni Storm. Personne contrarier. Pauvre Didine, si ça se trouve, tiens, elle voulait être un gros black tout en muscles et courir très vite, à la base, alors on va pas en plus lui rappeler qu'elle est petite grosse moche et pas douée pour les langues. Encourageons Didine, m'sieurs-dames ! Toujours une de moins qui sera stigmatisée comme étant ce qu'elle est. Si elle vomit sur le commandant en lui apportant son Paris-beurre, c'est que quelqu'un, bien planqué au fond du zingue, avec un œil de verre, l'aura stigmatisée en pensée. On connaît la chanson ! Arnoldine est libre de choisir qui elle veut être. Ça ne se discute pas.

Les stigmatiseurs, on les connaît. Ce sont ces gens d'avant, aigris, mal dans leur peau, vieux, forcément, un peu moisis, qui acceptent la réalité telle qu'elle s'impose à eux, et qui ne mouftent pas. Ha ha ha ha ! Les cons ! D'ailleurs, j'en dis trop. Ce sont ceux qui parlent de "la réalité". Ou, s'ils sont un peu intellos sur les bords, du "réel". Peu importent ce qu'ils en disent : nommer "la réalité" est un signe qui ne trompe pas. Quoi, "la réalité" ? C'est quoi encore cette pétasse qui se la pète grave ? Non mais pour qui elle se prend, celle-là ? La réalité ? Si-je-veux ! Je suis cul-de-jatte, et alors, si j'ai envie moi aussi de courir le 5000m ? Why not ? Je suis sourd, OK, mais si j'ai envie de devenir musicien, y a quelqu'un que ça dérange ? Hein ? Figurez-vous qu'à une époque, on éliminait les candidats au pilotage d'avions de chasse qui avaient une mauvaise vue ! Dingue, non ? Rien que d'y penser, j'en ai des frissons. Il paraît même qu'on envoyait des hommes (uniquement) à la guerre et qu'on favorisait les filles dans les écoles de coutures ! Je sais, c'est presqu'impossible à imaginer. On voit de quelles ténèbres on vient !


Une de mes belles-sœurs a choisi, à l'âge adulte, de changer de prénom. Elle n'a eu qu'à supprimer une lettre, une voyelle, le "a" de Christiane. Elle se nomme donc "Christine", dorénavant, paraît-il. Why not, n'est-ce pas ! TLMSB, allez-vous me dire. Oui, je sais, dans le genre insignifiant, on fait difficilement mieux. Bien entendu, tout dépend de la manière dont on entend l'insignifiance… Il s'agit à l'évidence d'une insignifiance très signifiante (comme on disait dans les années 80), comme le sont d'ailleurs la plupart des insignifiances. Il faut vraiment être un gros réac psychorigide comme moi pour continuer à l'appeler Christiane. Ce faisant, je crois lui rendre service, mais c'est précisément ce qui semble lui échapper totalement. Le prénom n'est pas quelque chose qui "appartient" à ceux qui le portent : ils en héritent, et c'est très bien ainsi. De même qu'on ne demande pas à un enfant ce qu'il veut étudier, ce qu'il veut manger, comment il veut s'habiller, s'il désire ou non être chrétien, et s'il veut faire du violon ou du hautbois, on n'attend pas qu'il ait l'âge de raison pour décider du prénom qu'il va porter. Le prénom vient des parents, de la famille, il est le signe fondamental de l'inscription dans une histoire, histoire familiale, culturelle, littéraire, religieuse, géographique, historique et nationale. Bref, il s'agit d'un donné. Tout ce qui est de l'ordre du donné est une bénédiction pour le petit homme : ce sera toujours ça de moins à porter, à façonner. Comme les parents n'ont pas à choisir leur enfant, celui-ci n'a pas à choisir son prénom, il a seulement à le recevoir et à le faire sien, c'est-à-dire à s'adosser à une histoire qui le traverse, afin d'écrire (d'ébaucher, plutôt) une nouvelle histoire (jamais entièrement vierge). On n'invente jamais à partir de rien. On écrit avec les mots des autres, on compose (et le mot le dit assez) avec les sons des autres, avec les instruments de l'orchestre (déjà là, qui a déjà tant servi), on vit avec la chair des parents, avec les liens familiaux, sociaux, dont on redessine les contours, auxquels on donne de nouvelles directions, ces liens qui sont un labyrinthe dont les issues personnelles seront notre vraie chance.

L'autre élément de l'histoire est cette lettre manquante, cette sonorité abolie : cette petite voyelle de rien du tout, tombée au champ du déshonneur. Pourquoi du déshonneur ? Il faut que je dise quelques détails supplémentaires, pour que l'histoire soit compréhensible.

La jeune femme dont je parle est issue d'un milieu très modeste, comme l'on disait naguère. Fille d'ouvrier communiste porté sur la boisson. Oh, ça n'a rien de déshonorant, dans ma bouche, ni le Parti Communiste, ni la boisson, ni la classe sociale. Mais elle ne le supporte pas. Elle a quelques lectures, et ce qu'elle lit la fait rêver, beaucoup plus que sa famille et son milieu. Toute sa vie sera marquée par la volonté farouche et intraitable de faire disparaître les traces de cette origine. Rien d'original, me direz-vous. L'éternelle histoire de l'ambition, racontée des centaines de fois dans de très beaux romans. C'est vrai. Ce qui m'intéresse ici est l'histoire d'une sonorité, d'une diphtongue. En quoi le [i] est préférable au [ia] ? En quoi ce [ia] gommé, ou plutôt limé, raboté, fait-il disparaître du même mouvement la trace de cette origine honnie ? La réponse n'est pas simple. Si l'on en reste purement au niveau du son, de la sonorité, le [ia]fait savoyard, surtout prononcé d'une certaine manière, sali par un [tch] insidieux et vulgaire, même si quasi-imperceptible. Deux éléments agissent donc concurremment : la couleur du son [ia/i] et l'attaque, la transitoire (l'attaque du [t], pure ou impure). Mais l'essentiel n'est sans doute pas là. Comme toujours, dans la manière dont les noms sont entendus (et tout spécialement les prénoms) et appréciés, l'élément déterminant est toujours celui dont on ne parle jamais, et pour cause. C'est la connotation sociale et historique qui est prédominante, même et surtout quand elle est insue, ou impensée. Posez la question : pourquoi aimez-vous ce prénom, pourquoi le détestez-vous ? On vous fera toujours la même réponse : c'est la sonorité ; ça sonne bien, ou ça sonne mal. Bien entendu (et c'est le cas de le dire), cela ne signifie rien. Si vous demandez à votre interlocuteur d'expliquer en quoi telle ou telle sonorité est laide, ou au contraire jolie, quel est le critère d'appréciation qui est opérant, vous le verrez s'empêtrer dans la tautologie et l'arbitraire. En revanche, en arrière plan, toujours, vous verrez surgir la mode, l'histoire, le social ; la bonne vieille "lutte des classes". En être, ne pas en être : tel est le moteur réel. Quoi de plus normal : les noms sont là pour raconter des histoires, pour raconter l'histoire et s'y faire une place. Le patronyme raconte l'histoire verticale et le prénom raconte l'histoire horizontale. La lignée contre (et avec) l'individu. Bien sûr, il y a des enclaves, des interpénétrations, des chevauchements, des résonances et des courts-circuits entre ces deux vecteurs, entre ces deux lignes de forces, ce n'est pas aussi simple. Mais la cartographie psychique de l'individu peut se mettre à fonctionner, tendue et maintenue entre ces deux pôles.

Mais revenons à Christiane. Dans les années 70, Christiane avait une très forte connotation campagnarde, chez nous. Les choses sont beaucoup plus diffuses aujourd'hui, parce que les individus sont plus "mobiles" : "être de quelque part" a perdu presque tout sens, désormais. Mais, alors, pour une jeune femme qui avait la province en horreur, ces catégories étaient tout à fait sensibles. L'amusant, dans cette petite histoire, est le tour bathmologique qu'elle prend, comme presque toujours lorsqu'il est question de goût. Se débarrassant de l'encombrante Christiane, cette "plouc", Christine ne sait pas qu'elle abandonne un prénom autrement plus aristocratique que celui qu'elle veut endosser. Elle ne le sait pas parce qu'elle est assez cultivée pour sentir que Christiane est "paysan", mais pas assez cultivée pour sentir que Christine est "petit-bourgeois", encore moins pour comprendre que Christiane est aristocratique. L'apprenti-citadine embrasse la cause petite-bourgeoise (vulgaire) en voulant fuir le cause paysanne et prolétarienne (vulgaire). Mais l'on sait bien que l'aristocratie a souvent plus de rapports avec la paysannerie qu'avec la bourgeoisie. Encore un tour dans la spirale bathmologique et notre Christine reprendra peut-être son beau prénom de Christiane. Les vulgarités se déplacent, et les fuir revient souvent à en provoquer le retour imprévu. Rien n'est plus mobile que ces signes qui permettent aux humains de se rassembler ou de se séparer, et en tout cas de se reconnaître.