lundi 26 avril 2021

Seule


« J'essayais de maintenir le sommet de son crâne, que tout reste dedans. »

Jacquie Kennedy, quelques minutes seulement après l'assassinat de son mari, n'est plus rien. Johnson a déjà été nommé président, il a prêté serment, dans l'avion, à Dallas. Terribles instants, d'une violence inouïe, durant lesquels on la voit seule, seule contre tous. 

Les fidèles sont vite conduits au tombeau, avec ceux qu'ils pleurent. J'en ai fait l'expérience.

« Jack a une main dehors et je vois un bout de son crâne se détacher. Couleur chair, pas blanc. Ses yeux étaient ouverts. Il s'effondre sur mes genoux, j'ai du sang et de la cervelle sur moi. Son visage était si beau. »


dimanche 25 avril 2021

Petit portrait en prose (21)

Elle avait toujours au cou cette vilaine marque laissée par l'instrument, l'alto, elle tenait sa cigarette un peu à la manière de Michel Houellebecq, elle avait un léger défaut de prononciation et elle était jolie, avec ses yeux vairons, même alors qu'elle imitait l'accent picard dans le métro. Elle avait longtemps été la maitresse d'un célèbre violoncelliste parisien et elle me suçait dans les toilettes du conservatoire. 

Tout le monde la trouvait fragile et délicate, mais elle m'avait ridiculisé en courant plus longtemps et plus vite que moi, un matin que j'avais voulu l'impressionner, en Haute-Savoie. Elle aimait m'inviter dans les restaurants à la mode, à Paris.

Quand je me suis installé place des Vosges, elle m'a aidé à déménager, très vaillamment, et je l'ai beaucoup fait souffrir, car j'étais alors amoureux d'une fille beaucoup plus jeune. Elle s'est bien vengée de moi, par la suite, et j'ai eu honte de penser tant de mal d'elle.

jeudi 22 avril 2021

Péristaltisme

Je copie ici l'article de Wikipedia consacré au péristaltisme. Je ne peux pas dire à quel point je suis émerveillé par ce que je lis. Cette onde océanique qui traverse le corps humain et qu'on peut même écouter, à l'aide d'un stéthoscope, me semble une chose plus exaltante et plus intéressante que la meilleure poésie, et ne parlons même pas des romans. Mais trêve de bla-bla, voici la chose.

Concernant le tube digestif, il s'agit de la progression du bol alimentaire de la bouche (plus précisément du pharynx) jusqu'au rectum (anus). Il est unidirectionnel : on dit que la progression se fait dans le sens oral-aboral. Le tube digestif est caractérisé par une tunique musculaire, constituée de muscles lisses disposés en deux faisceaux : une couche circulaire interne et une couche longitudinale externe. Ces deux couches sont des faisceaux de fibres unitaires sur le plan physiologique, signifiant que toutes les fibres au sein d'un faisceau sont interconnectées par des jonctions communicantes et peuvent ainsi coordonner leur activité, de façon à se contracter en même temps, à l'unisson. De même, elles peuvent ne se contracter que sur un petit tronçon du tube digestif.

Le tube digestif est donc doué d'une mobilité digestive qui est due à cette tunique musculeuse de la paroi. Le tube digestif est donc caractérisé par plusieurs mouvements, avec des caractéristiques physiologiques différentes : on distingue les mouvements propulsifs, qui font progresser le bol alimentaire dans le sens oral-aboral (péristaltisme, complexe moteur migrant, mouvements de masses), et les mouvements de brassage, qui permettent la segmentation du bol et son mélange aux enzymes digestives (segmentation).

Le péristaltisme est un mouvement propulsif. Il est caractérisé par mécanisme spontané qui s'effectue en plusieurs étapes. D'abord, il y a une onde péristaltique primaire qui se manifeste au moment où le bol alimentaire atteint l'œsophage après déglutition. L'onde force ensuite le bol à descendre l'œsophage pour atteindre l'estomac. Cette onde a une durée de vie de 8-9 secondes. L'onde continuera à descendre dans l'œsophage à une allure constante même si le bol se déplace à une plus grande allure que celle-ci. Si un bol alimentaire est bloqué ou se déplace plus lentement que l'onde dans l'œsophage, une onde péristaltique sera créée autour du bol, le forçant à se déloger et descendre dans l'œsophage. Sans péristaltisme, le brassage des aliments et l'absorption des nutriments, c'est-à-dire des éléments contenus dans les aliments, sont impossibles.

Dans le tube digestif, le péristaltisme est un réflexe à intégration locale : il ne fait intervenir que l'innervation intrinsèque du tube digestif, à savoir, le système nerveux entérique. Dès lors, un tube digestif dont on a sectionné les fibres nerveuses efférentes originant du SNC (Système Nerveux Central) peut produire le péristaltisme. C'est le plexus myentérique d'Auerbach, situé entre la couche circulaire interne et la longitudinale externe, qui intervient principalement dans le péristaltisme en coordonnant les deux faisceaux musculaires. Il est à noter qu'il existe une ondulation de base des potentiels membranaires dont l'origine est l'ensemble des cellules pace-makers intra-myentériques de Cajal participant à la coordination des contractions musculaires et à la "rythmogenèse" du péristaltisme. Le point de départ du péristaltisme est la distension de la paroi digestive qui est perçue par des mécanorécepteurs présents dans la paroi, entre les deux couches musculaires lisses de la musculeuse. De ces mécanorécepteurs, des impulsions vont partir par des fibres afférentes vers les plexus d'Auerbach et faire synapse avec des interneurones qui vont assurer la formation d'un anneau contractile à 2-3 cm en amont du bol alimentaire et la distension de la paroi à 5-6 cm en aval.

L'anneau contractile du péristaltisme est une contraction de la couche circulaire, ainsi qu'une relaxation de la couche longitudinale externe sus-jacente à cet anneau. En aval, la couche longitudinale externe est contractée, et la couche circulaire interne est relaxée. La contraction de la circulaire interne en amont du bol alimentaire diminue le calibre de la lumière et provoque augmentation de la pression intraluminale, En aval, la contraction de la longitudinale et la relaxation de la circulaire a pour conséquence un raccourcissement du segment digestif d'aval, ainsi qu'une diminution de la pression intraluminale. Ainsi, au cours du péristaltisme, le segment d'amont est propulsif et le segment d'aval est réceptif, permettant la progression du bol alimentaire.

Les organes creux du système digestif sont entourés de muscles qui permettent à leur paroi de se contracter. Les mouvements de ces parois font non seulement progresser les liquides et les aliments mais effectuent aussi un mélange de ce bol alimentaire dans chacun des organes concernés. Ce sont ces mouvements caractéristiques de l'œsophage, de l'estomac et de l'intestin qui constituent le péristaltisme.

Le péristaltisme ressemble à l'onde d'une vague océanique qui traverserait le muscle. Le muscle de l'organe concerné se rétrécit puis propulse la portion de nourriture lentement vers la suite du tube digestif.

Tief von fern




De la vague blanche du soir
surgit une étoile ;
profonde, du lointain,
la jeune lune avance.

Profonde, du lointain,
de la vague grise du matin,
la grande arche blafarde
s'élance vers l'étoile.

samedi 17 avril 2021

Ni mort ni vivant

Depuis toutes ces années, je suis dans la peau de Jérôme Vallet. Au début, c'était juste pour quelques heures, quelques jours, tout au plus, mais on m'a oublié là. Je suis Jérôme Vallet, aujourd'hui, et il semble que rien ne me fera plus sortir de ce personnage. Je ne sais pas comment ça s'est fait. Je ne me suis pas rendu compte. Je trouvais ça amusant d'avoir une identité, mais je n'ai pas réellement pris garde à ce qui arrivait. Le perle vient du fond de l'océan, elle est cachée, personne ne la voit venir. J'ai sombré dans un profond sommeil. J'ai oublié qui j'étais. J'ai oublié d'où je venais, et quel était mon nom. C'est en le lisant un peu partout, que j'ai su.

Au bout d'un moment, on s'habitue, bien sûr. Les autres nous appellent comme ça, on ne relève plus, à quoi bon. On ne peut pas lutter contre le monde. Si le monde dit que vous vous appelez Jérôme Vallet, c'est qu'il en est ainsi. (Je dis ça parce qu'il faut le dire, mais je n'en pense pas un mot.)

Je connais quelqu'un qu'on appelle Ophélie S. — qu'on appelle et qui s'appelle. On me l'a présentée sous ce nom, qui lui va bien, mais je me demande depuis combien de temps exactement elle est Ophélie S. : est-elle complètement et définitivement Ophélie S., c'est ce que j'aimerais savoir.  Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui connaissent Ophélie S. Je ne suis ni mort ni vivant. 

Ma vie aurait tout de même été un peu moins ratée si j'étais mort en sodomisant Ophélie S.

jeudi 15 avril 2021

14h37

Ta bouche, ou la mienne ? Ça ne sent pas mauvais, c'est l'odeur de l'habitude, du frôlement quotidien, bouche, sexe, aisselles, cul, on ne sait plus, ces odeurs, à qui elles appartiennent, d'où elles viennent, tout se mélange, les heures molles, les gestes sans forme, traits tirés, voix sourde, cuisses, pieds, elle quitte le lit, je ne sais pas si elle fait la gueule, on a baisé, ça fait redescendre la tension mais ce sentiment atroce est là, plus que jamais, on n'aurait pas dû, pas comme ça, pas maintenant, et on sait qu'on le refera, pareil, haleines mélangées, léger dégoût, on est encore jeunes, pourtant, mais on connaît déjà ça, pourtant je ne veux pas qu'elle me quitte, non, non, c'est comme si elle m'en voulait de connaître ça, mais moi qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je fais de plus qu'elle, c'est trop facile, on mange des radis frais avec du beurre salé, du pain, on se regarde, on ne dit rien, la journée est déjà bien entamée, silence, je me crois obligé de faire un geste obscène, cette conne fait la grimace, quelle pute sans cœur, que pense-t-elle vraiment de moi, elle ne le dira jamais, elle n'ose pas, elle attend seulement ces moments où elle a envie de pleurer et alors elle est bien contente de pouvoir se mettre dans mes bras, quelle conne, et puis elle commence à vieillir, plus que moi en tout cas, plus vite, elle commence à avoir des pudeurs étranges, que je ne comprends pas, qui m'énervent, j'ai remarqué que quand elle pleurait j'avais une érection, j'ai envie de voir un visage neuf, inconnu, qui ne me connaît pas, je m'habille, je sors, je la laisse. 

mercredi 14 avril 2021

Aliénés

Sans la langue, nous ne pouvons ni décrire le Réel, ni le comprendre, ni même le 𝑣𝑜𝑖𝑟.  

Une des maladies mentales les plus répandues aujourd'hui consiste à croire qu'on arrive dans le monde avec « des idées », avant la langue. Ceux qui en sont atteints pensent que, croient que, trouvent que… 

Étant inconscients du fait qu'ils sont le produit de leur époque, de leur classe sociale, de l'idéologie qui y a cours, et des déterminismes qui ont produit cette époque et cette idéologie, ils prétendent combattre la langue et ses images avec leurs croyances et leur volonté. Seulement, la langue, elle a le temps pour elle, et surtout, elle a les autres, pour elle, tous les autres. 

Une métaphore leur déplaît ? Elle n'a aucun sens. La grammaire les dérange ? Abolissons-la. La logique est dictatoriale ? Sortons de son emprise. La syntaxe est contraignante ? Ignorons-la. Un mot a traversé les générations, est arrivé jusqu'à eux, passant par le corps et l'esprit de millions de personne, déposant son sens en nous après des transformations subtiles ou brutales, couche après couche, contradiction après contradiction, revers après revers, malentendu après malentendu, ce mot a versé le sang, il revient de loin, ce mot, pris dans des vers, dans des épopées, dans des codes civils, dans des lois, dans des procès-verbaux, dans des romans, signifie à peu près la même chose pour tout un peuple, ce mot a pris sa place dans les dictionnaires et dans l'histoire, ce mot a permis de sauver ou de tuer, d'aimer ou d'injurier, ce mot a gonflé des bouches et serré des cœurs, précipité des hommes dans la honte ou les honneurs… mais l'ignorance est plus forte que tout cela, quand elle n'est que la morale d'un seul. Ce que je ne comprends pas n'a pas d'existence. Ce que je réprouve est indicible. Je est tout-puissant, car il est solitaire. 

La langue ne les tient plus, ils n'en perçoivent plus les échos, le passé, les raisons, son épaisseur leur échappe complètement. Leur discours est neuf, tout frais, il sort d'eux innocent, c'est une branche sans tronc, une main sans bras. La langue n'est pour eux qu'un outil plus ou moins adapté à leur adresse et à leurs désirs. Ils ne lui doivent rien. Elle ne les contient pas. Elle est disponible, en kit, dans des bacs séparés, dans lesquels ils vont chercher tel mot, telle phrase, telle tournure, telle idée, ou tel style. Ces objets se donnent pour eux-mêmes, on les a coupés les uns des autres, ce sont des prothèses communicationnelles. 

Réfuter une métaphore, c'est se mettre tout le monde à dos, parce que c'est réfuter le sens même. Au-delà de l'image, la métaphore, c'est du sens pur : elle se sert des mots pour mieux s'en éloigner. On peut contester, par exemple, que le mode mineur soit "mineur" et que le mode majeur soit "majeur", mais, ce faisant, on ne fera pas remonter les grains de sable dans le haut du sablier. Le sens de la chute sera toujours le même : on aura seulement retourné le sablier.

Réfutant la langue, ils réfutent le réel. Confronté à une telle attitude, nous sommes désemparés. Ils sont comme un enfant à qui l'on apprend le sens d'un mot, et qui répond : « Non, c'est pas vrai, ça veut pas dire ça. » Dans son monde, son monde délié, a-liéné, il ne peut qu'avoir raison… puisqu'il a toute la raison pour lui. Bien entendu, le plus sage serait de tourner les talons, de fuir. Mais ce n'est pas si simple, car il y a une sorte de folie qui s'insinue en nous, à chaque fois qu'on ne dit rien, qu'on laisse le dernier mot à l'enfant, à celui qui ne doit rien à la langue. Les fous sont très malins. Ils avancent leurs discours petit à petit, et grignotent un peu de territoire à chaque avancée, si l'on ne dit rien. Ils pénètrent dans le monde des non-fous, ouvrent une porte, écoutent, ouvrent la porte suivante, écoutent à nouveau… C'est le silence de ceux qui les écoutent qui les invite à continuer. Et un beau jour, ils en expulsent les non-fous, qu'ils appellent fous. 

Autrefois, ce genre de problèmes ne se posait pas, car existait ce qu'on ne peut plus nommer autorité. Les nouveaux-venus étaient sommés de faire leur le sens qui leur était proposé, d'en adopter la Loi et les interdits. L'auteur de nos jours était l'Auteur, avec un grand A. On ne remontait pas le courant, le sens avait une direction, il y avait encore une Origine : le Père. « On ne commande à la nature qu'en lui obéissant », disait Francis Bacon. Ils prétendent commander à tout, sans (re)connaître rien, et sans se soumettre à aucune loi.

lundi 12 avril 2021

Serge

Un des rêves qui me hantent est celui dans lequel un de mes bons amis d'antan (mort) revient sous une forme absolument terrifiante. 

Professeur de guitare au conservatoire, roux, toujours sans le sou, très laid, racontant chaque semaine les mêmes blagues que j'étais le seul à trouver drôles, il méprisait tous les musiciens classiques, et, je ne sais pourquoi, avait une admiration sans bornes pour moi — je veux dire, pour moi au piano. Je l'invitais souvent au restaurant le mercredi soir, car je savais qu'il se nourrissait de tablettes de chocolat et de Coca. Il avait eu deux jumeaux sur le tard avec une ex-femme à lui, complètement folle, qu'il avait répousée après avoir divorcé d'elle difficilement. Il me racontait sa guerre sur le Golan, dans les chars, qui lui avait abîmé les tympans.

Dans ces rêves, ces cauchemars, plutôt, il est d'une violence épouvantable, d'une terrible méchanceté avec moi, il me hait à un point inimaginable, et me fait subir toutes sortes de terribles sévices ; il est doté une force inouïe, on peut dire qu'il est invincible, c'est le Mal personnifié, et il me poursuit de cette haine inextinguible qui me terrifie. Pourquoi ?

Pourquoi ?

Je me suis réveillé plusieurs fois, terrorisé, et aussitôt rendormi, sans échapper au rêve…

Je n'ai pas assez dit qu'il en avait après moi. Il me fait du mal, mais pas seulement à moi, il est d'une violence insoutenable, il en fait à tous ceux que j'aime ou avec qui je suis lié, et j'ai peur pour eux, car ils ne se méfient pas. Si je les prévenais, ils ne me croiraient pas.

En avoir après quelqu'un, c'est bien d'après, qu'il s'agit, ici…

Je n'ai jamais raconté ça à personne. Et si je n'ai jamais raconté ça à personne, n'est-ce pas parce que je me sens coupable ? Mais coupable de quoi ?

Iris et Alone, les prénoms de ses jumeaux me reviennent à l'instant. Il habitait un appartement rue du Pont Louis-Philippe, et il avait encore sa mère, alors que tous ses parents avaient été décimés par la Shoah. Il passait ses soirées à regarder des films du genre Terminator.

C'est d'autant plus incompréhensible que même ma mère, qui ne l'avait rencontré qu'une seule fois, à Paris, alors que nous étions coincés dans un embouteillage, rue de Rivoli, l'aimait beaucoup. 

Serge avait une auto rouge, sujette aux pannes, que nous devions pousser, souvent, et dont les portières grinçaient affreusement. Le sol et les sièges en étaient jonchés de papiers, de canettes vides, et de détritus en tout genre, qu'il balayait d'un revers de la main, quand nous posions nos fesses à ses côtés. Souvent, il m'attendait, à la sortie du conservatoire, ou bien c'était l'inverse, car ce court voyage en voiture était devenu un rituel, et il arrivait fréquemment qu'il finisse la soirée chez moi. 


dimanche 11 avril 2021

mardi 6 avril 2021