vendredi 28 juin 2019

L'écrivain

Il me fait la gueule et il me bloque sur Facebook, mais il continue de me faire envoyer ses livres... 

Des fois que je lui fasse un peu de pub...

mercredi 19 juin 2019

Entrez c'est ouvert !

« J'ai ouvert les portes de ma chatte aux artistes, écrivains, poètes, comme bien d'autres femmes ; la queue d'abord, la lettre ensuite. »

– Tu ne rentreras pas, couleuvre de Montpellier ! Tu resteras au jardin, avec les rognures de fromage et le gras du jambon. Je ne te permets pas d'entrer car tu ne sais pas écrire. Tu effraieras les chats et intrigueras les pies. Tu couleras dans l'herbe ton fourreau froid en déclamant du Bonnefoy (ou du Boutros Boutros-Ghali).

– Les alpinistes vont où personne ne va, les touristes vont où tout le monde va. Mais notre époque oxymorienne invente les alpinistes-touristes, sans voir que son invention va tuer l'alpinisme (et la montagne) et le tourisme. 

– Quant à moi, je viens d'inventer la Manif pour personne. Je crois que je tiens quelque chose d'important. Tant qu'à manifester, ce qui est dégoûtant, autant ne le faire pour personne. Les amateurs d'art contemporain me comprendront. L'important, dans la vie, est de ne pas être compris. Regardez Tchernobyl ou le 11 septembre, par exemple. Personne n'a compris la raison de cette performance, mais quel impact formidable ! L'écriture inclusive, à côté, c'est tout petit. 

– Michel Platini a une gueule de représentant de commerce. Il devrait regarder plus souvent des films avec Jean-Pierre Marielle.

– Écrivez-moi, écrivez-moi !

– La queue d'abord, faites la queue, on verra ensuite pour le texte. Montrez que vous pouvez bander pour elle. Le reste l'intéresse beaucoup moins. « Ça ne sert à rien. » Ça ne sert peut-être à rien, mais ça te fait du bien, d'être aimé, ne dis pas le contraire ! 

– Il est bien possible que les homos s'entendent mieux, dans leur couple, que nous, les hétéros, que ce soit plus simple, qu'ils se comprennent mieux, mais un homo ne peut jamais revenir à l'estuaire de la vie, il ne peut jamais re-vivre, ou re-naître, il ne peut jamais s'emboîter à la matrice, refaire le trajet à l'envers, revenir aux sources, et ainsi connaître l'apaisement suprême, qui est de se trouver à l'intérieur de celles qui ont laissé sortir la vie de leur con, de leur machine à multiplier. Ce sont des touristes qui ne rentrent jamais à la maison. Ils ont de ce fait beaucoup plus de liberté que nous, c'est certain, car ils ont rompu le pacte de l'éternel retour, mais je les vois comme d'éternels déracinés, qui restent à mi-chemin. 

– Entre Beyoncé et Michel Sardou, je choisis Beyoncé sans hésiter ! Vous doutez que j'aie une âme, n'est-ce pas ? Vous avez raison. Mon âme est morte avant moi. C'était une âme de seconde main, qui avait déjà bien roulé sa bosse. J'ai essayé de la faire durer, je l'ai économisée, parfois, mais elle a tout de même fini par se rendre. Depuis que je vis sans âme je me sens plus léger ; c'est étrange ! En revanche, les douleurs sont toujours là, comme celle d'un membre amputé. 

– Pourquoi as-tu tué la couleuvre ? C'est idiot. De plus, c'est un animal protégé. Elle ne t'aurait pas fait de mal… – Je l'ai prise pour une vegan !

– Les profs sont donc tous aussi cons ? – Oh là là oui ! Et vous n'avez encore rien vu ! Faire peur au peuple est un crime.

– Il a une faucille et un marteau tatoués sur la poitrine, et il tire les cheveux de la fille en la prenant par derrière. Elle a l'air d'aimer ça. – Écrivez-moi, écrivez-moi ! 

– Tout à coup, elle se retourne, attrape la queue du type, et lui dit : « Mais vous bandez ! »

– Le train va partir. Ne m'oublie pas… Il se précipite aux toilettes et se branle furieusement. Il voit son visage dans la glace. Son portable sonne. Elle reçoit un sexto. Elle a un boyfriend qui travaille à l'ONU. Il ressemble à Michel Platini, elle ressemble à Beyoncé. Une Beyoncé qui aurait été contaminée à Tchernobyl, ou qui aurait reçu une giclée d'acide, dans la rue, à Londres. Son cœur bat très fort. Il éjacule sur le lavabo métallique. Son pénis comme une couleuvre morte. 

– Ça ne mord pas ! 

– Capturée par des porcs ! Ne me contredisez pas, je sais de quoi je parle. C'est très joli, le feu nucléaire. Pour un enterrement de vie de jeune fille, il n'y a pas mieux. 

– Elle non plus. Elle non plus ? 

mardi 18 juin 2019

L'esprit d'abord

« J'ai ouvert les portes de ma classe aux artistes, écrivains, poètes, comme bien d'autres collègues ; l'esprit d'abord, la lettre ensuite. »

Ça parle comme ça, un prof, en 2019.

dimanche 16 juin 2019

3,14 Post-Scriptum

Un pas après l'autre, nous descendons dans le gouffre, comme dans les sous-sols de l'hôpital 126, à Prypiat, près de Tchernobyl, là où les pompiers sacrifiés, la peau noircie, tisons humains, ont jeté leurs combinaisons irradiées. On voudrait faire disparaître les traces et les déchets de la catastrophe mais ils sont en nous. La vie d'un homme, c'est un sarcophage jeté par-dessus le bien et le mal, le bien et le mal en fusion qui continuent de bourdonner en sous-sol. Ça ne s'arrête jamais. Il n'y a pas de démantèlement possible du péché originel. C'est le combustible essentiel. C'est le secret qu'on voudrait nous cacher aujourd'hui, le secret que les vieux emportent dans la tombe. C'est pour cette raison qu'ils veulent à tout prix nous incinérer, pour faire disparaître les traces du combustible et la mémoire des formes. Les secrets ont toujours partie liée aux nombres, aux nombres et aux proportions, à l'ombre et aux femmes. 

Tant qu'il y aura de la différence sexuelle, le monde continuera d'exister. Alors pourquoi veut-on tant abolir la différence des sexes ? On prétend inventer des genres multiples pour augmenter les différences, alors que cela ne fait qu'abolir la seule différence réelle, en la diluant dans une surface à un seul côté, un cercle où toutes les différences ne sont que des résidus ou des artefacts. L'homme et la femme, c'étaient des angles qui s'emboîtaient et parfois s'opposaient, alors que les genres ce sont des cercles qui roulent les uns sur les autres, sans produire autre chose qu'une égalité et une imitation désespérées. On abolit la différence des sexes comme on abolit toutes les différences, pour que ça circule.

(…)

samedi 15 juin 2019

3,14

Longtemps je n'y ai pas prêté attention. Mon père avait quelques lubies, comme tout le monde. π était l'une d'elles. Pourquoi un nombre, pourquoi ce nombre ? C'est plus qu'un innocent folklore familial. π, c'est une clef. Une des clefs que le monde nous fournit pour le déchiffrer, c'est-à-dire nous voir nous-mêmes comme participant au Mystère. 

La vie nous offre quelques clefs. Des clefs privées et des clefs publiques. Les clefs privées nous sont données par les parents, par la famille, par les amis et les rencontres, les clefs publiques nous sont transmises par l'instruction, la science, la philosophie, et la littérature. La langue, autre obsession du père, est une de ces clefs – c'est même la clefs des clefs ; elle est à la fois privée et publique.

Le nombre Pi ne permet peut-être pas d'élucider les disputes amoureuses, les conflits familiaux, ou professionnels, ni de gagner au Loto, mais calculer la surface d'un cercle autrement que par approximations successives, ce n'est pas rien. Ce n'est pas un hasard si l'on parle de la quadrature du cercle. Si l'on pouvait mettre bout à bout tout ce que ce nombre a permis de comprendre, de construire, de mesurer, de vérifier et de faire fonctionner, on ferait plusieurs fois le tour de la Terre en descriptions, en explications et en commentaires. Ce nombre, qui a obsédé des générations et des générations de savants, se retrouve partout, non seulement dans les mathématiques, mais dans bien d'autres disciplines. Un nombre qui permet de passer d'un segment de droite à une circonférence ou à une surface à un seul côté n'est pas seulement un nombre, c'est une loi de l'univers, c'est un des doigts de Dieu. Comme par hasard, la suite de ses décimales est infinie, comme s'il voulait nous laisser entendre que quelque chose ici nous dépasse et nous dépassera toujours. Mais, malgré sa formidable complexité, ce nombre est efficace même quand on le réduit à sa plus simple expression : 3,14 suffit, dans la majorité des cas. 

La sarabande de la cinquième suite pour violoncelle de Bach est une autre de ces clefs. Comment ne pas être sidéré par la suffocante beauté de cette musique, par sa perfection hiératique et son âpre simplicité. Bach a retranché de la matière sonore tout ce qui n'était pas absolument nécessaire. Le chemin est escarpé. Harmonie, mélodie ? Ni l'une ni l'autre. Seulement un chant au bord du gouffre, un pas après l'autre. Miracle. Grâce à quelques très simples notes de violoncelle, l'homme peut atteindre des sommets insoupçonnables : Il a vue sur le monde, depuis un endroit interdit.

Il y a une intelligence du monde qui se manifeste autant dans un nombre que dans une partition ; elle peut aussi se manifester dans une phrase, dans un geste, dans une odeur, dans un visage, et même dans un sanglot. Des π, il y en a sans doute bien d'autres. Ils sont sur notre route, confidences et cailloux semés par le divin – ou le hasard. Ce sont des fenêtres à travers lesquelles on voit un tout autre paysage. On peut les appeler constantes : même quand tout se dérègle autour de nous, ces points de vue nous laissent apercevoir la mécanique céleste – ou la culotte de la fille assise en face de nous, dans le bus.

Le chemin est escarpé… Mais je vous jure que ça ne pourrait pas être mieux que ça. Vous vous figurez peut-être que vous auriez pu avoir une vie meilleure que celle que vous avez ? Regardez-vous. Avec si peu d'atouts, c'est déjà bien comme ça. Vous auriez pu gagner plus d'argent, sortir avec des filles plus belles, partir plus souvent en vacances et rouler dans de plus belles voitures, oui, vous auriez pu avoir un lave-linge Miele au lieu d'une machine à laver Laden, vous auriez pu avoir un forfait illimité sur votre iPhone au lieu du forfait Free à deux euros, mais même pour seulement avoir une clim réversible il aurait fallu faire tellement d'efforts et de concessions que la vie ne vous semblerait pas plus belle que cette merde dans laquelle vous vous traînez jour après jour comme un rat de laboratoire. Réfléchissez un peu. Peut-être même qu'il vous aurait fallu danser ! J'en ai fait, des choses humiliantes et dégradantes, dans ma vie, mais, danser, jamais. Croyez-moi, s'il faut s'en tenir au plan A, ce n'est pas parce que le plan B n'est pas meilleur, c'est parce qu'il n'existe pas. Et ne venez pas me bassiner avec votre liberté, ne vous faites pas plus bêtes que vous n'êtes. Il n'y a pas besoin de sept ans de réflexion pour comprendre que le seul libre-arbitre qui soit, c'est celui qui est aux chiottes. Vous pensez peut-être que Jean-Sébastien Bach a eu le choix, qu'il s'est réveillé un beau matin en se disant : je vais être un compositeur génial ? S'il avait eu le choix, Bach aurait peut-être choisi de jouer au football et de rouler en Ferrari, au lieu de donner des cours de clavecin et de composer une cantate par semaine. Jean-Sébastien est tombé sur son nombre π parce qu'on le lui a mis sur sa route. Après ça, les choses se sont faites toutes seules. Vous ne me croyez pas ? Prenez Christine Angot, par exemple. Vous pensez vraiment que si elle avait eu le choix, elle aurait décidé d'être Christine Angot, l'écrivaine Christine Angot, de sortir avec Doc Gynéco, tout ça ? Que le chemin soit escarpé ne signifie pas que c'est vous qui le créez. D'ailleurs ça ne signifie rien du tout. C'est seulement une image, une figure de style. Le tout est de faire souffrir suffisamment de gens autour de vous : c'est comme ça qu'on écrit sa vie, qu'on laisse une trace. C'est le signe du scorpion. Nous avons tous un scorpion en nous, le tout est de lui faire une place. C'est le scorpion en nous qui nous indique le chemin, qui nous raconte l'histoire. J'aurais pu, vous auriez pu, être Marc Dutroux ou Jean-Sébastien Bach, Albert Duspasme ou le capitaine Haddock, sauf que nous arrivons trop tard, toujours, que les rôles qui nous intéressent sont déjà pris, et que notre nombre π personnel n'a pas la tête de l'emploi – parce que nous n'avons aucune imagination. 

vendredi 14 juin 2019

Sarabande

Elle arrive vers quatre heures de l'après-midi, avec son violoncelle dans sa boîte noire. Il fait très chaud. Dans la petite chambre de bonne, au sixième, elle se déshabille et s'allonge, nue, sur le lit. Elle a transpiré. Il lui écarte un peu les jambes, elle se laisse faire. Émerveillé, il contemple son sexe, charnu, humide. Splendeur ! Elle ne dit rien, elle a les yeux fermés. Puis elle lui demande un verre d'eau. Il va à la cuisine, séparée de la chambre par un étroit couloir, et quand il revient, elle semble dormir, la main gauche posée sur son pubis. Il pose le verre d'eau près du lit, et repart à la cuisine fumer une cigarette et écrire un peu. 

On entend les cinq premières notes de la sarabande de la suite en ut mineur, puis un silence qui se prolonge. Il pose son stylo sur le cahier, et se dirige sans bruit vers la chambre. Elle est assise sur le lit, toujours nue et, quand il referme la porte derrière lui, elle reprend la sarabande au commencement : c'est pour lui qu'elle joue. Il s'est mis sur le lit, derrière elle, après avoir ôté son pantalon, et a collé son sexe bandé contre son dos. Ça sent le feu et la sueur. À la reprise, elle joue un peu plus fort. Les notes graves sont plus profondes, il les sent qui résonnent dans son ventre, il voit le sang qui bat lentement dans sa queue, il entend Sarah qui respire de plus en plus fort. Quand elle pose l'archet, il s'aperçoit qu'elle pleure. Il l'entoure de ses bras, les larmes coulent sur ses avant-bras, elle se met à sangloter. Ils restent longtemps, comme ça, sans bouger. Elle s'est arrêtée de pleurer. Il n'y a plus un bruit dans la chambre.


dimanche 9 juin 2019

Orgasme



« Et c'est le Soir, l'insaisissable confidence »

Je ne me rappelle pas le titre du film, vu dans les années 70 à Paris, un film américain, j'en suis presque sûr, un film sur la jeunesse estudiantine américaine, un film très baba-cool, un film jeans et obsessions, acné et touche-pipi, révolution dans le pantalon… Je crois me rappeler, étrangement, que le mot "fraises" faisait partie du titre. L'obsession, c'était l'orgasme. Je revois par exemple ce garçon portant un jean sur lequel était inscrit, sur la jambe gauche, dans le sens vertical, le mot "orgasme". Les garçons, dans ce film, ne pensaient qu'à ça. Ça ? Le plaisir féminin. Leur obsession principale n'était pas leur hypothétique plaisir, ni la conquête, ni l'amour, mais se réduisait à une question : comment faire jouir une fille ? Il est d'ailleurs notable que le mot orgasme ne s'utilisait alors que pour le plaisir de la femme. Les garçons, eux, n'avaient pas droit à un mot aussi noble pour nommer leur jouissance. Et même ce verbe, "jouir", n'est arrivé qu'assez tard dans mon lexique personnel. On a commencé avec le très adolescent "juter", puis, un peu moins provincial, "éjaculer". Mais tout cela ne concernait en rien le plaisir, finalement. Il n'y avait que les filles, qui étaient censées en prendre, du plaisir. Nous, nous n'étions là que pour le donner. En fait, plaisir il y avait bien, de notre côté, mais il était très cérébral, finalement. Notre plaisir consistait à voir, à toucher, et surtout à imaginer. Ça peut sembler incroyable, aujourd'hui, mais c'était plus qu'il ne nous en fallait. 

Je me souviens bien de la manière dont ce mot, "orgasme", est entré en moi. Il s'est tout de suite fait en mon esprit une place énorme, fondamentale, profonde, et le plus incroyable est que cette place n'a jamais perdu en intensité. J'entendais récemment une émission où il était question des mots que nous aimons, des mots qui comptent, pour nous, de ces vocables qui ont une place privilégiée en nous. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas forcément des mots poétiques, qui viennent se loger pour toujours en notre imagination, mais, toujours, ces termes sont à mi-chemin entre le signifiant et le signifié, ou plutôt, ils sont autant l'un que l'autre. La signification ne suffit pas, non plus que la sonorité. C'est leur mariage, leur parenté, qui crée le mot-clef – ou plutôt le mot-serrure. Et l'on peut parfaitement passer une vie entière à ne pas savoir pourquoi ils occupent un point aussi stratégique dans la constellation logique de notre esprit.

Si ça se trouve, ce film n'avait qu'un rapport infime avec ce thème. Il est très possible que ma mémoire ait inventé en grande partie un film qui n'existe pas. Si c'est le cas, dans quel but ? Et que viennent faire les fraises dans cette histoire ? Il n'y avait donc qu'un mot écrit sur un pantalon ? Qu'est-ce qui peut pousser un jeune garçon de seize ou dix-sept ans à écrire le mot "orgasme" sur son pantalon ? Que proclame-t-il, ce faisant ? Veut-il placer sa vie sous le signe du plaisir féminin ? Veut-il déclarer aux filles qui l'entourent qu'il n'est là que pour ça ? Dans quel but affirme-il cela ? Sucre-t-il les fraises, ce jeune homme ? Est-il déjà gâteux, tout à son obsession de donner du plaisir aux filles ? Et puis, donne-t-on du plaisir, donne-t-on le plaisir ? Le plaisir s'éprouve, il ne se donne pas. Le plaisir est toujours solitaire, même partagé. Il est tellement solitaire que les hommes sont obsédés par cette chose qu'ils ne comprennent pas, qu'ils observent de loin sans jamais y être. C'est chacun pour soi, le plaisir. L'orgasme ne serait qu'un mot ? L'orgasme ne serait qu'une parole ? Un mot dont personne n'est en mesure de donner une définition ?

Les mots sont des promesses. L'homme, en éjaculant, évacue la question du plaisir. Il n'a rien à prouver, lui. Son plaisir est mesurable, il se quantifie, il se voit. Il se boit, même. L'homme se vide. Ça le vide. Ce n'est pas une promesse en l'air, ce n'est pas une parole. C'est une signature. C'est un paiement, liquide. La pornographie aime à tout mettre sur un plan d'égalité. La femme et l'homme jouissent, la femme et l'homme ont un orgasme, et même, dorénavant, la femme et l'homme éjaculent. Pas de jaloux, pas de mystère. Tout est réversible. L'homme est une femme avec une bite, la femme est un homme avec un vagin. Non, l'homme n'a pas d'orgasme, parce que l'orgasme est un mot. Un mot creux. Ça souffle fort, dans ce mot. C'est un souffle qui passe à travers des tuyaux, un souffle qui siffle, qui sonne, qui chante, qui vient du vide de la voix vaginale. L'orgasme, c'est un mot qui, amplifié par mille tuyaux d'orgue, gonflé en orage et finit en spasme. La femme est toujours en train de promettre. Elle promet la vie et donne un mot. « Ma vie », dit-elle… Le mot de passe, impair et manque. Pour le reste, on peut repasser par la banque.

J'étais ce garçon, le pantalon en moins. Ma grande obsession personnelle a été le plaisir féminin. Prendre du plaisir en faisant l'amour n'a jamais réellement compté, dans le fond, mais le voir, l'entendre, l'éprouver à travers elles, en être témoin, oui, c'était l'aventure des aventures, ou la connaissance des connaissances. Il n'y a pas de connaissance qui ne s'enracine pas dans le sexuel. Le sexuel est la première et la plus profonde des connaissances, et peut-être l'archétype de toute connaissance. Le mot même de "connaissance" le dit. Et si connaissance il y a bien, quand on pénètre une femme, la jouissance de celle-ci est le fin-mot (ou le mot de la fin) de cette con-naissance – ce qui ne veut pas dire qu'on peut savoir ce qu'est la jouissance féminine, mais qu'au moins on peut "n'être-avec" et "naître-avec". Ma vie sexuelle a débuté avec une femme plus âgée qui m'a fait découvrir le corps féminin dans son ensemble, ce dont je lui serai éternellement reconnaissant. Loin de la paresse des stéréotypes sexuels qui aujourd'hui reviennent en force, le corps de cette femme était un champ d'investigations permanentes auxquelles elle me conviait avec intelligence, passion et patience. Je constate avec tristesse qu'aujourd'hui la pornographie (mais pas seulement elle) a contribué à instituer une sexualité machinique (dès lors, les poupées 2.0 sont les bienvenues). Le corps de la femme du XXIe siècle est devenu un ensemble – assez pauvre – de boutons sur lesquels il faut appuyer pour produire un résultat : l'orgasme. Or l'orgasme, précisément, est ailleurs et nulle part. Ce n'est pas un résultat. C'est un déplacement, c'est une soustraction, c'est un vide créé dans le plein, c'est de l'inouï et de l'inconnaissable. L'orgasme, ce n'est pas une réaction crée par une action, c'est une création. Ce n'est pas une réponse, c'est une question. Diderot le dit, l'orgasme vous amène au-dessus de vous-même. « Ils donnaient des préceptes pour s'acheminer artificiellement à cet état d'orgasme et d'ivresse où ils se trouvaient au-dessus d'eux-mêmes. »

Faire la confidence de ce qu'on ne connaît pas, c'est le mystère et le propre de l'orgasme. L'orgasme, mot-serrure, crayon entre les pages (confidence ultime, et peut-être également confession parfaite), c'est l'effervescence et le tumulte, l'ébullition et l'oubli, c'est ce qui précipite le présent dans un corps. L'orgasme, c'est le point-d'orgue au-dessus de la note absente, c'est la phrase manquante, c'est la Joie du Mandarin de cuivre. Si le désir « ouvre l'être comme un fruit », l'orgasme inocule en lui l'ivresse de ne pas se connaître soi-même. 

samedi 8 juin 2019

Chacun mes goûts


La joie – un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, avant-arrière, très rapidement ; flirt avec le temps – du geste.

Une des plus jolies choses que j'aie observées, c'est la manière dont une femme (encore jeune) enfile sa culotte, ou son string, avec ces petits mouvements de glissière, ou de cisaille, d'avant en arrière et d'arrière en avant, les pouces sous le tissu, en remontant vers les hanches. C'est très rapide, et c'est un mouvement continu : on ne perçoit qu'une sorte de petit ballet millimétré et exalté. 

Mais tout est beau, c'est vrai, dans l'habillage ou la toilette d'une femme – et l'étonnant est que même en une époque où le vêtement est devenu si laid, cette beauté-là reste entière. 


Des corps sur le décor


ENGIE. BNP-Paribas. Peugeot. Fly-Emirates. Roleix. Perrier.

Vous ne les voyez plus parce que vous les voyez trop. Partout, elles sont là. La moindre surface est utilisée. Il n'y a plus que la terre battue qui n'est pas encore marquée par la publicité. Ça viendra. Les marques sont omniprésentes, à Roland-Garros. Les joueurs eux aussi sont nikés, et même les petits ramasseurs de balles. Je dis les marques, mais ce qui marque, ce qui étouffe, même, c'est cette impression écrasante que les grandes entreprises sont là chez elles, que le sport (ou même le spectacle) n'est qu'un prétexte pour les mettre en évidence, pour vous les enfoncer dans la tête. On est cerné, on est camisolisé par cette puissance économique qui montre froidement ses muscles sur fond vert. Et d'ailleurs ce n'est même pas que ces entreprises auraient quelque chose à nous vendre, non, c'est seulement qu'elles veulent nous montrer qui est aux commandes, pour quelle et par quelle raison on est là. Ça ne se discute pas. Elles sont là, elles sont bien là, elles sont le cadre, la scène, les coulisses, elles sont le carburant et le véhicule, elles sont l'esprit et l'intrigue. Les Federer, les Nadal, les Williams passeront, elles seront toujours là, même si entretemps elles ont changé de nom. Toutes ces gloires du sport sont éphémères, ainsi que leurs caprices, leurs exploits et leurs personnages. Ils ont eu et auront leurs heures de gloire. C'est tellement peu de choses, pour Engie, BNP Paribas, Peugeot, Fly Emirates, Roleix, Perrier, Lacoste. La seule gloire qui ne passe pas, c'est l'argent, c'est la puissance, c'est le pouvoir. C'est la concentration du pouvoir et de l'argent. 

Il ne s'agit pas de marques. Il ne s'agit pas de luxe. Il ne s'agit pas d'entreprises. Il ne s'agit même pas de banques. Il s'agit de se croire libre dans un monde qui ne le permet pas. 

mardi 4 juin 2019

Les petits ramasseurs de balles de Roland-Garros


Depuis trois ou quatre ans, il y a à Roland-Garros un changement dont personne ne parle. Les ramasseurs de balles courent moins vite. Ce n'est même pas qu'ils courent moins vite, c'est que leur allure, ostensiblement, a changé : il y a quelques années encore, ils mettaient un point d'honneur à être dans un sprint permanent. Ils étaient "à fond". Ils partaient le plus vite possible, revenaient à leur place le plus vite possible, pour gêner les joueurs le moins possible. Ils courent toujours, bien entendu, ils sont rapides, mais leur allure a changé : ils ne sont plus "à fond". Par là, ils démontrent qu'ils existent. Ce changement est un changement idéologique et social, ou plus simplement politique. Ils veulent nous montrer qu'ils ne sont pas seulement des ramasseurs de balles, une fonction (et subalterne), mais qu'ils existent en eux-mêmes, pour eux-mêmes. Leur désinvolture et leur nonchalance (relatives) sont les signes discrets mais bien réels de la conscience de soi que ces petits personnages ont développée depuis quelques années. C'est le pride-time des ramasseurs-de-balles.

Du temps que les petits ramasseurs de balles couraient le plus vite possible, le but était de les rendre invisibles, ou presque. Ils devaient s'effacer devant le jeu, devant les joueurs, devant le match, devant le spectacle, ils devaient gêner le moins possible. Ils n'étaient qu'un des rouages, très nombreux, de ce sport qu'on appelle le tennis. Un rouage certes indispensable, mais qui n'avait pas la noblesse attribuée au jeu à proprement parler, et à ses protagonistes, les joueurs et l'arbitre. Ils n'étaient qu'un accessoire, dont, malheureusement, on ne pouvait pas se passer. 

L'allure des petits ramasseurs de balles n'a pas seulement changé quantitativement, elle a changé qualitativement. En ralentissant leurs courses, même très peu, ceux-là s'affirment en tant que membres à part entière du jeu. Ils passent des coulisses à la scène. Dorénavant, le tennis, c'est : les joueurs, l'arbitre, la balle et les ramasseurs de balles, et le public. La liste n'est pas complète mais arrêtons-nous là pour l'instant. Les petits ramasseurs de balles, – j'ignore si c'est de leur propre chef, ou s'il s'agit d'une décision "venue d'en haut" (je penche plutôt pour cette explication) – ont réparé une injustice. Et l'injustice qu'ils ont réparée, c'est la plus grave de toutes les injustices, c'est celle de la Hiérarchie – autrement dit celle de l'inégalité sociale (il vaudrait mieux parler d'inégalité fonctionnelle, mais dès qu'on veut se faire entendre, on parle de "social"). Il existe une hiérarchie entre tous les acteurs d'un sport comme le tennis ! Le joueur est soi-disant plus important que celui qui lui permet de se concentrer sur le jeu, de jouer sans avoir à ramasser ses balles. En une époque où la démocratie s'invite partout, c'était difficilement supportable. D'autant qu'en l'occurrence, le rôle d'un petit ramasseur de balles est d'une ingratitude caractérisée qui rappelle dangereusement l'esclavage. Ce sont un peu des "boys", les ramasseurs de balles. On les imagine très bien avoir la peau noire, s'excuser de devoir paraître sur le court de tennis, la scène où s'amusent les maîtres, et aller coucher dans une remise, une fois la journée de labeur terminée. 

Comment s'arranger de cette contradiction ? Le tennis souffre déjà d'une image de sport bourgeois, et même aristocratique, qui lui colle à la peau, surtout en Angleterre – si en plus il véhicule malgré lui des rôles et des situations tout droit sortis du purgatoire social ! Depuis une quinzaine d'années, les Français ont eu à cœur de faire monter les petits ramasseurs de balles dans la hiérarchie du tennis, de les extraire de leur rôle ingrat et de leur fonction, de les anoblir, en quelque sorte. Ils sont associés maintenant à toutes les phases du jeu, les commentateurs n'oublient surtout pas d'en faire mention, toujours avec le ton attendri et bonhomme qui convient, les sportifs (du moins les plus sympas d'entre eux) leur parlent, échangent quelques balles avec eux à l'occasion, et, désormais, entrent sur le court en leur tenant la main, pour bien signifier qu'ils sont au même niveau qu'eux, bref, ils ont acquis un statut social et spectaculaire (c'est la même chose) de premier plan, même si ça ne se traduit pas par l'état de leur compte en banque ou de celui de leurs parents.

Bien entendu, ce phénomène ne s'est pas produit de manière isolée. En même temps qu'on faisait monter ceux du bas, on faisait descendre ceux du haut. C'est tout un ensemble, la convergence petite-bourgeoise. On a même commencé par les sportifs eux-mêmes, qui sont de plus en plus pipoles, communs, vulgaires, et qui se conduisent sur le court comme s'ils étaient chez eux, ou à l'entraînement. Ça s'est d'abord vu dans les tenues, individualisées, "personnalisées", puis dans l'attitude (poing serré, crises de nerfs, caprices, invectives, manque de fairplay) durant les matches. Parallèlement, l'attitude du public a complètement changé. Les courts de tennis ont à l'heure actuelle à peu près la même ambiance, le même "son", le même folklore (l'épouvantable "hola", les cris, les encouragements, et de manière générale le niveau sonore émis par le public, le sans-gêne inouï des happy-fews, leurs manières) que le foot, sport naguère situé à l'opposé, sur l'échiquier social. Un Wawrinka, par exemple encourage vivement et à tout propos les manifestations du public ; il appelle ça "mettre une bonne ambiance". Quand un jeune tennisman grec se conduit comme une brute et un sale gosse mal élevé, les commentateurs, et même le président du tournoi (ou de la fédération française de tennis, je ne sais plus) parlent de "dramaturgie" – et il faut entendre la connotation positive de ce terme !  Et quand il commet un geste qui normalement vaut un point de pénalité, l'arbitre n'ose pas la lui infliger. « Il ne faut pas oublier que la dramaturgie a été inventée en Grèce » a même lâché un de ces augustes. Tous, ils trouvent que les courts de tennis ne ressemblent pas encore suffisamment aux terrains de football. Je les trouve bien pessimistes. Il me semble au contraire qu'il n'existe plus beaucoup de différences entre ces deux sports, leurs publics, et leurs joueurs. À quand un bon coup de boule à l'adversaire, entre deux points ? Voilà qui mettrait une super bonne ambiance et ferait encore grimper la dramaturgie à "Roland", comme ils disent. 

Le même phénomène exactement s'est produit dans la haute couture, par exemple. Les "petites-mains" (et pas seulement elles) ont été mises en lumière, et à l'honneur (ce qui est parfaitement mérité, d'ailleurs), alors qu'autrefois il n'y en avait que pour le créateur, parce que la hiérarchisation sociale est devenue intolérable, et parce que l'idée même de hiérarchie fait saigner le cœur démocratique. Hors l'égalité, les Modernes n'ont plus de pensée. C'est vers elle que les derniers restes de logos convergent, comme les menstrues convergent vers le Tampax. Quand tous les critères auront disparu, il restera celui de l'égalité : le dernier et le seul critère admissible. 

Bien sûr, tout le monde me répondra qu'il était absolument nécessaire de rendre le tennis abordable, de le mettre à la disposition de tous, de le faire sortir du folklore suranné et légèrement méprisant dans lequel il avait fait ses premières armes. Et d'un point de vue moral, on n'a pas grand-chose à objecter à cela. Mais il en va du tennis comme de l'instruction et de la culture. C'est très bien de le démocratiser, mais il faut savoir que, ce faisant, on en détruit le sens, la beauté, et le charme, qui – horreur ! – avaient justement partie liée à l'élitisme et aux privilèges de classe. Le tennis, c'était aussi une culture, une attitude, une distinction. On se débat dans une contradiction indépassable : on veut la démocratie, on veut l'égalité, on veut que tout le monde ait accès à tout, et au nom de ces principes, on met la culture, le sport, les voyages, les œuvres, à la portée de tous, moyennant quoi on les détruit. Tous ceux qui ont cru, et légitimement, à ce pourtoussisme radical, en sont pour leurs frais. Ils ont effectivement accès à tout, mais ce tout n'est plus que le souvenir de ce à quoi ils croyaient avoir droit. Et le pire est qu'il n'y a même pas de désillusion, puisque ces choses n'étaient pas connues de ceux qui sont conviées en masse à les consommer. Il s'agit purement et simplement d'une escroquerie – tout le monde est perdant. Ceux qui ont connu ces choses en leur état originel et qui les aimaient sont catastrophés de les voir saccagées, réduites à rien, ou pire que rien, et ceux qui ne les ont pas connues ne connaîtront jamais qu'une version dégradée, fausse, une mauvaise et vulgaire copie qui n'a plus aucun intérêt. Chacun veut sa part du gâteau, quitte à ne rien avoir du tout.

Il faudrait parler plus longuement du public sportif, car, en définitive, c'est lui qui façonne les sports qui désormais se pratiquent chez nous. Ce qu'on peut dire, c'est que les frontières, ici comme là, sont en passe d'être abolies. Et si les frontières sont abolies, c'est tout l'espace du jeu qui est défait, car le jeu suppose des rôles et des fonctions clairement définis. Le jeu, quel qu'il soit, c'est le lieu-même des rôles et des fonctions. Le public, l'arbitre, les juges de lignes, les joueurs, les entraîneurs, les ramasseurs de balles… pour que jeu il y ait, il faut que chacun reste à sa place, mais, rester à sa place, c'est ce que ne savent plus faire les Modernes, qui veulent occuper toutes les places simultanément. Le public a remplacé l'amateur de tennis comme le touriste a remplacé le voyageur. Comme lui, il détruit ce qu'il croit aimer, car il ne sait pas rester à sa place. 

lundi 3 juin 2019

Parler

« Plieux, lundi 3 juin 2019, trois heures de l’après-midi. Décidément je n’arrive pas  à décider si ce phénomène tient à ma personne ou bien s’il est lié à un état de la société, à l’atmosphère psychologique et sociale de notre époque — un peu des deux, sans doute, mais tout de même plus à ceci qu’à cela. En tout cas, c’est une loi constante, dans mon expérience : les gens qui disent vouloir vous entendre ne veulent en fait que vous parler, et désirent moins vous voir que se montrer à vous, ou avec vous. Ils ont déclaré souhaiter une rencontre ; mais ils n’ont pas précisé qu’en la rencontre, telle qu’ils la conçoivent, vous n’êtes pas censé dire un mot — peut-être ne s’en rendent-ils pas compte, d’ailleurs. Ils repartent enchantés de vous, qui n’avez pas ouvert la bouche. »

Pauvre Renaud Camus. Il me semble que sur le sujet personne ne le comprend mieux que moi. Les vrais interlocuteurs sont extrêmement rares, et les vrais dialogueurs encore plus. Il n'y a plus que des monologueurs. C'est désormais monologue contre monologue, que se règle la question de la rencontre. Depuis quand n'ai-je plus eu une vraie conversation ? C'est tellement lointain que je n'en ai plus le souvenir. 

Mais un doute affreux me prend : est-ce qu'il n'a pas pensé la même chose de moi, quand je suis allé lui rendre visite en août de l'année dernière ? Il est vrai que je n'étais pas seul (seul comme visiteur). Nous étions trois, et cela modifie profondément la manière de converser avec l'hôte. N'empêche, je serais bien ennuyé qu'il ait pensé cela de moi. 

Version

« Une version possible de sa vie n'avait pas eu lieu. » (Option Paradis, p.180)

Tout roman part de ce point-là. Les invendus, les rebuts, les recalés, les négligés… Tout ce qui n'a pas donné lieu à développement ; tout ce qui est resté à l'état de désir, ou d'idée ; les vides qui n'ont pas été remplis. Les vies bien remplies sont des vies ratées, du point de vue de l'écriture – mais une vie réussie est une vie bien écrite… L'oubli, ce pays fertile. 

« Ça a débuté comme ça. » Le texte est toujours inchoatif, comme le sexe.

Elle a un sexe ouvert, un sexe qui ne se referme jamais. Vous ne pourrez jamais la remplir, ni la combler. 

dimanche 2 juin 2019

La rencontre manquée

Par deux fois il est entré dans le salon et s'est posé juste à côté de moi, sur l'accoudoir du fauteuil. Frrrrrt frrrrrt frrrrrrt … Une première fois, est resté quelques secondes, nous nous regardons, immobiles tous les deux, silencieux, puis il repart au jardin. J'ai cru à une erreur. Il n'avait pas réellement voulu entrer, peut-être, ou n'avait pas réalisé où il était. 

Mais deux minutes plus tard, il revient. Se pose exactement au même endroit. Cette fois-ci, ce ne peut plus être un hasard, ni une erreur : il a vraiment voulu venir ici, entrer au salon, il a vraiment voulu se poser à quelques centimètres de moi. Il m'observe, je ne bouge pas. C'est un moineau très ordinaire. A-t-il un message à me délivrer ? Un court instant, j'hésite sur la conduite à tenir : lui parler, ou attendre qu'il se manifeste… À l'instant, où je vais, me décider, à lui poser, la question, qui me, brûle, les lèvres, il s'envole et retourne au jardin. 

C'est ainsi qu'on rate une grande histoire d'amour, mon coco. (Il voulait autant connaître ma question qu'il la redoutait.) Mais je peux te comprendre. Entre nous, les choses auraient été difficiles. Sans même parler de la question des goûts musicaux et la douche froide le matin…

Trio

J'en suis désolé, c'est peut-être très mal, mais je n'ai pas envie de passer mes journées à me disputer avec des gens au sujet du Grand Remplacement. C'est sans doute un réflexe très égoïste, mais quand j'entends l'Andante con moto tranquillo du premier trio en ré mineur de Mendelssohn, j'ai la certitude que c'est folie. C'est là, c'est en cette musique, que se trouve la vérité de ma vie, pas dans des batailles idéologiques, fussent-elles essentielles, et même vitales. En avouant cela, je ne fais qu'aggraver le soupçon qui déjà pèse sur moi et ceux de ma génération. « Ils s'en foutent ! Ce sont des après-moi-le-délugistes. » Oui, je suis bien obligé d'en convenir. Rien ne compte plus que cela. Heifetz, Rubinstein, Piatigorsky… Un jardin silencieux, du soleil, un dimanche après-midi, et la solitude bienfaisante. Un violon, un violoncelle et un piano. Ré-Do-Si-La-Sol-Fa… Peu de notes. Les bonnes. Peu de cordes, les bonnes. Sont-ce les dernières heures de bonheur ? 

Catholique

Pourquoi je suis un catholique malheureux – j'ai écrit "inconséquent", l'autre jour, sur Facebook ? Parce que les seuls qui me comprennent sont de farouches anti-catholiques. Je ne peux pas leur donner tort, à ceux-là, et même, très souvent, je leur donne raison. Pourtant, je n'appartiens pas, je n'appartiendrai jamais au même monde. 

Moi aussi !

Dès qu'il s'agit de musique, tout n'est que malentendus, dialogues de sourds. Comment en serait-il autrement ? Plus on en fait des gorges chaudes, plus il est manifeste qu'on ne parle pas de la même chose. 

Essayez. Dites par exemple combien vous l'aimez, la musique. Aussitôt on vous répondra : « Moi aussi ! » ou « C'est comme moi ! ». 

Ciel noir, âme qui vive



Tout récemment, dans son journal, une des plus belles pages que Renaud Camus ait jamais écrites.

Égoïstement, je n'ai pas envie de la recopier ici. Cette page me parle si directement, elle me fait un si grand effet, que je n'ai envie de la partager avec personne. Je la garde pour moi. 


Effet de Serres

Je n'ai pas beaucoup de goût pour le blasphème, sauf quand il est contre l'époque, mais je dois reconnaître que la mort de Michel Serres ne me fait pas beaucoup d'effet. Question de température, sans doute…

Si aujourd'hui est mieux qu'hier, ce qui était l'essentiel de son discours, c'est qu'on doit se réjouir de la disparition de Michel Serres. 

samedi 1 juin 2019

Éloge du rap


« Le rap a fait énormément de mal à la scène musicale française. » 

Depuis que j'ai appris la nouvelle, je me suis servi un verre de whisky, j'ai commandé trois cents disques de rap, et j'ai envoyé des fleurs à tous les rappeurs français. Le rap a fait du mal à la scène musicale française ? Alleluia ! Gloire aux rappeurs ! Merci à eux ! C'est une véritable catastrophe ? Joie, joie, larmes de joie ! Chants de louanges ! Tous ceux qui "font du mal à la scène musicale française" sont mes amis. Mieux : je suis leur débiteur. 

Si Fred Chichin (musicien) se plaint du rap, c'est que le rap est la panacée. Je ne cherche pas plus loin, je n'ai besoin d'aucun autre bonheur. Faire du mal à la scène musicale française y suffit. Et si ce sont des rappeurs qui lui font du mal, à la scène musicale française, eh bien ils ont ma bénédiction. 

« C'est affreux ! » M. Fred Chichin est triste, en colère, il est révolté, indigné, il est scandalisé, c'est merveilleux, ce jour est béni. 

La scène musicale française a assassiné la musique, il est juste qu'elle périsse de la même façon. La scène musicale française a remplacé la musique, le rap remplace la scène musicale française, et une autre saloperie remplacera le rap. Ce ne sont pas mes oignons. Que les assassins s'arrangent entre eux. Qu'ils se payent sur la bête, qu'ils partagent le cadavre. Toi, Fred Chichin-musicien, tu n'es qu'une des innombrables hyènes qui se sont partagés la charogne. Emporte-là en enfer. 

Sur Facebook, le statut reproduit plus haut a été liké deux cents fois et partagé deux cent fois. Ils sont tous d'accord, ils se scandalisent en plain chant, ils pleurnichent de conserve, ils psalmodient leur tristesse  recto tono, tout à leur indignation d'assassins en meute. Eux qui haïssent la musique de toute leur tripe démocratique, ils trépignent de rage parce que d'autres qu'eux ont suivi leur exemple. Ils voulaient être les derniers, ils voulaient fermer le temple, fiers de leur saccage. Mais c'est qu'ils ont fait école, les crapules ! On s'est dit, dans les banlieues et dans les caves, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas imiter d'aussi valeureux profanateurs. À profanation, profanation et demie. Il n'y a pas de limite dans l'abrutissement, il n'y a pas de fin à la saloperie, la passion de l'outrage n'a pas de terme. 

« Qu'ont fait les boomers contre ça ? »

Les boomers ? Eh bien ils écoutaient Bela Bartok et Luciano Berio, pauvre con, pendant que tes parents te nourrissaient d'Indochine et de Jacques Higelin.


PS. Et bien sûr, ils likent ce statut déposé par Joseph Valet…