mercredi 28 mai 2014

Seul


Vous êtes des milliards et je suis seul. Par je ne sais quel miracle, j'ai continué à vieillir. Je cache mon état tant bien que mal. Ce matin, je me suis teint les cheveux et j'ai troué un jean retrouvé au sale. J'hésite encore un peu à me percer le nez mais je sais bien qu'il faudra en venir là. Quand le facteur passe, je lui fais un clin d'œil et je monte la musique à fond. Je dépose des vieux sacs McDo devant la maison, bien en évidence. Il me faut toujours être aux aguets. J'ai dû jeter tous mes disques dans une décharge éloignée de mon domicile, de peur que l'un d'entre vous tombe dessus par hasard. Comme je ne pouvais revendre mon piano sans éveiller les soupçons, j'en ai retiré les cordes et je l'ai transformé en billard. La semaine prochaine, je ferai un grand feu, tôt le matin, avec mes partitions et mes livres. Je suis en bonne voie de normalisation accélérée, j'ai confiance. 

La seule chose qui m'inquiète vraiment, c'est la sexualité. Quand je vais en ville faire des courses, je jette des coups d'œil à la dérobée aux filles que je croise, mais je ne vois pas comment je pourrais réussir à coucher avec l'une de ces créatures. J'ai beau me raconter que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, et que je ne le ferai que pour donner le change, la moindre pensée un peu précise à ce sujet me donne la chair de poule. J'ai trop de souvenirs des vraies femmes avec lesquelles j'ai fait l'amour, jadis, pour me résoudre à pareille déchéance.