dimanche 18 mai 2014

Anne (38)


« Et vous, vous êtes gravé à combien ? »

Certains sont gravés à 12 nm. En conséquence de quoi il suffirait d'un minuscule micro-processeur, de moins de 1 centimètre cube, qui remplacerait avantageusement cet encombrant cerveau un peu dégoûtant et fragile. Imaginez la place gagnée, en plus de tout le reste. À la place du cerveau, on pourrait mettre des banques de données gigantesques, tous les musées du monde, toutes les encyclopédies existantes, toutes les archives nationales de tous les pays, tous les codes civils et pénaux de toutes les nations, les cartes du monde entier, les encyclopédies médicales, les gestes de premiers secours, les archives diplomatiques de la nation, des livres d'histoire, un manuel d'éducation civique, de la musique, des films, des banques de données de personnes sexuellement compatibles, et bien d'autres choses encore. Il n'est pas besoin d'expliquer les avantages d'un tel système : plus besoin de sortir de chez soi pour les loisirs et les rencontres, une culture énorme, et surtout la même pour tout le monde, plus de discrimination par la culture, par la connaissance, par le savoir, des économies médicales et structurelles gigantesques, une société homogène, où le conflit est réduit au strict minimum, dans certains cas dûment répertoriés, aux conséquences prévues, codifiées, où la négativité est évacuée en amont, et non plus en aval, une consommation matérielle réduite à l'essentielle, une économie des matières premières, la disparition radicale des pathologies de la mémoire, et surtout une transparence totale, qui ne serait plus un vain mot. On peut même imaginer conserver un semblant d'inconscient, pour les nostalgiques invétérés, mais un inconscient contrôlé et réduit aux acquêts, sous surveillance, un inconscient domestiqué, expurgé de ses aspérités les plus noires, de ses pulsions incontrôlables, un "inconscient à la française". 

Bien entendu, on conservera les œuvres de Freud et de Proust dans les banques de données implantées, pour que les générations futures sachent à quoi elles échappent désormais, mais elles seront précisément annotées et commentées, afin d'éviter les effets pervers.