mercredi 21 mai 2014

Rythmes impairs


Serge me dit que j'écris comme Jean-Charles Nul et Éric Gaufré. Je ne sais pas comment je dois le prendre.

Il paraît que les chiens sont meilleurs pour dépister le cancer de la prostate que les tests médicaux. Ça ne m'étonne en rien. Depuis le temps que je dis que ceux qui ont de l'odorat en savent plus que les autres, ça leur apprendra à m'écouter…

À part ça, sur Facebook, un comique commente : « À part ça, les flux migratoires en 1959 étaient beaucoup plus élevés qu'aujourd'hui. » Je lui propose d'écouter la septième sonate de Prokofiev, écrite en 1942, mais je doute qu'il comprenne de quoi je parle. 

« Je me rappelle très bien de l'impression extraordinaire qu'avait fait sur moi cette sonate quand je l'ai découverte. La partition bleu soutenu que j'étais allé acheter à Annecy. Un format assez petit, je ne sais plus quelle édition. Un papier de qualité médiocre, un peu jaune. Je me suis précipité sur le troisième mouvement, mais c'est finalement le deuxième qui ensuite m'a captivé et que j'ai essayé de comprendre au piano. Ces harmonies doucereuses, d'un diatonisme étrange, à la fois douloureux et ridicule, bancal, ces harmonies qui semblent vouloir se raccrocher à une tonalité vacillante ont quelque chose de bouleversant et d'unique. En tout cas, à cette époque-là, c'est tout un monde fabuleux qui avait surgi là, dans la grande maison désertée. Était-ce la Russie, l'URSS, la modernité, comme on disait alors, autre chose encore ? J'étais en train de jouer les pièces à 5 et 7 temps des Mikrokosmos de Bartok… Il faut se replacer dans ce contexte où la musique écrite à 4/4 nous paraissait du dernier ringard ; il n'y en avait que pour les rythmes impairs, et encore, pas tous les impairs (5, 7, 11, 13, 15). Et Prokofiev, avec ces banales mesures à quatre ou trois temps, réussissait à écrire une musique plus étrange, plus insaisissable que le folklore magyar ou les chants de travail géorgiens. C'était autre chose… Mais on ne pouvait alors comprendre réellement de quoi il s'agissait. Aujourd'hui je ne sais toujours pas de quoi il s'agit, mais à force de lire-jouer-écouter cette musique, elle nous apparaît moins comme quelque chose qui sort de nulle part. »

Quelqu'un à qui je dis que mes derniers textes sont dégueulasses me répond : « Vous ne devez pas être majoritaire, pour penser cela ! » Il est déjà extrêmement déprimant d'écrire pour des prunes, mais si en plus on est minoritaire dans sa propre entreprise, je vous demande un peu !

— Geoffroy, sors immédiatement de ton bain !
— Maman, le disque n'est pas fini !
— Robert ! Ton fils choisit toujours des interprétations de Furtwängler pour aller se laver, fais quelque chose !
— Toscanini est un gros nul !

Prokofiev se prénommait Serge, comme le fils du dancing. Il fumait la pipe et conduisait des motos très rapides. Il y avait souvent des bagarres, le samedi, chez eux. Les deux frères aimaient bien ça. Ce que j'aimais moins est que les jolies filles avaient souvent le béguin pour lui. Parmi les musiciens, il y avait ce type qui jouait du B3. Quand je serai riche, je m'en achèterai un. Ce que je redoute est d'attraper un cancer de la prostate avant d'être riche.