(Rumilly, dix heures moins cinq du matin, cuisine de la Closerie)
Ce que ma mère ne m'avait pas dit, c'est que Marie-Françoise avait appelé le jour où je le lui avais demandé. Mère n'a pas voulu lui parler, hier-soir. Elle faisait sans cesse un geste terrible de la main droite… Et quand j'ai pris le téléphone pour pour dire au-revoir à Marie-Françoise, elle s'est mise à dire, de plus en plus fort : « Arrête ça ! Arrête ça ! » J'ai dû raccrocher précipitamment car elle commençait à s'agiter vraiment. C'était terrible, mais je ne peux pas lui donner complètement tort.
En revanche, deux de ses amies sont passées, Bernadette Viollet et Germaine Rosset. Elles sont adorables.
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(Hôpital, 19h15)
Le médecin du week-end, le Dr Florence Richard, passe à l'instant à côté de moi, avec un plateau-repas. Pas un sourire, rien qui indique que nous nous sommes parlé il y a trois heures. Elle doit avoir le zygomatique coincé : cette fille est immédiatement antipathique, on sent son agressivité rentrée au premier échange de regard. Elle a peur des autres.
Mais je suis content, ravi, même. Mère, qui était au plus mal à midi, et jusqu'à quatre heures, est adorable, ce soir, souriante, aimante, tendre. Elle m'a beaucoup parlé. Je lui ai donné à manger. (Elle n'avait pas mangé depuis hier matin.) Elle est reposée, calme, la peau fraîche. Quand elle commence à dire du mal de ses enfants, c'est qu'elle va mieux.
Elle me dit : « Tu sais, j'ai menti à JM. Il me demandait qui je préférais, je lui a répondu que souvent on préfère les aînés et le benjamin. Je n'ai pas osé lui dire que c'est toi que je préfère. » Elle est merveilleuse de tendresse, elle prend ma main, me regarde dans les yeux, en silence, sans ciller, avec un regard plein d'amour, un regard d'une douceur que je n'oublierai jamais. Elle met tout, dans ce regard. Tout ce qu'elle est. Et tout ce qu'elle veut me donner. Et cet immense amour se voit, il est là, palpable, dans une sorte de fraîcheur étonnée, douce et intense à la fois. Je me dis que j'ai une chance incroyable d'avoir été là à ce moment-là — au bon moment.