(Rumilly, 8h, cuisine)
Dimanche soir, à la télé, La Jeune Fille et la mort, de Polanski (nous avions été le voir au cinéma, Anne-Sophie et moi). Le moment de ce film : celui où Paulina vient d'attacher à une chaise son tortionnaire, le docteur Miranda, et se débarrasse de sa culotte pour la lui glisser dans la bouche, en guise de bâillon. Cette scène est très courte, Paulina se dépêche, elle vient de l'assommer, elle veut finir avant qu'il ne se réveille. Elle a une demi-seconde d'hésitation, un bref moment où elle se pose cette question : où trouver un bâillon, ou plutôt, qu'utiliser comme bâillon ? Ça va très vite, et pourtant on a tout le temps de voir cette question dans son esprit, et, quand elle glisse les mains sous sa jupe pour retirer sa culotte, on n'a pas encore tout à fait compris ce qu'elle fait. Lorsqu'elle lui ouvre la bouche pour y mettre la culotte (la culotte qu'elle portait encore une seconde plus tôt), on pense tout de suite à l'odeur. Empêcher quelqu'un de parler avec le vêtement le plus intime… lui offrir, à lui, son odeur la plus secrète… la lui mettre en bouche… le suffoquer d'intimité… celui qui l'avait violée, cette intimité… « Je veux que tu parles, que tu racontes ce que je n'ai jamais eu la force de raconter, mais, avant, c'est ma propre odeur qui va te clouer le bec. »
Il a fallu que je voie ce film deux fois pour que cette scène me saute au visage. En principe, ce sont les hommes qui mettent leur odeur dans la bouche de la femme… Pour la faire parler ? Ou pour la faire taire.
Edwige, sur la scène du Showgirls, fin des années 80. Ses cuisses noires écartées, elle regarde la salle, souriante, elle dévisage lentement chaque spectateur. De sa chatte dépasse un petit bout de tissu blanc, très blanc sous la lumière noire. Je suis en train de me dire : c'est toujours sur moi que tombe ce genre de connerie ! Son regard s'arrête au deuxième rang, j'essaie de continuer à sourire. Puis elle fixe son ventre, on le voit qui se soulève à intervalles réguliers, et ses fesses, un peu écrasées sur le sol de la scène… Elle relève les yeux vers moi, penche la tête sur la gauche, et d'un petit geste, me fait comprendre que c'est moi qui vais devoir venir chercher la culotte. Sans utiliser les mains. Elle est appuyée sur ses coudes, et quand je monte sur scène, je la vois qui regarde les autres hommes dans la salle, d'un regard très calme et panoramique. Je m'approche, on entend l'ouverture de Cosi, et, en faisant claquer ses dents, elle m'indique comment je dois m'y prendre. Je suis obligé de me mettre quasiment à plat-ventre, je pose mes mains sur ses cuisses mouillées de transpiration. « Allez, Chéri, tu ne risques rien ! » Ses larges seins retombent un peu sur les côtés, elle est magnifique, j'oublie tout, le ridicule de la scène dont je suis l'acteur malgré moi, les types derrière moi, soulagés et jaloux, je me concentre sur cette chatte, à dix centimètres de mon nez, je suis envahi d'odeurs, je dois être tout rouge, je ne sais même pas si je bande, mais j'ai tout de même le courage de relever les yeux vers son visage, et de la voir m'encourager avec un sourire qui me paraît tendre. Puis j'y vais : ralenti, arrêt sur image, arrêt sur odeur, le blanc sort du noir, sort du rose, millimètre par millimètre, malgré la musique, j'entends tout de même, ou je l'imagine, le bruit de la culotte passant les lèvres, j'arrive à la portion de tissu qui est mouillée, gorgée d'odeurs fortes, Mon Dieu que c'est bon, je ralentis encore, la pellicule va fondre, je sens que ça s'impatiente derrière moi, j'entends des commentaires dont je ne comprends pas le sens, je me mets à penser au SIDA, j'imagine expliquer la scène à mon médecin : « Mais quel genre de rapport à risques ? — Eh bien… » On ne parle pas la bouche pleine ! On m'applaudit, je retourne m'asseoir, mais auparavant, Edwige m'a embrassé, elle a collé ses lèvres, juste un peu trop longtemps, sur les miennes, et là je sais que j'ai vraiment bandé. Tout le monde l'a vu mais ça m'était complètement égal.