J'ai mis un match de tennis que je ne regarde pas. J'entends seulement le bruit des frappes qui résonnent dans la maison. Par dessus, la musique de Weather Report. Et puis le bruit de ma vie vide. Ça ne suffit pas encore. Alors j'ouvre un livre au hasard. « Je suis responsable, bien sûr, de mes retraits, mais comment expliquer à quelqu'un qui contemple votre nudité, et qui s'en satisfait, que vous n'êtes pas encore vraiment nue ? » Ici, il faudrait montrer des clichés de scanner ou d'IRM. La langue d'Anna. Et toutes ces femmes qui n'ont pas su être nues pour moi. Vincent m'écrit : « À mon avis, pour ne pas être voyeur, il faut être un crétin. » J'aimerais faire graver cette phrase sur ma tombe, mais je suis presque certain que mes survivants ne respecteraient pas ma consigne. C'est désolant. On ne peut jamais faire confiance aux vivants, il n'y a que les morts qui sont fiables. J'ai publié sur Twitter des photos de Céline. Sa nudité simple me venge un peu des affronts du temps. « J'imagine qu'on traite chez moi d'excès ce qui simplement fait défaut aux autres. » La somme de tous les malentendus journaliers remplirait une benne à ordures. Et ne me demandez pas de développer, par pitié. J'essaie de voir mon corps se décomposer dans le cercueil. Il faut se préparer au meilleur. La grande réévaluation est en cours, je le sens. Ce qui est amusant est que l'on peut à la fois se réjouir très fort d'être en vie et éprouver un désespoir qui ferait tomber les piquants d'un hérisson, s'il nous approchait dans notre sommeil. Je ne crois pas exagérer. Il y a de ces moments, dans une vie, où nous n'appartenons plus à l'espèce, mais, l'habitude aidant, nous ne faisons pas de vagues et nous restons sagement assis sur notre cul et hochons la tête quand on nous parle. Il est facile de donner le change. Si au moins le temps passait en majesté, comme un grand vent qui nous emmène vers le terme de sa substance, on aurait l'air de quelque chose, on pourrait se consoler. « Je vois ma limite, et au lieu d'habiter paisiblement à l'intérieur du talent qu'elle protège ou fortifie, je vais me pencher au bord. » Toujours j'en reviens à ces deux mots : auréole et aréole. Il n'y a pas de hasard, dans la langue. Outrepasser la nudité, pourquoi ? J'ai toujours trop de bruit en moi. Les bords sont indistincts. Ce qu'il faudrait, c'est pouvoir couper les voix des commentateurs sportifs, et garder le reste. J'aime la terre battue. Je sais qu'il est trop tard et je ne m'y résigne pas. Je repars en sens inverse, vers l'enfance. C'est ainsi. Je n'ai pas à m'en expliquer. La chevelure du sens vient se mettre sur mon visage, et c'est beau. Est-ce parce qu'on ne peut pas partager quelque chose que cela n'existe pas ? Toutes mes vaines tentatives, et Dieu sait qu'il y en a eu !, ne me calment pas. Parfois nous sommes saisis de cette conviction violente : nous avons vécu séparés, protégés, comme si le monde et nous avions été tenus éloignés l'un de l'autre par une barrière infranchissable que personne ne voit. C'est une course d'endurance qu'on confond avec un sprint. Oui mais les corps ? Je palpe mes chairs. J'essaie de retrouver les désirs qui m'ont fait naître. Je ne vois que des gens très-sérieux. Lourds. Je veux voir le vide. Je veux sentir la Terre respirer. Au moins la musique ne tente pas de nous expliquer la vie, elle. J'apprends qu'une femme a porté plainte parce que le propriétaire du Airbnb qu'elle occupait à Annecy l'a filmée sous la douche. Il avait déposé un réveil dans la salle de bains, un réveil dans lequel se trouvait une caméra. Mais comment a-t-elle su que le réveil cachait une caméra ? Cette femme est une obsédée du réveil, il faut la dénoncer à la police ! Ne pas aller en prison, aujourd'hui, est suspect. Tous les gens respectables y seront bientôt, à condition que les murs ne soient pas abolis, eux aussi. C'est pas gagné.