mercredi 11 septembre 2013

Mal sans limite : la réjouissance des oisifs


« Si l'on crache dans ton oreille droite, tends ton oreille gauche à ton agresseur : tu verras, c'est encore pire. » (Sâr Georges, IIIe siècle après la Grande Décivilisation)


Il est étrange de penser que ce qui fut, durant deux siècles, la souffrance de l’ère industrielle, la vibration puissante et grave des machines, ébranlant jusqu’à le ruiner le corps des travailleurs, est devenue la réjouissance des oisifs. Le pire est peut-être la cadence invariable des coups portés, l’égalité de la hauteur de la vibration, le bruit sourd et toujours identique, sans modulation, comme un symbole de l’illimitation du mal, ce qui se répète et qui ne change pas, comme un glas infernal et infini.

(Jean Clair, Journal atrabilaire)

Il n'est que d'écouter la musique qui, en des temps moins barbares, était censée figurer les machines, dans ce qu'elles peuvent avoir de plus inhumain, de moins modulé, de moins accordé à l'esprit et à la sensibilité du fils des étoiles, pour s'apercevoir que cette musique si dure et si intraitable nous semble, en comparaison de l'amusique d'aujourd'hui, une bluette pleine de poésie et d'invention, en tous domaines. Alexandre Mosolov était un grand romantique un peu fleur bleue qui ne survivrait pas quinze secondes s'il se trouvait par un hasard affreux dans n'importe quelle quinzaine commerciale d'une ville européenne à la veille de Noël.

À cette lumière, il peut être vertigineux et angoissant de se dire que peut-être, le pire du XXe siècle, si généreux quant à la brutalité et à la violence, n'est rien si on le compare avec ce qui se prépare. Il suffit de tendre l'oreille pour s'en convaincre.