samedi 7 septembre 2013

Mal partir



« Quand on est sceptique, c'est déjà mal parti ! »

C'est la vendeuse de "charcuterie corse" à Cora qui me répond ça. J'avais reniflé, par pure curiosité intellectuelle, un figatelle accroché là, et mon air méprisant, sans doute, m'avait attiré une invitation pressante à le "déguster", le figatelle. Mon « Non merci, sans façon. » n'a pas aidé la conversation à gagner en amabilité. Surtout que j'avais ajouté, sur un mode ironique que la vendeuse n'a pas entendu : « Et ils viennent d'où, ces figatelles ? » « De Corse ! » qu'elle me répond… J'aurais pu lui expliquer qu'on était en septembre, mais je n'avais aucune envie d'entamer une discussion sur la charcuterie corse avec quelqu'un qui visiblement n'en avait jamais mangé de sa vie et qui semblait bien décidée à continuer sa vie durant à croire qu'elle vendait de la charcuterie corse. J'ai tout de même dit que trouver du figatelle ici et en cette saison me rendait pour le moins sceptique. C'est là qu'elle a eu cette réplique merveilleuse : Quand on est sceptique, c'est mal parti ! Puisque j'en vends, c'est bien la preuve que ça existe, non ?

Eh oui, le scepticisme est une tare, c'est l'évidence même. Il faut croire. Croire sur parole. On vous dit que c'est du figatelle ? Eh bien c'est donc assurément du figatelle ! Puisqu'on vous le dit ! Il faut bien partir. Il faut partir du bon pied. Et le bon pied, c'est celui qui vous fait prendre des vessies pour des lanternes et de la brousse pour du brocciu. Oui, bon, il est fabriqué en Chine ? Et alors ? C'est la même recette, non ? De toute façon, j'ai eu tort. Je n'aurais dû rien dire du tout. Il faut laisser croire. Les croyants veulent croire, il ne faut pas les empêcher de croire. Tout le monde aujourd'hui pense acheter du saumon fumé, pour Noël, et c'est très bien comme ça. On pourra dire conséquemment : aujourd'hui, c'est formidable, tout le monde peut manger du saumon fumé ! Tout le monde peut manger du figatelle, tout le monde peut écouter de la musique, tout le monde peut regarder un film, tout le monde peut lire, tout le monde peut voyager, tout le monde peut se cultiver, et tout le monde peut manger des cerises à Noël ! Tout le monde peut être président de la République, tout le monde peut écrire un roman, tout le monde peut faire de la peinture, tout le monde peut écrire de la poésie, tout le monde peut faire de la musique. Tout le monde. Tous. Croyez ! Tout le monde peut croire. Tout le monde peut partir du bon pied. Il y a même des gens, aujourd'hui, qui croient partir du bon pied sur le Chemin de Compostelle. Et ils marchent, ces cons ! Et après avoir marché comme des cons, tout graves, la mine sereine, ils nous racontent qu'ils ont marché sur le Chemin de Compostelle, et même parfois, ils en font des livres ! Et d'autres gens les invitent à en parler, etc. C'est fascinant. Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort, j'en connais un. Si Pivot existait toujours, il serait même peut-être passé à "Apostrophes", et alors…

Depuis que le catholicisme a été abattu (oui, vous n'étiez pas au courant ?, la boutique est fermée depuis un bon moment ! (ah, les abrutis qui remplissent les églises ? Oui, on est au courant, on les laisse faire, il faut bien entretenir les légendes)), nous sommes entrés dans une société de croyance intensive et extensive. C'est extrêmement drôle. Plus on nous explique qu'il ne faut croire à rien plus on croit à tout, avec un enthousiasme délirant, que nos curés d'antan n'auraient jamais eu l'idée d'espérer ! C'est pas le tout-à-l'égoût qui l'a emporté sur la fosse sceptique, c'est le tout-à-l'envers qui l'a emporté sur le faux sceptique. Remarquez que les vrais sceptiques ne courraient pas les rues, mais enfin, on arrivait tout de même à en croiser un de temps en temps au détour d'un chemin creux, au printemps, en train de déguster un figatelle sans le crier sur les toits. Pas fou, le sceptique ! Quand on la chance de manger du figatelle, on ne s'en vante pas. Quand on connaît la seule charcuterie où l'on trouve du vrai figatelle à Ajaccio, on ne le dit à personne, on n'a pas envie qu'elle se mette à faire la même cochonnerie que les autres, ce qui arriverait immanquablement avec le succès, avec la "démocratisation charcutière".

Le vrai se déguste en Suisse, comme les femmes. On ne partage pas le vrai, on ne partage que le faux, que l'ersatz, que le simulacre, que la copie, que la réplique. La preuve par Facebook, qui est bien parti pour nous faire croire que le faux est vrai. Hier encore, j'ai été confronté là-bas au faux qu'on admire avec des tressaillements mouillés d'échine. Et si vous avez le malheur de dire quoi que ce soit, oh, malheur à vous, on ne vous le pardonne pas. Vous soulevez le suaire sous lequel il n'y a rien, et rien n'est plus vexant que d'être agenouillé devant une boîte vide, il faut en tenir compte avant de l'ouvrir