« Mais si c'était à votre vue déficiente qu'échappait la profonde unité des relations internes dans chaque œuvre ? Si c'était par votre seule faute que le langage du maître, fort bien compris des initiés, vous soit resté incompréhensible, que la porte menant au saint des saints vous soit restée fermée ? En vérité, le maître, aussi maître de soi que Haydn et Mozart, sculpte son moi le plus profond à partir du royaume intérieur des sons, et règne sur lui en monarque absolu. » (E.T.A. Hoffmann)
« Beethoven fut le plus grand maître du temps musical. Chez nul autre compositeur, les rapports entre intensité et durée ne sont si finement observés ; personne d'autre, pas même Haendel ou Stravinski, ne comprit à ce point quel effet pouvait produire une simple répétition, ni quelle tension résulter d'un simple retard. Dans beaucoup d'œuvres (le finale de la huitième symphonie n'en est que l'exemple le plus célèbre), tel détail souvent répété ne devient vraiment intelligible qu'en fin de morceau, auquel cas on peut littéralement parler de tension logique s'ajoutant aux tensions harmoniques et rythmiques habituelles de la forme sonate. Stravinski a fait remarquer que "c'est en vain qu'on cherche dans la musique post-webernienne le prodigieux moyen d'action que Beethoven a fait du temps ; il s'en sert comme d'un levier". Cette maîtrise du temps ne fut rendue possible que par la compréhension de la nature exacte de l'action musicale, ou plutôt des actions musicales. Un événement musical intervient en effet à des niveaux fort divers (…) En ce qui concerne l'intensité à donner à des actions musicales, Beethoven ne commit jamais la moindre erreur de calcul : il porta à son apogée la technique déjà menée si loin par Haydn et Mozart qui consistait à doter les proportions elles-mêmes d'un poids expressif et structurel à la fois. (…)
Le poids donné dans une œuvre à la seule durée (celle du tout aussi bien que des parties) n'est pas du tout de nature purement, ni même principalement, rythmique. La masse harmonique, le poids et l'étendue d'une ligne ou d'une phrase, l'épaisseur de la facture — ces éléments jouent tous un rôle aussi important. La fusion chez Beethoven de ces éléments en une synthèse que Mozart lui-même que fit qu'entrevoir lui permit de maîtriser les grandes formes comme personne avant lui. Le mouvement lent de l'opus 111 parvient comme nulle autre œuvre, ou presque, à suspendre, en son sommet, le cours du temps. » (Charles Rosen, Le Style classique)
« Les derniers mouvements [des trois dernières sonates de Beethoven] en particulier ne laissent guère filtrer l'ardeur éperdue, l'impact dynamique, qu'on associe généralement à l'idée du finale classique. Et pourtant, chacun d'entre eux semble être propulsé par une compréhension instinctive des exigences de ce qui a précédé, et s'intègre à la conception d'ensemble tout en préservant un effet de totale spontanéité. Cependant, et c'est ici que repose le paradoxe, rarement mouvements ont été construits de façon aussi compacte et développés avec autant d'économie ; rarement on a pu trouver, comme à l'intérieur de ces mouvements, un condensé aussi rigoureux des propriétés de la sonate classique. » (Glenn Gould, notice accompagnant son enregistrement des trois dernières sonates de Beethoven, en 1956)