dimanche 17 août 2014

Le Maître et la Sonate (interlude 3)


« "Pas la peine de regarder, j'ai déjà mis tout cela en musique !" Et moi, j'ai décidé de vivre dans cette montagne, parce qu'il me semble qu'elle recèle toujours la substance musicale qui s'est déversée sur Stravinsky et Ramuz… »

[« Too fast ? — No, no no, not at all ! »]

On ne peut pas être à la fois
Qui on est et qui on était

[Il y aura encore des guerres, et des marteaux sans maîtres.] Le garagiste découvre que le pompiste a rempli mon réservoir… d'eau. 

Boulez me propose de devenir son assistant à Londres !

Les partitions mythiques de l'éditeur autrichien Universal…

Il se met à lire son Marteau. On a du mal à suivre cette partition ; alors, l'exécuter…

— Mais… quand avez-vous eu le temps d'apprendre Tristan ?
— La nuit.
— Et dormir ?
— Je dors vite !…

— Combien de pages sur les Variations opus 30 ?
— Une vingtaine…
— Il en manque dix. Allez plus au fond.

La sonate assied ses déploiements sur deux thèmes-piliers. Quand, lors d'un second énoncé, (la réexposition), après les longs détours du développement, on retrouve ces deux thèmes-piliers, il est convenu d'opérer des raccourcis pour ne pas lasser l'auditeur avec une musique déjà entendue. La musique appréhende un temps psychique non conforme au temps physique. Une journée remplie d'événements passe vite. Une journée vouée à la méditation passe lentement. Se remémorer la première, événement après événement, prend du temps, tandis qu'on se souvient de l'interminable méditation en une fraction de seconde.

— You are a musician, too ?
— Yes…
— Wich kind of music ?
— Contempory…
— Like the Stones or the Beatles ?
— Difficult to say…

Je veux regarder le soleil !

_____________

— Strauss a appelé, dis-tu ?
— Oui, de l'hôpital. Il est alité.
— J'y cours sur le champ.
Furtwängler frappe.
Ja ?
Strauss est assis dans son lit, une lourde partition ouverte sur les genoux. Il fait signe à Furtwängler d'approcher. 
— Un prodige, un absolu !
Tristan.
— Je tenais à en parler avec vous, un connaisseur…
Il tapote sur la première page.
— Je vais commencer ma prochaine œuvre par la citation de l'accord initial de cet opéra. Des harmonies intenses, des lames dans l'âme. Mon ultime hommage à Wagner.
Quelques semaines plus tard, à Pontresina, dans les Grisons, il copiera l'accord de septième diminuée sous les paroles "J'ai longtemps rêvé…", au début de Frühling, le premier de ses Vier letzte Lieder.
Subitement, Strauss lance :
— Vous aimez Eichendorff ?
— Et comment !
— Avec lui je prendrai congé du monde…
Strauss tourne la tête vers la fenêtre, les yeux suspendus au ciel, de mémoire, il récite…

Ô, paix immense et sereine,
Si profonde à l'heure du soleil couchant !
Comme nous sommes las d'errer !
Serait-ce déjà la mort ?

Puis, Strauss tend des feuillets de papier à musique à Furtwängler.
— Regardez…

Une vingtaine de portées. Des notes minutieuses. Les barres de mesure tirées à la main. Vacillantes. Au centre, la mélodie de la voix, soulignée du texte d'Eichendorff.
— Je l'ai terminée en mai.
Dans le silence, Furtwängler découvre le manuscrit de ce premier chant, Im Abendrot, que Strauss a composé pour son cycle de quatre Lieder, qu'il finira par placer à la fin, à la suite des trois autres qu'il n'a pas encore écrits, cet été-là.


(Merci à Michel Tabachnik et son livre, De la musique avant toute chose)