vendredi 22 août 2014

Le Maître et la Sonate (11)


Comme Bach, Beethoven est fondamentalement insituable. Mozart, et c'est son grand mérite, a fini une époque, l'a portée à son plus haut point concevable. Beethoven, lui, a autant commencé que fini. Il est classique, mais il est déjà romantique, comme Bach était classique et baroque, à la fois en retard et en avance sur son temps. Ils ne s'inscrivent pas bien dans la chronologie, il la débordent de toute part. Schubert avait une admiration éperdue pour Beethoven. Il se sentait tout petit, auprès de lui, et quand j'écoute Schubert, j'entends cette ombre immense, à l'abri de laquelle il a composé. Il aurait pu ne jamais écrire, paralysé par la peur et la honte. C'est je crois ce qui donne à la musique de Schubert cette saveur inimitable : il a dû pousser une porte minuscule, il a développé à l'extrême un territoire qui au départ était infime. Je le vois comme quelqu'un qui aurait volé un accord, un seul accord, à son idole, et qui l'aurait passionnément aimé, écouté, scruté, jusqu'à en trouver le secret, secret qui allait lui permettre de composer une musique d'une singularité d'autant plus affirmée qu'elle devait tout à son dieu. Il y a dans la musique de Schubert de ces longues plages qui ne sont que la contemplation infinie d'une sonorité admirée comme l'on regarde une statue, en tournant autour, en l'observant sous tous les angles, sous toutes les lumières, à toutes les heures du jour. Schubert tourne autour de Beethoven, il n'essaie pas de faire mieux, il essaie seulement de comprendre.