samedi 27 mars 2010

Albert Duspasme (3)




Albert était rentré tard de la partouze du samedi soir. Ce n'est pas qu'il rechignait à s'y rendre, mais il était plutôt gros dormeur, et le dimanche matin, au printemps, était consacré à la Séduc-Action. Tout cela prenait du temps et il n'était plus tout jeune. À la partouze d'hier, quelqu'un lui avait fait en passant la remarque qu'il ne pratiquait peut-être pas le cunnilingus avec tout l'entrain qui convenait. Bien sûr, la chose avait été dite avec le sourire, mais il fallait néanmoins rester sur ses gardes. On pouvait facilement être dénoncé. Il avait déjà aperçu cette femme, qu'il n'aimait pas. Qui sait quelles étaient ses fonctions. Il allait devoir faire un effort à la Séduc-Action de ce matin. Il passa sous la douche avec un soulagement : la Fantaisie s'entendait beaucoup moins quand on avait la tête sous l'eau.

lundi 22 mars 2010

Albert Duspasme (2)


Le lundi est un jour tranquille. En sortant du travail, Albert va directement au Sensutrans de son quartier. Il y fait ses quatre gymnosensues et regagne à pied son domicile. Ce soir, il a embrassé seize femmes. Ce n'est pas si terrible quand on a la technique. Deux d'entre elles avaient mauvaise haleine mais il a déjà vu pire. Il a été bien noté à l'exercice de palpation dans le noir et les douches étaient exceptionnellement calmes. Même pas une fellation. Vraiment, Albert aime bien le lundi.

dimanche 21 mars 2010

Albert Duspasme


Albert était rentré tard de la partouze du samedi soir. Ce n'est pas qu'il rechignait à s'y rendre, mais il était plutôt gros dormeur, et le dimanche matin, au printemps, était consacré à la Séduc-Action. Tout cela prenait du temps et il n'était plus tout jeune. À la partouze d'hier, quelqu'un lui avait fait en passant la remarque qu'il ne pratiquait peut-être pas le cunnilingus avec tout l'entrain qui convenait. Bien sûr, la chose avait été dite avec le sourire, mais il fallait néanmoins rester sur ses gardes. On pouvait facilement être dénoncé. Il avait déjà aperçu cette femme, qu'il n'aimait pas. Qui sait quelles étaient ses fonctions. Il allait devoir faire un effort à la Séduc-Action de ce matin. Il passa sous la douche avec un soulagement : la Fantaisie s'entendait beaucoup moins quand on avait la tête sous l'eau.

vendredi 19 mars 2010

La vérité


Et vous n'avez pas honte, et ça ne vous humilie pas ? me direz-vous peut-être, en secouant la tête avec mépris. Vous avez soif de vivre et vous répondez vous-mêmes aux questions essentielles avec votre logique de la confusion. Vos attaques sont tellement énervantes, tellement insolentes, et — en même temps — comme vous avez peur ! Vous dites n'importe quoi et vous en êtes satisfait; vous proférez des insolences, vous tremblez perpétuellement de ce que vous dites, et vous demandez pardon. Vous assurez que vous n'avez peur de rien, et, en même temps, vous essayez de vous grandir devant nous. Vous assurez que vous grincez des dents, et, en même temps, vous plaisantez pour nous faire rire. Vous savez que vos bons mots ne sont pas drôles, mais il est clair que vous êtes heureux de leur qualité littéraire. Peut-être est-ce vrai que vous avez souffert, mais vous n'éprouvez pas le moindre respect pour votre souffrance. Vous détenez une vérité, mais vous n'avez pas la moindre pudeur ; c'est la gloriole la plus mesquine qui vous fait exhiber votre vérité devant tout le monde, au pilori, à la foire… Oui, vous voulez dire quelque chose, mais votre peur vous fait cacher votre dernier mot car vous n'avez pas assez de cran pour lui trouver une expression, vous n'êtes mû que par une insolence lâche. Vous vous flattez de votre conscience, mais vous ne faites qu'hésiter, car même s'il est vrai que votre esprit travaille, votre cœur est noirci par la dépravation et, sans un cœur pur, une conscience pleine et juste est inimaginable. Et comme vous êtes énervant, que vous êtes collant avec toutes vos grimaces ! Mensonge, mensonge et encore mensonge !


mardi 16 mars 2010

Interruption

Georges vous demande quelques instants de silence, il est en train de faire sa prière.

lundi 15 mars 2010

Mode d'emploi


1. Cliquez sur le lecteur audio de la Berceuse pour Luna.

2. Attendez 8 secondes…

3. Cliquez sur le lecteur audio du Message personnel n°13.

4. Rendormez-vous.

dimanche 14 mars 2010

Message personnel n°13


Mais tu vas le décrocher ce putain de téléphone, oui ou merde !?



samedi 13 mars 2010

jeudi 11 mars 2010

Blog




Et voilà, à peine rouvert, ce blog me fait déjà ch… Faut dire aussi que j'ai des c-o-m-m-e-n-t-a-t-e-u-r-s qui décourageraient même un Digoux devant son verre de pinard.

D'ailleurs, il passe son temps à cela, Georges, à essayer de semer ses lecteurs. Quelle joie quand il voit le compteur de visites qui descend, descend ! Pendant plus d'une semaine, il a été plat comme l'encéphalogramme d'un cuirassier de la Grande Armée en 2010. C'était beau, cette ligne droite. Il y a bien eu une alerte dimanche dernier, un visiteur égaré sur une page inexistante. Mais il a dû rapidement se sentir de trop, le visiteur, à peine la porte entrouverte il était déjà reparti, sans demander son reste. C'est curieux, ces habitudes que prennent les blogueurs, ces habitudes si rapidement prises. Pourquoi revenir, encore et encore, alors que rien ne les attend ici, que rien n'est amène, qu'aucun sens ni aucune information digne de ce nom ne peut leur donner l'illusion qu'ils ne perdent pas leur temps. À peine le rideau remonté en grinçant, on a vu les mêmes cohortes, les mêmes petits groupes, les mêmes individus patibulaires et vaguement honteux, la sueur au front, passer, repasser, le regard absent, comme les "repasseurs" des rues chaudes, quand ils déambulent, l'air de rien, sur le trottoir. Vraiment passif, le racolage de Georges ! On ne peut pas dire qu'on va les chercher, on ne peut pas nous accuser d'être "commerçant" ! D'ailleurs, je me demande si la devise de la maison ne va pas changer. De « Tais-toi, je t'en prie ! », qui n'est guère efficace, semble-t-il, on va sans doute dorénavant préférer : « Plutôt mort que sympa ! » Ici, le "Bonjour!" a la signification de good bye, à plus, à la revoyure, à tout'. On ne change jamais la devanture, on ne fait pas la poussière, le néon au-dessus de l'entrée est toujours en panne, ce n'est plus GEORGES, mais G OR ES. Les mouches volent au-dessus des tables tachées et ça sent le graillon. En vitrine, un vieux livre de poche de Ray Bradbury, taché lui aussi, Fahrenheit 451, et un album de photos souvenirs aux pages arrachées. Au fond, on entend un pianiste amateur qui s'escrime sur la Polonaise en la bémol. Il manque des touches à l'instrument, complètement faux. Ce con va nous rendre dingues ! Héroïque mon cul ! Seul le va-et-vient pour aller aux toilettes, en sous-sol, les talons qui tapent sur les marches de béton, et l'air de ne pas y toucher des habitués, pourraient donner l'idée qu'il se passe encore quelque chose ici. Le patron fait la gueule et il n'a plus rien à boire. Les clients rasent les murs et sont mal rasés. On se demande vraiment pourquoi l'autorité ne ferme pas définitivement l'établissement.

Écouter ? Comment ça, écouter ?


Si quelqu'un vous demande ce que vous faites dans la vie et que vous répondez que vous écoutez de la musique, il est exclu que vous soyez pris au sérieux. Je pense souvent au mot de Richard Wagner qui disait en substance qu'il était parfaitement normal qu'on lui assure non seulement la subsistance mais même une vie confortable et luxueuse, car il était "l'auteur de Tristan", et n'aurait-il composé que cet opéra. Les quelques artistes qui peuvent se flatter d'avoir écrit, peint ou composé quelque chose qui leur paraît compter dans la production artistique humaine comprennent cela, il me semble. Et ce n'est pas moi qui voudrais leur retirer ce privilège. Il existera toujours des envieux qui ne comprendront pas qu'un homme, fût-il un grand artiste, n'ait pas à gagner sa croûte à la sueur de son front. Que Gustav Mahler ait dû diriger et un orchestre et une maison d'opéra n'est pas quelque chose qui lui a fait perdre son temps, loin de là, mais il eut été préférable qu'il ait le choix, et donc la possibilité de ne pas le faire.

Écouter de la musique ? Et puis quoi encore ? Vous me voyez venir. Ici nous pensons sincèrement qu'il serait grand temps que Georges ne fasse plus que ça. Ça, quoi ? Vous voulez dire critiquer, donner son avis, écrire des notices pour des disques, pour des festivals, pour des encyclopédies, parler dans un micro, raconter la vie passionnante de Célestin Barmadu, le grand hautboïste ardéchois que personne ne connaît ? Non, on ne veut pas du tout dire cela. Écouter, et rien de plus : voilà ce que devrait-être l'activité principale de Georges.

Le matin, il se lèverait, prendrait son petit déjeuner, son bain, ferait une courte balade avec Luna. Puis il reviendrait s'asseoir, se préparer. Il passerait alors son habit, fraîchement repassé, se parfumerait, reprendrait une tasse de café (un mélange de Mexique Gragé et de Salvador Pacamara, avec un fond de Moka Lekempti).

Ensuite ? C'est très simple. Il appuierait sur le gros bouton rouge, installé dans son confortable fauteuil d'écoute. Tenez, ce matin par exemple, il s'agit du deuxième mouvement du concerto pour violon de Samuel Barber. Il dure neuf minutes.

Vous voudriez peut-être qu'on vous fasse part de nos réflexions, que l'on explique pourquoi ce concerto, pourquoi cette artiste, pourquoi le violon, pourquoi Barber plutôt que Chopin, et qu'on se mette à faire comme les imbéciles de la radio qui "comparent" des versions en cherchant désespérément à donner l'impression qu'ils savent de quoi ils parlent ? C'est bien sûr exclus. Que vous écoutiez Barber ou Sting, Bério ou Charles Aznavour, les Noces de Stravinski ou le dernier opéra rock qui passe à la salle des fêtes de Boudurin-les-Eaux, voilà bien de quoi on se moque éperdument. Nous n'avons aucunement le désir de changer vos habitudes, de réformer vos goûts, ni même, Dieu nous en garde !, de vous instruire. Surtout pas ! Il faut à tout prix que le monde continue comme il est, que personne ne change rien à son cours, il est hors de question de déranger quiconque. D'une ancienne vie, nous avons gardé un profond dégoût de l'enseignement, quel qu'il soit.

Soit, me direz-vous, mais alors, écouter quoi, écouter pourquoi, écouter comment, et surtout, comment justifier une telle occupation, si l'on peut parler ainsi, et comment même (le comble !) la faire rétribuer (par le fameux contribuable) ? Je dois avouer que je n'ai pas les réponses à toutes ces questions très ennuyeuses. Cependant, qu'on ait ou non les réponses à ces questions, il va de soi que c'est désormais le seul but de la vie de Georges. Il faut absolument que quelqu'un soit là pour écouter, le faire sérieusement, et ne faire que ça. Qu'on le comprenne ou non n'a pas d'importance. Pensez-vous avoir compris à quoi servent ces bonnes sœurs ou ces bons pères qui prient en silence dans les monastères catholiques ? Seriez-vous absolument certains qu'ils ne servent à rien que cela ne les détournerait pas une seconde de leur sympathique passe-temps. Savez-vous pourquoi Georges doit être désormais écouter la musique ? Je vais vous le dire : parce que c'est ainsi.

mardi 23 février 2010

Miroirs

Ce que L'Église nomme la Communion des saints est un article de foi et ne peut pas être autre chose. Il faut y croire comme on croit à l'économie des insectes, aux effluves de germinal, à la voie lactée, en sachant très bien qu'on ne peut pas comprendre. Quand on s'y refuse on est un sot ou un pervers. Par l'Oraison dominicale il est enseigné qu'il faut demander notre pain et non pas mon pain. Cela pour toute la terre et pour tous les siècles. Identité du pain de César et du pain de l'esclave. Identité mondiale de l'impétration. Équilibre mystérieux de la puissance et de la faiblesse dans la Balance où tout est pesé. Il n'y a pas un être humain capable de dire ce qu'il est, avec certitude. Nul ne sait ce qu'il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent ses actes, ses sentiments, ses pensées ; qui sont ses plus proches parmi tous les hommes, ni quel est son nom véritable, son impérissable Nom dans le registre de la Lumière. Empereur ou débardeur nul ne sait son fardeau ni sa couronne.

(…)

« La terre est un homme », a dit je ne sais quel philosophe mystique. Cette parole étrange me revient tout à coup en songeant, une fois de plus, au Globe impérial que je vois toujours accourant du fond des siècles, pour se placer enfin dans la main de Napoléon. Ce globe naturellement exprime la sphère terrestre, image renversée de la sphère céleste où elle paraît n'être qu'un point tout à fait imperceptible. Mais l'Espace aussi bien que la Quantité n'est qu'une illusion de notre esprit. Le Nombre n'est que la multiplication indéfinie de l'Unité primordiale et rien d'autre. Il est donc probables et même certain que la minuscule terre, si vaste pour les pauvres humains forcés de la parcourir, est, en réalité, plus grande que tout, puisque Dieu s'y est incarné pour sauver jusqu'aux astronomes.

Cette incarnation n'est pas seulement un Mystère, ainsi qu'on l'enseigne, elle est le centre de tous les mystères. Omnia in IPSA constant. Quand on lit que le Fils de Dieu, son Verbe, « a été fait chair », c'est exactement comme si on lisait qu'il a été fait terre, puisque la terre est la substance de la chair de l'homme. Mais Dieu, prenant la nature humaine, a opéré nécessairement selon sa nature divine, c'est-à-dire d'une manière absolue, devenant ainsi plus homme que tous les hommes formés de terre, devenant lui-même la Terre au sens le plus mystérieux, le plus profond.

Lorsqu'on nomme la terre, c'est donc le Fils de Dieu, le Christ Jésus lui-même qu'on nomme, et c'est à décourager toute constance exégétique de découvrir que le mot terra est écrit beaucoup plus de deux mille fois dans la Vulgate, pour ne rien dire du mot humus, invocateur et synonyme d'homo qu'on peut y lire exactement quarante-cinq fois.

Remplis de ces pensées, ouvrez le saint Livre et vous aurez comme le déchirement du voile de l'Abyme. Vous serez aussitôt le témoin bouleversé des épousailles du Ravissement et de l'Épouvante. Vous ne saurez plus, vous n'oserez plus parler. Vous n'oserez plus cracher sur la terre qui est la face de Jésus-Christ, car vous sentirez que cela est vraiment ainsi. Quand vous lirez, par exemple, dans saint Jean, que Jésus « écrivait du doigt sur la terre », en présence des Scribes et des Pharisiens accusant son Épouse à lui, l'Église pour laquelle il devait mourir, d'avoir été « surprise en adultère », vous sentirez peut-être, avec une émotion inconnue, que ce Rédempteur écrivait sur sa propre face, du même doigt qui avait guéri les aveugles et les sourds, la condamnation silencieuse des implacables et des imbéciles. « Celui qui est issu de terre, est de terre et parle de la terre », avait dit son Précurseur, et c'est pour cela que le Maître s'exprima toujours en paraboles et similitudes. On ne finirait pas, s'il fallait d'une main tremblante et le cœur battant comme les cloches de l'Épiphanie, dérouler toutes ces concordances du Texte saint.

Alors un respect sans bornes serait dû à cette terre miraculeuse, inexprimablement souillée par tous les peuples depuis tant de siècles et si cruellement déshonorée aujourd'hui par les industries avaricieuses qui la dépouillent de tout son décor, après l'avoir violée jusqu'en ses entrailles. Mais toute la malice des démons ne l'insultera pas plus que la Face du Rédempteur ne fut insultée. On a beau la vendre ou l'échanger avec injustice et par les détours de la cupidité la plus ignoble, cela ne fera jamais une équivalente qualité d'outrages. Quelque dévastée que puisse être la face visible de notre globe, on ne le dépouillera pas cependant des trésors cachés de la colère de Celui dont il est l'image et on n'éteindra pas non plus la fournaise immense de son cœur.

(Léon Bloy, L'Âme de Napoléon)


vendredi 19 février 2010

C'était plus fort que lui

Il y avait une fois un blog qui avait mis Georges en lien ! Faut être complètement dingue pour faire une chose pareille, je sais. Surtout que le blog dont je parle avait des références, comme on dit de quelqu'un qu'il a des lectures. Évidemment, quand on voit ça :ça vous pose un blog, tout de suite.

Je comprends parfaitement que "Chez-Georges", au milieu de Lullymallarmébaudelairesaintaugustin, ça la foutait mal onvadir. Heureusement, le mal est réparé, la peste a été éradiquée, la calomniateur éliminé, le bandit mis à l'ombre, l'usurpateur démasqué. Georges à côté de France-Culture, vous imaginez le blasphème ? Georges vomissant sur la couche de Philoctète, Georges pissant sur les notes de Jacques Lacan, vous voyez un peu le tableau ? Les torchons et les serviettes, les gâteaux et les gâteux, le saint Esprit et Barabbas dans le même bouillon, faut pas déconner : sur la Bloge, y a des limites à ne pas franchir. Georges c'est le QHS qu'il lui faut, je l'ai toujours dit. Surtout depuis qu'il s'est lancé dans la chanson.

Les autres, là, les uréacologues, ils sont au moins estampillés MRAP, Digoux et tout ça, ils ont leur brevet de méchants utiles, ils vont avoir bientôt leur Panthéon, leurs librairies, leurs squares, leurs crèches, leurs cantines. Non moi j'dis chaque chose à sa place. Les utiles et les nuisibles. Pas beaucoup de nuisibles sur la Bloge, mais Georges, c'est sûr, en fait partie. Renaud Camus a d'ailleurs été l'un des premiers à l'affirmer.




Il faut vraiment être une esprit malade pour mettre Georges en lien. Pourquoi ai-je écrit "une" esprit malade, va immédiatement me demander Véra, changeant de lunettes avant d'aller se laver les mains au sous-sol ? Je n'en sais rien. Ça doit vouloir dire quelque chose ; on ne sait jamais ! De toute façon, à la manière de Shostakovitch, j'ai décidé en commençant ce message que je ne raturerai plus rien. C'est bien à force de gommer, de barrer, que j'en suis là ! Une esprit malade plein de méchanceté l'affirmerait sans détour, et comme me le rappelait tout à l'heure **** : Moi je suis seul et eux ils sont tous. On ne saurait mieux dire ! Maintenant que j'achève ma vie dans un trou, je vois mieux ce que voulait dire Georges à Louvain. Georges-en-lien ! Comme si l'on pouvait vouloir se l'attacher !

« Pourtant, ce n'est pas là que s'achèvent les "carnets" de cet homme paradoxal. C'était plus fort que lui, il a continué. Mais il nous semble, à nous aussi, que c'est ici que l'on peut s'arrêter. »

vendredi 12 février 2010

La Science en marche. I.


Le nourrisson A est placé dans une chambre noire dans laquelle on diffuse la Flûte enchantée de Mozart. Le nourrisson B est laissé dans les bras de la mère, qui le berce et lui donne le sein. Le nourrisson C est assis devant une télévision qui transmet les images de la Starac, il se nourrit lui-même avec un biberon automatisé dont la bouillie est directement influencée par le vote des internautes branchés vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le site couveuse.com. Le nourrisson D est confié à des louves suisses-italiennes. Le nourrisson E est placé chez Faconde Norwest qui lui récite des poèmes des Kagi.

Lequel de ces jeunes enfants aura le développement spirituel le plus fécond ? Lequel aura le plus de chances d'échapper à la vindicte imprescriptible de Louis Schweitzer ? Lequel sera président de la République du Conglomérat néo-français, en 2042 ?

samedi 6 février 2010

C'est pas grave



— Et toi, qu'est-ce que tu fais ? me demande Zoé, si ce n'est pas indiscret.

— Moi ? Musicien.

— Vous êtes musicien !! s'extasie-t-elle si fort que du coup elle revient au vouvoiement.

— Non, j'étais, j'ai arrêté.

— C'est pas grave, c'est bien aussi. Moi j'adore les musiciens.


dimanche 24 janvier 2010

Parce que nous sommes en guerre


Chez Neuhaus, je dormais sous le piano.

***

Sergueï Prokofiev était un personnage intéressant, mais… dangereux. Il était capable de vous buter contre un mur. Un jour qu'un élève lui jouait le 3e concerto, accompagné au deuxième piano par son professeur, le compositeur s'était soudain levé, avait empoigné le professeur au collet en criant : « Espèce d'âne ! Tu ne sais pas jouer, sors de cette classe ! » À un professeur !

En 1948, lors d'une session du Comité central qui condamnait la nouvelle musique, et où il avait été sauvagement attaqué pour formalisme par Jdanov, il avait eu le courage de répondre à ce dernier, droit dans les yeux : « De quel droit me parlez-vous ainsi? »

***

« Maria Beniaminovna, mais pourquoi avez-vous joué le Prélude en si bémol mineur de façon aussi dramatique ? » « Parce que nous sommes en guerre !!! » (…) D'ailleurs, elle se promenait avec un revolver sur elle et le montrait à tout un chacun. C'était vraiment du folklore. Elle disait : « Tenez-moi ce machin-là, mais faites attention, il est chargé ! » Un jour, elle eut un béguin et tomba follement amoureuse de quelqu'un qui ne répondit pas à ses avances. On comprend le malheureux ; il devait être terrorisé. Du coup, elle le provoqua en duel. À l'issue de ses concerts, j'avais mal à la tête. Elle exerçait une telle violence sur son public, une violence incroyable ! Et d'abord sa façon d'entrer en scène : on avait l'impression de la voir marcher sous la pluie.

***

En URSS, je fus le premier à les jouer [les sonates], et quand je me mis à le faire, on me crut fou. Les professeurs de la vieille génération me disaient : « Pourquoi jouez-vous Schubert ? Quelle idée ! C'est tellement ennuyeux ! Jouez plutôt Schumann. » De toute façon, je ne joue pas pour le public. Je joue pour moi.

***

J'ai toujours à l'esprit un Crépuscule des Dieux à Bayreuth, magnifiquement dirigé par Pierre Boulez, peut-être pas très exalté, mais très exact, ruiné par la prétentieuse mise en scène de Patrice Chéreau.

***

Mais allez parler aux médecins d'accords de septième diminuée !

***

Je ne parvenais plus à me passer de la présence d'un homard en plastique que je promenais partout avec moi, et dont je ne me séparais qu'au moment d'entrer en scène.

***

Kurt Sanderling a dit un jour à mon sujet : « Ce n'est pas seulement qu'il joue bien, c'est qu'il sait aussi lire les notes. » Ce n'était pas si mal vu.



(Sviatoslav Richter, 1915-1997)

vendredi 22 janvier 2010

J'ai presque peur


Au bordel, on joue Fauré, ce soir. « J'ai presque peur », la mélodie. Annette a le cul en l'air, elle s'est poudré les fesses, son petit trou rose est délicatement parfumé. Androse, elle, veut jouer de la trompette, elle ne connaît pas bien Fauré, mais on la dit très douée. Flux, le barman, astique son trombone, on ne sait jamais ce qui peut arriver ; ne pas se laisser prendre au dépourvu est sa devise. Faconde arrive, joyeuse et gaie, et riant aux éclats. À sa suite, Mélanor Campion, peu sûr de lui, en passe-montagne. Il est très parfumé.  

En coulisses, Georges et Johnson s'égalisent le tempérament, ils ont le feu aux doigts, et échangent des politesses. On entend un roulement de tambours. Satin et crêpe tintinabullent aux confins. 

Les archets sont gonflés à l'azote et personne ne sait où se trouve la sortie des harpistes. Une grande désolation anarchiste s'abat sur l'assistance aux personnes déplacées. C'est le moment épure. Presque. Des seins passent, sans propriétaires ni excuses. Fauré perforé, décoloré, horloger limogé et imploré, n'a plus peur. 

La coulisse est au supplice, sans piston ni thrombose. Il faut faire avec. Même si le préjudice n'accordera aucun pardon.

mercredi 20 janvier 2010

Mais quel pif !

« Cette visite montre que c'est un faux débat. L'attachement à la République s'exprime ici avec une force considérable. »

mardi 19 janvier 2010

Brûlure


dimanche 17 janvier 2010

Sérénade



Je vois S. dans la rue, enceinte, au bras d’un bel homme portant un magnifique chapeau melon et une belle moustache cirée. Je m’aperçois qu’elle porte dans le dos une sorte de petit sac en cuir noir, qui a la forme d’un étui de violoncelle. Je m’adresse à l’homme : « Excusez-moi, j’ai bien connu S., nous avons même fait l’amour dans cet ascenseur que vous vous apprêtez à utiliser. Me permettez-vous de m’asseoir avec elle sur ce banc, et de lui mordre l’oreille ? Je n’en ai que pour un instant ! » Lui se met à rire, il m’écarte d’un revers de main, tout en me disant : « Mon petit ami, ce coup-là, on me l’a fait déjà cinquante fois. Voyez l’écriteau ! » (et il m’indique une plaque en argent massif, à sa ceinture : Propriété privée. Entrée interdite).
Je suis sur le bord du large trottoir ; ils continuent leur promenade, très dignes. J’ai à peine entrevu les yeux de S. Elle ne se retourne pas. Je les suis du regard un instant, puis je tourne les talons et je poursuis ma route. Je n’ai pas fait dix pas que j’entends un vacarme terrifiant, et je vois S., transformée en furie, qui a plongé son archet dans le ventre de l'homme, qui se met à fondre sur lui-même avec un bruit inouï d’acier en fusion. Ne reste que son chapeau, duquel s’échappe un filet de fumée âcre. Je cours vers elle, les bras ouverts, mais je la vois qui presse de toutes ses forces sur son ventre, et quand j’arrive enfin près d’elle, je constate que c’est moi qu’elle vient de mettre bas.

samedi 16 janvier 2010

Phrases lues en vitesse



Raymond Barthes, lui, semble insensible à la dimension de son érection au Collage de France, mêmsi question n'était pas absente de sa leçon conjugale. Mais prcsmnt, à mon sens, dans un chromatisme surpre lorsqu'il définiss l'enseigne des correspondances comm "décliné jusqu'à la fatigue entre les bières de la question aristoc et le désir atrabil de ses étudiants". Moi qui, alors, suis unjeuneéludant, je sais bn que l'émail abscons ne signifie déjàplu rien ou bien trop de tout. 

En réalité, Raymond expérimente la solidité de trajet, celui d'un disc sans cyclope, un privé dont l'absence serait aussi discrète, caressante et mousse que celles de ces quelques parturientes, asthmatiques menuets à quatre temps, qui sont là, ou, plus simplement encore, qui serait celle, purement émerveillée, des anus empruntés. Cette expérimentation est, à ses yeux, un échec cuit à l'os.

Raymond ! Crève l'abcès et mange avec les doigts ! C'est le retour à l'instinct secondaire qu'il faut annuler comme paradigme infertile.

(Eric Martha-Graham, Le Job des vieilles cires)

vendredi 15 janvier 2010

Sur un fond de velours noir (Lois)


« Le médecin se leva, ouvrit une armoire pleine de fioles et d'instruments et il me jeta, à travers son cabinet, une longue fusée de cheveux blonds qui vola vers moi comme un oiseau d'or. » *

Les poils, ça en dit long sur la polis. Comme dirait Guy Debord, « dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le faux est devenu tellement vrai que la possibilité même de le "dénoncer" (comme l'on disait naguère) n'est plus que le souvenir de quelque chose qui n'a pas existé. (Le poil ? Mais vous n'y pensez pas, mon pauvre ! Eh si, j'y pense, justement…) C'est un peu comme le métro que l'on avait plaisir à prendre, ou les maisons qu'on ne fermait jamais, ou la lecture. Si vous faites état de vos souvenirs (sic), on pense le plus sincèrement du monde que vous ne pouvez pas penser ce que vous pensez, qu'il ne s'agit que d'un "fantasme", d'une provocation, d'un "délire". Tenez, essayez par exemple d'articuler cette phrase, en société : « C'était vraiment mieux avant. » N'y mettez pas d'intention superlative, dites-la comme ça, en passant, comme si vous énonciez un banal constat, du genre : « Tiens, la nuit tombe. » Vous allez voir immédiatement les mines se renfrogner, la lippe se plisser, ou bien vous allez entendre vos interlocuteurs éclater de rire, comme à une bonne blague que vous leur auriez faite, complice. Toutes choses égales, c'est un peu comme s'il vous prenait, en pleine réunion d'amis, de dire à ceux-là que "vous êtes de droite". "Hin hin", "hi hi hi", "oh oh oh", "ah ouais ?", "mais bien sûr !", "ben tiens !", "oh tu sais, ça veut plus rien dire", "oui oui oui, on sait", "quel con, celui-là !", "pfff", vous allez entendre tout ça, dans un premier temps, tant qu'on pensera que vous n'êtes pas sérieux, que vous ne pouvez pas être sérieux, car c'est un peu comme si vous vous mettiez tout à coup hors de l'humanité, puisque, pour ces gens-là, l'humanité ne se divise pas, elle est une, et pense comme eux, bien sûr, il n'y a pas de pourquoi. Se dire "de droite", c'est se proclamer hors-monde, hors-pensée : l'Ennemi du Genre humain, en quelque sorte. Ce n'est pas que les gens de gauche sont intolérants, c'est plutôt qu'il est impossible de tolérer quelque chose qui n'existe pas ! Est-ce que vous tolérez l'anti-matière, vous ? Et encore, cette anti-matière, on sait du moins qu'elle existe quasiment, même si c'est d'une manière tout hypothétique, en quelque sorte pour vérifier la matière positive — par son opposition de théorie utile. Non, la non-gauche humaine n'est pas une hypothèse, c'est une hypopothèse. C'est la même chose pour le passé, considéré autrement qu'un "moyen-âge", qu'un gouffre sombre et anté-humain, où l'imbécilité, la méchanceté, la violence, le racisme, régnaient en maîtres despotiques et bornés. Avant nous le déluge ! Nos parents étaient des animaux tout juste bons à enfanter les aimables génies que nous sommes, à mettre au monde cette race aracée et dégenrée d'esprits doux, lisses, et malheureusement durables. Comme l'anti-matière n'existe qu'afin que s'y appuie le visible, le dos droit, la droite n'existe que pour que la gauche ait un répulsif qui lui donne sens, et le passé pour que le présent ait un miroir qui lui révèle sans l'ombre d'un remords qu'il est beau, qu'il est bon, qu'il est le meilleur présent qui soit et qui puisse être. Le passé ? Des poils plein la bouche ! La droite ? Des poils plein les oreilles !

Longtemps les poils ont eu la prétention d'en être ! Mais ils n'étaient là, survivance de l'ancien monde, croit-on croire désormais, que comme signes de demeures particulières : la pensée, le sexe, et aussi cette articulation dédoublée qui lui fait écho, de chaque côté du cœur. Un seul cerveau, un seul sexe, mais, comme les bras ne sont pas réunis à un quelconque principe visible, contrairement à l'estuaire de la procréation des membres inférieurs, ces deux buissons humides et sombres ne désignaient qu'un rébus obscène rendu caduque par l'obligatoire clarté moderne. Les aisselles moussues sont les oriflammes du sexe-sentiment : il en fallait deux pour que l'être s'équilibre. Mais c'était négliger les petits comptes de la modernité : Ce qui ne sert à rien doit être supprimé, afin que les conséquences de l'incalculable génie humain le soient moins. Le glabre est le sobre sabre glacé de la transparence totalitaire. Un peu d'ombre, par pitié, ce soleil me tue ! Quoi de plus beau pourtant que ces mots d'encre jetés sur la page blanche du corps, qui délimitent un territoire, le beau losange d'un pays, celui d'un être, et son équilibre, la touffe du sexe comme consonance mineure (et confidence) de l'âme ? Ceux qui ne comprennent pas ça, je les méprise. Ils n'aiment pas lire. Ils n'aiment pas les énigmes. Ils n'aiment pas le délai, ils n'aiment pas les infinies médiations, ils n'aiment pas la phrase. Ils croient bêtement que la vie se livre, telle quelle, dans sa nudité vierge, qu'un mot suffit. Ils croient qu'on aime les ciels sans nuages, les assiettes de sucre, les arias sans récitatifs, la viande sans gras, et bien sûr ils ne croient pas au péché originel. Ils préfèrent les serpents et les limaces aux chats, aux chiens, aux oiseaux, aux fauves.

« Le poil c'est sale ! » entend-on dans les arrières-boutiques qui sentent les crèmes et la cire. Oh oui, c'est sale comme les sécrétions, comme les excrétions, comme les odeurs, comme ces fluides qui passent d'un corps à l'autre quand ils se désirent, c'est sale comme ces bruits échappés aux alphabets sociaux qui donnent une tonalité aux ballets moites des animaux que nous sommes aussi. L'argument de l'hygiène est tellement bête qu'on ne s'y arrêtera pas. Tout est sale, dans l'amour, heureusement ! Et les cheveux, est-ce sale ! Une femme en cheveux, disait-on jadis… comment serait-elle désirable, sans ça ? Que penserait le compositeur de Pelléas, s'il pouvait voir nos modernes Mélisande ? Qui n'a pas enfoui son visage dans la chevelure d'une femme, qui ne s'est pas enivré de ces parfums et de ces bruits (oui, les poils ont leurs bruits propres !) ne sait pas ce que désirer veut dire.

« Or, un soir, je m'aperçus, en tâtant l'épaisseur d'un panneau, qu'il devait y avoir là une cachette. Mon coeur se mit à battre, et je passai la nuit à chercher le secret sans le pouvoir découvrir. J'y parvins le lendemain en enfonçant une lame dans une fente de la boiserie. Une planche glissa et j'aperçus, étalée sur un fond de velours noir, une merveilleuse chevelure de femme ! » *

Et puis, cette distinction essentielle entre un homme et une femme : elle peut cacher son sexe (ou au moins le retarder, il n'est pas là immédiatement), lui ne peut pas. L'homme est déjà là, en avance sur lui-même, la femme pas encore. On devient un homme le jour où l'on accepte de se promener à poil (sic), bandant, devant une femme (quoi de moins ridicule ?). Le phallus est tout de suite là, il montre le sens (la direction) et se montre, il est à découvert (c'est un soldat), fait le beau (c'est un danseur). Le con est à l'intérieur, il promet. Voilà pourquoi un homme doit entrer en premier dans un lieu inconnu. Sec et dur contre humide et mou, net contre flou, en avance contre en retard. Oui, contre : c'est la guerre ! Sans poils, ils sont désormais à égalité : c'est bien ça que tout le monde veut, n'est-ce pas ! Après les têtes, coupons les poils… Androgynes, femmes musclées, hommes épilés et barbouillés de crèmes, ah, cette misérable passion du semblable ! Cette homosexualité envahissante, ce sordide présent éternel, et cette saloperie de l'enfance perpétuelle ! Mais voyez-les, ces connasses de cinquante balais, se promenant sur la plage avec leur vilain con épilé ! C'est d'un grotesque, d'un dégueulasse ! Vive la lapidation pour ces salopes ! Le dernier signe de la pudeur est jeté comme un malpropre par ces imbéciles qui exhibent la seule ride qu'elles tolèrent comme un abject trophée ! Pauvres femmes ! Elles se veulent sans poils, sans rides, sans odeurs, sans gras, sans épaisseur, elles ne sont que sans ombre, donc sans âme.

Les souvenirs s'accrochent aux poils comme le désir aux lois. La nostalgie n'est jamais glabre, la jouissance n'est jamais lisse, je n'y peux rien. Mais n'allez pas croire cependant qu'on n'aime que les femmes poilues. On s'en fiche un peu, à vrai dire ; jamais on n'a été si fort amoureux que de cette femme qui avait alors perdu tous ses cheveux, tous ses poils. Ce qu'on trouve de proprement insupportable est seulement qu'il n'est plus permis de voir autre chose que ces tristes peaux de poulet, et que ce qu'il faut bien appeler par son nom — une aliénation — interdit de penser autrement. Les adolescents, qui sont toujours, quoi qu'on en dise, du côté de la Norme, sont là pour nous le rappeler chaque jour. Cette mode est faite pour eux ; qu'on nous foute la paix, à nous, les vieux débris sales et hirsutes ! Quand par hasard il se trouvait une femme qui avait décidé de se raser pour provoquer chez nous un désir neuf, nous ne nous plaignions pas du tout, bien au contraire. Encore un plaisir qu'on nous a ôté…



(*) Maupassant, La Chevelure


(à Celle qui me fait bander)

mercredi 6 janvier 2010

Épiphanie


— C'était un garçon qui ne voulait pas vivre, seulement jouir, et la plus grande des jouissances c'est la mort.

— C'est de Freud ?

(…)



jeudi 10 décembre 2009

Niveaux

• Il faut absolument arrêter le soleil dans sa course folle, il nous entraîne avec lui, alors qu'on ne lui a rien demandé.

• Dieu mesure un mètre pile, Dali ne mesure plus rien, et l'étalon est dans la poche de gauche.

• J'aurais bien aimé pouvoir continuer à détester Harnoncourt, au moins un petit peu.

• Georges a encore vomi en dormant.

• Ré mineur est une tonalité mortelle.

• Madame de Fontenay est une sorte de miracle : pendant des siècles, on a hésité sur la définition de la laideur. Plus besoin d'hésiter.

• Dans mon rêve, je pisse, je pisse, je pisse, impossible de m'arrêter, le niveau monte, je flotte. C'est beau, cette mer jaune. Mon énergie inépuisable m'entraîne à reculons vers les origines du temps. La mer mêlée au soleil

• Commencer sa Neuvième par une neuvième, il n'y a que lui pour avoir fait ça.

• 20, 5, 27, 41 - 32, 1, 5, 9


(Frasques des ready-médisants)

lundi 30 novembre 2009

Morale


Re: Entre Choron et Sade...
Envoyé par: Agrippa
Date: 29 novembre 2009, 17:36

Tout de même, quel gâchis que de dépenser son talent aussi bêtement, il aurait pu être une arme redoutable contre les amis du Désastre. Peine perdue, il se préfère en écrivain maudit... Perdu pour la cause politique, gagné pour la littéraire peut-être...

Voilà la mèche vendue, et bien vendue.

dimanche 29 novembre 2009

L'amour


« J'ai cru avoir faim, et puis, après avoir mangé, je me suis aperçue que non, c'était un mirage… »

mercredi 25 novembre 2009

Brassica rapa


Il est de notoriété publique que les membres de l’Académie Goncourt priment chaque année un livre, non pas parce qu’il serait «bon», mais en fonction de considérations financières ou de vanité éditoriale, ce qui explique qu’en un peu plus d’un siècle, n’aient été primés que des navets, qui sont, ironie de la chose, à l’image de ces académiciens. Certes, les navets se vendent bien. Mais alors pourquoi ne pas laisser aux représentants des organisations de maraîchers le soin de choisir le plus beau navet ? Ils feraient un meilleur choix que les dix de chez Drouant. Le seul intérêt que la littérature retire de ces mômeries, et qui n’est pas mince, est que l’argent des navets sert à éditer des écrivains qui ne font pas dans la tératologie navetière.

Cette critique du livre de Marie Ndiaye, signée Jean-Gérard Lapacherie, vous pouvez en lire la suite ici, et je vous y invite.

mardi 17 novembre 2009

The Big Shopping






— Bonjour, tu te souviens au Zénith, il y a un mois, tu m'as dit que je pourrais mieux voir Miles à Nancy, en province tout le monde est plus décontracté tu disais…

— Non, je ne me souviens pas, grimace l'imprésariote débordée… Qu'est-ce que tu lui veux au juste à Miles ?

— Lui montrer les dessins que j'expose et lui offrir mon livre sur Billie Holiday…

— Des dessins, un livre, mais Miles s'en branle ! Moi j'aimerais bien qu'on me laisse dormir dans cette foutue ville ! J'ai besoin de sommeil ! Ça ne va pas ! Ça ne va pas !

— Je t'appelle demain matin…

— Ah non ! Pas avant midi ! J'en ai rien à foutre, je veux dormir… Je reviens de Montpellier, tu le comprends ça ? Merde !

Et elle me tanque au beau milieu de la réception. Je peux m'estimer heureux. Elle est tout à fait charmante avec moi. Je ne suis même pas déçu, d'abord parce que je m'attendais à cette volte-face téléphonée de la part d'une grosse maquerelle lunatique, ensuite parce que le neveu Vince, lui, m'a promis qu'il allait faire quelque chose pour moi demain. J'ai davantage espoir en lui pour voir Miles d'un peu plus près qu'en cette vieille "amie" de mon père, magouilleuse grenouille bouffie marinant depuis vingt-cinq ans dans le jus jazz des Nègres, et qui ne risque pas de lever le petit doigt pour un Zanini, tout Nabe qu'il soit…

À cet instant précis, Miles sort du restaurant, royal, léger, noir, luisant, fumant… Il s'approche de la réception, lentement, et demande où est l'ascenseur… Nous sommes tout près de l'"elevator", surtout Hélène et — instant inoubliable — Miles passe devant nous. Je suis en retrait. Il frôle Hélène, puis se retourne et lui jette un regard reluquant mais très furtif. C'est la classe mâle qui jette LE regard qu'il faut au moment où il faut. LA bonne note bien mise en place. Il lui lance : « Have I seen this beautiful eyes before ? » Hélène mord à l'hameçon à pleines dents, et en très bon anglais répond à Miles : « On essaie de vous voir depuis longtemps. Lui est écrivain (elle me désigne aussitôt dans l'ombre), il a fait un livre sur Billie Holiday, il y a trois ans, il vous a donné des dessins de boxeurs par l'intermédiaire de votre neveu… » Je m'avance.

Miles, de sa voix rauque qui ne nous a jamais paru plus claire et jeune, nous demande, le temps que l'ascenseur descende : « Are you brother and sister ? » Je chope la perche au vol. « She is my sister only the day, the night she is no more my sister at all. » Il rigole, un peu comme Sam en sortant un bout de langue, et nous invite à le suivre : « Come in my room », comme pour éclaircir tout cela. Dans l'ascenseur, il demande le prénom d'Hélène et à moi : « Where is your book ? » J'ai du mal à croire à ce que je vis : Miles Davis, Hélène et moi papotant enthousiastiquement dans un ascenseur ! On le suit jusqu'à la chambre 324. De dos dans le couloir, il demande à Hélène mon prénom à moi cette fois, et me toise en répétant rauquement : « Mark-Edward ? O.K. » Sur le seuil de la porte, il dit à Hélène : « Ton copain est très malin, il se sert de toi pour me rencontrer… C'est une bonne idée… »

On découvre la chambre avec lui, assez luxueuse mais pas excentriquement urf, toujours mieux que notre trou à rats à l'Académie… Ses bagages sont déjà là : deux grandes malles verticales comme on n'en fait plus, pour colons en partance vers d'exotiques pays à conquérir. Miles évolue comme s'il était ici chez lui depuis toujours, nous demande de nous mettre à l'aise. On est dans la chambre de Miles avec Miles Davis !!! Si je ne rêvais pas, j'exigerais qu'Hélène me pince. Hélas c'est comme si nous rêvions, car l'incroyable qui arrive est toujours un rêve…

Il est 20h15, Hélène est en pull rose et pantalon, moi en flanelle grise, Miles en cuir et tee-shirt noirs : sans râler en star, il remarque simplement que la porte de la suite est fermée. Il visite la chambre en tournant comme un jaguar et trouve le radiateur trop froid. Il regarde par la fenêtre de la place Stan et se cogne au double vitrage très élégamment, sans le prendre mal. Je rigole en lui disant : « Watch in, that's a double ! » Il force Hélène à enlever son manteau en tirant sur ses manches. S'interroge encore sur la nature de nos relations. Je réponds : « Oui, je suis son boy-friend. Ça me surprend moi-même ! » — Tu as bon goût, me répond Miles, les yeux brillants.

Hélène s'assoit sur son lit et moi je m'installe à une petite table à côté. Il nous propose à boire mais ne trouve pas le mini-bar. À ce moment-là, le liftier qui montait les bagages du "Prince des ténèbres" est réquisitionné pour nous aider. Un peu affolé, le touchant jeune homme va même voir dans l'armoire si le frigo n'y est pas. Quand il s'étonne, Miles est aussi beau que lorsqu'il ne s'étonne pas. Finalement, c'est moi qui trouve le bar ! Hélène sort les bouteilles de jus d'orange et de vodka. Le décapsuleur restant introuvable, elle fait mine de libérer le goulot avec les dents, gag dans lequel Miles tombe, pétrifié d'horreur naïve. Je charge expressément le petit liftier d'aller chercher le programme du festival dans lequel est reproduit mon portrait de Billie Holiday. Comme nous parlons dessins, Miles demande aussi un jeune garçon de lui rapporter une mallette noire qu'il a oubliée sur la banquette de sa Mercedes.

Nous commençons à boire, Miles gagne les toilettes. D'après ce que nous entendons, il s'agit d'un très beau solo (sans sourdine) sur les harmonies de The Big Shopping (la grosse commission). Ahuris et extatiques, nous voudrions être déjà en train de raconter cette "plongée" en plein cœur de l'intimité du génie. Au dos d'un prospectus, j'ai trouvé une surface blanche assez grande pour entreprendre de dessiner Miles lui-même, sur le motif ! Il sort des chiottes se rembraillant sans gêne alors que le liftier revient avec tout ce qu'il faut : Miles s'empare de son espèce de porte-documents et en sort son carnet à dessins. Il se penche ensuite au-dessus de mon épaule et, interrompant une seconde mon tracé sur le médiocre support, dispose sous mon stylo la première page libre de son cahier plein de ses propres croquis afin que je continue à dessiner dans les meilleures conditions. J'aimerais bien oublier — mais comment ? — les mains de Miles soulevant la mienne, cassant affectueusement la reliure de son bloc de feuilles, et caressant amoureusement le papier neigeux dans les délicates clinquailleries de ses bracelets raffinés. Tout cela bien entendu, sans perdre de vue Hélène sans laquelle nous ne serions pas ici. Avec le dessin, c'est bien notre seule façon de communiquer. Miles joue au latin lover avec la belle Blanche :

— Oh, Helena, don't look at me with this eyes !

Il lui demande même, mi-roublard mi-sérieux (sans aucune hypocrisie vicieuse à mon égard) de choisir entre lui et moi. « The both » réplique Hélène particulièrement en forme, d'une grande élégance sensuelle, décidée selon son habitude à ne jamais m'exclure des troubles qu'elle provoque chez les hommes. Miles le comprendra si bien, que sa drague tournera au jeu et à l'amusée mise en scène d'un moment magique entre trois êtres réunis par "hasard".

Miles a besoin de son factotum. Il charge Hélène d'appeler Simone Schmotz. Comme nous lui avons déjà touché un mot (loin de le surprendre !) sur l'irascibilité de Lady Barrage, il est jouissif d'entendre, par la voix d'Hélène, Miles commander la Ginibre. Toute douce larbine soudain, étonnée d'entendre une Française inconnue lui parler de la chambre de son patron, Simone marchera droit pour retrouver dans les parages l'homme à tout faire de son patron…

“Faire", ça semble d'ailleurs être la préoccupation essentielle de Miles ce soir, puisqu'il retourne au cabinet prendre un second chorus. Je termine mon dessin en noir et blanc, le représentant courbé en cape avec sa trompette. Survient alors le garde du corps vu en bas : il éclate de rire de nous voir dans la chambre inaccessible, bien débrouillards. Miles déboule alors du petit coin en se plaignant de maux d'estomac. Comme un robot, "l'aide-soignant" sort de sa serviette une bombe à désodoriser, et très glabre, vaporise l'atmosphère pour dissiper les miasmes divins du génial dérangé.

Le type commence à déballer les affaires. Hélène demande pour Miles un numéro à New York. Le Prince, pendant ce temps, vient admirer mon "œuvre". Lentement il met ses grandes lunettes noires correctrices et murmure un « nice… ». Il les enlève ensuite pour me dire dans les yeux : « But I'm not so black, I am black inside. » Phrase dont il ne peut mesurer la portée dans mon sens des conséquences. Comme je lui dis que je me sens amputé (legg-less) sans les couleurs, Miles vient m'apporter enfantinement une petite trousse d'écolier rose tyrien bourrée de feutres multicolores. Hélène rigole en lui disant que c'est très habile d'occuper ainsi l'artiste pendant qu'on lutine sa muse. Quand il sourit, Miles découvre entre deux belles rangées de dents, une belle langue, plus tyrienne que la trousse.

Hélène montre un vif intérêt pour sa pratique graphique, alors Miles, qui ne doit pas tomber souvent sur des gens aussi sincèrement concernés par le dessin, nous sort, à la fois timidement et fièrement, tout un paquet de carnets de tous formats. On voit tout de suite que ce super hobby lui tient à cœur. Il doit apprécier, sans se douter de ma culture davisienne, qu'aucun de nous deux ne le considère ce soir comme un musicien. Le dessin, c'est son truc. Là où « il se surprend lui-même » dit-il. Bientôt, le lit est recouvert de cahiers. « Tu veux vraiment voir mes dessins ? » lance-t-il chaudement à Hélène, en la tirant par les bras et en la couchant sur les feuilles mélangées comme des vagues de lignes aux couleurs électriques. Sans grande personnalité de trait, ses dessins sont comme la transcription schématique et très édulcorée des envols mélodiques de sa trompette. Je connais, pour les éprouver moi-même, les limites du violon d'Ingres. Il existe une peinture de musicien (Django) comme il existe une peinture d'écrivain (Hugo). Hélène remarque, narquoise, la prédominance des partouzes de femmes dans ces dessins arachnéens. Pour prendre en défaut cette Blanche à l'adorable aplomb, Miles désigne à Hélène un phallus perdu dans la foule des femelles.

De mon côté, je dessine la tête de Billie Holiday aux multiples couleurs, ce qui n'est pas la méthode de Miles : il me dit ne jamais utiliser plus de deux couleurs à la fois. Risquant le tout pour le tout dans la provocation passéiste, je descends un broussailleux portrait de Monk. Miles s'approche, remet ses lunettes et susurre : « Thelonius ?!… Shiiiiiiit… » Et dans ce shit lancé comme le ré naturel à la fin de l'exposé de Round'Midnight (version 65), il y a toute la fraternité du monde qui passe et qui me donne la chair de poule… Ils me font bien marrer ceux qui prennent Miles pour une star du rock ! Il est surtout star avec les emmerdeurs, et rock avec les débiles mentaux. Dès qu'il renifle l'esprit du jazz chez un être, il n'a pas besoin de se cacher : il est jazz, impudiquement jazz, quoi qu'il fasse jusqu'à sa mort il sera JAZZ, et seuls ceux qui ne sont pas jazz croient qu'il ne l'est plus…

Je me suis trahi. Miles voit bien à mes portraits que je connais ses frères. Comme si je savais tout, il me demande si « Dexter est malade ». Je lui dis que le film de Tavernier est une merde. Il ne l'a pas vu et il s'en fout. C'est du passé. Tout passé le fait chier. Le dessin l'intéresse davantage. Assis dans un fauteuil, il nous explique assez confusément comment il dessine : il suit sa main dans ses lignes, conscient de la magie plastique du geste pur. Il dit aussi combien le dessin demande un entraînement quotidien comme la trompette, et que la pratique de l'un peut gêner la pratique de l'autre. Ses autres activités (notamment sportives) sont bouffées par ça : il n'a gardé que l'équitation dont il nous entretient avec chaleur, moi lui conseillant de regarder les toiles de chevaux de notre national Géricault. Lui aussi aimerait éditer ses dessins mais, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il est fort probable que les Américains là-bas se foutraient complètement des gribouillis d'un vieux Nègre qui souffle encore dans une trompette. Je pense immédiatement à Denoël et promets de voir ce que je peux faire, lorsque mi-désabusé mi-comédien il me dit : « Mark ! Find me a publisher… »

Le "vaporisateur" revient et demande à Hélène si elle connaît un endroit tranquille à Nancy pour sortir un peu de l'ambiance de Miles (et ses odeurs). Je dessine toujours, il pleut des super-trombes. Miles vient dessiner à son tour un profil de femme sur le cahier que j'ai en main. C'est Tac au tac au pays du swing. "Cadavre exquis" chez les morts-vivants immortels ! Miles arrache un de ses dessins et le colle contre l'écran de télé qu'il vient d'allumer : il est d'abord tombé sur la trogne de Patrick Sébastien et le regarde avec pitié, puis change de chaîne : c'est un match de foot, et la pelouse verte en transparence colore alors son dessin par mouvances merveilleuses.

Hélène le questionne un peu sur sa femme. Miles dit qu'il a plusieurs femmes partout mais qu'il ne les touche jamais quand il doit jouer. Il lui demande si elle connaît la signification du mot FUCK : Hélène lui répond que c'est le premier mot qu'elle a appris en anglais. Miles lance sans arrêt d'énigmatiques boutades absconses en slang secret, et certainement porno, à son ange-gardien du corps qui rigole et finit par nous quitter.

À un moment, assis en train de griffonner sur son grand cahier à dessin, Miles me pose une question métaphysique : « Mark, where are we ? » Comme je sens qu'il n'attend pas que je lui dise « à Nancy » ou même « en France », je lui réponds : « Out of nowhere ! » Un peu plus tard, quand je lui demande ce qu'il va faire demain, il me dit : « Nothing ! » Il nous dit que Wayne Shorter dessine aussi, et moi je lui apprends que Duke Ellington peignait. Il fait mine d'ignorer jusqu'au nom de Sam Woodyard avant de s'étonner qu'il ne soit pas encore mort. Il feuillette le programme du festival en grimaçant sur sa propre photo. Bref, tout un tas de réflexes absolument normaux d'homme noir courtois, curieux, viril, racé, félin, pas zombie du tout, jeune au-dessus de tout soupçon, vif d'esprit, roi-nègre mais pas trop (je suis presque sûr qu'il ne nous a pas imposé sa cagagne uniquement pour nous humilier en tant que Blancs), très intelligent, rappelant étrangement Vuillemin dans ses mouvements et expression, pas macho, puant agressif, mais élégant au contraire puisque lorsqu'il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas aller plus loin avec Hélène, il est resté charmant et complice aussi bien avec moi qu'avec elle…

Il est 22h45. Ça fait plus de deux heures et demie qu'on est dans sa chambre. La pluie commence à cesser. Il s'est mis dans l'autre coin et, tout sombre, dessine sans un mot. Moi de l'autre côté, je finis une dernière esquisse de son allure. Quelle photo il y aurait à prendre ! Deux copains qui dessinent en silence, et Hélène au milieu sur le lit à feuilleter ses carnets, dans le bruit des millions de gouttes pleurant sur les pavés de la place Stanislas !…

Miles Davis ne voudrait pas nous foutre dehors mais toute bonne ballade a sa coda. Hélène dit qu'elle s'en va avant d'être trop saoule (trois vodkas-orange dans le coco), et nous prenons congé. Miles se lève et embrasse énergiquement Hélène sur la bouche, de ses lèvres sacrées et très sèches. Puis il me serre la main, froide et ferme, en me jetant ses yeux dans les miens comme un enfant balance un caillou dans une mare.


Nous sortons encore plein d'étoiles… La réalité reprend ses droits. Nous regagnons le chapiteau où la foule acclame le dérisoire Paolo Conte. Grâce aux tickets de rationnements du chef Tito, nous mangeons une choucroute pour nous remettre. J'ai déjà remarqué qu'on s'extrait d'un grand moment comme d'un accident de voiture, encore ébranlés par les résonances de sa signification, et tout fiers d'être encore vivants.

(Nabe, Journal intime)

mercredi 11 novembre 2009

Double-croches du lien


Le Net est un lieu irremplaçable en ceci qu'il est très facile de s'y choisir des gens dont on a envie à tout prix qu'ils nous détestent. C'est à peu près le contraire de la vie ordinaire. Quand dans la vie de tous les jours on rencontre un personnage antipathique, le premier réflexe (et souvent le seul) est de l'éviter, de faire un détour, afin de ne pas être contaminé par sa négative odeur. On n'a cure qu'il nous connaisse, on est soulagé qu'il nous ignore.

Avec Internet, le problème se renverse. Toute cette négativité avortée, toute cette puanteur que notre corps est conditionné à fuir, dès que les effluves putrides parviennent à nos narines, nous avons désormais envie de l'éprouver, de savoir enfin de quelles nécessités et de quelles angoisses cet enfer est pavé. Les ennemis sont souvent plus féconds que les amis. Dire "déteste-moi !" est mille fois plus amusant que de tirer par la manche quelqu'un qui ne nous effraie pas trop.

Fini les fosses sceptiques de la psychologie incarnée, Internet est le tout-à-l'égoût de la médiation. Tout le refoulaimant boueux et viscéral qui s'est accumulé pendant des décennies dans les boyaux des journaux, de la radio, de la télévision, et plus généralement de-la-vie-en-société est en train de prendre sous nos yeux un autre visage, obsédant, que la nuit n'éloigne pas. Nous pouvions tourner le bouton, fermer le journal, le jeter, nous pouvions rentrer chez nous, tirer le verrou ; ce n'est plus possible aujourd'hui. Les murs ont des bouches ; notre corps est numérique, après avoir été glorieux, assis, après avoir été debout. Se débrancher n'aura bientôt plus même de sens puisque les êtres seront câblés dès l'origine, dès la conception, non séparés et non séparables. La seule liberté, minuscule mais jouissive, qui nous reste, est de pouvoir apostropher un semblable et de voir comment il va nous haïr. Le christianisme était ce monde où l'amour était la mesure (et la démesure) de toute chose, l'hyper-démocratie numérique et post-sexuelle est celui qui aura renversé la chaîne du désir : dis-moi comment tu me hais et je te dirai qui je ne suis pas.

mercredi 4 novembre 2009

La Pravda

Christine Villemin a été libérée ! Pour l'instant… La France n'est pas vraiment certaine de tenir là une infanticide "sublime forcément sublime" comme l'appelle cette vieille peau pourrie de Marguerite Duras qui écrit — c'est l'événement du jour — un grand article dans la Pravda de Serge July. Le gros gauchiste se régale de toute l'affaire. Ça lui rappelle l'histoire du notaire de Bruay-en-Artois accusé à tort d'avoir trucidé la petite Brigitte Dewaere et sur laquelle l'acharné prolétarien July a bâti toute sa sinistre carrière de "journaliste". Aujourd'hui, ça doit bien le faire bandocher, le feuilleton antique de Lépanges. Assoiffé comme il est, July boirait verre après verre toute l'eau de la Vologne qu'il ne se désaltérerait pas. Chaque fois que July prend la plume, on dirait qu'il vient de l'arracher du cul d'un corbeau. Il touille la merde d'Épinal avec et l'écrase sur ses grandes pages déjà souillées de références douteuses (Roland Barthes et Cie…). Mais tout cela n'est rien encore à côté du "texte" que la Prix Goncourt 1984 a daigné donner à Libération… L'Écrivaine numéro un de la minuitée sans suc se lance dans l'actualité ! Le vagin retrousse ses babines ! Marguerite se mouille ! Débile, forcément débile !

Je lis effaré ces quatre pages de conneries culottées. Cette vieillarde pontifiante est allée faire sous elle sur le terrain. C'est du joli. Il va sans dire que ce n'est pas écrit. Ça fait « bien écrit ». L'intellote prend conscience de se temps. La conne enquête. Elle rôde autour de la bicoque au crime, bien enfoncée dans son col roulé de mémère éthylique. On la voit bien avec son intelligence à la main comme une loupe, arpentant les entours du chalet vosgien ! Il ne lui manque que le chapeau à carreaux, à Sherlock Duras ! Moi, j'aurais été le petit Grégory, voir s'approcher de moi un monstre comme Marguerite Duras m'aurait fait me foutre à l'eau tout seul ! Y a-t-il femme de lettres plus grotesquement vaniteuse que la Duras ? Je téléphone à Serge July, je lui dis que je ne ferai pas l'article. Et puis à deux heures du matin je commence à l'écrire. Coquette cacochyme ! C'est à partir de ce moment qu'"au-delà de la raison", elle rédige son delirium inconséquent. Elle fait sa Simenon, elle se repasse le film, c'est tout juste si elle n'étrangle pas elle-même l'enfant mieux que l'assassin ! Ah, qu'elle se met bien dans la peau de "Christine V." (l'initiale, quel chic !) ! Elle la comprend à mort de l'intérieur ! C'est impressionnant comme Marguerite D. compatit au malheur psychologique qui a poussé Christine V. à devenir forcément sublime ! C'est là qu'elle a cette phrase à dégueuler partout : Christine V. innocente qui peut-être a tué sans savoir comme moi j'écris sans savoir. Alors ferme ta gueule, salope ! C'est très grave ce culot inouï. Personne d'autre que madame Duras ne pourrait se permettre, en pleine affaire complexe, de "charger", sous couvert d'intuitive littérature, une accusée à ce point. Et July trouve ça parfait. Marguerite Duras dit tout haut ce que nous pensons tout bas (comme Le Pen, alors ?). Si haut que toute la justice snobée risque fort d'être influencée sur le sort à réserver à la mère V. Et si elle n'était pas le personnage rêvé de la Duras ? Tout ça pour faire monter le fantasme de l'infanticide, si présent dans l'"œuvre" et la trogne de cette haineuse pocharde femelle ! Pour Marguerite Duras, c'est normal d'être une mère monstrueuse puisque la maternité est monstrueuse en soi. La vraie maman tue. Quelle dégueulasserie ! J'aime le crime, dit-elle, et ça suffit à July pour l'envoyer à Lépanges, s'approprier l'affaire en cours, trancher dans le vif pour tous les juges et tous les flics, ramener sa fraise et l'écraser sur tous les cadavres chauds… Christine Villemin est devenue une héroïne de l'écriture de l'auteur de l'Amant, dit le patron de presse. Il s'agit d'un écrivain en plein travail, fantasmant la réalité en quête d'une vérité qui n'est sans doute pas la vérité, mais une vérité quand même, à savoir celle du texte écrit. Ce n'est de toute évidence pas la vérité de Christine Villemin, ni vraiment celle de Marguerite Duras, mais celle d'une femme "sublime, forcément sublime" flottant entre deux langages…

Comment peut-on supporter tant de légèreté cynique ? Grégory doit se retourner dans sa vase… Tant de mauvaise littérature (car tout est là aussi), servie en alibi à la manip minable de deux notables du pouvoir intellectuel ! En effet, l'article de la Duras est scandaleux (plus encore que celui de Barthes sur Dominici, son modèle) mais pas comme l'entend July. Il est scandaleux parce qu'il se fait passer pour scandaleusement immoral alors qu'il est scandaleusement moral. Toute la morale gauchiste — la même que celle que July utilisait contre Me Leroy — est là pour caresser les esprits dans le sens du poil sale. Faire semblant de comprendre et de pardonner (on n'a pas rangé la guillotine pour rien) le crime (Il arrive que les femmes n'aiment pas leurs enfants) pour mieux en renverser les effets sur le plan social. Et si, au passage, Marguerite se paie une petite autopsychanalyse sur le dos de la présumée innocente-infanticide, c'est encore mieux ! Et voilà le travail ! Duras insiste bien, et sans talent, sur la "victime" des circonstances, la femme au foyer martyre, poussée la médiocrité quotidienne à noyer son gosse. C'est pas sa faute : Christine V. n'était pas assez "à gauche". À la fois l'accuser publiquement, de toute son autorité d'"écrivain", et l'innocenter "politiquement" par la force des choses tristes.

Cette masturbation sans plaisir est une des prestations les plus répugnantes de l'époque. Le féminisme hystérique de Duras (et de toutes ses copines soixante-huitardes qu'on devine derrière) va si loin qu'elle excuse la prétendue mauvaise mère pour mieux accuser — c'est le but — le mari, véritable assassin. Ça ne lui suffit pas que Jean-Marie Villemin (elle ne le cite jamais, elle l'appelle "cet homme") ait tué son cousin (encore un présumé innocent) : son vrai crime c'est d'être un homme. D'être le mari d'une femme sublime et de la laisser faire la vaisselle ! Regardez bien autour de vous : quand les femmes sont comme celles-ci, inattentives, oublieuses de leurs enfants, c'est qu'elles vivent dans la loi de l'homme.

Duras y arrive tout doucement : si Christine avait eu le courage — ou l'occasion plutôt — de s'évader de cette "prison de liberté", elle n'aurait pas eu besoin de dégrégoryser son petit garçon ! C'est ça que ça veut dire. Pauvre vagin vosgien… Elle a reporté sa violence contre son mari sur son fils. Et voilà l'ignoble Marguerite fanée — qui n'a jamais pu faire bander qu'un faux Chinois il y a cinquante ans — qui lâche un de ses plus moisis pétales : Aucun homme au monde ne peut savoir ce qu'il en est pour une femme d'être prise par un homme qu'elle ne désire pas. La femme pénétrée sans désir est dans le meurtre. Tout s'explique donc ! Elle le dit et le redit, elle ne se lasse pas de décaler tous ces crimes. La victime c'est la mère ; le meurtrier c'est le père, mais pas de son enfant, ni de son cousin : de sa femme ; et l'enfant mort — ça lui brûle les grandes lèvres de le dire, mais elle n'ose pas — ce n'est pas Grégory c'est celui que Christine V. attend en ce moment ! Dans son ventre, le prochain, voilà le plus cruel assassinat : celui qui consiste à à faire un enfant à sa femme quand on en est l'odieux mari !

Résumé : Chistine V. est sublime parce qu'elle est innocente d'être coupable. Tous les maris sont des ordures, et les enfants n'ont pas à exister. Toute justice est donc inutile. Dans cette affaire, on a touché la monstruosité de l'innocence. On est allé jusqu'à "la couche derrière le mal". Fin. Les intertitres sont de la rédaction.


On dit que je suis haineux ? Mais c'est ça la haine, la vraie haine de tout : des femmes, des hommes, des enfants, du sexe, de l'amour, de la maternité, de la paternité, de la littérature, de la réalité, des Vosges et de la vérité. C'est la haine de la vie et même la haine de la mort ce qui, pour un écrivain, est la lâcheté suprême, celle de l'être détestable qui n'a pas le courage de se détester lui-même.

(Marc-Édouard Nabe, Journal intime, tome 2, Tohu-Bohu, pages 1154 et suivantes)