dimanche 17 janvier 2010

Sérénade



Je vois S. dans la rue, enceinte, au bras d’un bel homme portant un magnifique chapeau melon et une belle moustache cirée. Je m’aperçois qu’elle porte dans le dos une sorte de petit sac en cuir noir, qui a la forme d’un étui de violoncelle. Je m’adresse à l’homme : « Excusez-moi, j’ai bien connu S., nous avons même fait l’amour dans cet ascenseur que vous vous apprêtez à utiliser. Me permettez-vous de m’asseoir avec elle sur ce banc, et de lui mordre l’oreille ? Je n’en ai que pour un instant ! » Lui se met à rire, il m’écarte d’un revers de main, tout en me disant : « Mon petit ami, ce coup-là, on me l’a fait déjà cinquante fois. Voyez l’écriteau ! » (et il m’indique une plaque en argent massif, à sa ceinture : Propriété privée. Entrée interdite).
Je suis sur le bord du large trottoir ; ils continuent leur promenade, très dignes. J’ai à peine entrevu les yeux de S. Elle ne se retourne pas. Je les suis du regard un instant, puis je tourne les talons et je poursuis ma route. Je n’ai pas fait dix pas que j’entends un vacarme terrifiant, et je vois S., transformée en furie, qui a plongé son archet dans le ventre de l'homme, qui se met à fondre sur lui-même avec un bruit inouï d’acier en fusion. Ne reste que son chapeau, duquel s’échappe un filet de fumée âcre. Je cours vers elle, les bras ouverts, mais je la vois qui presse de toutes ses forces sur son ventre, et quand j’arrive enfin près d’elle, je constate que c’est moi qu’elle vient de mettre bas.