samedi 18 avril 2015

Les likes de Jessica


Brandon* a déposé une douzaine de photos de Jessica* sur Facebook. Suivant le nombre de likes que les photos de Jessica récoltent chaque jour, il lui prodigue des attentions amoureuses plus ou moins fortement dosées. Si les douze photos obtiennent moins de 5 likes en tout, dans la journée, il ne lui fait rien du tout. Si les douze photos obtiennent plus de cinquante likes en vingt-quatre heures, elle a droit à un traitement de faveur, et même à un bonus : soit il fait la vaisselle, soit il va faire les courses avec elle. Une fois, le nombre de likes est allé jusqu'à soixante. Elle a eu droit ce jour-là à un bouquet de fleurs. 

Mais soyons un peu plus précis. Entre 5 et 10 likes, des french kiss. Entre 10 et 15 likes, un cunnilingus rapide avant de partir au travail. Entre 15 et 20 likes, coït debout dans la cuisine sans préliminaires. Entre 20 et 25 likes, préliminaires et cunnilingus, 10 à 15 minutes en tout. Entre 25 et 30 likes, on commence à entrer dans les choses sérieuses ; caresses, baisers, coït (deux positions), au lit, avant de dormir. Entre 30 et 35 likes, bougies parfumées, massage des pieds, cunnilingus, baisers, caresses, et coït (trois positions), au lit, entre 20 minutes et une demi-heure. Entre 35 et 40 likes, Jessica a le choix de l'endroit où ils feront l'amour (chambre, salon, voiture), 45 minutes, orgasme non garanti. Entre 40 et 45 likes, bougies parfumées, musique, douche pour Brandon avant les ébats ; massage des pieds et des jambes, préliminaires complets, cunnilingus appuyé, stimulation du point G, coït cinq positions minimum, orgasme garanti (durée ad libitum). Entre 45 et 50 likes, alors là c'est le grand jeu. Massage complet, avec huiles parfumées, sur la table de massage pliante au salon, puis préliminaires au lit, dans la chambre, avec la playlist "crescendo", cunnilingus et feuille de rose, stimulation des points G, H et R, puis coït sept positions, ordre au choix, pour finir par une sodomie. Double orgasme garanti.

Depuis que Brandon a découvert Facebook, la vie sexuelle de Jessica dépend entièrement des amis Facebook de Brandon. Mais Jessica est maline, elle demande à ses amies de devenir les amies Facebook de Brandon, pour qu'elles puissent liker ses photos. Sauf que Brandon est plus malin encore ; il en profite pour exercer au passage un chantage discret sur les nombreuses "amies" de Jessica, dont il a parfaitement compris le petit jeu. Si elles veulent devenir ses amies, elles doivent d'abord passer à la casserole. Finalement, tout le monde s'y retrouve. On se demande si le gouvernement socialiste ne devrait pas penser à instaurer un système dans ce goût-là avec les électeurs. Ah, on me dit que c'est déjà le cas, excusez-moi, la politique, ce n'est pas ma spécialité. 

(*) Les prénoms ont été floutés

vendredi 17 avril 2015

Tout va bien !


Tout va bien. On peut dire que ça baigne. La vie est cool. C'est le pied géant. Y a pas à se plaindre, non, vraiment. Poutine est un mec tout ce qu'il y a de cool, finalement, Obama est super-cool, l'islam s'est retiré de l'occident et ne règne plus — de manière apaisée, d'ailleurs — que sur un petit pays dont j'ai oublié le nom, les guerres ont toutes cessé d'un coup, on a trouvé le remède contre le cancer et un vaccin contre le SIDA, l'argent coule à flot et on ne travaille plus que deux jours par semaine, en étant payé trois fois plus qu'avant. Nous avons un gouvernement très cool qui n'emmerde personne, la sécurité est assurée et il fait beau neuf mois sur douze. On peut dire que les choses se sont vraiment améliorées d'un seul coup. Personne n'a compris ce qui s'est passé, à vrai dire, mais le fait est là, tout va bien. En Iran aussi tout va bien, les nanas sont de nouveaux en mini-jupes, elles sont cool. Israël a fait la paix avec ses voisins, les Palestiniens sont hyper-cool, ils se sont rendus compte qu'ils étaient tout pareils aux juifs, en fait, et du coup ça baigne entre eux. Ah oui, côté pollution, ça va beaucoup mieux. On a arrêté le nucléaire, on a fermé les centrales thermiques à charbon, et tout le monde mange à sa faim, y compris en Afrique. L'air n'a jamais été aussi pur. Apple distribue ses montres et ses iPhones gratuitement dans les écoles, ça a naturellement beaucoup amélioré le niveau de l'enseignement. N'importe quel élève du secondaire parle couramment quatre langues et connaît ses classiques sur le bout des doigts ; les cours se passent super bien. Les profs ont retrouvé le sourire, du coup il y en a presque trop, ils ont des classes de douze élèves et parfois moins. Les autos ne tombent plus en panne et les accidents de la route sont devenus rarissimes, car les voitures sont téléguidées. Les transports en commun sont gratuits partout. Les gens se sourient dans la rue quand ils se croisent, on en voit même beaucoup qui se serrent la main, comme ça, sans raison. Les SDF ont évidemment complètement disparu, remplacés par des jeunes gens qui aident spontanément les vieilles dames à traverser les rues. Les stocks d'armes ont été détruits, ou recyclés quand c'était possible. Les services secrets ont démantelé leurs services et les agents ont trouvé de nouveaux débouchés dans les métiers de la santé et de l'enseignement, qui recrutent d'abondance. La consommation de drogue a littéralement fondu, à tel point que les trafiquants sont pour la plupart morts de dépression nerveuse, les autres s'étant suicidés en rédigeant des autocritiques déchirantes. Tous les spectacles ont un prix unique d'entrée de 1 euro, et les maisons d'opéra ne désemplissent pas. Je ne vois pas bien ce qu'on pourrait encore améliorer. C'est tellement parfait qu'on a supprimé les élections, qui ne servaient plus à rien, étant donné que tout le monde est satisfait à 99 % du gouvernement en place. « Surtout, que rien ne change ! », entend-on dans les quelques micros-trottoirs que quelques chaînes de télé s'obstinent à réaliser. La jeunesse est parfaitement épanouie, la vieillesse est heureuse, et la population active s'active calmement dans une parfaite osmose avec le monde tel qu'il va. On continue à aller à l'église, à la mosquée, à la synagogue,  au temple, mais on sent bien qu'il s'agit plus de coutumes sympathiques et divertissantes que de véritables croyances religieuses. L'industrie de la culture se porte à merveille car les gens ont beaucoup de temps à lui consacrer. Ils lisent beaucoup, écoutent énormément de musique, vont au théâtre au moins une fois par semaine. Ils ont une grande considération pour les écrivains, les musiciens, les peintres et les photographes, qui d'ailleurs se distinguent très peu du reste de la population. Les créateurs sont tous jeunes et beaux, d'ailleurs, ce qui semble après tout assez logique.

Bref, on se demande comment on a pu vivre tant d'années, de décennies, de siècles, même, dans un monde de conflits, de guerre, de barbarie, de brutalité, de rivalités, de souffrance et de misère affective et quotidienne. C'est un grand mystère que nos savants étudient scrupuleusement dans leurs laboratoires ultra-sophistiqués. À cet égard, il est heureux qu'il reste ce petit pays dont je parlais plus haut, qui nous permet, par des prélèvements effectués en toute discrétion, d'étudier ce mécanisme étrange qui est certainement à l'origine de tout le mal qui a rongé si longtemps la planète. Merci à la France d'exister !

jeudi 9 avril 2015

« Le niveau de bruit est inversement proportionnel au degré de civilisation. »


« Je nourris depuis très longtemps l'idée que la quantité de bruit que chacun peut supporter sans difficulté est en raison inverse de la puissance de son esprit ; elle peut donc être considérée comme sa mesure approximative. Voilà pourquoi quand j'entends dans la cour d'une maison des chiens aboyer sans cesse des heures durant, sans qu'on les fasse taire, je sais déjà à quoi m'en tenir quant aux forces intellectuelles du propriétaire. Celui qui a l'habitude de claquer les portes au lieu de les fermer avec sa main, ou qui tolère ce comportement dans sa maison, n'est pas seulement un homme mal élevé mais aussi grossier et borné. En Angleterre, sensible signifie aussi "intelligent" : cet usage repose donc sur une observation fine et précise. Nous deviendrons parfaitement civilisés seulement quand nos oreilles auront elles aussi droit de cité, et quand plus personne ne sera autorisé, dans un périmètre de mille pas, à venir troubler la conscience d'un être pensant par des sifflements, des hurlements, des vociférations, des coups de marteau ou de fouet, des aboiements, etc. »

Schopenhauer (Compléments au livre I du Monde comme Volonté et Représentation. Chapitre 3)

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mardi 7 avril 2015

L'emplâtre sur la clochée (2)


Comment j'ai pu accepter d'accompagner Nicole ? Mais si vous croyez qu'on a toujours le choix ! Il faudrait, un jour de grand courage, ou de folie pure, que quelqu'un se décide à parler crûment du petit monde des musiciens français. Je vous jure, ce serait intéressant. Ne comptez pas sur moi pour le faire, je ne suis pas assez courageux pour raconter ce que j'ai vu, pendant les quelques années où j'ai croisé ces spécimens affolants. Et puis on ne me croirait pas, ou dirait que j'exagère, que j'en rajoute pour faire mon intéressant, que je noircis le tableau par goût de la provocation, que c'est mon pessimisme foncier qui s'exprime. L'époque ne supporte plus que les compliments et les bonnes nouvelles, et les artistes, parmi les individus qui peuplent celle-ci, sont ceux qui doivent à tout prix être portés aux nues, surtout quand ils n'en sont pas, ce qui est bien entendu une autre manière de reléguer les vrais à une non-existence de principe, car, quoi qu'on en dise, on n'aime pas les artistes, et c'est assez normal. Dans les années 70, on était accueillant, tout le monde pouvait en être. Le mot d'ordre était : pourquoi pas ? Ah, ça, on peut dire qu'on a favorisé les vocations, même les plus improbables, même les plus ténues, même les plus démentielles ! Tous les cancres qui ne savaient pas quoi faire de leur vie ont reçu le message cinq sur cinq. Je pourrais vous parler de ce contrebassiste qui était chercheur en biologie, je crois, à Toulouse, et qui, tout à coup, se dit, et pourquoi pas… Aussi sec, hop, il s'est mis à la contrebasse, le gars. Il s'y est mis, mais la contrebasse, elle, elle n'a pas fait beaucoup d'efforts pour s'y mettre aussi ; autant dire qu'un poisson avec une pomme ferait mieux. Ces deux-là étaient aussi bien assortis que Charlton Heston et Mimie Mathy. Aucun problème, mec, on a trouvé la solution. En ces années-là, coup de bol, il y avait un truc qui s'appelait le free-jazz. Je ne sais pas si vous connaissez cette pièce de Kagel qui s'intitule ?¿, œuvre dans laquelle chaque instrumentiste joue d'un autre instrument que le sien. Le free-jazz ce pourrait être ?¿ étendu à l'infini. Vous ne savez pas jouer de clarinette ? Bienvenue à la clarinette ! Vous n'avez jamais entendu parler du trombone ? Alors c'est l'instrument qu'il vous faut ! Bien sûr je force le trait, car il y a eu de merveilleux instrumentistes qui ont pratiqué le free-jazz, tout le monde les connaît, et l'on a entendu dans ces années-là des choses extraordinaires, ce n'est pas d'eux que je parle, on l'aura compris. Mais enfin, combien de demeurés sourds comme des pots se sont mis à la musique, dans ces années-là, qui ont construit par la suite une carrière tranquille, parfaitement dans les clous… Je pourrais en citer des dizaines et des dizaines, tous plus mauvais les uns que les autres, qui ont été acceptés par le système, mieux, qui ont été mis en avant du fait même de leur notoire incompétence, incompétence qui se retournait en qualité, puisque celui qui savait jouer de son instrument était forcément limité par ce qu'il avait appris, la technique étant en ces années-là assimilée à une férule, à un carcan, à l'imposition plus ou moins charitable d'un style, d'une école, d'une manière (et en cela, d'ailleurs, on n'avait pas tort, ou pas complètement tort). Il fallait désapprendre, surtout, c'était la loi du temps, et il était donc logique que ceux qui n'avaient pas appris soient mieux considérés que les autres. C'était une époque où les mots-clefs étaient "énergie" et "personnalité". 

Nicole, elle avait pourtant essayé d'apprendre, faut lui reconnaître au moins ça. Seulement, la pauvre n'avait pas eu la chance, celle dont elle aurait eu réellement besoin dans sa vie, de tomber sur quelqu'un qui, très tôt, lui dise avec suffisamment d'autorité de laisser tomber, de changer de voie, puisqu'elle ne pouvait pas changer de voix. Combien de "musiciens" auraient eu l'immense chance de faire autre chose, autre chose en quoi ils auraient pu, qui sait, devenir des dieux, s'ils avaient eu en face d'eux de véritables maîtres, ou au moins de vrais professeurs, des gens responsables et sérieux, au lieu de ces ectoplasmes filandreux dont le seul talent était de prendre des vessies pour des lanternes. Une voix de merde, une technique de merde, un goût de chiottes, et un physique de… Mon Dieu, mais comment a-t-elle fait, pourrait se dire les naïfs d'aujourd'hui ? Ah, mes petits amis, vous n'avez encore rien vus, vous êtes des puceaux de la Contemporaine, vous ! Nicole a fait comme des centaines d'autres, elle s'est incrustée. Quand vous n'avez pas de talent, dites-vous bien une chose : Ça n'a rigoureusement pas la moindre importance, à une condition, que vous vous incrustiez assez longtemps pour faire partie du paysage. Il faut avoir une certaine dose d'opiniâtreté, je ne vous le cache pas, et aussi assez peu d'amour propre, mais l'essentiel est que ça marche ; et ça, pour marcher, ça marche. Le temps fait tout. Vous êtes mauvais pendant une semaine… c'est très mauvais, sans plus. Mais si vous êtes mauvais pendant dix ans, alors là, ça change tout, vous changez de catégorie. Votre "rester mauvais", dites-vous bien une chose : c'est de l'art. Les médiocres, eux, s'améliorent, un peu, et même parfois beaucoup… et restent médiocres. Tandis que le mauvais qui reste mauvais, qui s'acharne dans son absence totale de talent, alors là, c'est de tout autre chose qu'il s'agit. L'incrustation vaut diplôme. Mais les plus attentifs vont me dire, mais alors Pépé, tu te contredis, là, puisque tu nous expliques que la Nicole elle a voulu apprendre. Non, je ne me contredis pas, petits malappris, soyez un peu patients ! Nicole, c'est une cumularde. Elle a tout, si tu préfères. Une absence totale et persistante de talent, et, en plus, une appétence pour les cours à droite et à gauche, surtout à gauche. Elle court, Nicole, au propre et au figuré, d'un cours à l'autre depuis bientôt trente ans, sans le moindre petit commencement de résultat, et ça ne l'a jamais empêchée de continuer à nous offrir son organe et ses prouesses vocales avec une générosité qui force le respect. D'autres qu'elle auraient lâché l'affaire ; c'est justement ce qui fait la singularité absolue de Nicole. « J'aime assez mon talent pour renoncer à lui. » aurait pu dire Nicole si elle connaissait Atalide, et c'est notre joie et notre ennui qu'elle n'examine point. Des héroïnes de cette trempe, croyez-moi, ça n'existe plus. Tout ça pour vous expliquer à quel point j'ai eu de la chance de la rencontrer, Nicole ! 

(…)

lundi 6 avril 2015

Les propositions de Jack Tatalie


Les Prêtres


C'est presque trop beau. La RATP (Religion d'Amour, de Tolérance et de Paix, comme chacun sait) ne veut pas faire de publicité pour un « concert des "Prêtres" » ou, pour être précis, elle veut bien en faire, de la publicité, mais à ses conditions. (Elle ne veut pas importuner ses clients, la RATP, quoi de plus normal, pour qui prône la soumission ?)

Et tout le monde de s'émouvoir de cette chose horrible, bien entendu. Personne ne semble se poser la moindre question sur ce que peut bien signifier la formule « Un concert des Prêtres ». Un "concert" ? Par des "prêtres" ? Imaginons un instant que je veuille faire de la publicité pour « Un concert de fourmis géantes ». J'aurais sans doute un peu de mal, et personne ne se mobiliserait pour défendre ma cause. C'est affreux. Je gueulerais tout seul dans mon coin pendant que vous serez tous à vous envoyer du gigot d'agneau australien et des profiteroles des Landes. 

La vie est injuste. 

samedi 4 avril 2015

Nemesis


Ces jours, ces semaines, ces mois où l'on se sent aux prises avec cet ennemi intime qu'on ne peut pas vaincre… Parfois je me dis que ma vie est une très longue, une interminable semaine sainte.

Le type qui perd son talent. Il l'égare. Il est là, quelque part, dans la maison, mais il ne sait plus où. C'est un tout petit machin, mais quand vous l'avez perdu, il ne vous reste pas grand chose. Évidemment, il est toujours possible de raconter l'histoire du type qui a perdu son petit machin. « Si vous le retrouvez, ramassez-le, et rendez-le moi, s'il vous plaît. Il a une valeur sentimentale, pour moi. » Mais il est à mon avis beaucoup plus intéressant de ne rien raconter du tout. Le vide qui s'installe comme un lierre qui recouvre tout, ça suffit bien, je vous assure. Il suffit de savoir que ç'a été là. C'est une sorte de tombeau vide, un tombeau dans lequel le vide serait lui-même le mort très vivant. Ça a été. Le passé est le passé. Le présent peut aussi parfois se transformer en passé, avant même de devenir du passé, à proprement parler. Quand vous avez cette sensation, de vivre dans quelque chose qui est déjà le passé, alors votre vie devient une sorte de non-vie, ou de contre-vie. Toute sa puissance consiste à lutter contre la vie qui vous a habité un jour. La vie se retourne contre la vie.

On déterre le fil, on le suit, et quand on arrive au bout, là où l'on pensait trouver la source de la vie, c'est la mort qu'on trouve. Et ce n'est même pas triste. Ce n'est même pas un véritable événement. C'est seulement la fin de l'histoire. Mais c'est une fin qui n'est pas du tout événementielle, monumentale, grandiose, terrible, non, c'est juste la fin de ce qui a eu lieu jusque là. Jusque … On est toujours de toute manière et quoi qu'on fasse à cet endroit — ce "là" —, on ne peut être ailleurs que . Nulle part ailleurs. La vie, c'est être là, rien de plus. Le reste, c'est de la littérature, ou de la guerre.

« Le bonheur fou. Oui, je me souviens du bonheur fou. Ça se paie très cher. »

Le Dialogue de cour


mardi 31 mars 2015

lundi 30 mars 2015

L'emplâtre sur la clochée (1)


Gérard arrive le premier, en imperméable et casquette. Je lui offre du café, il se réchauffe en caressant mon chat. J'aime bien Gérard. Il a toujours l'air un peu bourré, même à dix heures du matin, mais bien qu'il ne soit pas le meilleur clarinettiste du monde, il est musicien. On discute un peu, je lui fais visiter l'appartement. Il commence à monter sa clarinette, je le laisse un moment pour aller pisser. On sonne à la porte, je l'entends qui pose sa clarinette et me lance : « Je vais ouvrir. » J'entends des voix dans l'entrée, je tire la chasse. C'est Nicole, toujours à la bourre, toujours transpirante, comme si elle venait de courir un cent mètres. On s'embrasse, elle me demande si elle peut avoir un thé. Pendant que je lui prépare son thé, Gérard se chauffe et elle va aux toilettes. On se jette un coup d'œil, Gérard et moi, quand elle revient, les joues rouges, visiblement pas très réveillée. Elle porte un foulard épais autour de sa gorge, un pull et un pantalon moulants. Elle s'asseoit sur le canapé et boit son thé. Je remarque qu'elle n'est pas coiffée et je me demande si elle a eu le temps de prendre une douche. Me demande du miel. 

Je lui monte son pupitre puis je m'installe au piano, on a déjà une demi-heure de retard. Gérard s'accorde et je la vois qui fouille dans un sac énorme d'où elle extirpe une dizaine de partitions toutes plus chiffonnées et sales les unes que les autres, puis un minuscule crayon à papier qu'elle pose sur le bord de son pupitre. Je lui propose une gomme. Gérard nous raconte une blague, elle dit quelque chose comme : « Oh là là ! »

Le chat est monté se coucher sur la mezzanine. J'attaque les premiers accords, Gérard me suit… La chanteuse a presque deux minutes avant de commencer, deux minutes où la clarinette est seule avec le piano. On profite au maximum de cette longue introduction pour se donner l'illusion que tout va bien, qu'il n'y a qu'à jouer les notes, sans se poser de questions. Mais il faut bien arriver sur le long si bémol de la clarinette qui va introduire la voix. Elle a trois notes à faire : Ré, mi-fa, suivies d'un triolet descendant. Et là, c'est tout bonnement le cataclysme, c'est le 11 mars 2011 au Japon, le 11 mars 2004 à Madrid, le 11 septembre 2001 à Manhattan, c'est la première fois qu'on se fait plaquer au rugby, la première fois qu'on se fait larguer par une gonzesse, c'est une gueulante affreuse, c'est le Manitoba qui répond à tort et à travers, c'est un coup de pied dans les tibias, c'est comme si on s'était fait écraser les pieds par la femme la plus grosse du monde, c'est un étron fumant dans votre bol au petit déjeuner, c'est l'injustice, c'est la guerre, c'est la catastrophe, c'est la maison qui s'effondre alors que vous êtes en train de tirer un coup, c'est votre femme qui vous trompe devant tout le monde, enfin, c'est la grosse grosse merde dégueulasse qui vous tombe sur le crâne alors que vous sortez faire une balade au printemps avec votre fiancée ; bref : je n'arrive pas à continuer. Et là, l'autre allumée me dit froidement, avec sa voix d'embolie pulmonaire : « Ben qu'est-ce qui t'arrive ? » Ne croyez surtout pas que j'aie envie de rire, non, pas du tout, je ne trouve pas ça drôle du tout. Nicole, c'est un peu le Docteur Petiot dans votre salon ; on comprend immédiatement qu'on est très mal barré. Tous les pianistes savent bien qu'un jour ou l'autre ils seront confrontés à l'épreuve redoutable qui consiste à accompagner une Castafiore mais ils finissent par croire que ça n'arrive qu'aux autres, qu'ils vont miraculeusement passer à travers les gouttes, bref que le doigt de la Fortune veille sur eux. Je suis tétanisé, révolté, scandalisé, révulsé, désespéré, mais un sixième sens m'avertit aussitôt qu'il ne sert à rien de se morfondre et d'agonir Dieu d'injures, il va falloir trouver une solution, il va bien falloir aller jusqu'au bout de ce calvaire, et si possible ne pas trop se ridiculiser. Entrons dans le tunnel…

(…)

vendredi 27 mars 2015

Michel et Alain sont sur un plateau


Michel : Si vous permettez, je trouve grave que vous n'ayez pas lu le blog de Georges de La Fuly.

 Alain : Oui c'est vrai.

 Michel : Très grave. 

 Alain : J'en ai lu des extraits mais c'est vrai.

 Michel : Vous faites partie des gens qui pourraient être présidents de la République. C'est extrêmement important.

 Alain : Il y a encore deux ans.



À mesure que s'approchent les grandes échéances nationales, la tension s'accroît, ce qui est bien normal.  Alain a été pris la main dans le sac, d'accord, mais combien sont-ils dans son cas ? Nicolas, Marine, François, Jessica, Nicole, Jeremy, Moussa, Rachida ont-ils réellement lu le blog de Georges de La Fuly ? Rien n'est moins sûr. Leurs cons-com' leur en ont lu des extraits quand ils étaient au hammam, ou lorsqu'ils étaient en train de mettre une dernière main au portrait de Finkie, certes, mais est-ce suffisant ? Peut-on réellement penser qu'ils sont informés ? La réponse d'Alain fait un peu froid dans le dos, permettez-moi de vous le dire. « Il y a encore deux ans » ??? Mais, Alain, même en tenant compte du fait que Guilaine-2-Pis vous en fera des résumés chaque soir, on n'y arrivera pas ! 3000 billets en deux ans, ça va être limite-limite ! Ou alors il va falloir ne plus partir au ski avec les enfants ni à Marakesh avec Isa. Nous avons des raisons d'être inquiets, vous savez ! Et encore, vous avez un boulot assez peinard, vous, Alain, mais prenons François… Ça va être beaucoup plus compliqué, pour François ! C'est pas Julie qui va lui faire des fiches sur La Fuly, si vous voulez notre avis. Elle est très bien, Julie, mais enfin, là, elle a pas le niveau, faut dire ce qui est ! Et Marine, avec ses soirées karaoké et ses cours de disco, quand c'est qu'elle va bûcher, Marine ? Bon, elle, elle a le Parlement européen, c'est vrai, mais alors il faudra arrêter la bataille navale et le sudoku, sinon c'est mort. Moi, je préfère vous le dire nettement, ça va être la fièvre du samedi soir, et même de tous les autres soirs, si vous voulez vous mettre à niveau, les gars. 

Ce que je peux proposer, à la limite, c'est de faire des phrases plus courtes, avec redoublement du sujet et anaphores à tous les étages, mais ne me demandez tout de même pas la lune ! Je ne vais pas vous faire du Musso au court-bouillon sous prétexte que vous êtes des cancres ! Ou alors il va falloir envoyer plus de chèques ! 

jeudi 26 mars 2015

Page 101 (1)




« — Mon bon papa… je vous remercie de tout mon cœur… de l'excellente fouettée… que vous… m'avez… fait infliger… Je vous promets… qu'elle me sera bien profitable…
— Je l'espère ! dit simplement le colonel. »

« Même lorsqu'elle n'est pas liée aux fins d'une Église ou d'une secte, la musique instrumentale demeure la plus éthérée des formes d'art, la mieux immunisée contre les pièges du didactisme et de la représentation qui guettent les artistes œuvrant dans les autres médias. »

« J'obéis, la laissai me déshabiller. Elle s'agenouilla devant moi et commença par une feuille de rose, longue et tendre, avant de me prendre par la main et de me relever. »

« Guilaine pas plus que Robert ne se rappelait l'endroit où ils avaient garé la voiture. C'est Belphégor qui donna le signal, et tous se retrouvèrent à plat-ventre sur le trottoir, quand la fanfare entonna l'hymne. »

« Il pleurait. Son œil fermé versait plus de larmes que l'autre. »

« Avec le social vient la politique, le parti politique. Si par surcroît on se marie dans cette politique, voilà des fils bien séparés du père. Je ne veux expliquer pour l'instant que cette séparation. »

« Quand la verticale faveur atteignit vos bourses, le vieil extraterrestre chauve tituba jusqu'aux cabinets qui menaient aux marchés financiers. »

« La mosaïque magique résultante se déduit des mosaïques magiques composantes en application de la règle arithmétique bien connue : pair + pair = pair ; pair + impair = impair ; impair + impair = pair. »

« Mais le petit complotiste ne devrait pas s'aventurer ainsi sur le terrain des jugements esthétiques et des généalogies littéraires. Il serait plus avisé de perdurer dans la catégorie où il brille : celle de la délation à côté de la plaque. C'est là qu'il est bon. »

« Autrement dit, la personnalité qui s'exprime ici est plus réfléchie qu'expansive, sa véritable force n'est pas tant celle qui s'exerce vers le dehors, force de vitalité, que celle qui s'exerce au-dedans de lui, et sur lui-même. C'est pourquoi il est dangereux de parler d'"héroïque", à propos de cette symphonie, car, après tout, le héros affronte le monde. Notre héros, ici, n'y jette un regard que pour, aussitôt, se replier sur lui-même, et les conflits qu'il nous conte se passent en lui. »

« Les jambes, les cuisses, les mollets de Noureev sont très forts, d'un diamètre rare chez un homme de sa taille ; ils donnent une impression de vigueur incroyable, et un côté terrien à ce corps dont le buste, les bras, le cou sont si légers et si élancés vers le ciel. »

« L'homogène majorette épicurienne se targue des clandestinités polémiques et orthodoxes de la règle géométrique bien comprise mais il ne suffit plus de vouloir admonester la giration du désir sans penser que les figures seraient dépendantes de la totalité du canevas. »

« Il avait une détestation spontanée et violente de la franc-maçonnerie dont il ne savait pas d'où elle provenait, mais qui lui avait toujours semblé confortée par les rares épisodes de sa vie qui l'avaient mis en présence de membres de cette secte qu'il jugeait diabolique. »

« Car la différence est grande, entre réutiliser simplement, faute de temps, un matériau musical en lui imposant de force, plus ou moins, un texte et, ayant à sa disposition d'emblée les deux textes, concevoir dès le départ la version sacrée définitive. »

« À dix heures et demie, donc, lorsque la cour sombre et boueuse fut envahie par les élèves, on s'aperçut bien vite qu'un nouveau maître régnait sur les jeux. »

« Étranger dans le mariage est un recueil de nouvelles sur la famille. »

« Alors, à cet instant précis, à l'instant où le combat était gagné, un cri s'éleva, un cri à glacer le sang. Et ce qui suivit reste aujourd'hui encore un mystère absolu. »

« Mémoire pour rendre les Spectacles plus utiles à l'État. Lettre de M. de Voltaire à M. de la Roque sur la Tragédie de Zaïre. »

mercredi 25 mars 2015

L'orgie symbolique de l'apparition simultanée…


Coller deux livres de poche par la quatrième de manière à ce qu'il soit possible de commencer l'un ou l'autre simplement en faisant faire un looping à l'ensemble, c'est ce que j'ai eu l'idée de faire avec un livre de John Fante (L'Orgie) et un autre de Léon Bloy (Le Symbolisme de l'Apparition). Je ne peux plus prendre l'un sans prendre l'autre. La seule question est : quel volume vais-je lire, ou, par quel côté vais-je débuter ma lecture ? 

Côté larmes ou côté eau bénite ?

L'objet livre interdit apparemment de faire la même chose avec trois livres, mais je ne m'avoue pas vaincu pour autant…

« Antisémite »



Notre meilleure amie nous traite d'antisémite. Bien sûr, l'absurde de la chose peut faire sourire — et il le fait. Mais on ne peut malheureusement pas s'arrêter à l'absurdité évidente de l'affirmation, à son côté loufoque, cocasse, et même idiot. Il faudrait tout de même pouvoir répondre, mais si l'on répond, n'est-ce pas déjà donner trop d'importance à une pareille idiotie ? Et puis, même en mettant cela de côté, en est-on capable ? Rien n'est moins certain, car répondre à une accusation idiote est toujours périlleux, surtout quand cette accusation traîne du côté de cette arme absolue du langage .

Je n'aime pas les évitements, même quand ils sont la meilleure réponse, mais comment éviter de tomber dans le piège d'une réponse qui légitimerait la question ? Parfois, une terrible lassitude nous vient, concernant les relations humaines, ces relations qui sans cesse nous délient de la vérité, nous en éloignent. La vérité, les relations humaines n'aiment pas ça. Les relations humaines préfèrent les affirmations, les postures, les discours empruntés (aux autres, bien entendu), les théories, les répétitions, les lois, le signe "égal". Si vous dites cela, c'est que vous êtes cela. A n'égale pas B, et ne parlons même pas de C. Or, dans la vérité d'un être, il arrive souvent qu'A n'égale pas A, et soit plus proche de B, quand B ne diffère pas tellement de C ni de A.  

Finalement, le mécanisme est toujours le même. Proust en a parlé mieux que quiconque, je crois. On n'est jamais si virulent et si intransigeant qu'en défendant des idées qui ne sont pas les nôtres, qu'en s'adossant à une vérité qui ne nous semble si indiscutable que parce que nous ne sommes pas complètement certains de nous y retrouver. Les idées qui sont vraiment nôtres, nous pouvons toujours les discuter, les amender, les fragmenter, et parfois même les retourner contre nous ; mais celles que nous faisons nôtres, nous les faisons nôtres littéralement, nous les avalons toutes crues, sans les mâcher, et elles finissent toujours par nous faire mal au ventre. Comme ce mal de ventre est lancinant, nous aimons bien le faire partager aux autres, en leur envoyant ces idées dans les gencives et en les disposant joliment dans leur assiette (c'est seulement une fois que nous avons agacé les dents et les ventres des autres qu'éventuellement nous pouvons abandonner ces idées indigestes), mais comme dans la fable du renard et de la cigogne, chacun fait en sorte que l'autre ne puisse pas se restaurer, et doive se contenter de constater à quel point ces idées sont présentables, désirables, avantageuses

vendredi 20 mars 2015

Fâcherie


Quand on se fâche brutalement avec un ami, une connaissance, il y a toujours eu, avant le moment de la fâcherie à proprement parler, des agacements, des déceptions, des colères, qui n'ont pas été exprimés, qui n'ont pas pu se dire, ou pas complètement, et le moment où la fâcherie intervient est toujours, ou presque, ce moment de trop, celui qui nous fait comprendre que nous avions raison depuis longtemps déjà, que nous aurions dû depuis longtemps interrompre une relation si mal partie, qui portait en elle tant de malentendu (et de malentendus), de contresens, et finalement, au sens propre, de malédiction, de mal-dire, de dire mal et à côté, en-deçà ou au-delà, à contretemps. Il y a toujours eu des signes avant-coureurs, et, toujours, cette impression que "nous le savions", depuis le début. La brutalité avec laquelle nous nous fâchons n'est donc brutale qu'en apparence. La brutalité n'est en réalité qu'une plus ou moins lente accumulation de paresses, de cécités ou de surdités volontaires, de petites lâchetés, qui nous poussent à remettre indéfiniment au lendemain la mise au jour de ce que l'on nomme très mal intuitions, et qui ne sont que la vision de l'être tel qu'il est, qui ne peut jamais être que ce qu'il est, dans cette désespérante unidimensionnalité qui prend toujours soin de se dissimuler derrière une illusoire pluralité, derrière une richesse dont le caractère "cubiste" devrait pourtant nous rappeler qu'elle n'est que la contrainte du temps sur nos sens limités — limités certes, mais beaucoup moins que notre désir d'être aimé. 

jeudi 19 mars 2015

Un paragraphe (3)


(…)

Il ne voyait que son corps que recouvrait à peine une robe grise. Elle se tenait là, interdite, un sourire effacé derrière sa large bouche qui frémissait un peu. À la croisée des chemins, apaisée ou furieuse, elle allait prendre une de ces deux voies, dans les secondes qui suivraient, mais, pour l'instant, l'hésitation lui donnait un air étrange, mi stupide mi apeuré, qui la rendait si désirable qu'il ne pouvait pas regarder son visage, et la robe grise de la femme absorbait son regard comme le fait de l'encre un papier buvard. Était-ce le désir de l'homme qui mettait la femme mal à l'aise ou l'impossibilité de celle-ci de savoir composer son visage qui la rendait désirable ? Ce qui le frappait, lui, était que cette robe dont il ne parvenait pas à détacher les yeux ne masquait rien du corps qu'elle recouvrait, et ce qui la troublait, elle, était que cet homme ne regardant pas son visage semblait la dévisager, littéralement, elle sentait son visage disparaître, se dissoudre, alors que toute sa stupeur se réfugiait, vaporisée, dans ses membres, dans son torse, dans son ventre, et se transmettre à l'air qui les environnait tous deux, faisant obstacle à l'ombre double qui descendait en ces deux corps, face à face, creusés et gris comme une voix invaginée.

samedi 14 mars 2015

Deux mots en triangle


Deux vocables contemporains très utilisés, "antisémitisme" et "antisionisme", ont un destin paradoxal. L'un, en apparence bénin, tue tous les jours ; l'autre, de sinistre réputation, est à peu près inoffensif, ou ou moins sérieusement dévitalisé. Les deux trajectoires de ces mots se sont croisées, comme si l'un des termes avait vidé l'autre de tout son sens. 

Peut-être ont-ils été touchés par la force de gravitation d'un troisième terme qui en aurait en quelque sorte inversé les polarités, ce troisième mot étant la fameuse "islamophobie". Les mots en phobes sont des trous noirs : ne laissez rien traîner à proximité d'eux !

samedi 7 mars 2015

Embrasser mal


A. Tu embrasses mal.
B. Comment ça, mal ?
A. Trop lentement.
B. Je ne comprends pas.
A. Tu es lent, tu ne vas pas droit au but.
B. Mais comment ça, droit au but ? Quel but ? Le baiser, ce n'est pas cette chose qui évite le but, justement ?
A. Mais pas du tout, qu'est-ce que tu racontes ? De quel but parles-tu ?
B. Et toi ?
A. Mais c'est pourtant évident, non ?
B. Tu trouves ?
A. Oui, je trouve !
B. Oui, d'une certaine manière, c'est vrai, c'est évident, mais pourquoi me reproches-tu de mal embrasser ? Comment veux-tu que je t'embrasse bien si tu me reproches de mal embrasser. Tu vas me bloquer.
A. Il faut bien que je te le dise, si tu veux progresser.
B. Mais progresser comment ? Dans quel sens ? Je n'y comprends rien.
A. Dans le sens d'un perfectionnement, évidemment ! Quoi d'autre ?
B. D'accord, mais qu'est-ce que signifie se perfectionner en baiser ?
A. Ça signifie mettre de plus d'érotisme, plus de sensualité, plus de toi-même dans ton baiser.
B. Je ne suis pas sensuel ?
A. Non. Tu fais ça mécaniquement.
B. Mécaniquement…
A. Tu ne comprends pas ?
B. Pas très bien, non. Mécaniquement, je ne trouve pas. Veux-tu dire toujours de la même manière ?
A. Oui, aussi. Mais ce n'est pas ça le pire. 
B. Mais explique-toi, à la fin ! 
A. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre, tu sais parfaitement à quoi je fais allusion…
B. Mais non, enfin, pas du tout !
A. Tu vois, c'est tout toi, ça, tu tournes autour du pot. 
B. Tu as entendu parler du Printemps des poètes ?
A. Qu'est-ce que je disais… ça ne t'intéresse pas, le baiser. 
B. Si, justement si, je m'y intéresse beaucoup, tu te trompes.
A. Alors qu'est-ce que tu me fatigues avec tes poètes ?
B. L'effraction de la langue, ça te parle ?
A. Je m'en branle, de ton effraction. Je te parle du machin rose que tu as dans la bouche. Tu ne sais pas t'en servir, c'est ce que je dis.
B. Ah, on a un peu avancé. Continue, précise ta pensée. 
A. Eh bien mais tu es trop à droite, avec ta langue.
B. À droite ? À droite, tu veux dire… à tribord ?
A. Tu connais plusieurs manières d'être à droite ?
B. Oui, justement, j'en connais beaucoup. Et puis ma droite est ta gauche, dans ta bouche, ma chérie.
A. On ne peut pas discuter avec toi. Mais je vais te dire une chose, et je vais être très claire : quand tu m'embrasses, tu fais le jeu du Front national

mercredi 4 mars 2015

PS. J'aime la bite


Monsieur,

je pourrais parler longuement de votre voix envoutante, de votre barbe fleurie, de vos sourcils broussailleux, de votre démarche d'archange fatigué et de ces étranges remontées de désespoir qui atténuent parfois le métal acéré de certaines de vos envolées lyriques, qui les courbent vers la nuit de l'âme quand vous vous assoyez d'un air ahuri et pensif sur la chaise branlante qui vous sert de yourte lunaire, sur cette scène un peu miteuse où votre corps fait sens à la manière d'un assassinat de la présence. Je pourrais louer votre sens de la modulation, celui de la transition, cette manière si désinvolte et pourtant si précise que vous avez d'entrer avec vos membres, tous, dans une phrase, de la prendre à la hussarde, de la découper, de l'inciser, de l'ouvrir comme on ouvre un fruit bien mûr, et d'en restituer les sucs tout en les accompagnant vers leur brûlure éplorée et fatale, en les laissant couler vers le sens enrichi, nourri, gonflé de sève que vous déposez à notre portée après avoir fait monter l'eau à notre bouche avide. Je pourrais décrire les mille et une sensations que vous faites naître en nos âmes endolories et impavides, ternes, maussades et grises, ces mille et une stimulations qui caressent et pincent nos sens et notre imaginaire en les portant au bord de l'incandescence spirituelle, quand elles ne les font pas renaître, tout simplement. Tout l'art de l'écart, de la trace en incise ponctuée et du jeu vocalique, tous ces glissements progressifs d'un plaisir du texte que vous savez faire chanter, crier, gémir, bruisser, dont vous frottez l'étoupe contre la suave vulve des anges qui vous prêtent leurs organes flûtés, trompés, tambourinés, vergeturés de blancheur absconse, toute la carte et tout le territoire  de votre folle sagesse littérale m'ont ébranlée de fond en comble. Après ce soir, mon rapport au répertoire ne sera plus le même. Il fallait que je vous le dise. 


Blanche Second


PS. J'aime la bite

mardi 3 mars 2015

Bill m'écrit


Quand Bill Gates m'a écrit pour la première fois, j'ai cru qu'on se moquait de moi. J'ai perdu cette première lettre, il est bien possible que je l'ai jetée. À la deuxième, j'ai appelé le numéro de téléphone qui figurait sur la lettre et je suis tombé sur sa secrétaire particulière, qui m'a dit qu'il me rappellerait — heureusement, car je ne voulais pas me ruiner en téléphone. Il ne parle pas très bien français et je ne parle pas un mot d'anglais mais on a tout de même réussi à se comprendre à peu près. Je ne peux malheureusement pas révéler l'objet de cette conversation, il a été très clair sur ce point. J'ai été surpris de découvrir un homme charmant, intelligent, et plus cultivé que je ne l'aurais pensé. 

Bill Gates voulant contacter quelqu'un lui envoie… une lettre. Une lettre écrite au stylo sur du papier, dans une enveloppe timbrée, envoyée par la poste. C'est un peu comme si j'avais reçu un texto de Victor Hugo ou un tweet de Paul Claudel. 

Maintenant que je sais que tout est possible, je m'attends à recevoir un coup de téléphone d'Alain Juppé, furieux de la manière dont j'ai traité la Merveilleuse… 

lundi 2 mars 2015

Allongé


Prépare-toi à rester allongé très longtemps sans bouger, sans parler, sans dormir. Dès que tu viendras au monde, prépare-toi à mourir car cela viendra très vite. Fais-moi confiance, il n'y a rien de plus urgent. N'écoute pas ceux qui te parleront de la vie, de l'amour, du plaisir, des arts et de la connaissance. Laisse-les parler, fais comme si tu les écoutais, hoche la tête de temps en temps, mais, je t'en supplie, prépare-toi. Laisse tes membres à l'extérieur de ton corps, laisse tes yeux errer au hasard, laisse ton cœur battre à son propre rythme, laisse tes cheveux pousser, et tes ongles, et ta barbe, transpire, urine, défèque, mange, répète les paroles que tu entends, adapte-les, module-les, renvoie-les comme des échos déformés, plisse les yeux, fais avec les bras des gestes pour intimider tes semblables, additionne des nombres, scrute les heures à la pendule, observe les filles qui passent devant toi, mords dans le pain, dans la viande, avale de l'eau, du vin, du lait, pousse des hurlements terrifiants, geins comme un enfant, pleure comme une femme, scande les noms de tes ennemis, caresse ceux que tu aimes, sois patient et impatient, généreux et âpre, facile et retors, courageux et lâche, mais je t'en supplie, je t'en conjure, prépare-toi à mourir, dès le premier jour, dès ton premier souffle, dès qu'on te donnera un nom. 

Même en pleine action, même en pleine course, même quand tu seras en train de tuer celui qui se met en travers de ton chemin, même quand tu étrangleras l'amant de ta femme, même quand tu rêveras, même en nageant, en mangeant, même dans le coït, prépare-toi à mourir, sois prêt, sois tout à la mort qui vient, accueille-la, ne sois pas pris au dépourvu quand elle te frappera de son doigt glacé ou brûlant, quand elle dira ton nom dans le silence qui arrête le temps, quand elle tranchera le fil qui te relie à ce que tu prends pour toi. N'oublie pas que tu es un funambule qui parle à une mouette, à quatre cents mètres au-dessus de la terre. Pour l'instant tu danses sur le fil mais il va se rompre l'instant d'après et tu vas tomber et t'enfoncer profondément dans la terre. Je te parle de l'instant d'après, de cet instant qui se situe juste après la seconde où tu entends ma voix. Le fil est si fragile que ma parole va le briser ; dès l'instant que ma parole arrivera sur toi, le fil ne pourra plus supporter le poids de ton corps, il ne pourra plus supporter le temps qui s'est accumulé dès avant ta naissance, ce temps que tu amènes avec toi en venant à la vie. Il suffit de si peu. Prépare-toi !

Déjà, tu es allongé sur ce lit, comme je te l'avais prédit. Tu ne m'as pas écouté, pas assez, pas assez bien. Tu ne m'as pas cru. Tu as cru que j'exagérais pour t'effrayer. Tu as cru que je faisais de la philosophie, que je racontais une histoire édifiante, un conte, une parabole, tu as cru que je réduisais ta vie sensible à une épure, tu as cru que je voulais t'éduquer. Tu aurais dû m'écouter, tu aurais dû entendre ce que je disais, le prendre au sérieux, le comprendre au premier degré. Maintenant tu es là, allongé sur ce lit d'où tu ne te relèveras plus, ne t'avais-je pas décrit tout ce qui allait t'arriver ? Je ne parle qu'à toi, je ne m'occupe pas des autres, je ne parle pas de la vie en général, je ne suis ni professeur, ni philosophe, ni docteur, ni prédicateur, ni curé, ni sage-femme, ni sorcier, ni psychiatre, je ne suis que ta voix propre, celle qui te guide et celle qui te sauve de l'illusion. Regarde-toi, allongé, impuissant, impotent, implorant, regarde-toi qui regrette, regarde-toi qui m'écoute maintenant, qui semble tout à coup entendre ma voix, alors que j'ai toujours été là, que je t'ai toujours parlé ! Regarde comme tu as l'air idiot, simple, débile, incomplet, vois comme tu es à la merci des autres, de leurs volontés, de leurs désirs, de leur paresse, de leur égoïsme, de leur lâcheté, de leur pusillanimité, de leur peu de mémoire, de leur ingratitude et de leur bêtise. Je voulais t'éviter cela et toi tu as voulu vivre, tu as voulu faire comme les autres, tu as suivi leur chemin d'idiots, d'inconscients, d'enfants qui ne veulent pas savoir et qui rient jusqu'au moment où la lumière s'éteint brutalement. Personne ne rallumera la lumière pour toi, je peux te le dire, et maintenant, tu me crois

Tu regardes par la fenêtre ? Mon beau salaud ! Tu ressembles à un cheval. Un cheval couché sur le dos, ridicule, pitoyable, affolé. Tu n'as pas faim, tu n'as pas soif, tu ne veux pas parler, tu ne veux pas pisser, pourquoi regardes-tu par la fenêtre ? Ce que tu vois là-bas n'est plus pour toi. Ça ne t'appartient plus. Tu dois rendre tout ce à quoi tu prétendais, et même ce paysage, même ces arbres, même ces nuages ne sont plus en ta possession, ils se trouvent dehors, derrière la vitre, dans le monde des vivants, dans ce monde que tu avais cru pouvoir habiter, alors que je t'avais bien prévenu, pourtant, qu'il n'en était rien. Le monde n'est pas pour toi, mon beau salaud, et tu ne l'as jamais habité, tu ne lui as jamais appartenu et il t'a encore moins appartenu.

Voilà, nous sommes là, maintenant, dans cette chambre, et c'est la fin. Nous avons assez perdu de temps. Reste allongé, regarde par la fenêtre si ça peut te faire plaisir, reste là, sans bouger, sans parler, sans soupirer, reste là à attendre que la vie passe, tu n'as rien d'autre à faire. Nous n'avons pas besoin de toi. 

dimanche 1 mars 2015

L'Air des bijoux



« Tu m'avais promis que tu m'achèterais une voiture, quand j'aurai mon bac. Tiens ta promesse, pour une fois ! 
— Tu m'avais promis que tu ne grandirais jamais, que tu resterais mon petit ange pour la vie. Tu t'es vue ? T'as même des nichons ! 
— Je suis une rock star, papa, une rock star, ça a des nichons !
— Une rock star, ça se paye sa voiture toute seule. 
— Tu sais que je tiens un blog ? J'ai quatre cents visiteurs par jour.
— C'est quoi, le nom de ton blog ?
— Tu ne crois quand-même pas que je vais te le dire ! Si tu le savais, je ne pourrais plus écrire ce que je veux, et la sincérité, sur un blog, c'est essentiel !
— Tu racontes que je vais te payer une voiture, sur ton blog ?
— Si tu me l'achètes, je te jure que j'en parlerai.
— Tu parles de moi, sur ton blog ?
— Ne pose pas de questions, ça vaudra mieux. 
— Alors pas de voiture.
— OK, je parlerai de toi. D'ailleurs, j'ai déjà parlé de toi. 
— Je sais, tu as dit que j'étais radin. 
— C'était pour que tu aies honte de toi.
— Tu n'as pas honte ?
— De moi ou de toi ?
— Mais dis-moi, pourquoi une rock star tient-elle un blog ? Pour que son papa lui paye une voiture ?
— Non, ce n'est pas pour ça. J'ai besoin de dire des choses, de m'exprimer autrement.
— Tu sais que tu as un début de double-menton ?
— J'ai essayé une Porsche, l'autre jour. On m'a dit que ça m'allait bien. 
— C'est possible mais moi je suis radin. 
— Tu ne vas quand-même pas m'acheter une de ces horribles Mercedes ?
— Ce que je ne comprends pas, c'est où passe l'argent de tes concerts ? 
— Ça t'intéresse, ça, hein ! Qu'est-ce qu'on s'en fout, de l'argent de mes concerts ! Je te parle de mon bac, et tu me parles d'argent. Tu es immoral tu sais !
— Viens dans mes bras. Viens là.
— Papa, je pourrais mourir dans tes bras tellement je m'y sens bien. Mais ce serait dommage que je meure avant que tu m'offres une Porsche…
— Gounod, tu connais ?
— L'hôtel ?
— Non, le compositeur. Charles Gounod. 
— Oui, je connais, l'air des bijoux ? Mais je préfère la Porsche. 
— J'ai une idée, Maurane. Et si tu apprenais la musique ? »

samedi 28 février 2015

Le Bruit de la neige


Le violoncelliste entre en scène avec son instrument. L'altiste entre en scène avec son instrument. Le second violon entre en scène avec son instrument. Ils s'assoient et accordent leurs instruments. Une fois l'accord réalisé, ils attendent. Une minute passe, puis une deuxième, puis une troisième… Dix minutes ont passé. Ils regardent la salle, le public, leurs instruments, leurs partitions, posées sur les pupitres. L'altiste se gratte l'oreille. Le second violon sort un mouchoir de sa poche, s'essuie brièvement la moustache puis remet le mouchoir dans sa poche. Le violoncelliste se racle la gorge, éloigne ses lunettes de son visage, semble en inspecter les verres, puis les remet sur son nez. L'altiste a un tic : il tire les commissures de sa bouche vers les oreilles, de sorte qu'on pense qu'il sourit. Le second violon l'observe, lui sourit, puis se racle la gorge à nouveau. Quinze minutes ont passé. Le public est toujours silencieux. On entend quelques toux éparses mais rien d'alarmant. Le violoncelliste semble lire sa partition, comme s'il voulait la mémoriser, ou vérifier quelque chose. Le second violon tourne la tête vers les coulisses. Il se racle la gorge. L'altiste se gratte l'oreille et fait jouer les muscles de ses chevilles, ce qui a pour effet de soulever ses pieds, l'un après l'autre. Le second violon observe l'altiste, ses chaussures, puis relève la tête en se redressant sur sa chaise. Vingt minutes ont passé.

Le premier violon, une femme, entre en scène avec son instrument. Elle marche en frottant les cuisses l'une contre l'autre comme si elle avait peur de perdre sa culotte. Dès qu'elle est assise auprès de ses compagnons, les autres s'accordent à nouveau, mais elle ne bouge pas. Elle a posé son violon sur ses cuisses et le regarde avec une sorte de terreur sacrée. Son bras droit, celui avec lequel elle tient l'archet, pend le long de son corps. On voit qu'elle transpire. 

Marion Cotillard applaudit très fort, sans raison apparente. Tous les regards se tournent vers elle, ce qui a pour effet de stopper net son élan. Au premier rang, une élégante remue son éventail et son voisin éternue. On entend du remue-ménage dans les coulisses, comme si l'on transportait des meubles très lourds. 

***

Tout est recouvert de blanc. On entend des gémissements, des craquements, des cris étouffés, puis à nouveau le silence. Pas un survivant.

Le président n'était pas là. 

***

Au début les musiciens jouaient. Ils savaient quoi jouer, ils avaient un programme. Maintenant, ils ne prennent même plus la peine d'avoir des partitions, de répéter. Ils viennent, ils s'assoient, ils attendent. Tout le monde attend. Il paraît que parfois le premier violon n'est pas plus violoniste que vous et moi. C'est lamentable. N'empêche, le système fonctionne plutôt bien, il faut le reconnaître. Est-ce que vous savez pourquoi on a interdit les signes religieux ? Ça me semble évident. Ah bon, vous trouvez ? Que craignent-ils ? 

***

Le président viendra-t-il ? Vous savez bien que non. Mais c'est impossible ! 

***

C'est complet, Madame. Je peux m'asseoir sur les marches. C'est interdit : raisons de sécurité. Mais enfin… N'insistez pas ou j'appelle la sécurité. 

***

Comment ont-ils réussi à apporter toute cette neige ? Je ne sais pas de quoi vous parlez. Pourquoi la neige ? Je ne sais pas de quoi vous parlez. Pourquoi la musique ? Je ne sais pas de quoi vous parlez.

***

Je la vois dans la glace de la salle de bains. Elle se passe de la crème sur le visage, sur le cou et sur la naissance des épaules. Puis elle prend sa brosse à dents et le tube de dentifrice. Je la regarde et je me dis que j'aime ça, qu'une femme qui s'apprête pour la nuit est la plus belle chose que je connaisse. Je la regarde, dans la glace, avec émerveillement, mais je constate que je n'y suis pas, dans la glace, et je comprends qu'elle est seule dans la salle de bains. J'étais à ce fichu concert, je revois la violoniste qui entre sur scène en frottant ses cuisses l'une sur l'autre. Je peux sentir l'odeur de la crème sur son visage et l'odeur de ses cheveux après qu'elle les a brossés. Elle masse, du bout de la main droite, le creux du cou, sur l'épaule, où elle pose son instrument. C'est légèrement bleuté.

***

Les deux femmes discutent en buvant un verre. À chaque fois que la caméra est sur A., il décompose le mouvement. Il fait des arrêts sur images, une centaine par plan, et il se dit : A., c'est ça plus ça plus ça plus ça plus ça… Toutes ces choses, tous ces visages qui s'enchaînent, toutes ces poses non pausées, tous ces visages arrêtés qui ne se laissent jamais arrêter, toutes ces infinies transitions, toutes ces notes de la mélodie de son visage, toutes ces modulations, et aussi toutes ces absences, c'est elle. Il voit son visage qui se découpe sur le blanc de la neige, son visage merveilleusement transparent en harmonie avec la neige, et il se dit qu'elle est intacte de lui, qu'il n'a jamais été en mesure d'altérer ce visage. Cette crème qu'elle se passe sur le visage, soir après soir, ce n'est pas pour protéger sa peau du vieillissement, non, c'est pour qu'il ne la touche pas, même pendant le sommeil. Même quand elle dort, même quand elle est nue dans ses bras, il n'a aucun accès à elle, il est enfoui sous des mètres de neige, dans la nuit du rêve, tandis qu'elle marche, seule, et il ne peut ni la suivre ni la faire dévier de son chemin. Les enfants qu'ils ont eus ensemble partiront de leur côté, elle continuera sa route, et lui restera là, assis dans la salle, à l'écouter jouer, en attendant d'être recouvert par des tonnes de neige. Il ne peut même pas crier, il ne peut même pas se plaindre. Il est assis dans la salle et regarde le spectacle, et, dans le public, on reste silencieux et immobile. 

***

Il fait nuit. Elle marche dans la neige. On entend le bruit de ses pas. Tout a disparu, il n'y a plus personne, il n'y a plus qu'elle, qui marche dans la neige. Sûrement, sous ses pas, par dizaines, des corps gisent, profondément enfouis sous la neige, qui a tout recouvert. Elle marche encore. Elle transpire. Elle se sert de son archet comme d'un bâton de ski, ou d'une canne. Elle déclenche des catastrophes et elle enterre les témoins. 

***

Le temps a passé. La neige a recouvert les hommes, les bêtes, et tout ce qui est vivant. Le président est arrivé et le quatuor va pouvoir commencer à jouer dans la grande salle très silencieuse. Tout danger a été écarté. 

Musique !

(À Bernard Cavanna et Noëmi Schindler)

jeudi 26 février 2015

La Gamme


« J’ai tout » pense-t-elle, pourquoi aller traverser la vie puisque tout m’est donné ? Et puis… Le père, la mère, les douleurs, le miroir, et qui est cette fille, là, que je regarde, elle est en culotte, elle s’inspecte, un peu rouge, tourne la tête, se met de profil, « ai-je de gros mollets ? », et ces fesses, là, un peu grosses, non ?, mes seins, un peu petits ?, elle essaie de se rassurer, mais tout de même, elle touche un peu, pour voir, son ventre, dur, musclé (bon, là, ça va…), remonte, va sous les seins, les remonte, les fait saillir, regarde le bout, il est joli, non ?, mais elle sait ce qu’on raconte, les garçons et leur manie des gros seins, elle remonte encore, passe de l’épaule au cou, remonte encore vers la bouche, passe un doigt sur ses lèvres, fait rouler la lèvre inférieure qui découvre alors les dents, la gencive, et si j’enlevais ma culotte ? Je m’appelle Sarah Verteuil, repartons de là ; un nom, un con ? Non, elle ne peut pas penser cela, bien-sûr, mais enfin tout de même, cette chose, là, en bas du ventre, c’est bien là qu’on finit toujours par venir, non ? C’est ce qu’on raconte en tout cas. En convenir… « Premier amour ». Je regarde mon sexe, mon pubis, et je pense : « Un jour, j’inspirerai un premier amour à un homme qui pourtant a déjà, comme on dit, beaucoup vécu. » Oui. Tiens, si je faisais une gamme de sol mineur, là, nue, pourvu que papa n’entre pas ! Donc, je m’assois, lentement, les cuisses serrées. Je transpire un peu, mes fesses sont moites, je sens un courant d’air presque froid qui fait poindre drôlement le haut de ma raie des fesses. Petit triangle givré, l’envers du décor, en somme. Devant, mon triangle noir dont il m’arrive, malgré moi, de sentir l’odeur : je me demande toujours si les autres peuvent sentir aussi. Poinçon de l’instant : je vous salue, Sarah. Donc, j’écarte les cuisses, lentement, je regarde l’intérieur de mes cuisses, la main d’un garçon, là ? Je me penche, j’attrape le violoncelle, je le mets entre mes jambes, je serre, jusqu’à sentir le bois frémir doucement, je relâche l’étreinte, et je regarde les poils de mon sexe. Je crois voir de l’humidité à l’intérieur des poils, ils brillent, je les trouve beaux, vigoureux, je voudrais tout à coup qu’un homme les voie ; mon professeur ? Je ne prends pas l’archet, je vais la faire en pizz, cette gamme, lentement, très lentement, dans le grave, sur une octave. Aucune répétition, aucune explication, aucune justification.

Sol. Où est-ce que ce sol résonne ? Est-ce lui qui provoque cette très légère contraction du vagin, cette onde de fine anxiété roulée sur elle-même, comme si tout à coup un regard était là, fixe, muet. « Au fond, on ne voit bien les œuvres d’art qu’en fonction de ce qui nous arrive d’essentiel dans la vie. » Une gamme est une semaine de sons, le sol est le dimanche, repos solaire, vide et ouverture de la contemplation. J’ai les joues en feu, pas un bruit, c’est l’heure de la sieste, la maison sent les confitures, ce matin au petit-déjeuner maman avait les yeux gonflés et rouges. Sarah me dit : « Entre nous ça a commencé comme ça, j’étais mal, je te parlais d’Éric… » Oui, Sarah, c’est vrai, mais tu n’étais pas obligée, je n’étais pas obligé. La. Sarah sait une chose, depuis toujours : qu’elle est menacée par le conformisme. Mais comment faire ? Est-ce que Julie, Hélène, Karine… Comment s’arrangent-elles de ça, elles n’ont pas l’air d’en avoir conscience. Elles papotent, s’inventent des vies, remplissent des carnets, y collent des photos, des billets écrits en classe, des numéros de téléphone, des critiques de films. Elles écrivent, elles aussi, ce mot ridicule, lourd, chaud et terrible, l’amour, elles mettent des majuscules partout, multiplient les points d’exclamation, inventent le point d’ironie, le point d’émotion, vont à la messe et écrivent des poésies. Tout est là… Peut-être un manque d’ennui, tout de même ? « C’est quoi ton manque ? » lui demande Éric. Le la vibre, donne du souffle à Sarah, elle regarde son bras gauche, celui qui produit le vibrato, elle va jusqu’au bout de la note, il en reste quelque chose en elle, elle serre les fesses, comme si elle cherchait à retenir un écho, qui va manquer… Un jour elle aura des enfants elle aussi. Peut-être est-ce dans très longtemps ? Elle s’imagine, allaitant… Du lait, sortir de là ? Du sperme, sortir d’un sexe d’homme ; le boirait-elle ? Si bémol. Est-ce que mon vagin pourra se dilater assez pour laisser sortir un bébé ? « Faudrait d’abord qu’une bite puisse y entrer ! » Elle glisse le majeur de sa main droite dans sa fente (elle est toute mouillée, ça rentre facilement) et, mentalement, elle dilate ce doigt, le fait grossir, le pousse bien au fond, sa bouche s’ouvre. Do. Elle a joué de son doigt mouillé, un peu gluant, le son est si beau qu’elle pense être face à un secret. Elle a honte ; elle porte son majeur à sa bouche, l’enfonce, loin, sur le côté, et mord, jusqu’au sang, jusqu’aux larmes. . Une île, une note. « Jeudi de lumière »… Réminiscence, raie de lumière, résonance, résolution, respiration de la dominante. Jeudi absolu de la justice des jonchets. Sarah retire un à un les bâtonnets jetés pêle-mêle sur son corps modulant. Jérôme, Éric, Paul, d’autres encore dont les noms altérés ne suffisent plus au jeu du réel. « Tu as transpiré comme une vache » lui dit Éric. Oui, j’ai pu moi aussi constater cela mercredi matin, le matelas était mouillé. Elle s’essuie avec la couette. Je vais faire le café, je reviens, elle est assise sur le lit, elle fume une cigarette. Le ré pose un problème nouveau : corde à vide, ou pas ? Changer de corde, changer de cœur, ou continuer, changeant seulement de position dans la roue des modulations. Là, elle ne sait pas encore… Un corps, un jour, la traversera, son ombre la changera, l’altérera. Il fait chaud, à quoi bon continuer ? Un voile passe devant son regard, elle a cessé d’être nue, elle est habillée d’un lourd sommeil. Éric la voit dormir, éteint le gaz, renonce à se faire à dîner, vient s’asseoir sur le divan, allume une cigarette, décroche le téléphone, le repose, se lève, va dans la chambre, reste sur le pas de la porte, regarde les cheveux de Sarah qui seuls dépassent de la couette, s’avance doucement, va au bureau, prend un carnet, regarde vers le lit, et, lentement, retourne sur le divan. Mi bémol. Le serpent lourd la mord, un peu de glace dans le ventre, ses cuisses serrent l’instrument, la sueur coule sur le bois. Sarah s’entend siffler, le souffle en elle comme une vapeur, je joue, je jouis… Elle appuie ses seins sur le violoncelle, ça la rafraîchit. Odeur d’eucalyptus… Elle tend l’oreille, non, rien, du silence bourdonnant, la maison semble lui dire : vas-y, continue, travaille ton instrument, n’aie pas peur, tu peux y arriver. Elle pense à un autre après-midi, elle à cheval sur les barres dans le gymnase, arrêt du temps, soudain, entre les cuisses. Elle écarte le violoncelle, se tourne vers la glace, observe sa vulve, le S inversé des petites lèvres, sensibles… Fa. Fatigue… Aller au bout ? Clin d’œil du clitoris, ultime vestige. Aura-t-elle un jour quelque chose à dire, ou bien lui faudra-t-elle le secours des enfants ? Vertige de la fin : aller voir sa mère, là, tout de suite, se planter devant elle (se planter devant elle…) et lui chanter sa gamme, en face ! Faille, tremblements, cette dernière note dans la gorge, comme un fait brut, sans paroles, dernière falsification fade. Fa dièse ? Vraie sensible, pour pouvoir un jour recommencer ? (Ou commencer, tout simplement…) C’est la nuit de l’instant, son côté, son regard de côté, sa torve césure qui attire et repousse. Samedi soir ; vomir, puis attendre, dans le silence, un appel, oiseau improbable, dans le même ton. Ne jamais oublier qu’un violoncelliste a l’âme entre les cuisses. Tout cela, bien-sûr, n’a pas eu lieu.

Je suis fatigué. Mais si bien…  Sarah est ici, là-haut, au 2e étage, en train de travailler, je l’entends (un peu) qui tape du pied. Nous commençons à faire l’amour. C’est beaucoup plus simple que je l’imaginais. Elle est charmante, et infiniment plus naturelle dans ces moments-là que je n’aurais jamais pu le concevoir. Dans le noir, qui est-elle pour moi ? Quand son visage s’efface, Sarah V laisse la place à Sarah, que je ne connais pas encore. Mais qui est si douce, si prévenante, si tendre, si indulgente, si drôle ! Une vraie amie qui aime faire l’amour, n’est-ce pas déjà, en soi, quelque chose d’inespéré ? Hier, j’étais chez Jean-Louis, le médecin, pour parler de ma mère. À mon retour, je la trouve installée à mon bureau, très tranquillement en train de lire mon journal intime.

J’ai mis Blue in green, tout bas, en boucle. Je vois la photo de Sarah dans son petit cadre d’argent, devant moi. Elle ferme les yeux. Elle vient de pleurer. Son bras gauche est posé sur le violoncelle, sa main droite sur son genou. Derrière elle, le drap, lac de clarté, horizontal, tendu, voile suspendue renversée. Elle semble s’enfoncer dans cette fin d’après-midi. Être happée par le mur, par l’ombre. Je voulais qu’elle soit là, calme statue au centre de ma chambre.

Tout descend dans cette musique. À l’époque de Blue in green, Miles était jeune, très beau, le regard intensément triste, ailleurs. Fini, le bop, la vitesse ciselée, avec Charlie Parker. Il joue comme s’il était très vieux ; une note, un peu froissée, il la tient, elle traverse le temps. Il écoute.

Je sens son parfum, elle vient de jouer pour moi, je ne sais rien de ce qu’il y a en elle. Elle va se déshabiller (« la culotte aussi ? »), elle est fatiguée, elle sort d’une répétition, elle est venue directement. Quand je lui ai demandé cette série de photos, elle s’est mise à pleurer, mais n’a pas refusé.

Bill Evans, à la fin du morceau, récapitule, calmement, la vie repasse en accéléré, mais très lentement, tout ça n’aura pas de fin, jamais. La douceur un peu perdue du sax… « La première fois que je vis Terry Lennox, il était fin soûl dans une Rolls Royce Silver Wraith devant la terrasse des Dancers. »

Elle retient son regard à l’intérieur.  Elle est ailleurs. Entre ses jambes, ce ventre de bois, cet autre corps, même taille, ce double, qui dort chaque nuit dans un cercueil, à côté du lit. Je la regarde, je la regarde encore, je n’ai que quelques heures, demain elle sera partie, je la raccompagnerai dans le XVIIIe. Sarah n’est pas toujours gaie. Je voudrais photographier le son en train de sortir, garder l’oreille près de sa bouche. Entre nous, un inceste.

« Puis ce fut le silence. Je continuai à écouter. Pourquoi ? »

mercredi 11 février 2015

Blue in Green


J’ai mis Blue in green, tout bas, en boucle. Je vois la photo de Sarah dans son petit cadre d’argent, devant moi. Elle ferme les yeux. Elle vient de pleurer. Son bras gauche est posé sur le violoncelle, sa main droite sur son genou. Derrière elle, le drap, lac de clarté, horizontal, tendu, voile suspendue renversée. Elle semble s’enfoncer dans cette fin d’après-midi. Être happée par le mur, par l’ombre. Je voulais qu’elle soit là, calme statue au centre de ma chambre.

Tout descend dans cette musique. À l’époque de Blue in green, Miles était jeune, très beau, le regard intensément triste, ailleurs. Fini, le bop, la vitesse ciselée, avec Charlie Parker. Il joue comme s’il était très vieux ; une note, un peu froissée, il la tient, elle traverse le temps. Il écoute.

Je sens son parfum, elle vient de jouer pour moi, je ne sais rien de ce qu’il y a en elle. Elle va se déshabiller (« la culotte aussi ? »), elle est fatiguée, elle sort d’une répétition, elle est venue directement. Quand je lui ai demandé cette série de photos, elle s’est mise à pleurer, mais n’a pas refusé.

Bill Evans, à la fin du morceau, récapitule, calmement, la vie repasse en accéléré, mais très lentement, tout ça n’aura pas de fin, jamais. La douceur un peu perdue du sax… « La première fois que je vis Terry Lennox, il était fin soûl dans une Rolls Royce Silver Wraith devant la terrasse des Dancers. »

Elle retient son regard à l’intérieur.  Elle est ailleurs. Entre ses jambes, ce ventre de bois, cet autre corps, même taille, ce double, qui dort chaque nuit dans un cercueil, à côté du lit. Je la regarde, je la regarde encore, je n’ai que quelques heures, demain elle sera partie, je la raccompagnerai dans le XVIIIe. Sarah n’est pas toujours gaie. Je voudrais photographier le son en train de sortir, garder l’oreille près de sa bouche. Entre nous, un inceste.

« Puis ce fut le silence. Je continuai à écouter. Pourquoi ? »

dimanche 8 février 2015

La Fête du Jasmin


Nous souhaitons santé et longue vie au Chef suprême. C'est bon de te voir ! Tu t'es lavé les mains ? Allons au fin fond des impasses et voyons si là aussi les enfants jouent au foot. Ils leur donnent de l'argent pour fumer de l'opium. Vous voyez ? Oui, je vois, je vois, l'opium, je connais. C'est ça la vie ? Bien sûr, mon frère, c'est ça la vie ! Tu ne le savais pas ? Si, je le savais. Mais je ne l'avais pas vue de mes propres yeux, cette vie-là. Alors tu ne connais rien à la vie. Welcome ! La parabole, mon frère, la parabole, c'est ça l'école ! Darius le grand, nous lui souhaitons aussi longue vie et santé, non ? Et les jeux vidéos, vous y jouez aussi ? Les jasmins de Mossoul et les roses d'Ispahan, tout ça, toutes ces chansons, hein, c'est joli… Longue vie à toi, Mère, viens là que je te prenne dans mes bras. Avant que je parte, tu dois savoir, toi aussi, qui j'ai été dans cette vie. Vous aimez la pâtisserie ? Oh oui, je suis gourmand, très gourmand, le sucre, les amandes, le miel, j'aime ça. Mais vous n'êtes pas juif ? À votre avis, je suis juif ? Alors ça va, vous êtes comme nous. Je vous donnerai de l'opium, des jeux vidéos, et des gâteaux au miel, si vous voulez. Ma sœur est jolie, si, si, elle est très jolie. Êtes-vous un terroriste ? Non, ne riez pas s'il-vous-plaît, êtes-vous un terroriste ? Je suis obligé de vous poser cette question. Vous allez vous laver les mains encore une fois ? Si je réponds que je ne suis pas un terroriste, vous allez penser que j'en suis un. Ce n'est pas faux, ça. Vous êtes fou ? Non, non, je ne suis pas fou, enfin pas trop. Vous préférez le whisky ou la religion ? Je préfère le vin, et le foot. Il faut que ça change. Changer, changer, vous avez un diplôme de changement ? Je préfère le whisky à la religion, mais le changement ne m'intéresse pas. S'ils n'ont pas peur, eux, pourquoi avez-vous peur, vous ? Ils veulent se faire entendre. Juste ça, être ensemble et se faire entendre. Les téléphones sonnent tous en même temps, il est impossible de répondre. Les fleurs de l'oranger, et ton souffle, mon amour, près de mon visage, quand tu dors, je vais me laver les mains, je reviens près de toi, je pose mes mains sur ton visage et ton souffle passe en moi, comme la nuée du matin, l'été, dans la montagne. Ta lèvre de corail, ton rire léger, la mousse de ton sexe, le papillon qui sort de ton cœur et vole vers le soleil, les roses du passé et les jasmins de ton jeune amour, je les respire et les respire. Je dois rester ici. Nous voulons la liberté. Et le whisky ? Tu es enceinte, tu sais ? Mais je le sais, que je suis enceinte, qu'est-ce que tu crois ? C'est mon ventre, ça ! Viens en moi. Comment ça, en toi ? En moi, là, tu vois, là, c'est l'entrée. Mais le bébé ? Ne t'inquiète pas pour le bébé, il dort. Comme ça, c'est ça, prends mon visage entre tes mains et respire mon souffle léger. Tu es belle. Je sais. Tu mens, mais je sais. Je suis belle comme l'opium et les roses et les fesses d'un bébé. Good night. Je mange ton gâteau, je lèche le miel qui sort de toi, je plonge ma cuillère dans la pâte tiède et je m'endors la bouche ouverte. Welcome. Rien ne reste ainsi pour toujours, rien. Je sais. Lave-toi les mains et prends-moi. Tu as une arme et tu refuses de t'en servir ? Je suis ton impasse, ton cul de sac, je suis la dernière station. La femme est allongée sur le macadam, elle a les yeux révulsés. Quand on est là, on pense qu'on est au centre du monde et que tous doivent voir ça. Le sang coule, mais il coule aussi à l'intérieur de millions de corps, c'est le même sang, comprends-tu ? Prends ton arme et suis-moi. Tu n'es pas juif ? Les ordres viennent de l'étranger, tu comprends ? Nous devons comprendre ce qui se passe, ils doivent parler. Es-tu en prison ? Suis-je ta prison ? N'es-tu pas plutôt prisonnier de toi-même ? Je dois me laver les mains. C'est ça, lave-toi les mains et bois un peu de whisky. Ensuite nous parlerons. Qui est Marcel Proust ? Vous plaisantez ? Qui est Marcel Proust ? Un Juif ? Quelle question ! D'accord, mais était-il juif, oui ou non ? Quelle importance ? Ça nous intéresse, ça nous intéresse beaucoup. C'est ça la vie ? Justement, nous voudrions savoir si c'est ça la vie, pour vous. Je ne comprends pas vos questions. Vous n'avez pas à les comprendre mais à y répondre. Laissez-moi sentir les roses et je vous dirai tout ce que vous voulez savoir. Tu n'as pas de nez, comment pourrais-tu sentir les roses ! Tu n'es pas au centre du monde, tu sais, tout le monde t'a oublié. Tout le monde m'a oublié, je sais. Nous souhaitons santé et longue vie au Chef suprême ! Welcome !