mercredi 25 mars 2015

« Antisémite »



Notre meilleure amie nous traite d'antisémite. Bien sûr, l'absurde de la chose peut faire sourire — et il le fait. Mais on ne peut malheureusement pas s'arrêter à l'absurdité évidente de l'affirmation, à son côté loufoque, cocasse, et même idiot. Il faudrait tout de même pouvoir répondre, mais si l'on répond, n'est-ce pas déjà donner trop d'importance à une pareille idiotie ? Et puis, même en mettant cela de côté, en est-on capable ? Rien n'est moins certain, car répondre à une accusation idiote est toujours périlleux, surtout quand cette accusation traîne du côté de cette arme absolue du langage .

Je n'aime pas les évitements, même quand ils sont la meilleure réponse, mais comment éviter de tomber dans le piège d'une réponse qui légitimerait la question ? Parfois, une terrible lassitude nous vient, concernant les relations humaines, ces relations qui sans cesse nous délient de la vérité, nous en éloignent. La vérité, les relations humaines n'aiment pas ça. Les relations humaines préfèrent les affirmations, les postures, les discours empruntés (aux autres, bien entendu), les théories, les répétitions, les lois, le signe "égal". Si vous dites cela, c'est que vous êtes cela. A n'égale pas B, et ne parlons même pas de C. Or, dans la vérité d'un être, il arrive souvent qu'A n'égale pas A, et soit plus proche de B, quand B ne diffère pas tellement de C ni de A.  

Finalement, le mécanisme est toujours le même. Proust en a parlé mieux que quiconque, je crois. On n'est jamais si virulent et si intransigeant qu'en défendant des idées qui ne sont pas les nôtres, qu'en s'adossant à une vérité qui ne nous semble si indiscutable que parce que nous ne sommes pas complètement certains de nous y retrouver. Les idées qui sont vraiment nôtres, nous pouvons toujours les discuter, les amender, les fragmenter, et parfois même les retourner contre nous ; mais celles que nous faisons nôtres, nous les faisons nôtres littéralement, nous les avalons toutes crues, sans les mâcher, et elles finissent toujours par nous faire mal au ventre. Comme ce mal de ventre est lancinant, nous aimons bien le faire partager aux autres, en leur envoyant ces idées dans les gencives et en les disposant joliment dans leur assiette (c'est seulement une fois que nous avons agacé les dents et les ventres des autres qu'éventuellement nous pouvons abandonner ces idées indigestes), mais comme dans la fable du renard et de la cigogne, chacun fait en sorte que l'autre ne puisse pas se restaurer, et doive se contenter de constater à quel point ces idées sont présentables, désirables, avantageuses