lundi 3 février 2014

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Tante Glyne : « Mon Fifi, j'espère que vous n'allez pas finir comme vos frères et sœur ! » Ben non, Tantine, tout de même pas… On a quand-même un peu d'amour propre au fond de la tripe. Cette bande de crapules puantes, on ne peut pas y appartenir, c'est pas possible, on aura tout fait pour s'en distinguer le plus possible. Même s'il faut crever la gueule ouverte, le but à atteindre est très clair et n'a jamais fait le moindre doute depuis qu'on a seize ans, c'est-à-dire depuis que le père est mort.

Jean-Marc, Françoise, Daniel, Emmanuel, (Jérôme), Sylvain, Dominique… On aurait pu s'arrêter là ! Oui, mais c'est comme ça, Papa a eu un dernier sursaut de désir pour Maman, en mars 1955, faut croire.   Paco, Francette, Nana, Manoué, Sylvain, Minique. La bande de tarés analphabètes, je me demande encore d'où ils sortent. Quarante ans après, c'est toujours le même mystère. Ô mes parents, comment avez-vous pu fabriquer ça ? Tous poissons et sagittaires, sauf Papa qui était scorpion. Sauf moi, le capricorne tard venu au mois le plus froid de l'année la plus froide. Vous leur avez tout donné, je le sais, et ils n'en ont rien fait, ces connards. Dilapidé, l'héritage, foutu à la poubelle. Mais que s'est-il passé, c'est pas possible ! Il a dû arriver un truc que j'ignore pour qu'ils soient tous devenus aussi cons et stupides. Under the Sheets… Atrabilaire mécanisme, déroute génétique ? Ou bien par-dessus, la catastrophe écologique, une bourrasque de merde arrivée par les nuages ? Échange de bébés dans la nurserie ? Oui, mais sept fois ?! Difficile à croire tout de même. Une sage-femme sorcière, j'y ai bien pensé. En tout cas, Maman et moi, on a fait ça tout seuls, tous les deux, sans personne d'autre pour nous emmerder. Elle avait l'habitude, j'étais le huitième. Comme un soleil, elle m'a dit, bien plus tard ! Tu es venu comme un soleil. Dernière lumière du 10 janvier, juste avant la fin de l'après-midi. Ô, Petite mère, nous deux, tous les deux, comme d'habitude, seuls, en tête-à-tête, c'était le premier d'une longue série. Papa qui joue une sonate de Bach. Ut majeur, BWV 1005. Il est heureux. Il ressort son violon. Encore un espoir, Yvonne ! Tiens, prends-le dans les bras, Robert. C'est la première fois qu'il prend un bébé dans les bras. Il a encore l'archet dans la main droite. Il me tient comme un violon. Un violon à une seule corde, pour l'instant. Fait pas de bruit, le bébé. Gueule pas, se tient tranquille. Écoute… Les voix. On va déménager, on va aller s'installer à la Fuly, hein, Yvonne ! On sera bien, là-bas. Les champs, les vaches, il aura la place, il jouera du piano. Oh oui, oh oui, allons-y vite ! Ma mère gros poisson, les larmes qui coulent, la joie qui la fait trembler. J'ai trouvé une maison, une belle maison, la plus belle, immense, tu verras, avec des grands sapins. Il se remet à jouer. Bürg aboie.

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