dimanche 23 février 2014

La Perfection sexuelle (1)



Ça a commencé avec les Christine. La toute première était une vraie beauté, on peut dire que c'était l'égérie de tout le lycée. Elle avait un an de plus que moi, elle avait des cuisses divines, des seins pareils, et un visage de starlette de cinéma. C'était une fausse blonde, chose que j'ai toujours aimée. Mais je m'aperçois que je ne devais pas être très intéressé par les fesses, à l'époque, car je ne parviens pas à me rappeler les siennes. Ni de sa chatte : brune, châtain ? Je n'avais pas sorti le Rolleiflex familial pour immortaliser la chose. Dommage. Il faut dire que j'étais très jeune et qu'elle m'avait dépucelé. Je me souviens bien de sa voix, en revanche, c'est curieux car beaucoup de voix d'êtres très proches que j'ai perdus de vue ont irrémédiablement disparu de ma mémoire. Avec Christine 1, j'étais encore très couillon et elle ne s'est pas privée de se conduire comme une belle fille qui couche avec un couillon. Tout le lycée voulait coucher avec elle, ce qui pèse assez puissamment sur l'esprit d'une fille, à cet âge-là. On s'est installés ensemble quelque temps, à Annecy. D'abord dans une chambre de bonne rue du Lac, où nous essayions de faire l'amour en prenant du LSD, pas si facile, je vous garantis, puis dans un grand appartement que ses parents lui avaient loué. L'appartement est rapidement devenu le repère de tous les gauchistes de Haute-Savoie, et elle a fini par me tromper abondamment. Je n'aimerais pas la rencontrer aujourd'hui car je ne tiens pas tellement à savoir ce qu'elle pensait de moi à l'époque où Andréa, un pédé italien désespérément amoureux de moi, essayait à toute force de grimper dans notre lit pendant qu'elle se faisait sauter dans le salon. 

Christine 2 m'avait offert un petit livre bleu foncé qui s'intitulait La Perfection sexuelle. Je l'avais repérée au Semnoz, le café où nous nous réunissions, en sortant du lycée. Elle était toujours attablée seule, au fond, étrange et hiératique devant son thé, avec des tenues assez excentriques et très colorées. En cours d'année, elle était devenue notre professeur de dessin. Un jour, passant près de notre table, elle m'avait entendu dire que je cherchais une chambre à louer, et m'avait glissé qu'elle connaissait quelque chose de bien. La chambre en question se trouvait au rez-de-chaussée d'une grande bâtisse assez belle que tout le monde appelait le Château. Ceux qui habitaient là possédaient chacun un étage de la maison qui en comportait trois, et qui était plantée sur une espèce de butte, au fin fond d'un joli village, près d'Annecy. Elle habitait le deuxième étage avec son mari peintre. Il y avait de grands tilleuls devant la maison, et un ami qui était venu m'apporter des enceintes ESS-AMT1 (ceux qui ne connaissent pas les ESS-AMT1 ne savent pas ce que c'est qu'un très bel aigu haute-fidélité) m'avait dit qu'il trouvait que ça sentait le foutre frais. Christine s'installait souvent dans le jardin pour peindre. Elle m'a demandé si elle pouvait venir photographier mon piano pour l'inclure dans une de ses toiles. J'ai toujours le tableau, où l'on m'aperçoit, torse nu, enlacer une belle fille nue, caché derrière un arbre énorme, alors qu'elle, resplendissante et nimbée d'une lueur miraculeuse, des plumes dans ses cheveux blonds, est perchée dans l'arbre, au-dessus du couple caché, avec la majesté légère d'une déesse. Un peu plus loin dans le ciel, en approche, un cavalier céleste et translucide brandit un arc et galope au-dessus de mon piano ouvert. Sur le siège, devant le clavier, un sabre… On voit le tableau.

Parfois je la rencontrais au bistro qui fait l'angle près de l'église Saint-Maurice, à Annecy. Je n'ai jamais compris pourquoi, elle avait cette manie étrange de me donner des grands coups de pieds sous la table, que je ne parvenais jamais complètement à éviter (elle me prenait toujours par surprise), et parfois elle me pinçait les bras, très fort (elle m'a aussi tiré l'oreille et donné quelques gifles, mais elle avait une préférence pour les coups de pied dans les tibias). Elle a tenu à m'inviter à venir passer deux jours dans leur chalet perdu en montagne. Nous sommes partis un soir en famille, dans leur 2 Chevaux, j'étais derrière avec le fils de deux ans qui durant tout le trajet m'a donné des coups de marteau. Ce dingue était assis dans son siège de bébé et il me donnait des coups de marteau… Je n'osais pas lui arracher son marteau et encore moins lui coller une beigne, les parents ayant l'air de trouver la chose tout à fait normale. Sans doute voulait-il me signifier ainsi que je faisais désormais partie de la famille, je ne sais pas. Toujours est-il qu'à peine arrivés dans le chalet glacé, nous nous sommes retrouvés tous les trois au lit, le mari faisant l'amour à sa femme, et me disant ensuite : « À toi. » pendant qu'il s'endormait du sommeil du juste à cinquante centimètres de nous. Je me suis exécuté poliment. Elle a eu l'air satisfaite. Je me souviens des fesses de Christine 2.

Une après-midi d'été, alors que j'étais en train de faire des expériences avec mes deux magnétophones, en bas, elle vient me chercher. Nous montons chez elle, où le mari est en train de peindre, près d'une fenêtre, au salon. On s'enferme dans la chambre et on fait l'amour. Elle pousse des hurlements qui me terrorisent, mais entre deux cris j'entends distinctement l'autre qui sifflote à côté. Il a l'air tout à fait heureux, le con. Après la baise, on s'endort. Tout à coup, le mari fait irruption dans la chambre en nous disant que ses beaux-parents sont là. Elle saute du lit comme une furie, ramasse mes vêtements en un clin d'œil et me pousse dehors (la chambre donnait directement sur le palier, l'appartement ayant deux entrées). Je me suis retrouvé complètement à poil, dans l'escalier de la maison, j'ai enfilé mon slip et je suis descendu en courant avec le reste de mes vêtements sous le bras.

Point 34. « Si le rapport dure moins d'une demi-heure, il devrait être répété, repris durant l'heure suivante de manière à remplir la demande de contrôle de l'éjaculation. »

Point 38. « Les gens qui parlent légèrement des questions sexuelles et les traitent comme une plaisanterie trahissent un état de vulgarité et de basse culture en matière sexuelle. »

Elle m'avait invité à un grand bal masqué qu'elle donnait chez eux. Je portais des bottes invraisemblables qui me gênaient pour danser la valse. J'ai rencontré une jeune Russe, Anne, avec laquelle je suis parti, vers deux heures du matin, inconscient que j'étais du danger. Nous sommes allés chez ma mère, je me rappelle la tête ahurie de tout le monde, au petit déjeuner, quand ils ont vu descendre la fille que personne ne connaissait. Nous avons pris notre petit déjeuner comme si de rien n'était, tout le monde faisait la tête, je crois que nous étions le jour de Noël. Quelques heures plus tard, quand je suis arrivé dans ma chambre, au Château, Christine est descendue me voir. Elle n'a pas prononcé une parole. Elle s'est mise nue et m'a interdit de la toucher. Elle est restée comme ça pendant au moins dix minutes, me fixant avec des yeux effrayants, puis elle s'est rhabillée et est partie, toujours sans dire un mot.

Sur la page de garde du livre bleu, j'ai retrouvé ces quelques mots, écrits au crayon d'une écriture enfantine : « Pratiquer Karezza avec un mari comme le mien ! Faire l'amour avec un jeune homme charmant comme vous ! Et avoir un beau Lanza (del Vasto) comme maître ! Est-ce possible ? L'avenir me le dira. Je vous embrasse. Christine »

Deux ans plus tard, j'habitais à Paris, avec un ami pianiste, rue Ferdinand Duval, à Saint Paul. J'étais très amoureux de Christine 3, qui habitait Avignon, et qui me rendait visite régulièrement. Il faut que je le dise tout de suite : les fesses de Christine 3 sont à l'origine de ma passion pour les postérieurs féminins. Un jour, Anne, la Russe, me téléphone, et me demande si elle peut passer. Elle arrive, nous faisons l'amour, elle reste un peu, nous prenons un thé, avec mon colocataire. Le téléphone sonne, c'est Christine 3 qui m'a fait la surprise, elle est à la gare de Lyon, elle arrive (deux stations de métro). Anne est furieuse. Quand j'ouvre la porte pour la pousser dehors, Christine 2 est sur le palier, avec une valise. Elle est partie de chez elle, alors tout naturellement elle a pensé à venir ici… Il y en a d'autres qui gagnent au Loto.

Christine 2 m'avait envoyé un rébus de son cru ; je ne me rappelle plus le message lui-même, mais ce que je n'ai pas oublié, c'est que dans un des mots se trouvait la syllabe "con", et qu'elle avait dessiné sa vulve pour la figurer. C'est à cette époque que j'ai dû lire le Con d'Irène, d'Aragon, et que j'ai commencé à m'intéresser sérieusement au buisson ardent qui se trouve dans la culotte des filles.

J'avais montré à Christine 3 le livre bleu foncé et elle s'était foutue de moi. Elle trouvait Christine 2 complètement barrée et je ne pouvais pas lui donner tort. Comme elle baisait comme une reine, elle trouvait qu'on n'avait pas besoin des conseils du bon Dr von Urban, et ça m'arrangeait bigrement de ne pas devoir garder mes spermatozoïdes au chaud. À cette époque-là, j'en avais des kilos, à ne plus savoir qu'en faire, une diète m'aurait sûrement fait exploser dans le métro comme un kamikaze précoce. Évidemment, l'âge venu, on se dit qu'on aurait peut-être pu faire quelques économies et placements en bourses, mais c'est trop tard. Ô, mes Christine, rendez-moi mes hectolitres de foutre versés dans le désert aride de l'amour, et je vous élèverai un tombeau !


(À Christine L, à Christine G, à Christine S, à Anne Y)