C'est la seule chose dont j'ai envie. Mordre. Mordre tout ce qui se présente, mordre l'air, mordre l'eau que je bois, mordre les portes, les vitres, mes mains, mordre les photos que je regarde inlassablement, mordre les voix de ceux qui m'appellent au téléphone, mordre ceux qui m'écrivent et ceux qui ne m'écrivent pas, mordre ceux auxquels je pense, mordre ceux qui m'ont fait du mal et ceux qui m'ont fait du bien, mordre les livres qui passent à ma portée, mordre mes tubes de peinture, mordre ma brosse à dents, mordre les draps du lit, mordre les lampes, les assiettes, les fauteuils, les tableaux accrochés aux murs, les papiers qui traînent sur la table, les partitions, le tuyau de l'aspirateur, le téléphone, les chats qui s'aventurent dans le jardin depuis que Luna est morte, mordre les arbres, les feuilles des arbres, l'herbe au jardin, le parasol et la table en fer. Cette fureur ne me quitte pas. Je me lève le matin avec elle, je me couche le soir avec elle, elle habite mes rêves. Mes mâchoires me font mal, mes dents grincent, la contraction descend dans mon cou, continue vers le dos, qui se tend comme un arc bandé. Si Wagner entrait chez moi en ce moment, je le mordrais…