jeudi 20 février 2014

Les Concierges


Tout le monde connaît l'histoire de l'orchestre de concierges. Le chef qui lève sa baguette et un immense silence qui lui répond. Chacun d'entre nous croit avoir un orchestre à sa disposition, mais quand il lève la baguette, un immense silence lui répond. C'était donc ça ? Tous ces gens, autour de nous, qui font pourtant un boucan énorme, n'existent pas. Il n'y a personne. Que des remplaçants, des figurants, des mannequins sans vie. Des étoffes sur des fils de fer. D'où vient la musique ? D'un monde enfui depuis longtemps, dont nous percevons la rumeur avec beaucoup de retard. C'est la raison pour laquelle la musique est si importante. 

Albert Duspasme a chaque jour trois cents "lecteurs", enfin, trois cents visites, sur son blog. Il s'habitue à ce passage plus ou moins régulier, c'est la norme, c'est la routine. Et puis, un jour, il appuie sur un bouton, un petit bouton de rien du tout. Du jour au lendemain, plus âme qui vive. Rien, le désert total, le grand silence. Il comprend qu'il a appuyé sur le bouton de la vérité, tout simplement. On lui avait bien recommandé, pourtant, de ne pas y toucher. Tu voulais savoir, mon gros, eh bien tu sais maintenant. Se crever les yeux (parce que savoir c'est souvent, contrairement à ce qu'on pourrait croire, se crever les yeux) n'était peut-être pas nécessaire, mais la plupart ont besoin d'en passer par là. Savoir, ça-voir, voir ce qui ne peut être vu qu'en se défaisant de la troupe des figures, ces masques qui observent de loin et dont on croit comprendre la langue alors qu'elle ne fait que mimer la nôtre, sans l'entendre, ces spectres qui lisent sur les lèvres closes des morts qui nous traversent sans cesse, ce n'était donc que retrouver le silence qui a précédé le silence… Passer d'un silence à l'autre : Ça ne s'entend pas mais ça fait du bruit.


En codicille. Il est très amusant de constater que les mêmes qui passent leurs journées sur Facebook à vous liker et à vous commenter (publiquement, donc) dès que vous publiez quelque chose ici, se taisent obstinément, et même ne viennent nullement vous lire, quand les mêmes textes sont publiés sans renvois explicites sur Facebook. Ce qui prouve, s'il en était besoin, que ce qui intéresse l'Interné de base, c'est de laisser sa marque sur un écran, et pas du tout de lire quoi que ce soit, chose dont il est par ailleurs tout à fait incapable.