mercredi 19 février 2014

Fugues


J'ai aimé ce prénom, clin de ciel en cerne bruni, ce silence, cette timidité et ces allures d'adolescente indolente, cette gentillesse non calculée, cette confiance sans limite. Déplacements du Cheval. 3 + 2, ou 2 + 3. Le Cheval et le Fou. Dix années de guerre violente, exténuante, intense, dix années de plaisir et dix années de malheur, nous faisions l'amour comme des bêtes furieuses, elle me trompait, je la trompais. Tout plutôt que de rire ! Diagonale et changement de direction. Elle avait d'ailleurs les mêmes goûts que moi. Rien ne nous attend ailleurs. 618, 753, 294. Au centre, le chiffre 5. Le ciel est bleu, intensément bleu. Trombones droits plus une caisse-claire sans timbre. Pierre et le loup, Delphine et Marinette, c'est la même porte qui donne sur le jardin, avec le petit escalier. Le chiffre 2 est le symbole du chaos. Ses sauts brusques, comme des caractères d’encre qui s’écrivent et s’effacent du même pas. Je me vois, en tenue de premier communiant, au bas des marches, dans le jardin, avec ces grosses joues et cette peau grasse d'adolescent. Voile qui sépare la mort de la vie, seuil linceul, nuages dans le cœur, souffle au ventre, soleil froid : Dhaulagiri Debussy. Mais il est un plaisir encore plus intense, plus profond, vraiment spécial… Les fugues. C'est la Joie du Mandarin de cuivre. C'est une épouvante. Un café chaud, quelques livres, une courgette, des médicaments, des crayons, un téléphone déchargé. Avancer, tourner, avancer encore. Pas de ligne droite. Toccata. Les sept notes de la basse, comme un cœur étrange. Section par section. On veut tout savoir. Je regarde ses yeux, je ne vois que ses paupières. On peut seulement dire : ce fut, c'était un homme, une femme, ce fut, c'était l'étoile de ma vie, mais ces paroles ne nous apprennent rien sur ce qui se trouve sous nos yeux. Le cadavre est le double du mort, il en est la copie réfractée et arrêtée, fixée sur le drap. La musique et l'amour sont une seule et même chose. L'innocent attire le coupable comme la merde attire la mouche. Théorème de l'art contre théorème de la mort. Ce fil invisible sortant du sol, comme le sourire en sol dièse de la fille aux cheveux de lin. Parfois la Terre s'arrête de tourner. Les objets me parlent. Elle est morte. Une des dernières haltes sur l'autoroute en revenant d'Alsace. Après avoir pris de l'essence, elle a voulu absolument faire l'amour là, sur le parking, dans l'Espace, alors que les voitures se touchaient, c'était la tombée de la nuit, et que des enfants jouaient à un mètre de nous à l'extérieur. Alors je l'ai vue recouvrir les vitres avec des cartes routières ; j'étais persuadé qu'elles allaient tomber, mais rien n'y faisait, elle se moquait de ma gêne, elle n'a pas été satisfaite tant que je n'ai pas joui en elle. Je suis obsédé par cette idée depuis quelque temps : quand ma chienne mourra, il faudra que je ne lui survive pas. Ce serait trop ignoble. Tout plutôt que rire. De Paris à Planay, en un clin d'œil, accélération maximum. Tout est blanc. Zéro absolu. Tunnel blanc. Circularité du cinq, le temps n'existe plus. Gel. Givre. Bleu, noir, blanc. Nombres triangulaires…