Souvent, pour s’amuser, les hommes d’image
Prennent des Nathalie, tristes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolentes compagnes de voyage,
La République glissant vers les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposées sur les planches,
Que ces reines de l’usure, maladroites et honteuses,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des djellabas traîner à côté, affreuses.
Cette voyageuse voilée, comme elle est gauche et veule !
Elle, naguère si niaise, qu’elle est comique et laide !
L’une agace son mec avec un brise-meule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui plaide !
La Ministre est semblable au prince des nuées
Qui hante l'Hémicycle et se rit de Larcher ;
Exilée près du fol au milieu des huées,
Ses airs de néant l’empêchent de mâcher.
Charlie Bodler
vendredi 29 mars 2019
mercredi 27 mars 2019
Sous l'église (3)
J'ai emmené la fille à la drague, sur ma mobylette, sur la place d'Armes il y avait un concours de boules. Elle m'a laissé lui enlever le soutien-gorge, mais on n'est pas allé plus loin. L'odeur du soutien-gorge blanc, très ordinaire. Je me rappelle le soutien-gorge et pas ses seins ! La drague, c'était là où les camions draguaient la rivière, c'était le coin qu'on préférait, pour se baigner, c'était avant qu'il y ait une piscine. Place aux jeunes, qu'elle dit, l'autre conne. Parfois aussi, on allait au Pont des chèvres, mais moi je préférais le Pont des îles. La fille n'a pas dit un mot, ah si, elle a seulement dit « non » quand j'ai voulu aller plus bas. Elle mâchait du chewing-gum, et je me disais, mais qu'est-ce que je fous là, avec elle, j'aurais honte qu'on me voie avec elle, mais je voulais tout de même lui enlever son soutien-gorge et voir sa culotte, mais non, rien à faire, plus bas c'était impossible, elle était butée, et mâchait consciencieusement son chewing-gum. Je l'ai ramenée, on ne s'est plus jamais adressé la parole. Elle a bien dû penser quelque chose de moi… Tu aurais des conseils à me donner, pour profiter de la vie ? Profiter de la vie, je ne comprenais pas en quoi ça pouvait bien consister. À part les filles. Non, elle a dit non, et je n'allais pas la violer, on a envie de les engueuler, parce qu'elles sont connes, et incompréhensibles, les filles, mais pas de les violer. Non, ça ça ne se fait pas. Même si ce jour là, derrière les Nouvelles Galeries, à Annecy, on était dans un bistrot, avec Christine, et trois gars plus âgés sont arrivés, se sont assis avec nous, et ont commencé à lui dire des trucs, du genre : « Je te pèterais bien la rondelle, tu sais ! » Et comme j'avais pas l'air de comprendre, celui qui avait dit ça à Christine m'a dit à moi : « Tu comprends ? Tu sais ce que ça veut dire ? » Là, j'ai senti que ça tournait mal. C'est la première fois que ça m'arrivait, et j'ai eu peur. On s'en est bien tiré, je me suis levé, j'ai été voir le patron du bar et je lui ai demandé d'appeler les flics. Ça les a calmés, ce qui m'a surpris. On était en 1972, aussi, pas en 2019. Ils voulaient profiter de la vie, les trois. Mais bon, place aux jeunes, aussi ! Nous aussi on voulaient profiter de la vie. Péter la rondelle, c'est un peu comme le casser le pot de Proust, il m'aura fallu, combien d'années, pour comprendre… Beaucoup, oh là là, oui, beaucoup. « Mais tu crois que Charlus, ça rime avec anus ? » Mais comment s'appelait cette fille, là, et son soutien-gorge élimé ? Elle devait s'appeler, genre, Marie-Christine, Martine, ou un truc comme ça. Oui, Marie-Christine, ça m'étonnerait pas. Il y en avait pas mal, des Marie-Christine, dans les environs, et d'ailleurs, j'apprendrai longtemps après que ma Christine s'appelait comme ça, mais elle voulait pas qu'on le sache. Elle aussi, elle comptait bien profiter de la vie au maximum. On n'était pas trop du genre à attendre le paradis pour toucher le gros lot, et on pensait que c'était là, tout de suite, qu'il fallait en profiter, place aux jeunes, c'est-à-dire à nous, à nous avec nos cheveux longs et nos longues cuisses bronzées, avec les corps qu'on avait, qui étaient plutôt pas mal, en tout cas qui fonctionnaient sans qu'on s'en soucie. On n'avait pas à se plaindre. Boire ? On n'y songeait même pas. C'est étrange, quand on y pense. Notre génération ne buvait pas et ne savait pas ce que casser le pot signifiait. On tétait du lait concentré sucré directement au tube, on avait les montagnes avec nous, la musique de Miles Davis, tout allait bien. Pas de MDR, pas de LOL, pas de FDP, pas de tags, et pas de mosquées, on ne connaissait pas notre bonheur ! À la télé ? L'Homme invisible… Salut, Bernard, tu niques ta mère ? Non, merci, sans façon. Faut comprendre qu'on était tout juste entré dans l'ère du Big-Bang et que la Dolto commençait seulement son travail de sape.
Qu'est-ce que tu avais dans la face, Patrick ? Cette pliure fine, ce je-ne-sais-quoi qui me faisait je-ne-sais-quoi. Ou bien la voix, était-ce sa voix, la voix qui sortait de là, de ce visage-là ? Je me rappelle qu'on se faisait de fausses cicatrices avec de la colle Scotch, de grosses balafres sur les joues qui impressionnaient les mères. Son visage était comme formé autour d'une fente, de quelque chose qui m'aspirait. Ça me troublait. Il paraît que l'amour n'existerait pas si l'on avait pas entendu parler de l'amour ; est-ce la même chose de l'homosexualité ? J'aurais tendance à le croire. Comme je n'en avais jamais entendu parler, pas un seul instant je n'ai imaginé qu'il puisse se passer quelque chose entre Patrick et moi. Et d'ailleurs, se passer ? Se passer quoi ? Qu'est-ce qui aurait pu se passer ? Que peut-il y avoir en dehors des filles ? Non, décidément, ça n'avait pas la moindre existence pour moi. J'ai été pensionnaire, deux ans, et là non plus, pas la moindre trace d'homosexualité, pas le plus petit geste déplacé d'un curé, d'un copain, d'un professeur. De toute façon, que pourrait-on bien faire avec un garçon ? Je ne vois pas, et personne ne m'a montré. Je me revois, au commencement des années 80, à la FNAC Montparnasse, en train de feuilleter ce livre, Tricks, car j'avais vu qu'il était préfacé par Roland Barthes, et le reposer bien vite, un peu dégoûté. Je n'avais jamais entendu parler de Renaud Camus : il me faudrait attendre vingt ans pour lire un livre de lui. Il avait une voix fine, Patrick. Une voix pincée. Il n'avait rien d'un balafré. Il était plutôt "Jeux", de Debussy, que Sacre du printemps.
(…)
Qu'est-ce que tu avais dans la face, Patrick ? Cette pliure fine, ce je-ne-sais-quoi qui me faisait je-ne-sais-quoi. Ou bien la voix, était-ce sa voix, la voix qui sortait de là, de ce visage-là ? Je me rappelle qu'on se faisait de fausses cicatrices avec de la colle Scotch, de grosses balafres sur les joues qui impressionnaient les mères. Son visage était comme formé autour d'une fente, de quelque chose qui m'aspirait. Ça me troublait. Il paraît que l'amour n'existerait pas si l'on avait pas entendu parler de l'amour ; est-ce la même chose de l'homosexualité ? J'aurais tendance à le croire. Comme je n'en avais jamais entendu parler, pas un seul instant je n'ai imaginé qu'il puisse se passer quelque chose entre Patrick et moi. Et d'ailleurs, se passer ? Se passer quoi ? Qu'est-ce qui aurait pu se passer ? Que peut-il y avoir en dehors des filles ? Non, décidément, ça n'avait pas la moindre existence pour moi. J'ai été pensionnaire, deux ans, et là non plus, pas la moindre trace d'homosexualité, pas le plus petit geste déplacé d'un curé, d'un copain, d'un professeur. De toute façon, que pourrait-on bien faire avec un garçon ? Je ne vois pas, et personne ne m'a montré. Je me revois, au commencement des années 80, à la FNAC Montparnasse, en train de feuilleter ce livre, Tricks, car j'avais vu qu'il était préfacé par Roland Barthes, et le reposer bien vite, un peu dégoûté. Je n'avais jamais entendu parler de Renaud Camus : il me faudrait attendre vingt ans pour lire un livre de lui. Il avait une voix fine, Patrick. Une voix pincée. Il n'avait rien d'un balafré. Il était plutôt "Jeux", de Debussy, que Sacre du printemps.
(…)
vendredi 15 mars 2019
La vie point comme ça
Safari
- Onglet 1 : journal de Renaud Camus
- Onglet 2 : Netflix
- Onglet 3 : Youtube : Témoignage choc sur la mort de Bérégovoy
- Onglet 4 : Comment bien nettoyer sa machine à laver
- Onglet 5 : Merci, votre demande de retour a bien été enregistrée
- Onglet 6 : Facebook : Jérôme Vallet
- Onglet 7 : Figaro : Yann Moix condamné pour diffamation
- Onglet 8 : Youtube : Michel Houellebecq, entretien (Le Tête à tête)
- Onglet 9 : Youtube : Miles Davis (Spanish Key)
- Onglet 10 : Georges de La Fuly : La vie point comme ça
- Onglet 11 : Pas-à-pas : changer le câble du disque dur d’un MacBook Pro 13 pouces mi-2012
- Onglet 12 : iFixit Europe
- Onglet 13 : Amazon : MacWay - Nappe Disque Dur pour MacBook Pro 13" Unibody mi-2012
- Onglet 14 : Comment réinitialiser son MacBook ?
- Onglet 15 : ProtonMail
- Onglet 16 : Wikipedia : Abraham Poincheval
- Onglet 17 : Vacarme : Commentaires sur le rock (Luciano Berio)
Kindle
- Un bon samaritain
Word :
- Démonologie du triomphe (Romaric Sangars)
Mail
- Boîte de réception : Votre Assurance Maladie : La prise en charge de vos frais de transport
Radio (dans la cuisine) : France-Musique : Grands Entretiens (Maurice Bourgue)
Température dans la chambre : 17°
Rêves
- cauchemar familial
Tension artérielle
- 169-104 (g)
- 165-108 (g)
- 175-96 (d)
Jardin
- Pies, soleil, bourgeons
mardi 26 février 2019
La molaire et le soutien-gorge
Je vois sur les réseaux sociaux un certain nombre de gens qui se moquent de ceux qui "croient" que la Terre est plate. Ils s'en moquent en leur disant : « Ah ah ah ! Vous croyez que la Terre est plate, bande d'ignares, alors qu'elle est ronde ! »
Pourtant, eux aussi croient que la Terre est ronde. Ils le croient même plus que ceux qui "croient" que la Terre est plate, à mon avis, car ces derniers le constatent tous les jours, alors que ceux qui croient que la Terre est ronde sont obligés de croire la science qui leur a appris que la Terre était ronde.
Il en va de la Terre comme de la matière. On sait (parce qu'on nous l'a appris) que la matière est constituée d'atomes vibrants qui ne sont même pas collés les uns aux autres ; on devrait donc logiquement en déduire (au minimum) que les objets n'ont pas de forme bien définie. Et pourtant, nous reconnaissons immédiatement une table, une molaire, un soutien-gorge.
Ceux qui reconnaissent immédiatement un soutien-gorge – et dont je m'honore de faire partie – sont donc faits de la même pâte que ceux qui constatent que la Terre est plate. Et ceux qui, suivant la Science, croient que la Terre est ronde ne devraient jamais réussir à mordre une femme allongée sur une table. On les plaint.
lundi 25 février 2019
Un Os
Une splendeur ! On n'a jamais rien vu de tel ! C'est inconcevable, que cette chose soit là, sur le couvre-lit vert, offerte, rayonnante, inoffensive ! Une manne ! Une apocalypse de chair, une révélation laiteuse, une gratification horizontale, rien que pour mes yeux, alors que je n'ai rien fait pour la mériter. Vous avez remarqué qu'en français "cadeau" est synonyme de "présent". C'est un présent. C'est même LE présent. Le temps s'arrête, pour moi seul, pour me permettre de contempler le chef-d'œuvre qu'il a étendu là, sous mes yeux. Je n'en reviens pas. J'étais le puceau timide et complexé, et je suis transfiguré, je suis l'élu. Ma chambre n'est plus ma chambre, c'est un palais, c'est une cathédrale, c'est un autel, et la petite lumière rouge est allumée, et je suis le Prêtre qui va sacrifier l'Agneau qui vient de naître, l'Agneau qui est venu de lui-même s'offrir au couteau du Sacrificateur bienveillant. Le silence se fait tout naturellement, en cette après-midi bénie d'octobre, ou novembre, dans la maison dont je suis le roi.
Impossible de me rappeler comment je m'y suis pris. J'étais très timide, pourtant. Et certainement pas le plus beau du lycée, quand je suis arrivé à Gabriel Fauré, en première. Toujours est-il que c'est moi qu'elle a choisi, la reine Christine, celle que tout le monde voulait, et pas seulement parmi les premières, mais jusqu'aux terminales. C'était la plus belle fille du lycée, tout le monde s'accordait sur ce constat. Elle était grande, elle avait du chien, elle avait des jambes sublimes, un visage qui faisait penser à BB, un petit nez en trompette adorable, de très beaux yeux, et une poitrine qu'on devinait très épanouie. Je l'ai d'abord connue blonde, la déesse. Et un jour, j'arrive au Semnoz, le bistrot qui se trouvait en face de Gabriel Fauré, où notre bande avait ses habitudes, et je la vois brune, dans son manteau à carreaux blanc et noir. Le choc ! « Pourquoi tu t'es teint les cheveux ? » Elle rigole, et Martine aussi. En fait, elle est brune, bien sûr, et n'était blonde que parce que tout le monde lui disait qu'elle était sublime, comme ça. J'aurais dû m'en douter, moi qui connaissais la couleur de sa touffe. Mais, plus naïf et crétin que moi, ça n'existait pas.
Elle avait déjà fait l'amour. Pas moi. Enfin, pas vraiment. Elle n'avait qu'un an de plus que moi, mais on sentait bien qu'elle était déjà très assurée, dans ce domaine. Pourtant, elle ne m'a pas pris de haut, pas du tout, même si elle a dû quand-même bien rigoler. Ce qui ne me fait pas rire du tout, moi, c'est tous les petits détails que j'ai oubliés, qui ont disparu définitivement de ma mémoire ! Ça me rend dingue. Ses pieds, par exemple… Je ne les vois plus. Je revois ses mains. Je revois son visage. Je revois bien ses cuisses, rougies par le froid, quand elle jouait au hand-ball, sur le terrain de sport du lycée, et que je l'observais depuis la rue de la gare. Je revois d'autres détails, mais, par exemple, il m'est impossible de savoir avec certitude si elle se rasait les aisselles. Sa copine Joëlle, en tout cas, cette voluptueuse et plantureuse Arabe qui sortait avec mon ami Yves, ne se les rasait pas, ça j'en suis sûr.
J'ai convaincu ma déesse de me suivre dans la maison familiale, vide jusqu'au soir, à dix-huit kilomètres d'Annecy. Nous avons pris le train. Brève station à la cuisine, où on boit du lait, puis on monte dans ma chambre. Neuf, cinq, six, c'est le nombre de marches de l'escalier en chêne, puis la chambre à gauche, après une commode, en arrivant au premier. Il y a trois autres chambres, une salle de bains et des toilettes, à cet étage. Ma mère a fait installer un deuxième téléphone dans sa chambre, depuis peu. Christine s'asseoit sur mon lit. Je la rejoins, on s'embrasse. Très peu de mots sont échangés.
Le lit est petit, c'est un lit à une place, un lit d'adolescent. Il y a deux fenêtres, dans la chambre, une qui donne au nord, et une qui donne à l'est. Le lit est près de la fenêtre qui donne à l'est. Dans une petite armoire, dans l'autre coin de la chambre, il y a les tracts que j'écris et que je tape ensuite à la machine. Des tracts politiques.
On est au Pont-des-Iles, près du Chéran, j'ai froid aux pieds, c'est dimanche, l'eau de la rivière est boueuse, Christine m'apprend que ses parents veulent qu'elle rentre à Nice, définitivement. « Je pars avec toi. » Je n'ai pas réfléchi trois secondes, c'est une évidence, pour moi. Je ne peux pas la quitter. Heureusement, ils changeront d'avis, confrontés à l'obstination farouche de leur fille à rester à Annecy, c'est-à-dire avec moi. C'est le premier vrai coup dur de ma vie. La perdre, alors que je venais de la rencontrer, aurait été trop dur : il est évident que ne je n'y aurais pas survécu. Je ne fais pas le rapprochement avec la mort de mon père, survenue quelques mois plus tôt.
Le lit est petit, Christine est assise. Elle a ôté son manteau noir et blanc à carreaux, qu'elle a posé sur mon bureau, elle porte un pull mauve et un pantalon. On s'embrasse. J'ai passé ma main sous son pull et je malaxe ses seins que je devine prodigieux à travers le soutien-gorge. Elle me demande si je ne veux pas qu'elle enlève son pull. Je ne refuse pas. Elle apparaît en soutien-gorge blanc, j'en ai le souffle coupé. C'est pas facile, la vie d'un garçon, quand il arrive à cet instant crucial de sa vie. Il y tant de choses qu'on doit penser en même temps.
Être visité… Comme par Dieu, oui. Il arrive qu'Il se manifeste, dans un rêve, par exemple. Mais là ce n'est pas Dieu qui me rend visite, c'est une déesse. Elle m'a choisi. Elle s'est rendue dans ma petite chambre d'adolescent, en toute confiance. Elle est assise sur le lit, à côté de moi, en pantalon et soutien-gorge, ses cheveux tombent sur ses épaules, elle sourit. Elle est à ma merci mais elle n'a pas l'air effrayée du tout. À quoi faut-il penser, dans ces moments-là ? À tout. On ne peut pas se contenter de penser aux seins de la déesse. Il y a par exemple le soutien-gorge, qu'on essaie de dégrafer d'une seule main, on avait étudié le mécanisme auparavant, mais ça rate, alors on y met les deux mains, mais même comme ça, on n'y parvient pas, alors la déesse se dévoue, et avec un sourire… encore un. On entend les bruits alentour, la vieille pendule du hall qui sonne la demie de trois heures. À trois heures et demie, j'ai vu les seins de ma déesse. On est au sommet de la montagne, le regard porte loin dans la nuée, tout est terriblement ralenti, le temps semble suspendu à ces aréoles divines, qui provoquent en moi une commotion cérébrale, la modulation est osée, mais je dois détacher mon regard de cette pure merveille, sinon elle va prendre peur, celle dont la respiration fait trembler doucement ces monts sacrés recouverts des deux pièces d'or brun. Alors c'est la fuite en avant, je veux la voir nue, nue, entièrement nue, je veux tout à la fois, je me précipite sur le bouton de son pantalon, hop, et puis la fermeture éclair, ça y est, et puis elle se renverse en arrière, suffisamment pour que je puisse tirer sur les jambes du pantalon, elle s'appuie sur un coude, je n'ose pas regarder son visage. Le pantalon, ça y est, mais je ne m'attendais pas à ça, elle porte un collant. Qu'importe, c'est encore plus beau ! La culotte blanche, à travers le fin rideau du collant, qui lui donne encore plus de mystère, Pourtant je suis un peu décontenancé par cet obstacle supplémentaire ; je n'ai jamais vu le haut d'un collant. Je ne comprends pas tout de suite ce qu'il faut en faire. Christine me vient en aide charitablement. Pas de mots.
J'ai fait une compote de pommes. Mais comme c'était la première fois que j'en faisais une, j'ai mis du beurre, beaucoup de beurre. Ma mère, à qui je téléphone pour vérifier, me dit qu'il ne fallait pas. C'est pour accompagner le boudin. On s'est fait à manger, dans la petite chambre de bonne que Christine loue depuis quelque temps, rue du Lac, chez une vieille dame qui ne doit surtout pas m'apercevoir. J'ai quitté la maison, je suis avec elle, je ne la quitte plus. Ma tante dit à ma mère qu'elle est complètement folle de me lâcher la bride. Et de fait, je vais assez rarement en cours. Le quartier est très agréable, on est en plein centre, et tout près du Pâquier, au bord du lac, où l'on passe beaucoup de temps, avec les copains, même en plein hiver. On a un lecteur de cassettes Philips et une seule cassette : la Quarantième de Mozart par Karajan. Tout va bien.
Au sommet de ses longues jambes, sa culotte de coton blanc. Gonflée. Bombée. Comme si à l'intérieur un soufflé était en train de cuire, au four. Je vois surtout le haut des cuisses, la frontière, la coupure franche entre le tissu et la chair. Mes tempes bourdonnent. Elle soulève son bassin, la culotte vient très facilement, je la jette derrière moi. J'ai à peine eu le temps d'apercevoir ce qui ressemble à une cicatrice boursoufflée. Christine met sa main sur son sexe, puis veut se glisser sous le couvre-lit. Je lui dis Non ! reste comme ça. Le téléphone sonne. Elle est nue, entièrement nue, sur mon lit, et le téléphone sonne ! Elle me dit : Va répondre, allez, dépêche-toi. Je lui demande de rester comme ça, de ne pas bouger, tu me promets, hein, et je file dans la chambre de ma mère. Ma mère ! C'est ma mère qui veut savoir si tout va bien ! Ma mère me téléphone évidemment à ce moment-là ! Et à l'époque, il n'existait pas de web-cams, les mères n'avaient pas besoin de ça pour savoir qu'il se passait quelque chose de définitif, à la maison, pendant qu'elles travaillaient, quelque chose de définitivement définitif pour leur petit dernier, le seul puceau de la famille, qu'il aurait fallu protéger de ces petites salopes qui venaient montrer leur chatte en douce à la chair de leur chair, quand celle-ci était sans défense, hors de portée de la vestale. Oui, Maman, tout va bien, mais faut que je te laisse, là.
Tout va bien. Quand je reviens, elle s'est faufilée sous le couvre-lit… Elle avait froid, soi-disant… Et je n'ose pas lui demander d'en sortir, bien sûr. Alors, comme un idiot, je me désape à toute vitesse, enfin, je garde mon slip, et je la rejoins à l'abri de Celle-qui-n'est-pas-là-mais-qui-voit-tout. Elle écarte les cuisses, et je me retrouve tout naturellement à faire des va-et-vient qui me conduisent en quelques secondes à une piteuse éjaculation. La prochaine fois, il ne faudra pas que j'oublie de penser à un problème de maths ou aux tonalités à six bémols au moins. Je n'ose pas la regarder, j'ai enfoui mon visage entre ses seins et je ne bouge plus. Et là, je l'entends qui me chuchote à l'oreille : « Tu n'étais pas au bon endroit. » Pas au bon endroit ?! Il existe donc plusieurs endroits où l'on peut faire ça ? Ces femmes sont vraiment extraordinaires !
Je constate que la petite lumière rouge est toujours allumée, même après mon catastrophique coït dévoyé. À seize ans, on peut recommencer immédiatement, et l'avantage, c'est que la deuxième fois, on met quelques secondes de plus. Bref, je ne suis pas encore tout à fait au point, mais l'avenir s'annonce radieux. Et cette fois-ci, elle me permet de regarder brièvement la chose extraordinaire qu'elle a au bas du ventre, ou en haut des cuisses. (Ça s'appelle le pubis, de pubes, les poils.) Je passe doucement ma main dans ces poils et j'ai un avant-goût du paradis. (On l'appelle aussi le Mont de Vénus, sans doute parce que Vénus était une femme à la pilosité généreuse.) Je l'aime et je l'aimerai jusqu'à ce que la mort nous sépare. (Maintenant, quand je regarderai une femme en culotte, je comprendrai beaucoup mieux ce que je vois.) En attendant ce triste moment, je ne pense pas une seule fois qu'elle n'a sans doute pas éprouvé beaucoup de plaisir. Moi, je suis à la fois comblé et honteux, et bombardé de vingt mille questions que je garde pour moi ; on s'est assez ridiculisé pour aujourd'hui. On se rattrapera demain, en étudiant de plus près l'éminence triangulaire située à la partie inférieure du bas-ventre, qui se couvre de poils à l’époque de la puberté.
À seize ans, il n'y a pas la moindre trace de poison dans le présent. Le présent est indemne, il n'a pratiquement aucune ramification, ni dans le passé ni dans l'avenir. On prend tout, on le gobe sans l'éplucher, on avale tout, avec la peau et l'emballage. On a l'estomac solide. La petite lumière rouge ne s'est plus jamais éteinte, jusqu'à mes dix-sept ans et demi. Même quand Christine m'a salement trompé avec des gauchistes de passage dans l'appartement que ses parents lui avaient finalement loué à Annecy, près du lycée Bertholet, la loupiote me tenait la bite en état d'alerte permanent. Mon passage à niveau laissait passer tous les trains, à un rythme effréné. J'aurais pu lécher les trottoirs où ma déesse posait les pieds. Quand elle était malade, j'étudiais la médecine, quand elle draguait un marxiste, je lisais Marx, quand elle prenait du LSD, j'en prenais aussi. Un jour, j'ai fait dix kilomètres à pied tellement elle m'avait fait souffrir. Nous étions montés au Parmelan, au-dessus d'Annecy, et, dans le refuge, elle s'était laissé conter fleurette par un sale con plus âgé qui jouait de la guitare. La douleur a été intense, et j'ai préféré disparaître un moment. Mais en même temps, comment aurais-je pu ne pas comprendre que tout le monde tombe amoureux d'elle ? Une déesse n'appartient pas à un mortel. C'est d'ailleurs elle qui m'avait appris la signification de l'expression "conter fleurette", preuve qu'elle était beaucoup plus intelligente que moi qui ne parvenais pas à décoller mon nez de l'amour ridicule que j'éprouvais pour elle. Enfin, je dis ridicule, mais avec des seins pareils, rien n'est jamais ridicule, on le sait bien.
Ce que j'ai appris beaucoup plus tard, c'est que le pubis était aussi un os !
mercredi 13 février 2019
Occupé !
Dieu voulait entrer dans les
Toilettes pendant que j'y étais.
Je lui ai fait comprendre que c'était occupé
Mais il n'a pas tenu compte
De mon avertissement.
Il m'a dit : « Je suis partout chez moi »
Peut-être, que je lui réponds, mais
Faut pas te plaindre, après.
Alors, pour me faire pardonner,
J'ai mis le quintette de Brahms.
On s'est séparés bons amis.
mardi 12 février 2019
Restos du Cœur
Dans mon assiette il y a des frites et du sang. Je trempe les frites dans le sang, moutarde rouge qui me sort des trous de nez. C'est doux, amer, écœurant. Je vomis dans l'assiette.
Tout ça pour une parole que je n'ai pas osé prononcer ?
Il va falloir finir les frites et boire la bière chaude ; ah non, c'est de la pisse. On peut dire que je suis un petit veinard. Il y a tant de gens qui n'ont rien à manger.
Poème pour elle
« Merde. Je suis malade. »
Le non-être, dans la pièce d'à côté,
comme un grand feu pâle et prétentieux.
Je n'ai pas grand-chose de plus
à dire que le silence.
lundi 11 février 2019
Précipice
Il y a quelques années, j'ai contracté une affection qui, sans être grave, est néanmoins invalidante. Au début, je n'y ai pas pris garde, je l'avoue. Je pensais me livrer de mon plein gré à un exercice de projection, ou de simulation, qui pouvait être amusant, consolant, ou instructif. Mais j'ai dû peu à peu me faire une raison : ma volonté n'était plus en cause. La chose se produisait désormais sans que je le décide ou le désire.
Il m'est devenu impossible de voir une jolie jeune femme sans systématiquement l'imaginer avec trente ans de plus. À son beau visage se superpose immédiatement un autre visage, celui qu'elle aura dans quelques décennies ; son corps gracieux et souple s'efface sous celui qui sera le sien quand elle aura cinquante ou soixante ans. Ce qui n'était au commencement qu'un jeu est devenu une malédiction. J'aimerais me réjouir de la beauté qui m'est offerte, j'aimerais en jouir tranquillement, et sans arrières pensées, mais c'est devenu impossible.
À peine mon regard se porte-t-il sur le visage de la belle que je vois ses joues se modifier horriblement, ses yeux s'enfoncer petit à petit dans leurs orbites, son cou, sa bouche, se tordre, son front et sa peau prendre un aspect qui la transforme absolument, et parfois, même, la rend méconnaissable. Il n'y a guère que le nez qui résiste un peu à la métamorphose, et ce n'est pas toujours pour le mieux.
À peine mes yeux entrent-ils en contact avec cette jeune femme qu'une sorte de mécanisme infernal et invincible se met en branle. J'ai à peine le temps de l'apercevoir telle qu'elle est que déjà elle est telle qu'elle sera. Elle prend un coup de temps, comme on prend un coup de soleil. Elle est précipitée. Le temps ne l'attend pas. Il rend ce qu'on ne lui a pas encore donné.
(La femme, comme la lune, possède deux faces. Et c'est parce qu'elle possède une face cachée, éternellement cachée (et que cette face cachée, toujours déjà là, ne varie pas) qu'elle peut se montrer à nous dans toute son innocente obscénité. Plus elle se montre, plus la femme cache ce qu'elle ne montre pas.)
Le temps des femmes n'est pas vraiment compatible avec celui des hommes ; on le vérifie chaque jour. L'horloge féminine est indexée sur la beauté, l'horloge masculine sur la puissance. La baignoire et l'automobile sont des véhicules qui se rencontrent rarement sans dommages.
Je l'observe depuis un moment déjà. Je vois ses cuisses produire le mouvement qui la fait avancer sur le bitume. Le derrière suit, un peu à contrecœur. Le dos aussi. Et même les bras. Quarante années ne se sont pas passées, mais le dos est figé, coagulé. On remarque surtout les fesses, molles, et la manière dont les pieds se posent sur le trottoir, à plat, comme s'ils avaient pour fonction de maintenir celui-là, de le fixer au sol. C'est la même femme. Alors tout a changé. Elle a oublié depuis longtemps celle qu'elle était quand elle avait vingt ans. Non, elle ne l'a pas oubliée ; c'est ce qui lui donne cette démarche grotesque. Elle n'a pas pu se défaire de ses souvenirs. Mais le corps a continué. Ils ont vécu leur vie chacun de leur côté, elle et son corps ; ils se sont séparés depuis un moment déjà. Parfois, sur un trottoir ou sur un malentendu, ils se retrouvent, et ces retrouvailles sont douloureuses. Ils se reconnaissent mais ils font semblant de s'ignorer, car leurs espérances sont trop différentes. Il serait difficile d'entamer une vraie conversation : ils le savent tous les deux. Alors ils se contentent de se dévisager du coin de l'œil, comme lorsqu'on n'est pas complètement certain de croiser dans la rue quelqu'un de la famille.
Quand par hasard il m'arrive d'imaginer jeune une femme qui a la cinquantaine, ou la soixantaine, je ne crois pas réparer une injustice. Au contraire, j'ai la sensation de commettre un péché, et de me ridiculiser. Alors je détourne le regard et je cherche des yeux une jeune fille pour la précipiter vers son destin. Son ignorance me console de sa morgue mais ma tristesse n'en est pas diminuée.
dimanche 10 février 2019
J'ai
J'ai bien aimé les fesses des femmes. J'ai bien aimé leurs seins, aussi. J'ai aimé aussi leurs jambes, et spécialement leurs cuisses. J'ai bien aimé leurs ventres, aussi, parfois. J'ai bien aimé leurs chattes, souvent, et aussi leurs culs. J'ai parfois aimé leurs visages, j'ai quelquefois aimé leurs mains, et même leurs pieds. J'ai souvent aimé leurs cheveux, et leurs poils. Mais ce que j'ai préféré, je crois, c'est leurs odeurs. Pas toutes, non, pas toutes. Mais quand-même, l'odeur d'une femme qu'on aime, c'est le paradis. Si une femme c'est de la prose, son odeur c'est de la poésie.
Et j'ai bien aimé ce mot : « Odeur », qui commence comme une ode, et qui finit dans les heures, qui s'ouvre, rond comme une bouche ou un trou du cul, et se continue dans le bonheur qui roule jusqu'à l'horreur des pleurs – ou des fleurs mortes.
J'ai bien aimé vivre. J'ai bien aimé la musique. J'ai bien aimé dormir. J'ai bien aimé rêver, ah oui, j'ai bien aimé. J'ai bien aimé étudier, et j'ai bien aimé jouer du piano. J'ai bien aimé les partitions et j'ai bien aimé les livres. J'ai bien aimé attendre. J'ai bien aimé comprendre. J'ai bien aimé voir et j'ai bien aimé écouter. J'ai bien aimé sentir et j'ai bien aimé me souvenir. J'ai bien aimé qu'on m'aime. J'ai bien aimé désirer, j'ai bien aimé certaines douleurs, et certaines couleurs. J'ai bien aimé certaines voix. J'ai bien aimé mon père, et j'ai bien aimé ma mère. J'ai bien aimé le froid, l'hiver, et la montagne, et la mer aussi, et la chaleur, et la nudité, et les corps anonymes, et le sable, et le vent. J'ai bien aimé me perdre, et me retrouver, mais j'ai surtout bien aimé rentrer, revenir à la maison, retrouver le foyer, la chambre, le lit, la nuit. J'ai bien aimé le temps infini.
J'ai bien aimé être chez moi. J'ai bien aimé être moi. J'ai bien aimé être.
Mais surtout, j'ai bien aimé aimer.
Ça gargouille…
On met tout
De ceux qui
Et les con-
Comme les
Il en faut
Sans passer
Et déjà
Quand là on
Entre les
De leur bel-
Qui revien-
dans la bouille
De ceux qui
ont des couilles
Et les con-
nards se brouillent
Comme les
œufs qu'on touille
Il en faut
pour qu'elles mouillent
Sans passer
pour des nouilles
Et déjà
elles bafouillent
Quand là on
s'agenouille
Entre les
lèvres rouille
De leur bel-
le cramouille
Qui revien-
nent bredouilles
samedi 9 février 2019
Au commencement était l'amour
Chaque jour, quand je me mets devant le clavier, revient cet incipit, cette clé chiffrée : « Au commencement était l'amour ». Tout ce que j'écris pourrait débuter ainsi. C'est l'immuable point de départ. C'est l'éternel retour de la même cause, et de la cause même. Chaque jour s'ouvre sous le regard de l'amour perdu, forclos, excommunié par le bruit et la température de la crainte, du tohu-bohu réchauffé souffrant.
La seule manière que je connaisse pour que l'amour revienne habiter l'être, c'est la musique. Y en a-t-il d'autres ? Ceux qui aiment la musique sont des êtres éperdus d'amour, toujours.
« Car il faut que tu saches que, nous autres poètes, nous ne pouvons suivre le chemin de la beauté sans qu'Éros se joigne à nous et prenne la direction : encore que nous puissions être des héros à notre façon, et des gens de guerre disciplinés, nous sommes comme les femmes, car la passion est pour nous édification, et notre aspiration doit demeurer amour… »
Bien sûr, si je dis qu'une des plus belles et profondes manifestations de l'amour nous est donnée dans le premier mouvement des variations opus 27 de Webern, il n'y aura pas grand-monde pour me croire. Raison de plus pour le dire.
Mais le commencement de quoi ?
Je suis vide. Je me raccroche à ce que je peux, à trois mesures de piano, à deux phrases de Platon. Mon propre corps ne fonctionne plus vraiment. Et plus j'avance vers la fin plus le commencement revient, comme le fa-ré-fa-ré lancinant du second mouvement de l'opus 11 de Schœnberg qui refuse de céder… La-si-ré / ré-mi-sol#… Quel clavier ?
Et puis cette merveille de grâce et de douleur :
Bien sûr, si je dis qu'une des plus belles et profondes manifestations de l'amour nous est donnée dans le premier mouvement des variations opus 27 de Webern, il n'y aura pas grand-monde pour me croire. Raison de plus pour le dire.
Mais le commencement de quoi ?
Je suis vide. Je me raccroche à ce que je peux, à trois mesures de piano, à deux phrases de Platon. Mon propre corps ne fonctionne plus vraiment. Et plus j'avance vers la fin plus le commencement revient, comme le fa-ré-fa-ré lancinant du second mouvement de l'opus 11 de Schœnberg qui refuse de céder… La-si-ré / ré-mi-sol#… Quel clavier ?
Et puis cette merveille de grâce et de douleur :
…
vendredi 8 février 2019
mercredi 6 février 2019
Charlotte
Charlotte est sophrologue. Mais Charlotte est sympa. Elle est même hyper-cool, Charlotte. Charlotte, c'est bien simple, elle te donne le smile.
Charlotte est épanouie. Et comme elle est sympa, forcément, elle veut que vous le soyez aussi. Alors, Charlotte, elle a créé un blog, Charlotte. Un blog sympa et cool où vous apprendrez tout ce qu'il vous faut pour être cool et sympa. Un blog qui vous donnera le smile. Tout le monde devrait avoir le smile. Toi, moi, lui, elle, vous, oui, le smile est un droit de l'humain. « La personnalité est à l’homme ce que le parfum est à la fleur » comme dirait Charlotte qui a lu ça dans les œuvres complètes de Charles-M Schwab. La personnalité de Charlotte est un parfum qui a le smile. Ça c'est de moi, mais c'est pas mal non plus. C'est synthétique. Charlotte est blonde, Charlotte est jolie, Charlotte est jeune, sportive, optimiste, curieuse, en introspection positive constante (suite à de nombreuses écorchures probablement, comme tout le monde) et HYPERACTIVE avant TOUT. Comme on le voit, un beau brin de femme qui a mis le turbo dans sa life !
Et bien sûr Charlotte veut s’épanouir dans son métier. Elle a envie de se lever le matin pour se consacrer à ce qu'elle aime le plus : aider les autres. Elle a toujours eu cette affinité pour le social, ce qui est très certainement lié aux difficultés qu'elle a connues dans son passé (les écorchures). Mais Charlotte, toute à sa générosité, voulait également vivre une expérience professionnelle en Afrique de l’Ouest. Charlotte, elle nous avoue qu'elle est tombée amoureuse de cette partie du monde lors de son tour du monde (un long périple qui a duré 16 mois). Quand Charlotte est rentrée à Paris, pleine d’émotions et surtout résolue à changer sa vie, elle a alors pris deux décisions. La première était de devenir Charlotte, et la deuxième de devenir encore plus Charlotte. Mais, me direz-vous, que signifie « devenir Charlotte » ? C'est tout simple : devenir Charlotte signifie réfléchir avec son cœur plutôt qu'avec sa tête. Charlotte a donc préféré choisir de vivre de façon plus risquée mais avec ENTIÈRETÉ. Mais, me direz-vous, que signifie « Vivre avec ENTIÈRETÉ » ? C'est tout simple : cela signifie ajouter des cordes de compétences à son arc humain, et vivre pleinement, de tout son être, selon les règles que celui-ci s'est fixées librement et en toute conscience.
Pourquoi Charlotte a-t-elle voulu devenir Charlotte ? Parce que couper avec les codes, les règles, le conformisme, les traditions de notre société et ce qu’elle tente de faire de nous était la seule voie qui s'offrait à ce cœur simple. Ce qu'il faut, c'est se donner les moyens de réaliser ses rêves, et ça, Charlotte l'a bien compris. Ce qu'elle veut, Charlotte, c'est vivre des expériences uniques, faire des voyages, des rencontres atypiques, et expérimenter de nouveaux concepts sportifs. et c'est pour ça qu'elle réalise de nombreuses formations professionnelles et personnelles, des thérapies, des retraites. Argent de côté, sac à dos, rencontres, découvertes, changement, introspection, évolution : l’envie de nouveautés en fer de lance, Charlotte se lance à la conquête du monde du Bien. Ton Bien, son Bien, notre Bien, votre Bien, le Bien de toutes et tous, le Smile parfait, le Smile ouvert, le Smile généreux, c'est ça qui motive Charlotte, et s’il y a bien un trait de caractère qui la définit, Charlotte, c’est celui-ci : une envie forte et prenante de vouloir être PARTOUT à la fois. Ses amis disent souvent d'elle qu'elle vit plusieurs journées, en une même journée.
Mais j'allais oublier le plus important, et le plus surprenant ! Charlotte adore l'écrivain Frédéric Lenoir (qu'elle écrit Frédéric LENOIR), qui lui aussi est partout à la fois, enfin, surtout à la télé. En une même journée, ces deux-là, chacun dans le partage et l'expression, en vivent mille. « Bien être et good vibes », telle pourrait être leur devise commune, car ils ont à cœur d'offrir leur façon de vivre, leur passion et leur vécu. Quitter sa zone de confort (et croyez-la, ce n'est pas évident), apprendre à se connaître (Charlotte est une disciple de Socrate), voilà les moyens qu'ils vous proposent, si vous acceptez qu'ils vous donnent leur smile, ou, plutôt, qu'ils vous donnent les moyens de trouver le vôtre – parce que, nourrir un pauvre, c'est bien, mais apprendre à un pauvre à pêcher dans la Seine, c'est mieux. Et ça, c'est LA MÉTHODE SMILE.
Alors, si toi aussi tu veux partir à la recherche de YOUR SMILE, en introspection positive constante, je te fais passer un message fort : abonne-toi au blog de Charlotte et prends rendez-vous immédiatement avec Charlotte. Toi aussi, tu peux avoir le smile. Toi aussi tu peux prendre ta vie en main. Toi aussi tu peux être heureux.
SMILE & BISOU
lundi 4 février 2019
Ça crève les yeux !
De quelque côté qu'ils se tournent, les Français de France sont pris à partie par des forces hostiles. Celle de la Clique (gouvernement + caste médiatico-artistique + intellectuels de cour + justice & police) du côté pile, du côté remplaciste, et celle de la racaille du côté face, côté remplaçants. Comment ne pas se sentir trahi, abandonné, quand plus personne ne semble avoir la moindre sympathie pour ce que l'on est, quand tout paraît adverse, défavorable au peuple historique auquel on appartient ? Comment ne pas désespérer quand on se sent exilé dans son propre pays ?
Les Gilets jaunes ont voulu se rendre visibles, ils ont voulu revenir sur la scène politique et historique de la nation française, de laquelle ils avaient été chassés depuis quarante ans. Ce retour intempestif est une faute de goût impardonnable, pour la Clique. Leur cas était réglé, à ces Français de l'ancienne France, on était passé à autre chose. Ils ont la prétention de refuser la transition – non pas écologique, mais – ontologique. Leurs yeux sont ataviquement fixés sur un passé qu'on prétend nier, ou caviarder, un passé encombrant en ce qu'il contredit le nouveau récit, et c'est pourquoi il faut les leur crever. Éborgner les Gilets jaunes est un geste hautement symbolique. Le pouvoir ne supporte pas qu'ils aient ouvert les yeux sur la réalité de la France contemporaine. L'administration avait pris l'habitude de gérer des aveugles enchaînés à leur aphasie ; elle est très en colère de constater que certains ont encore deux yeux en état de marche et un larynx d'où proviennent quelques demandes gênantes. Entre grenades lacrymogènes et flash-ball, ce sont la parole et le regard des Français qu'on cherche à empêcher, c'est le visage des Français qu'on veut défigurer.
Je les admire beaucoup d'être dans la rue chaque samedi, de camper sur leurs ronds-points et leurs positions, de se tenir là, envers et contre tout, malgré la répression odieuse dont ils sont victimes. Je ne suis pas de ceux qui leur reprochent de ne pas se battre pour les bonnes raisons, car je sais que ce qu'ils endurent est insupportable.
dimanche 3 février 2019
Lire et écrire (2)
C'est connu.
Écrivez un texte sur un sujet donné, un texte qui vous demandera quelques heures de travail, en précisant bien les limites et les contours de ce sujet, et les raisons pour lesquelles vous avez pensé qu'il pouvait être légitime de l'écrire : vous pouvez être absolument certain qu'un lecteur avisé viendra vous mordre les mollets pour une chiure de mouche complètement hors-sujet, afin de vous prouver qu'on ne la lui fait pas – et qu'il vous a à l'œil.
Il faudrait faire une typologie des lectures. Pourquoi lit-on et comment lit-on ? Trop vaste question, pour moi…
vendredi 1 février 2019
De retour de colo
Nous étions à quelques jours de Noël et j'étais de retour de la clinique, où je venais de subir une coloscopie. La femme, au volant de l'ambulance (ou du taxi, je ne me souviens plus), me demanda si j'étais libre pour le réveillon.
« Libre pour quoi faire ? »
À sa réponse, je compris que j'étais encore un peu dans le cirage…
Tout de même ! Me proposer ça au sortir d'une coloscopie… Certains sont vraiment prêts à tout pour jouer au Scrabble !
jeudi 31 janvier 2019
Lire et écrire (1)
Ils aiment lire – et même, ils lisent, c'est vrai ; en douter serait idiot. Pourtant, quand on les lit, sur Facebook ou ailleurs, là où les propos se rédigent au clavier, on voit bien qu'ils ne voient pas ce qu'ils lisent. À les entendre, la lecture est toute leur vie, ou au moins une part importante de celle-là. Or, la lecture ne semble avoir aucune influence sur leur vie, sur leur être… et d'abord sur leur manière d'écrire.
Tous les livres sont imprimés selon un code typographique immuable, ou peu s'en faut. On est donc conduit à penser que n'importe quel lecteur français a sous les yeux une manière qui lui a été signifiée des milliers et des milliers de fois. De la même façon qu'on ne doit pas écraser les piétons lorsqu'on conduit une automobile, qu'on écrit de gauche à droite, et qu'on doit s'arrêter à un feu rouge, ces règles sont tellement "universelles" qu'on n'a pas réellement besoin de les enseigner. Elles s'acquièrent par imprégnation spontanée, par le simple fait de l'imitation de ce qui est en vigueur dans un groupe humain raisonnablement civilisé et homogène.
Comment se fait-il que là – je veux dire quand quelqu'un, qui par ailleurs est un lecteur, doit rédiger sur un clavier une lettre ou un commentaire sur un réseau social – comment se fait-il que celui-là démontre sa parfaite méconnaissance des quelques règles qui contribuent à rendre un texte lisible par tous ? (Je ne parle ni de syntaxe, ni de grammaire, ni d'orthographe. Je parle seulement de ce qui se voit, de l'aspect visuel du texte produit. C'est un peu comme si un mélomane me démontrait qu'il ne connaît rien de tout ce qui entoure la musique, des conditions dans lesquelles elle est produite, écoutée ; c'est comme s'il ne savait pas, par exemple, qu'une symphonie est constituée généralement de trois (ou quatre) mouvements. (D'ailleurs, c'est de plus en plus le cas, puisque les auditeurs applaudissent désormais entre les mouvements d'une symphonie.) Mais, encore une fois, je parle ici de ceux qui affirment aimer et connaître, qui la musique, qui la littérature. Ils savent bien, les lecteurs, qu'un chapitre d'un roman n'est pas un morceau indépendant ? On l'espère. On espère aussi qu'ils connaissent la différence entre une phrase et une proposition, entre un chapitre et un paragraphe, entre un tome et une tomme… Mais, de nos jours, on ne peut plus être sûr de rien.) Comment se fait-il, donc, que ces lecteurs ne voient pas ce qu'ils ont sous les yeux ? Bien entendu, on pourrait émettre l'hypothèse qu'ils le voient parfaitement mais qu'ils choisissent de l'ignorer, ou même d'aller contre. C'est me semble-t-il faire trop de cas de la volonté propre du lecteur. Je pense plus simplement qu'ils s'en foutent, que ça ne les concerne pas, qu'ils estiment avoir fait déjà assez d'efforts pour entrer en contact avec le sens du texte qu'ils ont sous les yeux, et que le reste leur apparaît comme secondaire, voire négligeable. Un peu comme si un mélomane nous expliquait qu'il a bien entendu "le sens" du premier thème de la seconde symphonie de Brahms, mais qu'il lui est absolument indifférent de l'entendre jouer à l'orchestre, au piano, ou à l'accordéon, et que peu importe pour lui que ce thème soit jouée au bon tempo et avec les nuances que le compositeur a indiquées. Ces lecteurs-là vont directement au sens, sans passer par la forme. On pourrait penser qu'ils ont donc un avantage sur le lecteur plus attentif, plus regardant (et plus aimant), puisqu'ils vont en quelque sorte à l'essentiel sans passer par l'accessoire. Je crois que c'est tout l'inverse. Le sens est une petite partie d'un texte, quel qu'il soit, ou, pour le dire autrement, le sens n'est pas seulement là où on le croit. Ceux qui n'entendent et ne voient que le sens ne voient pas grand-chose.
Si l'on dipose les signes, les lettres, les mots, les propositions, les phrases et les paragraphes d'un écrit d'une certaine manière, et que cette manière a été codifiée par l'Imprimerie nationale, c'est qu'on est arrivé à la conclusion qu'elle était celle qui permettait une lecture agréable, confortable, facile, et qu'elle pouvait être appliquée à tous les textes et à tous les auteurs. Les codes sont faits pour simplifier la vie des gens, pas pour les compliquer. Nous sommes tous égaux devant la typographie. Il suffit pour cela de connaître quelques règles élémentaires. Pas d'espace avant un point, une virgule, ni avant les trois points (qui sont un seul signe), mais une espace avant les signes de ponctuation doubles (point d'interrogation, point d'exclamation, deux points), pas d'espace après une parenthèse ouvrante ni avant une parenthèse fermante, pas d'espace après des guillemets anglais ouvrants, ni avant des guillemets anglais fermants, mais une espace après des guillemets ouvrants français et avant des guillemets fermants français, espace avant et après un tiret, qu'il ne faut pas confondre avec un trait d'union, pas d'espace avant ni après une apostrophe. Si l'on se contente de respecter ces quelques règles (et, encore une fois, nul besoin de les "apprendre", il suffit de faire comme dans les livres, de reproduire ce que l'on voit), le texte qu'on aura rédigé sera de lecture agréable – du moins d'un point de vue formel (mais c'est très important). Un texte bien rédigé (d'un strict point de vue typographique) est bien plus facile à comprendre. C'est une forme de politesse rédactionnelle, exactement comme le fait de tendre la main droite à la personne à qui vous souhaitez dire bonjour par une poignée de main ; vous pouvez bien entendu tendre la main gauche, mais vous provoquerez ainsi une gêne, une perturbation inutile dans le signe que vous envoyez (car vous forcerez votre interlocuteur à modifier son geste et ses habitudes), et votre geste sera interprété comme une agression ou une volonté d'humiliation (même minimes). De plus votre geste sera en lui-même une contradiction dans les termes ; en effet, la poignée de main est un geste d'accord, ou d'accueil, ou de paix, ou de remerciements, mais le fait de tendre la main gauche annule votre geste, ou le caricature, il en signifie la dérision, au minimum il le dévalue. On ne peut pas à la fois tenir la porte à quelqu'un et l'insulter, ou plutôt si, on peut, mais on entre là dans une forme de perversion destinée à déstabiliser son prochain. Celui qui pose le regard sur un texte et qui va droit à ce qu'il pense être l'essentiel (le sens) en manque l'essentiel, comme celui qui, serrant la main de son interlocuteur, n'est que dans la fonction du geste, dans sa signification. Celui-là manque le plus important, tout ce qui entoure la poignée de main : la consistance de la main, sa température, sa force, le regard de celui à qui appartient la main, sa stature, sa vêture, son odeur, sa présence, la distance à laquelle il se tient de l'autre, le son de sa voix, s'il parle. En une poignée de main, on sait déjà beaucoup de celui qu'on a face à soi, si les sens (plus que le sens) sont en éveil. Les apparences d'un texte sont aussi signifiantes que le fond de ses phrases. C'est ce que ne comprennent pas ceux dont les écrits sont débraillés. Immature est le mot qui vient à l'esprit, quand on pense à cette privatisation de la langue et des rapports humains.
Mais il y a autre chose. La typographie n'est pas un tuteur abstrait et stérile, plaqué sur un contenu. Elle apporte aussi sa part de sens, elle en dresse la cartographie, elle en dessine la structure, elle en souligne les arêtes. Une typographie laissée à l'abandon du vouloir personnel répugne comme un jardin en friche dans lequel nous pénétrons par effraction. Si le point suit immédiatement le dernier mot de la phrase, ce n'est pas par hasard, ce n'est pas un caprice, c'est parce qu'il appartient encore à la phrase qu'il clôt, comme la virgule appartient à la proposition qu'elle délimite. Si on laisse une espace après la virgule ou après le point, c'est parce que c'est autre chose qui commence alors, qui demande une inspiration. Si une espace précède et suit un point-virgule, c'est parce ce signe met deux propositions à égale distance, et qu'il est nécessaire de prendre deux inspirations aux lieu d'une : la première étant pour laisser résonner brièvement la première proposition, la laisser s'éteindre à moitié, la seconde étant pour préparer la deuxième. On voit par ces quelques exemples que la typographie est profondément liée à la ponctuation, que toutes deux entretiennent une relation très intime entre elles et avec leur reine, la phrase. Pas de phrase sans ponctuation, et pas de ponctuation sans une typographie qui la mette en valeur, et qui surtout en corrobore le sens, le certifie.
C'est la raison pour laquelle, en voyant comment les gens écrivent, on sait comment ils lisent. Leur lecture se retrouve tout entière dans leur écriture. Il est impossible de tricher avec ça. La phrase est toujours impitoyable. Elle nous surveille autant qu'elle nous révèle, puisqu'on pense avec des phrases, non avec des mots.
On se rappelle que l'école de jadis avait une ambition modeste mais essentielle : apprendre à lire, écrire et compter. Quand vous savez lire, écrire et compter, vous avez tout ce dont vous avez besoin pour vous débrouiller dans la vie, car vous avez accès à tout. Tout le savoir s'ouvre à vous, il suffit d'aller le chercher. La grande erreur de l'école moderne a été de croire qu'il fallait apporter le savoir aux élèves. Il ne faut surtout pas leur apporter, il faut seulement leur donner les moyens d'aller le chercher, car c'est dans cette action d'aller le chercher que réside la culture – la culture est un cheminement, ce n'est pas une niche. Ne jamais se mettre à la portée des élèves ! telle devrait être la devise des professeurs, s'ils veulent avoir des élèves, c'est-à-dire des enfants qui vont s'élever dans la culture et le savoir.
dimanche 27 janvier 2019
Le visage du temps
Je déteste qu'on dise : « Il est seize heures vingt-et-une. » Le temps légal est invivable. Pour moi, il sera toujours « quatre heures vingt ». Et encore, un « quatre heures et quart » m'aurait amplement suffi. Le jour a deux faces, deux visages, deux demeures. Il y a la demeure qui s'étend de minuit à midi, et celle qui va de midi à minuit. Elles ne sont pas équivalentes. L'une prend sa source dans la ténèbre, l'autre dans la lumière : les deux crépuscules ne procèdent pas de la même substance.
Dans mon enfance, et jusque dans les années 90, les montres devaient être remises à l'heure périodiquement. Nous n'étions jamais exactement à l'heure. Il y avait toujours une légère incertitude quant à l'heure exacte. Cette incertitude, ce léger écart qui pouvait exister entre le temps des horloges officielles et celui des montres au poignet, je les regrette. Non seulement je les regrette mais je pense qu'ils étaient le signe tangible d'un monde plus humain. Les horloges n'avaient pas raison, pas complètement. Elles n'étaient qu'un indice parmi d'autres. L'écart, de quelques secondes, de quelques minutes, parfois, entre le temps officiel et le temps réel (celui de l'individu en rapport avec ses semblables), était le signe d'un monde littéraire. Imagine-t-on une marquise qui sortirait « à dix-sept heures trois » ? Dans ce monde-là, la vérité était plus importante que l'exactitude. C'était un monde dans lequel on pouvait encore se faufiler dans les interstices du sens (et d'ailleurs, le sens tout entier ne se trouve-t-il pas dans les interstices du réel ?). Le retard et l'anticipation (au sens musical) constituaient une sorte de jeu, dans lequel l'être de chacun trouvait sa place singulière et flottante, avec la souplesse et la justesse qui caractérisent le particulier, l'irremplaçable. La langue n'était pas encore complètement asservie au sens, collée à lui comme le vulgaire sparadrap dont on ne peut jamais se débarrasser, elle avait encore cette liberté et ce pouvoir qui lui viennent de la littérature. Chacun savait alors que le contexte disait autant que le texte, chacun savait que la recherche du temps perdu était plus importante que celle du temps exact. Les corps avaient encore ce tact et ce goût que seule permet la poésie du geste, et l'on sait que la poésie n'est rien sans l'impossibilité de faire coïncider absolument le mot avec son avènement.
Remettre sa montre à l'heure, et, plus encore, être contraint de le faire régulièrement, c'est une preuve d'humilité, et c'est admettre que nous ne coïncidons jamais tout à fait avec la vérité, que celle-là est toujours au-delà de notre inscription réelle dans le temps. Le temps des horloges atomiques est un temps continu, mort, qui déroule son incommensurable éternité le long d'une droite insensée et désespérante. Le temps des heures et des années est un temps strié, cyclique, et courbe, qui se lit sur la figure d'une spirale. Cette spirale est un visage que nous pouvons habiter.
mercredi 16 janvier 2019
Vis à vis
– Papa, es-tu fier de moi ?
– Pourquoi devrais-je être fier de toi, mon fils ?
– Aujourd'hui, quelqu'un m'a dit :
« Vous avez placé la musique au coeur de ma vie. Vous m'en avez fait comprendre la grandeur, le lien si intime qu'elle tisse dans notre existence, les règles qu'elle impose, ses exigences. »
Il ne répond pas… (Les morts, souvent, ne répondent pas. C'est en cela qu'ils existent tellement plus que nous.)
Il ne répond pas mais je vois son beau visage tout près du mien et une vague de chaleur m'envahit.
Le facteur Brahms
Jean-Claude Michéa explique qu'il ne se considère pas comme un auteur, au motif qu'il a écrit quelques livres. Quand un ami vous aide à déménager, il n'est pas "déménageur" pour autant. Dit comme ça, ça peut paraître un peu artificiel, mais on sent bien qu'en ce qui le concerne, c'est très sincère. Est-ce vrai pour autant ? Je n'en sais rien. J'aurais tendance à penser qu'il importe peu que ce soit vrai ou faux, mais ce n'est pas sûr.
Pour parler de quelqu'un que je connais mieux que Michéa, je me pense toujours comme musicien, alors qu'il y a longtemps que je ne le suis plus – si toutefois je l'ai été un jour. Pourtant, la question ne se pose pas. C'est comme ça. Et même si on me prouve que je suis dans l'erreur, je continuerai jusqu'à la mort à croire à ce mensonge.
C'est Brahms, je crois, qui m'a rendu musicien, parce qu'un jour, j'ai soudain compris que le Temps pouvait changer de sens, et que cela se traduisait concrètement, au piano, et que l'instrument se développait, se poursuivait dans la fiction qui est moi.
Tous les compositeurs véritables interfèrent avec la durée qui est inscrite en nous, ils modifient les durées qui sont gravées en nous ; ils les transforment, ils en déplacent les points d'appui, en intervertissent les places, ils créent une carte agogique qui se superpose à celle que nous prenons pour référence. Mais Brahms occupe cependant une place particulière, dans ce rapport au Temps. Si, dans le cas des autres compositeurs, et surtout à partir de la période classique, il y a bien création d'une signature temporelle spécifique, celle-là est particulièrement sensible dans la musique de Brahms. C'est d'ailleurs de plus que cela, qu'il s'agit. Ce n'est pas seulement que le temps se manifeste en agissant plus ou moins sur la forme, c'est qu'il déforme la sonorité.
Tous les pianistes savent qu'en jouant Brahms, leur sonorité change. On répondra que c'est le cas pour chaque compositeur, pour chaque style, et c'est vrai. Mais la sonorité du pianiste qui joue Brahms ne change pas parce que ses masses, ses forces, ses appuis, ses accents et ses équilibres sont modifiés, elle change parce que la qualité du temps prend le pas sur toutes les autres qualités du discours musical. Le corps doit s'adapter à une autre topographie des durées, les distances sont affectées d'un facteur : le temps que nous prenons pour aller d'un point à un autre est lesté d'une densité inconnue, plus large, dont le souffle semble plus profond et plus long. C'est comme si la musique se jouait depuis plus loin que l'interprète…
Cette distance créée par la musique de Brahms produit un monde plus dense et plus profond, le clavier sur lequel nous nous exprimons est plus large en même temps que plus nuancé, et même la tendresse gagne en intensité ce qu'elle perd en mièvrerie.
Cette distance créée par la musique de Brahms produit un monde plus dense et plus profond, le clavier sur lequel nous nous exprimons est plus large en même temps que plus nuancé, et même la tendresse gagne en intensité ce qu'elle perd en mièvrerie.
samedi 12 janvier 2019
Le jaune et le noir
C'est la lettre volée. Tout le mouvement dit des Gilets jaunes est édifié sur un non-dit. Ce non-dit est central, il est là, en creux, il est énorme, mais personne n'en parle. Les Français ont intériorisé une impossibilité : l'impossibilité de parler de l'immigration, l'impossibilité de parler du Grand Remplacement. Ils ont parfaitement compris que tout le discours politique est contaminé par cet interdit, et c'est pourquoi ils parlent de tout, sauf de ce qui fait qu'ils sont tous là, unis malgré des divisions nombreuses et parfois profondes. La question de "l'immigration" (litote), c'est un trou noir. Elle avale au passage toutes les plaintes, toutes les angoisses, tous les désespoirs, elle les digère, elle les redonne sous une forme négative mais avec une violence accrue, car elle en a chauffé à blanc les articulations. Être pauvre, ce n'est jamais drôle, être méprisé non plus, mais être pauvre et méprisé, et en plus se sentir exilé dans son propre pays, c'est intolérable. On pourrait faire un sondage intéressant : demander aux Français s'ils accepteraient de payer le litre d'essence deux euros, mais être débarrassés une fois pour toutes des conflits interculturels (soyons prudents). Bien entendu, la question n'a pas réellement de sens, puisqu'on sait très bien, malgré le blackout total sur ce sujet, que le coût de l'"immigration", et plus généralement d'une société multiculturelle, est énorme…
Moins ce sujet est abordé, plus il démontre par là qu'il est central, essentiel. On parlerait facilement de l'immigration, si c'était bien d'immigration qu'il est question. Mais comme les Français voient d'une part que nous n'en sommes plus du tout là, que l'immigration a laissé la place à tout autre chose, et d'autre part que cette chose est indicible, sous peine de stigmatisation morale, de mort sociale et de relégation politique, ils la laissent parler toute seule. C'est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour faire de leur non-dit une parole, pour faire de leur silence un cri. Ils voient bien, ils constatent tous les jours que le monde dans lequel ils évoluent est un monde du faux, un monde du mensonge, ou plutôt, de la vérité renversée. Ils ont fini par prendre le pli, et par retourner le système contre ceux qui l'ont façonné. Les signes parlent désormais en négatif. Quand vous ne voyez pas quelque chose, c'est que cette chose est là. Quand on ne parle pas de quelque chose, c'est que cette chose est plus importante que le reste. C'est tout simple. Dans la France du XXIe siècle, mettez un éléphant dans un salon, personne n'en parlera, mais tout le monde parlera de la souris qui n'existe pas. L'éléphant a tout cassé, il ne reste plus rien, plus de vaisselle, plus de meubles, les murs s'effondrent, mais le discours officiel, lui, parle du gâteau qui a été grignoté par la petite souris qui effraie la princesse.
Si vous reprochez aux Gilets jaunes de ne pas parler de l'éléphant, c'est que vous n'avez pas compris les nouvelles règles du jeu. Ils entassent au vu et au su de tout le monde des dizaines de revendications qui ont pour objet fondamental de faire exister la seule dont ils ne parlent pas. Plus la montagne de revendications est importante, plus le sujet caché l'est. Ils le font apparaître par contraste, comme on dit en chimie. On sait qu'il est là par les effets induits, même s'il est invisible. Comme le trou noir qu'on "voit" uniquement par les effets qu'il produit sur l'espace autour de lui, la question du Grand Remplacement dont personne ne parle déforme les questions alentour, les tord, leur donne des perspectives irréelles, formidables ; et c'est parfaitement normal, puisque tout est subordonné à cette question, qu'elle influe sur tout, de l'économie au sociétal, en passant par le législatif et l'éducation, l'esthétique et la morale, la langue et les arts.
Durant des décennies, les sociologues, les médias, les écrivains, les intellectuels et les artistes de cour ont produit un contre-récit qui n'avait pour but que de cacher la vérité – et ils ont été plutôt efficaces, il faut le reconnaître. Ils ont rempli leur contrat avec un bel effet d'ensemble et un acharnement méritoire. Le niveau de violence n'avait jamais été aussi bas, le niveau scolaire aussi haut, le vivr'ensemble fonctionnait à merveille, la mixité soi-disant sociale était un avantage décisif, l'Europe nous protégeait de la guerre et l'euro de la pauvreté, etc. Bref, nous allions dans la bonne direction, et il fallait forcer le pas : on ne fait pas attendre le Salut. Mais voilà que soudain les cadavres débordent du placard. On ne sait trop pourquoi les choses ont commencé à se fissurer, tout récemment, peut-être tout simplement parce que la vérité en avait un peu assez d'être étouffée sous les coussins du politiquement correct, qu'elle trouvait que ça allait bien comme ça, qu'il était temps pour elle de respirer à nouveau à l'air libre, peut-être parce que les excès des BHL, Attali, Minc, Kouchner et autres professeurs de vertu mondialisée étaient d'une qualité moindre, qu'ils étaient un peu fatigués, peut-être parce que l'islam conquérant et de plus en plus assuré de lui-même – et même étonné de la facilité avec laquelle il prend pied en Europe – a fini par mordre avec un appétit trop voyant dans la chair des Infidèles, peut-être parce que certains pouvoirs illégitimes ont fini par ne même plus se cacher, tellement ils étaient assurés d'être intouchables, au-dessus même d'un pouvoir dont le caractère représentatif avouait insolemment qu'il ne représentait plus que lui-même, et sans doute parce que les Français, à force d'être écrasés par la morgue et les injonctions du clergé médiatico-intellectuel, en ont eu assez de sentir sur leur nuque le souffle chaud de la bête, assez qu'on les prenne pour des abrutis, assez qu'on les somme de dire blanc quand ils voyaient noir, beau quand ils voyaient moche, et peut-être aussi parce que tout système fondé sur le mensonge finit par s'écrouler de lui-même, rongé de l'intérieur. Le fait est que le cœur n'y est plus. Ça ne prend plus. Les lanternes reprennent leur aspect de vessies. Ils ont beau se mettre à dix pour essayer de fermer la porte… Le placard s'ouvre, et ce qu'on voit en sortir n'est pas jojo.
Et puis aussi, il faut dire qu'un Emmanuel Macron a beaucoup fait pour que la farce se montre dans toute sa gloire, et pour que la vérité lui fasse écrin. Il n'y avait peut-être pas grand-chose à faire, mais il a tout de même poussé la dernière carte, celle qui fait s'écrouler la pile entière. Il n'y peut rien, Emmanuel Macron, c'est plus fort que lui, il faut qu'il dise la vérité, elle sort de sa bouche avec une ingénuité merveilleuse. Avec lui, on sait immédiatement à quoi s'attendre. Les hommes politiques ne servaient plus à rien depuis des lustres, mais on continuait à faire comme si (l'inertie politique est grande)… À peine arrivé, il les a pulvérisés, et on a bien été forcé de se rendre compte que le vrai pouvoir n'était pas là, que c'était d'autre chose qu'il était question, que la France avait vécu, qu'elle avait été vendue pour un franc symbolique. Il s'empressait un peu trop à embaumer le cadavre, notre Président, il mettait trop de précipitation et trop d'enthousiasme à le préparer pour la métamorphose. Je trouve d'ailleurs qu'on est très injuste avec lui, car il joue son rôle à merveille. La composition de l'Assemblée nationale, ne serait-ce qu'elle, est un formidable poème dadaïste qui mérite le respect. Ajoutez à ça le chantage climatique et le racket fiscal… La coupe était pleine, elle déborde, et le liquide jaune qui se répand dans la rue sent la haine à plein nez. Vous me demandez de m'en offusquer ? Je laisse ça aux investisseurs sans frontières qui risquent d'apprendre que le rôle du cocu est un rôle qui aisément change de monture.
vendredi 4 janvier 2019
Après une lecture de Joubert
Toute la beauté et toute la vertu d'un aphorisme tiennent à sa langue, à son allure et à son économie. Vouloir le récrire, l'interpréter, le compléter, l'expliciter, ou même seulement le commenter, revient à rendre banale une pensée qui avait échappé à la banalité (on pourrait dire : qui avait échappé à la pensée), commune une idée dont l'intraduisible était substance. C'est un peu comme de vouloir améliorer le visage de la beauté, ou priver une mélodie de son rythme. Autant aplatir un soufflé… Autant faire l'amour à une morte… Autant passer l'archet sur une trompette… Commenter un aphorisme, c'est comme expliquer un trait d'esprit à qui ne l'a pas entendu. Le développer, c'est ajouter des chœurs à une bagatelle de Beethoven.
L'aphorisme rentre ses griffes, qu'il a en général très acérées. Il peut rugir, mais c'est toujours sous la ligne de flottaison, sans esclandre, sans introduction ni développement. Si sa vitesse d'élocution est variable, celle de la pensée d'où il provient est extrême ; c'est un arc tendu qui a produit l'éclair qui illumine la phrase, cette clarté focalisée qui traverse la torpeur de l'esprit laïc.
L'aphorisme doit se tenir sur une crête : ni trop de mots, ni trop peu, car, s'il ne doit pas expliquer, il ne doit pas non plus être abscons à dessein. On doit arriver au sens d'un seul coup, et, idéalement, en repartir aussitôt. Il doit être impossible de se tenir au sens d'un aphorisme comme on se tient à une rampe. Le sens auquel on parvient, presque par miracle, ou par hasard, doit être un sens inhospitalier, étroit, aigu : on ne peut s'y installer, en ce sens, sauf à être sur la pointe des pieds et en équilibre instable. Il faut que la tension qui nous a permis d'y accoster reste en nous comme une pointe qui nous incite à le fuir. Nous ne sommes pas chez nous. L'aphorisme se tient à égale distance de la loi et de l'effraction. C'est une rencontre, ce ne sont pas des épousailles – le contrat est évanescent. L'aphorisme consiste à plonger une idée brûlante dans des phrases glacées, et à recueillir la vapeur créée par ce choc.
Les Jours
Lundi sans viande, mardi sans fautes d'orthographe, mercredi sans bruit, jeudi sans emmerdeuses, vendredi sans bêtise, samedi sans grossièretés, dimanche sans faute. Lundi sans douleurs, mardi sans Phil Glass, mercredi sans cinéma, jeudi sans BHL, vendredi sans Juppé, samedi sans homard, dimanche sans pyjama. Lundi sans oubli, mardi sans chagrin, mercredi sans crise, jeudi sans gratin, vendredi sans bain, samedi sans Finkielkraut, dimanche sans Tribune. Lundi sans idiote, mardi sans soleil, mercredi sans citron, jeudi sans espoir, vendredi sans chansons, samedi sans façons, dimanche sans John Adams. Lundi sans écran, mardi sans papier, mercredi sans chauffage, jeudi sans passion, vendredi sans inspiration, samedi sans désir, dimanche sans café. Lundi sans cahier, mardi sans slip, mercredi sans bonnet, jeudi sans lunettes, vendredi sans érection, samedi sans encre, dimanche sans pain. Lundi sans reine, mardi sans obsessions, mercredi sans chaleur, jeudi sans intelligence, vendredi sans couleurs, samedi sans tonalité, dimanche sans crainte. Lundi sans analgésiques, mardi sans reste, mercredi sans esprit, jeudi sans Lucie, vendredi sans lire, samedi sans écrire, dimanche sans mémoire. Lundi sans un mot, mardi sans une phrase, mercredi sans une idée, jeudi sans personne, vendredi sans elle, samedi sans eux, dimanche sans rien. Lundi sans dormir, mardi sans bouger, mercredi sans nouvelles, jeudi sans Mozart, vendredi sans piano, samedi sans vin, dimanche sans vie. Lundi sans Facebook, mardi sans clin d'œil, mercredi sans barbe, jeudi sans journal, vendredi sans répétitions, samedi sans colère, dimanche sans famille. Lundi sans gammes, mardi sans radio, mercredi sans Lieder, jeudi sans patience, vendredi sans peur, samedi sans commentaires, dimanche sans rêves. Lundi sans politique, mardi sans histoires, mercredi sans fleuves, jeudi sans horizon, vendredi sans frontières, samedi sans voisins, dimanche sans moi.
jeudi 3 janvier 2019
La Poire
– Tu vois ?
– Bien sûr que je vois !
– Tu vois ?
– Évidemment !
– Non, tu ne vois pas.
– Si ! Je vois les deux poires.
– Il y en a trois…
mardi 1 janvier 2019
Mozart
Il y a dans sa musique cette chose minuscule et qui semble ridicule à la plupart : de la musique. Sur la pointe d'un crayon bien taillé se tient toute la musique de Mozart. L'infini n'a pas besoin de plus. Elle ne hurle pas, elle ne nous envahit pas, elle est là, fragile et indestructible, comme l'âme des absents.
samedi 29 décembre 2018
Du tac au tac
« Tu m'excites quand tu fais des rimes. »
Elle m'a sorti ça comme ça, sans crier gare. C'était une rime en are, d'ailleurs. Une histoire de placard ou de lard, je sais plus. Je tapine dans le vide, elle me tape sur le bide. On parle très vite, à la vitesse de la lumière, via Messenger, ça sort comme d'un tuyau d'arrosage. C'est de l'éjaculation verbale en dialogue. En continu et en joie, ça décharge à tout va, deux cents mots à la minute. Elle tape aussi vite que moi, il n'y a aucun temps mort, haute voltige sexuelle, d'une virulence au chalumeau. Elle me lance ses phrases brûlantes et vives, brisées, coupantes, et je les rattrape comme je peux, à deux doigts, par les bords, les mots ont à peine le temps de se fixer sur l'écran qu'on est déjà plus loin, toujours en avance sur notre désir, ça crépite comme un briquet d'orgasme ininterrompu. Elle est stupéfiante, impatiente, grésillante, pétillante, larmoyante, piaillante, mouillante, vivifiante, confiante et parfois suppliante. Ce sont les cieux qui se dandinent, quand on joue notre sonatine. Ça claque comme des claques sur ses fesses, ça glisse comme on tombe dans une crevasse en haute montagne, on est constamment au bord de l'épuisement, du non-sens, du dérapage, du lapsus, du contresens, du viol verbal, de l'accident, c'est une course de haies entre les chicanes du plaisir, c'est de l'escrime, c'est du tennis, c'est un jeu entre la mort et la joie, on fait claquer des draps de lettres comme on se pince les fesses. Elle est branchée sur ma turbine, la petite fée clandestine. On a les muqueuses à vif, en permanence, les nerfs givrés, le cul moite et la gorge sèche, on ouvre et on referme du même mouvement des blessures qui sont comme les bouches hilares et pleines de dents acérées qu'on a déposées au vestiaire avant le combat, la piste est glissante, c'est un miroir sans tain et sans main courante, il n'y a rien pour se rattraper, on rêve plus qu'on parle, on chante plus qu'on dialogue, c'est un bicinium suspendu au-dessus du vide de la terreur sociale. Elle prend ses vitamines et se lèche les babines. La piqure, vous la voulez dans les fesses, ou dans l'œil ?
mardi 25 décembre 2018
Lui
Il s'habille fréquemment en blanc. Il est venu, d'Amérique, au cœur profond de notre civilisation, pour la défaire, pour la livrer, pour nous livrer aux chiens.
Tout sonne faux, chez lui. Tout vient du diable. Tout est fait pour nous blesser, pour nous anéantir, pour nous renvoyer au néant dont il vient, lui. C'est un anti-justicier. C'est le pire ennemi que nous ayons eu depuis longtemps. Il a usé d'une ruse extraordinaire : se faire passer pour l'un des nôtres, et même pour notre Commandant en chef. Il a évincé celui qui était le vrai Père, il a pris sa place, et il est en train de retourner notre puissance contre nous. De sa voix de traître enténébré, il appelle les catholiques à se précipiter tous ensemble dans la mer.
Il faut le haïr d'une haine implacable. Il faut le démasquer. Il faut lever sa soutane pour montrer qui il est réellement. Il faut le dévoiler. Il ne faut pas avoir peur de désigner le Traître. Il faut lui arracher son masque. Il est là pour nous exterminer.
Comment font-ils, ces idiots, pour ne pas le reconnaître, sous son piteux déguisement d'hostie mâchée ?
Bienfaisante antipathie
Certains, s'étonnant de ne plus faire partie du cercle des "amis Facebook" d'Untel, en veulent à celui qui s'est séparés d'eux. Mais pourquoi devrait-on se sentir lié par une "amitié" qui ne nous dit rien, qui ne nous apporte rien, ou qu'on juge néfaste ? Je ne vois pas la raison qui devrait nous pousser à nous justifier de l'antipathie éprouvée pour tel ou telle, et moins encore ce qui l'interdirait. Dans la vie de tous les jours, nous ne nous obligeons pas à fréquenter qui nous déplaît, sauf obligations professionnelles ou familiales (et encore), et il en va de même en un réseau social comme Facebook. À moins que le nombre d'"amis" soit un critère de richesse sociale – ou morale. Heureusement, cela n'a jamais été pour moi.
Si la sympathie qu'on peut éprouver ici a quelque réalité, il faut admettre que l'antipathie existe au moins autant, qu'elle est sa contrepartie nécessaire. Il n'y a pas d'attachement véritable sans cela. Rien que de très normal, d'autant qu'un mode de connaissance qui privilégie l'écrit implique malheureusement (ou heureusement) de voir très rapidement à qui l'on a affaire, au-delà du personnage corporel et social. Les phrases déshabillent mieux que les mains – ou habillent (on ne désire pas les voir nus, ces correspondants numériques, au contraire, c'est précisément la manière dont ils se vêtent, grâce au langage, qui nous intéresse). D'ailleurs, je remarque que la nudité corporelle ressemble énormément à la vêture langagière. Les phrases sont la peau dont il est impossible de se passer si l'on veut se frotter aux autres – cette peau qui à la fois nous protège et nous met en contact. L'antipathie est le versant psychologique (et sans doute plus) de notre système immunitaire : elle nous prévient et nous protège des rencontres périlleuses.
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