jeudi 3 juillet 2014

Joseph Stalin (2)


C'est Josepha qui me dit comme ça un beau matin, alors que j'étais sous la douche. « Joseph, t'aurais pas un peu la queue tordue, des fois ? » Elle m'observait depuis un petit moment déjà, assise mollement sur son bidet. La queue tordue ? Forcément, je jette un coup d'œil à l'engin, qui me semble tout ce qu'il y a de plus normal… Non, qu'elle me fait, je veux dire quand elle est sur son trente-et-un, enfin tu m'comprends ! Alors là j'ai fait ni une ni deux, j'ai lâché la savonnette, j'ai failli m'étaler sur le carrelage, et Josépha est passée du bidet au lit sans passer par la case de l'oncle Tom. Tordue, que t'as dit ? Ben oui, qu'elle me répond, regarde ! J'étais déjà sur le chemin de la mine en grand déploiement d'artillerie… Elle m'a coupé mon élan, bien net comme le roquefort après le fil de la mère Bordenave (c'est la crémière). Merde alors, j'étais obligé de reconnaître que ça tirait sacrément à gauche, comme s'il y a avait du mou dans l'azimut. On est restés tous les deux en silence. Obligés de voir les choses en face. Surtout elle…

On en a plus reparlé pendant un moment. Il me fallait le temps de digérer l'information. Et puis, un samedi matin, sans prévenir, je me suis décidé. J'ai pris l'annuaire et j'ai regardé à urologue, dans le quartier de la Place Clichy. Ça tombait bien, il y avait un dispensaire ouvert, et c'était tout près. J'enfile un slip propre et je claque la porte de l'appartement, ni trop mou ni trop fort, comme un qui a pris une grande décision, après avoir mûrement réfléchi. Je prends le 95, je descends au 3e arrêt, rue d'Amsterdam, et je trouve très facilement le dispensaire. Personne. Enfin, personne sauf une jolie blonde qui avait l'air de s'ennuyer sec derrière son comptoir qui ressemblait à l'étal d'un boucher, mais avec plus de couleurs. Je lui explique la chose, mais pas trop quand-même, je reste vague sur le nœud du problème, si j'ose dire. Ben ça tombe bien, qu'elle me fait, le Professeur Machin-Truc est là, et il n'y a personne. On aurait dit qu'ils m'attendaient (j'ai même eu l'idée, comme ça, en passant, que c'était ma Josepha qui avait tout combiné) : même pas eu le temps d'aller dans la salle d'attente réfléchir à la manière de présenter le problème. De toute manière, présenter le problème n'en a pas été un. À peine j'avais évoqué la déviation de la voie-rapide, Machin-Truc, qui jusque là était resté plutôt terne, a eu le regard qui s'éclairait très nettement. Il avait la voix pâteuse mais des yeux comme les pointes des nichons d'une strip-teaseuse CGT. J'ai cru qu'il allait me faire une attaque, ce con. J'ai commencé à me sentir assez mal, surtout quand il m'a expliqué dans quelles atroces souffrances j'allais mourir bientôt, en plein milieu d'une érection post-historique. Le salaud, il me tenait, et j'ai vu tout de suite qu'il était pas décidé à me lâcher de sitôt, quand j'ai émis timidement l'idée que je devrais peut-être en parler d'abord un peu à ma femme avant de prendre une décision. Mais vous êtes fou, qu'il me fait, y'a urgence, mon petit monsieur ! Bref, j'ai été lâche, ou très courageux, je ne sais pas, et je me suis dit, allez, autant se débarrasser tout de suite de la chose. En fait j'avais peur de ne pas oser revenir, si je reculais devant l'obstacle. Machin-Truc, lui, il avait déjà sorti la seringue, sentant qu'il ne fallait pas trop me laisser réfléchir. Bon. C'est parti mon kiki. Et c'était le cas de le dire ! Quand j'ai compris qu'il allait piquer directement dans ma bite, celle-ci a opéré un habile mouvement de replis-camouflage, comme on apprend dans les écoles de guerre. Mais on ne la lui faisait pas, à Machin-Truc, il ne s'est pas troublé et il a commencé à aspirer un produit avec une munificence qui m'a semblé déraisonnable. Vous croyez que ça va rentrer ? Mais oui, mais oui, ne vous en faites pas. Les corps caverneux vont absorber tout ça les doigts dans le nez ! Bigre. Je pensais ne plus jamais pouvoir débander, avec tout ce qu'il allait me mettre dans la réserve ! Il a piqué comme s'il s'entraînait sur une éponge synthétique, avec la même absence complète de considération. J'étais humilié mais en plus ça faisait un mal de chien, cette saloperie… 

Quand je suis sorti de là, je me prenais pour un héros. Un qu'en a dans le calebute ; et c'était pas faux. Du coup je suis rentré à pied. Ça me laissait le temps de cogiter un peu avant d'expliquer la chose à Josepha. Je me suis même arrêté à la boulangerie pour me payer un mille-feuilles. Il fallait que je me console. Pour répondre à la question que vous ne me posez pas, non, ça ne me gênait pas pour marcher, et j'en étais même surpris, mais bon dieu ce que ça brûlait, son machin ! En passant devant une vitrine, je me suis un peu inspecté, pour voir la transformation. J'étais toujours moustachu et pour le reste il n'y avait rien à signaler. On allait me reconnaître, à la maison. N'empêche, j'étais plus tout à fait le même homme, ça, j'en étais sûr.


(…)