vendredi 4 juillet 2014

Des Claques


Le professeur qui m'a le plus intéressé a été la vieille dame qui m'a donné mes premières leçons. En fait elle n'était plus guère capable d'enseigner, ayant — si je ne m'abuse — quatre-vingt neuf ans. C'était une vieille demoiselle, relativement connue à Lemberg, et qui avait donné des cours à ma grand-mère et à ma mère. Il faut comprendre qu'à cette époque, les institutions sociales n'existaient pas et les personnes âgées pouvaient mourir de faim si personne ne s'occupait d'elles. Toute sa vie, cette femme avait donné des cours dans bon nombre de familles qui continuaient à lui envoyer leurs enfants pour lui assurer de quoi vivre. J'avais alors sept ans — c'était en 1902 ; elle était née en 1815. Elle avait été l'élève d'un fils de Mozart. Mozart avait deux fils ; l'un était négociant et vivait en Italie. L'autre était musicien et vivait à Lemberg. Il donnait des cours de piano et dirigeait des chœurs. Il eut, entre autres élèves, cette femme complètement sclérosée qui fut donc mon premier professeur. Un jour qu'elle voulait m'apprendre la clef de fa, elle dut demander à ma mère, qui m'accompagnait toujours, quelle note se trouvait sur la première ligne de la clef de fa. Elle ne pouvait rien raconter de sérieux sur Mozart ; elle était tout juste capable de me donner des claques. J'ignore si c'est dans la tradition de Mozart !

(…)