lundi 24 mars 2014

Madame Angot, Christine


« Madame Angot ou la Poissarde parvenue » « Les Amours de madame Angot » « Madame Angot dans son ballon » « Encore madame Angot » « Madame Angot dans son grenier » « Madame Angot au Malabar ou la Nouvelle Veuve » « Le Repentir de madame Angot ou le Mariage de Nicolas » « Détail de l'événement arrivé à Madame Angot, en sortant d'une société de Théophilantropes » « La Fille de Madame Angot »

On voit que le sujet est inépuisable et qu'il ne date pas d'aujourd'hui. Mais ce qu'il y a de bien avec Mme Angot, la nôtre, Christine, c'est que, sans même la lire, on sait à peu près tout de la vie littéraire à Paris. Elle était avant hier-soir l'invitée de l'émission de Laurent Ruquier, "On n'est pas couché" et je n'aurais raté ça pour rien au monde. Christine Angot à la télévision, c'est un peu la télévision à la télévision, c'est Paris en bouillon-cube, c'est le Flore intestinal et les Deux Ragots, c'est l'Officiel des spectacles sur le Chemin de Compostelle, c'est le cirque dans le cirque sans l'habileté du jongleur, c'est Charcot ressuscité sur le Mont-chauve, c'est Tartuffe à Tarascon, c'est la farce épaisse qu'on a oubliée sur le feu, bref, c'est ce qu'on appelle je crois un grand moment de télévision. Pierrette Marie-Clotilde Schwartz, dit Christine Angot, est un personnage, singe agonique de la race flétrie, on ne peut pas lui enlever le peu qu'elle possède en propre, et le fait qu'elle ait choisi ce pseudonyme d'Angot nous apparaît comme le clin le plus réjouissant qu'un œil borgne soit en mesure de fabriquer sous la pression de l'histoire abolie en grande pompe.

Parvenir !, voilà le mot d'ordre. On verrait ensuite quoi mettre entre les pages qu'on déploierait à grand bruit d'orgasme à la face des gogos qui ne font jamais défaut quant au zéro, on peut leur faire confiance. Madame Angot de chez Ruquier, c'est un Christ de Castorama. Ma première question sera l'origine de l'écriture. Une barque des ombres taillée dans un bloc de polystyrène et sentant le poisson frais… Un jour je me suis retrouvée en train d'écrire un truc… Un éjaculat sans plaisir… Et à partir de là… Est-ce que c'est l'acte d'écrire qui vous a donné confiance vers une terra incognita ? Un lac de Butagaz dans la culotte d'une sainte… Quand je regarde parler Madame Angot, je vois d'abord des gestes avec les mains, des gestes pointus, les gestes de Pierrette, et la voix de Marie-Clotilde. Il y a tellement de "i" dans ces gestes et dans cette voix, Christine ! Du sommet du crâne aux bouts des orteils, Angot est hérissée de "i". C'est comme le cri de Rascar Capac, dans les "Sept boules de cristal", elle semble toujours traversée d'un court-circuit, elle se tient sur une chaise électrique. C'est sa manière à elle de parvenir : criiiiiiiiiiiiiier ! Elle et Laure Adler font la paire, ce sont les deux rejetons XXL de la Duras, dont le cri continue à jaillir de dessous la terre. C'est pas possiiiiiiiiiiiiiiible !!! qu'elle a l'air de gueuler, la Duras sous terre, c'est pas possible que je sois morte, mais nom de Dieu comment avez-vous pu laisser faire ça ? Alors Angot est venue. Angot a entendu le cri. Angot a décidé de le pousser, de se faire pousser par le cri enterré de la Duras, par la stridence encapsulée qui traverse le marbre : « Ah là là mais c'est bien et tout !… » Marguerite et Laure et Christine, écoutez leurs voix, regardez leurs yeux, voyez leurs mains. Mais t'es sûr mais pourquoi tu dis ça mais où mais montre-moi, quoi, où ça, mais comment, etc. Bon. Tu le répètes encore. Tu crois vraiment. Une page deux pages cinq pages. T'es sûr, etc. Et je sentais en moi. Toute ma vision de ma vie qui allait changer. Vision de la vie… Et voilà. Parvenir ! Vers là. Court-circuit du Butagaz dans la culotte. Elle s'enflamme, Pierrette. Et Marie-Clo fait les gros yeux. Écrivaines elles seront. L'écriture a déboulé comme un ouragan. Pouf Crac Tchack ! Iiiiiiiiiiiiiii avec plein de points d'exclamations. Par centaines, les points d''exclamation. Merde on a bien le droit ! Se dresser à parvenir, parvenir à se dresser : Iiiiiiiiiiiiii !!! Alors Laure elle est là aussi Laure, elle accompagne les écrivaines de sa voix d'outre-tombe, Laure, elle est bien parvenue, elle aussi, Laure, dans le fauteuil, Laure, radio-télé, parvenir, Laure, c'est possiiiiiiiiiiiiible ! Duras ça dure encore, on se branche sur le courant Duras, ça peut parvenir à durer encore, dans le cri crié de la tombe. Des femmes. Vivantes ou mortes, on ne sait plus très bien, on ne voit plus très bien la différence. C'est ça. Ce truc-là est là donc le reste n'existe plus. C'est difficiiiiiiile ! Angot, Christine, c'est le feuilleton de la liiiiiiiitérature : série des Deux Ragots made in Flore. French sociology, atelier-feuilleton. Serial-dealer pour serial-reader de sexe féminin. Ah, ya des hommes qui lisent Angot ? Des psys ? Des pompiers ? Des ministres ? Christine, je la vois assez dans Braquo, la fille aux cheveux gras dans son jean moulant qui fait la tronche. Putain ! Fuck ! En réalité, je suis sûr d'une chose : encore dix ans et la Collection Angot se lira comme on lisait la Collection Arlequin. Sous la plage les pavés et les mégots, et les bouquins de Madame Angot. Sans l'esprit de sérieux, qu'est-ce que cela donnerait ? Pas grand-chose je le crains. La drôlerie, dans ces cas-là, est chose précaire.