mercredi 8 janvier 2014

Le journal des fosses pituitaires


Nica regarde Blanche Neige et les sept Nains sur le magnétoscope Bétamax des cabinets. Elle est branchée de tous les côtés. Pression sanguine, pouls, taux de sodium, saturation sanguine, selle turcique aux rayons X, taux d'azote dans l'oreille interne, mesure ultra-précise de la pousse des ongles des pieds en temps réel, électrocardiogramme, etc. Depuis que nous l'avons transfusée au sang de cheval, elle n'est plus tout à fait la même. Il paraît que c'est normal. N'empêche, je préfère surveiller ça de près. Toutes les onze minutes, très précisément, elle fume une cigarette à l'eucalyptus et lit quelques lignes de Montaigne, ce qui remet les compteurs à zéro.

Pendant ce temps, je prépare un gâteau aux épluchures de pommes en écoutant Laurent Goumarre. Je ne rate jamais la chronique cinéma de Jean-Marc Lalanne. 

Il faudra pourtant que Nica s'interrompe, dans quelques instants, car Jacques Attali vient dîner ce soir à la maison, comme chaque mercredi. Nous avons prévu de parler du spiralisme, mais je suis certain que les agapes commenceront comme toujours avec sa célèbre blague du pantalon à une jambe. Impossible d'y couper, depuis six mois que nous le fréquentons, mais Nica en raffole littéralement. Quand nous sommes à table, tout se passe bien, en général. À l'exception du moment inévitable où elle se met à parler de Richard Millet qu'elle a soi-disant rencontré dans le RER, à Châtelet, à six heures du soir, ce qui a le don de mettre Jacques mal à l'aise, je peux attester de la sérénité parfaite qui émane de son visage quand elle porte à la bouche un morceau de galette de pommes de terre encore fumante. Je regarde Jacques Attali qui regarde Nica, et c'est dans des moments comme ceux-là que je sais que je suis heureux, pleinement heureux. À peine si ce bonheur tranquille est troublé, à intervalles réguliers, par les bips monotones de l'appareillage médical qui se trouve dans le couloir. 

J'aime bien Nica mais elle m'exaspère quand elle se croit obligée de porter la kipa à table. La prochaine fois qu'Attali viendra dîner, je dirai le bénédicité au début du repas, ça me défoulera.

(Ce billet est dédié aux blondes qui regardent Homeland)