Albert Duspasme allume son unité centrale. Il tape sur son clavier et manipule sa souris. Il clique, il navigue, il googlise, il imprime, il crée des documents, il ouvre des documents, il enregistre des documents, il remplit des cases, il réalise des tableaux, il remplit des champs (il appelle ça les "renseigner"), il envoie des messages, des mails, des i-messages, il fait suivre des mails, il joint des PDF, ou des images, il nettoie sa messagerie, il jette ses spams, il attend, il entre des codes, il attend, il utilise la calculette, il attend, il compare des produits, des articles, des biens, il valide, il attend, il nettoie son écran, il souffle sur son clavier, il envoie un dernier message, puis il éteint son unité centrale.
Il va se servir une tasse de thé, regarde par la fenêtre, se gratte le sourcil droit, essuie ses lunettes, met la radio, puis l'éteint, retourne s'asseoir devant son ordinateur (il l'appelle son "ordi") et rallume son unité centrale. « J'aurais pas dû l'éteindre ! » pense-t-il.
Il réfléchit, la souris dans la main droite. "Farde", est-ce français ? Est-ce très français, trop français, ou au contraire pas français du tout ? Il se rend sur le dictionnaire en ligne. Il jette un coup d'œil aux sept volumes du Grand Dictionnaire de la langue française, sur les étagères. Il lit les quelques lignes, sur l'écran, se dit : « Tiens tiens ! », puis referme la page, enfin, "la page", je me comprends. Il réfléchit encore un peu. Il pense à la différence entre une Centrale et une Maison d'arrêt.
Il pose le doigt sur le bouton marche/arrêt de l'unité centrale, sans l'actionner. Quel fardeau, la vie !
Demain est un autre jour.
(En hommage à Quentin Dolet)