lundi 6 janvier 2014

Le Mouchoir blanc



« Marche sur la pointe des pieds, ne fais pas de bruit, ne tiens pas de place.
    Garde-toi d'éveiller ton prochain qui dort. »

Marie Noël, toujours près de moi depuis que je la connais. Je ne peux pas écouter Schumann sans penser à son mouchoir blanc, au Rhin glacé, aux Chants de l'Aube, et à cette variation terrifiante sur le thème de l'Allegretto de la Septième de Beethoven. On dirait qu'il tire des fils, les derniers fils qui le rattachent à la vie. Il est en train de se noyer, et il lance ces fils, qui se défont les uns après les autres, qui lâchent, qui se rompent, les uns après les autres, immanquablement. Et Robert reste seul, dans l'eau glacée. Il rit quand il voit que ses propres larmes se confondent avec l'eau du fleuve. Il rit jusqu'à manquer de souffle, et puis se met à hurler, comme seul le diable sait hurler. Il appelle Clara, en vain, puis il comprend qu'il doit se taire à jamais. 

Ils dorment tous. Il ne faut pas les réveiller, et encore moins les éveiller. « Tant de labeur, à quoi bon ? Sans fruit que de faire durer et s'étendre à l'infini la ville enchaînée. » Toute la Joie est étouffée. Je savais que ce moment arriverait, dès mes dix ans. Je me revois à Paris, devant le Théâtre des Champs-Élysées, un soir d'hiver, de l'autre côté de la rue, je devais avoir vingt ans… Un sentiment de terreur, d'effroi absolu. Seul dans la nuit, j'ai su alors que je le resterai, à moins de sombrer dans la folie.