samedi 18 janvier 2014

Monte le son, Nicole, la Milice arrive !



Il ne faut jamais oublier que la première méga-fête de l'ère hyperfestive à être pérennisée a été la "Fête de la musique", inventée par Jack le Maudit Lang, le criminel en phonie des origines, celui par qui tout a commencé. Depuis, le vacarme est toujours parmi nous, increvable, tentaculaire, spectral, ignoble. Un Dr Freud aujourd'hui écrirait la Science des raves1 et Malaise dans le Festif, et s'intéresserait en tout premier lieu aux tympans de ses contemporains. Woodstock a fait pas mal de boucan aussi, mais Woodstock était sans doute une des dernières fêtes réelles : la Fête de la musique a empêché à tout jamais des Woodstock de se produire à nouveau. La Fête de la musique, la Techno-Parade, la Love Parade, la Gay Pride, les raves géantes, si l'on additionne tous les décibels de ce Tapage planétaire qui ne cesse plus depuis que Jack l'Éventreur du silence a percé le premier tympan, on efface du même coup toute possibilité de musique, en plus de saccager la paix et la tranquillité. Si tu ne vas pas au Boucan, le Boucan ira-t-à toi, c'est la Loi du Boucan-Roi, enfant-monstre qui refuse de laisser quiconque sur le bord du vestibule. Tous à l'assaut de la cochlée, tel est le mot d'ordre du vacarmiste de base. C'est la farce tranquille à 340 mètres à la seconde. Jack Lang escaladant Solutré n'était qu'une répétition de Jack Monte-le-Son Lang escaladant le trône de la Cochlée absolue, installé en monarque au centre du labyrinthe membraneux.

Je vous le dis : on n'a pas su lire le Livre ! Depuis toujours, les hommes ont peur qu'on les déloge de leur terre. Depuis les origines ils guettent la propriété des Noé, se tiennent prêts à monter dans l'arche, de force s'il le faut, avec Sem, Cham et Japhet, les couples d'animaux et des sardines en boîtes. Depuis la Genèse les plus attentifs scrutent le ciel et sondent les nuages. Mais personne n'a vu venir l'Événement. La Chose s'est présentée à nous sans que personne ne la reconnaisse ! C'est toujours comme ça : on attend Pierre et c'est Fatima qui déboule. On vote pour un président de la République et on a François Hollande. Le Réel surprend toujours, c'est même à ça qu'on le reconnaît. Le Déluge n'est pas arrivé sous forme de torrent liquide mais de cataractes sonores, de bruit, de vibrations, de décibels hurlants ; il n'a pas duré quarante jours mais il dure depuis quarante ans. Le pire de tout est qu'en emmerdant tout le monde il n'emporte personne, qu'il ne nettoie pas la Terre des humains, qu'il ne fait pas place nette pour une humanité meilleure, mais qu'il se surajoute à l'enfer quotidien, qu'il l'aggrave, qu'il salit tout, qu'il abrutit tout ce qui a ouïe, qu'il saccage tout mais laisse les choses telles qu'elles semblent avoir toujours été. En apparence, rien n'a changé, en réalité, tout est dévasté. Vous vous croyez au sec, à l'abri ? C'est que vous êtes (déjà) sourds. Jack the Peace Killer a ouvert grand les vannes en tirant la langue à l'envers, il a libéré les Watts de la Centrale, il a laissé s'échapper les Décibels fous de leurs chambres capitonnées, il a invité le Déluge à prendre la Cité à revers, le Déluge déguisé en Mère Delanoël noyant les Festiviens extatiques sous des tonnes de sables éprouvants. La Culture et le Vivre-ensemble font pourtant un boucan épouvantable, ces deux mamelles — bonnets H — de la grande Nuit blanche à perpétuité, ça devrait suffire à nous en tenir éloignés, surtout quand on prend conscience de l'identité des deux grands prêtres, Jack et Bertrand, Langue et De La Noé, tout un programme qui sent le coup fourré à plein naseau.

L'affaire était prévue de longue date. Mais qui embarquera dans l'Arche ? Certainement pas tous les pauvres peigne-culs qui se seront trémoussés d'aise pendant que les sordides capitaines auront pris grand soin de souscrire à toutes les garanties prévues dans le contrat qu'ils auront eux-mêmes rédigé, la première d'entre elles étant d'être peu nombreux et débarrassés des possédés (à tous les sens du terme) en troupeau tapant sur leurs casseroles électroniques. Chacun sa direction, chacun son naufrage, mais le Grand Tapage est pour les gogos enfermés dans le labyrinthe, qui en redemandent comme les cocus bénévoles qu'ils sont.

C'est un fait : Paris a cédé depuis longtemps, et toutes les villes de France à la suite, sous les coups de boutoirs des butors sonores libérés, encouragés, subventionnés, sacralisés, les intouchables et fiers tapagistes sur leurs trente-tonnes d'imbécilité décomplexée et braillante, mais on voudrait pouvoir croire qu'il reste ce qu'on nommait autrefois "la campagne", c'est-à-dire ce luxe spatial et auditif qui échappait il y a peu encore à l'incendie sonore qui brûle comme un acide, comme une stupidité en tonnerre, qui se répand dans le moindre interstice viable, serein, paisible, avec la méchanceté débonnaire du dément officiel et sûr de son bon droit qui écrase tout sur son passage, en commençant par son ennemi irréductible : le silence. Tu parles ! La campagne, comme Paris, a disparu corps et biens ; surtout bien. Jack & Bertrand, le Vaisseau Entreprise, s'exporte et de délocalise tant qu'il peut. La maison-mère rafle la mise, inonde le marché, entre en bourse, déferle sur la province, chacun et chacune aura droit à son Déluge personnalisé, chaque village à sa fête vociférante, faites-leur confiance pour n'épargner personne. Ils ont droit à toutes les ressources disponibles. Les ministères de la Santé, de la Culture, du Développement durable, des Finances, des Affaires extérieures, de la Fierté inaliénable, et surtout de l'Intérieur (bientôt renommé ministère de la Fête), leur sont assujettis et se soumettent avec enthousiasme à leurs prescriptions imprescriptibles et prospectives. Les hommes du monde ancien croyaient que le feu et l'eau étaient les éléments purificateurs par excellence, mais c'est seulement parce que leur piètre foi en l'avenir et la technologie les avait prévenus à tort contre le tintamarre diurne et le raffut nocturne unis par les liens sacrés du Tapage qui ne se couche jamais, et surtout pas devant le Sens. Depuis que le Moderne a découvert les délices du tohu-bohu qui rend sourd et qu'on peut produire d'un simple geste sur un bouton, il n'en veut plus d'autres. Des vaches rendues sourdes, des bêtes terrorisées, rendues folles par le boucan fait par des pantins désarticulés gesticulant trois jours durant dans la Creuse ? Mais quel pied ! Comment ont fait nos pauvres aïeux pour vivre sans ? On les plaint. Non seulement ils étaient homophobes, réactionnaires, racistes, xénophobes, vichystes, nationaux, frileux, repliés sur eux-mêmes, inégalitaires, clients de prostituées, colonialistes, va-t-en guerre, mais en plus ils avaient la prétention de priver le monde du bienfaisant vacarme pour tous qui fait tomber toutes les murailles ! C'est à n'y pas croire !


(1) Philippe Muray