vendredi 7 septembre 2012

Dissidence


Entretien avec Renaud Camus : Contre l'industrie de l'hébétude 

 Vous avez consacré le premier numéro des Cahiers de l'In-nocence à la dissidence. Comment envisagez-vous cette dernière ? 


Comme une espérance dans le lent travail de la vérité, même si ses ouvriers sont peu nombreux. L'antiracisme, depuis qu'il a cessé d'être une morale pour devenir une idéologie et un instrument de pouvoir, ou simplement de carrière, prétend imposer quotidiennement, comme le communisme soviétique, un monde totalement faux, imaginaire, dont tous savent bien qu'il est faux mais dont chacun répète les préceptes par automatisme, par peur, par bêtise ou par désir de complaire à ce que Millet appelle très justement "le parti dévot" et que nous nommons, à l'In-nocence, "le complexe médiatico-politique". Le pari des dissidents est que ce monde faux s'effondrera d'un coup, comme le soviétisme, quand céderont ses ultimes et très minces attaches avec le réel. 

 Quels sont les points de rencontre entre ces deux formes de communisme, le communisme historique du XXe siècle et cet autre communisme qu'est, selon Alain Finkielkraut, l'antiracisme ? Visent-ils tous deux à la promotion d'un prolétaire universel ? 


 Certainement. La prolétarisation du monde, des façons de se vêtir, des manières de table, de la langue, de la ville, de la gestion du territoire, est aussi sensible que son réensauvagement. Ce que promeut le parti dévot, c'est ce que j'ai nommé, dans une conférence récente devant France-Israël, et par référence aux travaux de Robert Redeker, "l'Homme remplaçable" : déculturé, décivilisé, déraciné, dénationalisé, échangeable à merci. Le taylorisme a commencé par changer les pièces, puis il en est venu à changer les objets eux-mêmes (qu'on ne répare plus), puis les parties du corps humain (Redeker toujours), puis les hommes et à présent les peuples. C'est toujours Bertolt Brecht, mais plus pour rire, et théorisé très sérieusement par Terra Nova : si vous n'êtes pas content du peuple, changez-en (surtout si le nouveau vote pour vous - dans un premier temps). 

 En quoi ces trois choses, la grande déculturation, la décivilisation et le grand remplacement, sont-elles liées ? 


 Elles sont étroitement liées mais de façon cyclique, les effets devenant à leur tour des causes, pour une accélération de l'Histoire qui mène au réensauvagement de l'espèce, très perceptible dans la brutalité sans cesse accrue des rapports sociaux, que ce soit au sein de l'entreprise ou dans l'espace public. Un peuple qui connaît ses classiques ne se laisse pas mener sans rechigner dans les poubelles de l'Histoire. La grande déculturation, l'effondrement du système de transmission, l'enseignement de l'oubli, l'industrie de l'hébétude, que ce soit sous la forme du divertissement de masse ou celle de l'économie parallèle, sont indispensables au changement de peuple, au grand remplacement : un peuple non hébété n'y consentirait jamais. Mais le changement de peuple, à son tour, multiplie les difficultés du système scolaire ou le dynamisme de l'économie parallèle : ainsi le trafic de la drogue, élément capital du développement de l'hébétude (presque au même titre que l'école), est à peu près entièrement entre les mains du nouveau peuple. Ceci et cela entraînent un changement de sens de la décivilisation en cours. Il ne s'agit plus seulement de sortir de la civilisation française (et européenne) - c'est déjà largement accompli - , il s'agit de sortir de la civilisation tout court, du contrat social, de ce que j'appelle le pacte d'in-nocence, de non-nuisance : la renonciation réciproque à la violence, petite ou grande. Face à l'effondrement des instances régulatrices (l'État, la syntaxe, la forme, la honte, le "moins pour le plus"), l'homme redevient un loup pour l'homme. 

Vous reconnaissez-vous dans une expression telle que « le choc des civilisations » ? Si oui, l’immigration de masse est-elle la forme qu’un tel choc pourrait prendre dans le futur ?

Oui, à condition de bien comprendre que le choc des civilisations, dans l’esprit de Huntington, c’était ce qu’il s’agissait d’éviter à tout prix, par de sages précautions. Je dois dire que je ne cesse d’être impressionné par la pertinence de ses analyses, y compris sur les points où je ne partageais pas ses sentiments. Par exemple je crois très fort que la Grèce est indispensable à l’Europe mais ce que Huntington a écrit sur ce pays et sur ses rapports avec l’Europe occidentale prend un relief saisissant quant on le relit à la lumière des événements récents.

Y a-t-il un génie des peuples, et plus spécialement un génie français ? Et si oui, en quoi consistent-ils les uns et les autres ? Et en quoi sont-ils menacés ?

Il y avait des caractères propres à chaque communauté ethnique ou culturelle, qui se manifestaient dans des formes de toit, de fenêtre ou d’arcades sourcilières, dans des répartitions de l’ombre et de la lumière à l’intérieur des tableaux, des timbres et des nuances chromatiques au sein de la musique instrumentale, des galbes de meubles, des expressions du visage, des lignes de fuite au sein des jardins, des prééminences de saveur dans la cuisine, des façons d’être de bouleaux, de chênes, de chiens, de pivoines, de ruisseaux, de jeunes filles. Stendhal, quand il voyage dans le Midi, prend soin de décrire le type physique des femmes de chaque ville — pas le costume, non : la bouche, le nez, les yeux. « Le divers décroît » constatait déjà Segalen. L’humour noir du sort veut qu’il décroisse au nom même, menteur, comme tout le reste, de la sacro-sainte “diversité”, de même que le triomphe du même a pour meilleur fourrier, par un apparent paradoxe, le culte officiel et obligatoire de l’“autre”. Plus il y a d’“autre(s)”, c’est curieux, moins il y a d’altérité dans le monde, dans la cité, dans la vie de l’esprit et dans l’être. Quant à la “diversité”, désormais quatrième mousquetaire de la devise républicaine, elle semble, à en juger par ses conséquences sur l’ordre public et l’harmonie sociale, le nom générique des faits-divers. Bien que les “divers” ne soient pas seuls à les alimenter on est parfois tenté, tant leur place y est éminente, d’appeler fait-diversité la chronique de la nocence, les annales de l'“insécurité” — à moins qu’il ne faille parler de la mauvaise fée Diversité, inspiratrice des méfaits de tant de ses “issus”…

Que répondez-vous à vos détracteurs qui vous présentent comme « raciste » ?

Rien du tout. On ne discute pas avec le parti dévot. Comme il ne se conçoit pas d’extérieur, sauf en enfer, ses adversaires sont des maudits et il n’a à la bouche que la malédiction. La réalité est pour lui ce sein qu’on ne saurait voir. Il ne faut pas entrer dans son délire, même pour le contredire.

Un écrivain fait-il de la politique par désespoir ou pour ne pas désespérer ?

Un écrivain fait de la politique par rigueur syntaxique.


(Propos recueillis par François Bousquet pour Valeurs actuelles)