mercredi 5 septembre 2012

Con














Durant toute la première partie, on s'est tenu tranquille, parfaitement silencieux, et n'émettant que le minimum de signes. On est resté assis, le dos droit, le visage indéchiffrable, sans même les regarder dans les yeux. 

On nous a prêté des pensées, des idées, des projets, que nous n'avions pas le moins du monde, qui jamais ne nous étaient venus à l'esprit. On nous a trouvé intelligent. Mais peut-être dangereux.

Alors on s'est mis à parler. Il le fallait bien, pour dissiper tous ces malentendus, pour éviter qu'on nous prenne pour un autre, pour ramener les choses à leur juste place.

Mais ce fut pire. Plus on tentait de préciser les choses, plus on voulait cerner les problèmes, délimiter les  différentes questions qui se posaient, les classer, les hiérarchiser, les ordonner, plus on désirait réfuter les assertions qui n'avaient aucun rapport avec nous, avec notre manière de voir, avec notre personnalité, avec notre sensibilité, avec notre histoire personnelle, et moins on parvenait à se faire comprendre, plus nos interlocuteurs semblaient se complaire dans le contresens le plus manifeste sans qu'il soit possible de se faire entendre. On fut même accusé de bêtise. Et de mauvaise foi. 

Alors on s'est dit qu'il fallait écrire, qu'il fallait mettre ses idées noir sur blanc, qu'il convenait de leur donner un relief et une direction qui s'imposeraient à tous, on a voulu donner à celles-là une forme en rapport avec leur propos, les purifier des scories inévitables de la conversation, leur éviter les chemins de traverse qui s'ouvrent quoi qu'on fasse et malgré nous dans une discussion. On a soigné les thèmes, on a prêté attention aux transitions, on a travaillé d'arrache-pied au développement, et à la conclusion, mais sans négliger pour autant l'introduction, on est revenu plusieurs fois à la coda, qui nous paraissait trop abrupte, puis trop molle, puis inutile, on a supprimé beaucoup d'inutiles incises annexes, on a resserré le propos, on a essayé de donner à l'ensemble un aspect fluide mais pas lâche, décontracté mais pas déboutonné, on a cherché la clarté, la clarté française, mais également la profondeur, la profondeur allemande. On ne voulait tomber ni d'un côté ni de l'autre, on voulait trouver un équilibre, une forme de sagesse, de prudence mais aussi de hardiesse, on voulait donner l'impression d'une pensée calme, sereine, tranquille, mais tout de même élancée, vigoureuse. Il fallait mettre toutes les chances de notre côté, car l'important était de se faire comprendre, de se faire bien comprendre, de mettre les points sur les "i". Il fallait avancer jusqu'à ce territoire où les esprits se rencontrent, où la paix et la concorde règnent, car il ne peut en être autrement, dès lors que les humains s'entendent, s'écoutent et se comprennent. 

C'est à ce moment-là que la guerre a commencé.