lundi 21 avril 2014

Juan


— Vous connaissiez Juan ?
— Je ne crois pas, non, qui est-ce ?
— Mais si vous le connaissiez, bien sûr !
— Enfin, peut-être, mais je ne me rappelle plus.
— Peut-être n'avez-vous pas envie de vous en souvenir…
— Mais c'est absurde, voyons ! Pourquoi ne voudrais-je pas m'en souvenir ?
— C'est toujours comme ça, à propos de Juan.
— C'était quelqu'un de dangereux.
— Mais non, simplement il avait peur.
— Mais peur de quoi ?
— Oh, je ne sais pas. On parle d'un secret…
— Vous parlez de cet enregistrement ?
— Oui, c'est ça, une bande magnétique.
— Vous lui en voulez ?
— Non, non, je le plains.
— L'année dernière, il vivait déjà avec Terry ?
— Je ne crois pas. Mais maintenant il est en danger.
— Mais puisqu'il est mort ?
— Pardon, je ne parle pas de Juan, je parle de Philippe.
— Juan le savait, il est mort.
— Savait quoi ?
— Et Gérard, il est au courant ?
— Pas encore, mais il pourrait bien l'apprendre.
— Par Terry ?
— Je crois.
— Dites-le à Gérard, mettez-le en garde !
— Il ne me croirait pas…
— Mais de quoi était-il question ?
— On parle de choses effroyables !
— Il vaut mieux oublier tout ça.
— Non, ce n'est pas possible d'oublier, c'est impossible.
— Vous êtes sûre qu'il ne s'est pas…
— Qu'il ne s'est pas moqué de moi ? Je ne peux pas le croire… Vous non plus vous ne me croyez pas.
— Philippe pourrait sans doute vous renseigner.
— Écoutez, je n'ai vu Juan qu'une ou deux fois. Mais Terry n'était pas la seule à le connaître, il avait des amis, il connaissait des gens, il faudrait les retrouver, les interroger, leur demander ce qu'il faisait dans les derniers jours.
— Je ne sais plus quoi faire.
— Le club des cœurs brisés… Ça s'arrangera !
— Vous avez du feu ?
— Que penseriez-vous si je vous disais que vous êtes en danger ?
— À cause de moi ?
— Oui, à cause d'elle.
— Tu as entendu, Terry ?
— Oui, j'ai entendu.
— Et ça ne te fait pas rire ?
— Mais non. Pas du tout ! Je trouve ça plutôt flatteur.
— Il ne parlait pas pour qu'on le comprenne…
— Oui, nous n'avions qu'à nous estimer heureux quand il était là !
— Il nous a laissé tomber plusieurs fois !
— Mais il est toujours revenu.
— C'est vrai, toujours, sauf…
— Quelle genre de fille est Terry ?
— Mais regardez-là.
— Très belle, très dure.
— Pour moi c'est elle qui l'a détraqué.
— Ça n'a pas dû être joli…
— On ne pouvait plus rien dire, rien faire, on ne savait jamais comment il le prendrait.
— Et Philippe ?
— Oh… Philippe…
— Je n'ai jamais voulu m'occuper de ces histoires, ni savoir… Des complots, des secrets…
— La Révolution
— "Vendu, fini, pourri" c'était ses mots.
— On n'osait plus le questionner.
— Mais cet enregistrement… Quelqu'un doit bien le posséder ?
— Maintenant, oui, ça me revient. Juan, oui, c'est ça…
— Mais si Philippe ne sait pas…
— Il sait forcément.
— Qu'est-ce que c'est ?
— On vous l'a dit : une bande de magnétophone.
— Vous vous rappelez certainement : à qui l'aurait-il confiée ?
— Non, vraiment, non, je ne vois pas.
— Il y a bien le Docteur…
— Oui, il admirait beaucoup Juan. Il le protégeait, même.
— En fait, c'est surtout Terry qui l'intéressait.
— Vous avez connu Juan ?
— Non. Justement, je voulais vous demander…
— Un curieux spécimen d'une race en voie de disparition. Les individualistes forcenés, ces gens qui veulent tout détruire et qui se détruisent d'abord eux-mêmes, par une sorte de fatalité biologique. Juan m'a beaucoup déçu, beaucoup… J'adore la musique ! Un instant, j'avais fondé de grands espoirs sur lui,  mais vite déçus : trop subjectif. Beaucoup trop ! Il était de ces gens qui croient qu'il suffit de se jeter en avant pour résoudre tous les problèmes. 
— Sans calcul ?
— Voilà, sans calcul. Et pourtant, le calcul… C'est fou tout ce qu'on peut faire avec quelques chiffres sur un tableau noir.