Il était cinq heures et demie quand je suis rentré du travail. En ouvrant la porte de l'appartement, j'ai senti une odeur inhabituelle. J'ai accroché ma veste à la patère de l'entrée, posé mon attaché case à terre et me suis dirigé vers la cuisine pour me servir un rafraichissement. Il y avait de la musique. J'ai reconnu Will You Still Be Mine ?, de Miles Davis, avec Oscar Pettiford, Red Garland et Philly Joe Jones. Ma femme aimait presque autant le jazz que moi, et tout particulièrement cette époque du milieu des années 50. Il faisait chaud, ce mardi soir. J'ai ouvert la porte-fenêtre de la cuisine qui donne sur le balcon, mon verre à la main, et j'ai contemplé le paysage, accoudé à la rambarde. Je n'étais pas très pressé de retrouver Cindy, puisque nous nous étions encore engueulés assez sévèrement ce matin. Elle savait que j'étais rentré, je n'avais aucun doute là-dessus, mais je faisais durer le suspense, et j'étais sûr qu'elle faisait de même. Ce serait à qui ferait le premier pas, comme d'habitude. Dans le court laps de temps qui séparait Will You Still Be Mine ? de I See Your Face Before Me, l'odeur que j'avais sentie en entrant dans l'appartement me revint aux narines et je la trouvai étrange et légèrement écœurante. Je n'avais que quelques pas à faire sur la droite pour apercevoir le salon par la baie vitrée, ouverte elle aussi, à en croire le son de la musique qui me parvenait sur le balcon — ce que je fis.
Cindy était nue et recouverte de ses organes sanguinolents jusque sur le visage. Elle avait le ventre ouvert et une chaussure (verte) pendait à l'un de ses pieds (elle avait la jambe gauche posée sur la table basse dans une position étrange, naturelle si l'on veut, mais qui ne lui ressemblait pas). L'odeur que j'avais sentie était l'odeur du sang, du sang et de la merde, je le comprenais maintenant. Je fixai son corps quelques secondes, mon verre la main. Ce n'était pas beau à voir. Je fis quelques pas pour entrer dans le salon, posai mon verre sur la table basse et mis en route le grand ventilateur que nous avions acheté quelques jours plus tôt, espérant dissiper un peu l'odeur. J'allumai une cigarette et détournai mon regard du corps de Cindy. Je vis qu'il y avait du sang un peu partout, qu'un verre était brisé et que le tiroir aux CD était ouvert. Je repris mon verre sur la table basse et retournai sur le balcon. Pas beau à voir, non. Quand j'eus finis ma cigarette, je me rendis dans la chambre et m'allongeai sur le grand lit blanc cassé. Je pouvais entendre Night In Tunisia. Je pensais aux billets d'avion pour l'Île Maurice que j'avais achetés vendredi dernier. Allais-je pouvoir me les faire rembourser ? Rien n'était moins sûr. Je décidai de prendre une douche et de sortir acheter des sushis, car connaissant Cindy, j'étais certain qu'elle n'avait rien prévu pour le dîner. J'avais du travail, un travail urgent pour le boulot, et je ne pouvais pas me permettre de prendre du retard. J'irai voir la police demain matin, ou à l'heure du déjeuner. De toute façon, personne ne pouvait plus rien pour elle, il fallait raison garder. Le lecteur de CD jouait There Is No Greater Love.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire