mardi 29 juillet 2025

Madame X

 


Martine Caduc est pharmacienne, petite et brune. Elle voulait être doctoresse, mais elle a rapidement compris que la pharmacie était plus lucrative que la médecine généraliste, et que le travail était beaucoup moins fatigant. Comme elle a toujours absorbé beaucoup de pilules, elle possède une sorte de compétence naturelle très appréciée des clients. Elle connaît sur le bout des doigts tous les médicaments courants et tous les compléments alimentaires à la mode, mais aussi les bonbons pour la gorge, les diverses vitamines et les principales huiles essentielles. Il n'y a guère que les préservatifs qu'elle n'essaie pas elle-même, mais il lui arrive d'en offrir aux amis volages de son mari qui peuvent ainsi lui détailler leur ressenti. Martine Caduc est une sorte de testeuse-née dans le domaine médical et paramédical, et comme elle a une bonne mémoire, ses conseils sont recherchés par la clientèle. D'ailleurs les visiteurs médicaux l'adorent. Elle roule en Tesla blanche et fait ses courses aux Halles Bio où elle a vite été reconnue comme une figure dynamique et chaleureuse de femme moderne et libérale, précise, rapide et attentive aux autres. Il est à noter qu'elle s'est donnée sans compter durant la terrible période du Covid pour vacciner jusque tard le soir les vieux et les moins vieux, du moins ceux qui étaient conscients du terrible danger qu'ils faisaient courir aux forces vives du village. Tout le monde a été responsable et solidaire, mais Martine Caduc a joué sa partition avec une maestria impeccable qui a achevé de la rendre incontournable au sein de l'Agglo. 

Adrien Declavart est son associé. Il a fait sa thèse sur les benzodiazépines et les benzo-like. Tous les deux, ils ont repris l'antique officine exiguë de Mme Guermantine, qu'ils ont agrandie, pour finalement faire construire une immense pharmacie ultra-moderne dans les locaux désaffectés de la vieille cave coopérative revue et corrigée pour en faire un centre médical adapté aux besoins de la population. Ils ont engagé cinq préparatrices mais ils ont gardé Mme X, que je connais depuis longtemps. Il est agréable d'être appelé par son nom, quand on va chercher des somnifères, des antalgiques ou des bêta-bloquants, et plus encore de constater qu'au moins une personne sur terre est au courant de nos malheurs. J'aime répondre aux questions de Mme X et elle s'arrange presque toujours pour me servir. Je me souviens avec émotion du temps où elle me regardait avec un mélange d'étonnement et d'attirance que j'oserais qualifier de sexuelle, ou peut-être sentimentale, allez savoir, mais cette époque est révolue. Elle a aujourd'hui le cheveu gris et court, a pris quinze kilos, et moi je ne suis plus en état de jouer au joli cœur, bien que mon poids ait connu une évolution inverse du sien depuis que mon épouse m'a abandonné pour aller folâtrer avec un écrivain maudit. 

Le soir du drame, j'avais très envie de rester tranquillement chez moi, devant ma série préférée, mais l'invitation qui m'avait été lancée par Monsieur le maire était trop personnalisée et insistante pour que j'aie le front de l'ignorer, et je n'ai pas voulu mentir et inventer une maladie diplomatique. Je me suis donc mis sur mon trente-et-un et me suis rendu à la salle polyvalente où se donnait un bal (je ne suis pas sûr que le mot convienne bien, mais j'ignore le terme juste) qu'animait un groupe de jeunes musiciens du pays. À peine arrivé sur les lieux, je remarquai que Mme X avait “mis le paquet”, comme aime dire Eulalie, ma femme de ménage. On la reconnaissait à peine tellement sa toilette et son maquillage étaient exubérants et peu accordés à sa maturité rondelette. L'ayant aperçue de loin, je restai sagement à ma place, entouré des anciens, comme on dit, et m'amusais un peu, je l'avoue, de la voir se trémousser comme si elle avait vingt ans. Persuadé qu'elle ne m'accorderait pas un regard, je fus très étonné quand elle vint m'inviter à danser ; encore plus quand elle m'appela par mon prénom, ce qui me mit dans une fâcheuse posture, puisque je ne connaissais ni son nom ni son prénom, du moins c'est ce que je croyais. Je tentais de lui expliquer que je ne savais pas danser, ce qui était l'exacte vérité, et qu'elle serait bien mieux accompagnée des élégants qui se pressaient autour de nous. Mais elle me fit comprendre qu'il ne me revenait pas de choisir et nous nous frayâmes un chemin entre les couples. J'étais très loin de deviner ce qui l'animait, comme je l'apprendrai peu de temps après. 

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