lundi 28 juillet 2025

Pause

 


Gérard Dores écoutait l'andantino de la vingtième sonate de Schubert en buvant un lait-orgeat, dans son fauteuil club de cuir rouge, quand elle vint se poster devant lui à poil. Comme il ne réagissait pas, elle s'assit dans le fauteuil qui lui faisait face et écarta les jambes. 

On était dans le grand crescendo central, avant les cascades de gammes descendantes. Jessica choisissait toujours mal son moment. Cela, il l'avait remarqué dès le départ. À quoi bon s'en offusquer, se dit-il, mais il avait perdu le fil, et ça le contraria. Il attrapa la télécommande et mit sur pause. Elle esquissa un geste pour se lever, tout sourire, mais il l'ignora en lui indiquant d'un geste de se rasseoir et se dirigea vers la cuisine. Il revint très vite et plongea le couteau à pain dans la nuque de Jessica, ce qui ne fut pas aussi simple qu'il le pensait (les vertèbres, sans doute). Comme il voyait bien qu'il avait légèrement raté son coup, il changea de stratégie et lui trancha la gorge. 

Il y eut beaucoup de sang, ce qui ajouta à sa contrariété. Il faudrait sûrement racheter un fauteuil. Il se rassit et reprit là où il avait interrompu le piano. Il pensa que les CD avaient un avantage énorme sur les disques noirs. On pouvait arrêter la musique et reprendre à l'endroit précis de l'interruption. La technologie avait du bon. Il alla jusqu'à la fin du mouvement, puis il arrêta à nouveau la musique car la pensée que le sang allait sécher et devenir plus difficile à nettoyer lui était venue. Il en avait pour une heure, au moins. Il calcula mentalement que cela lui laissait suffisamment de temps avant que Thomas rentre de l'école. Il se mit donc au travail sur le champ en pensant que cette version de Mitsuko Uchida était tout de même étrange. Étrange, oui, mais il n'aurait pas su dire pourquoi. En tout cas, il la préférait à celle de Zimerman, il n'y avait aucun doute là-dessus. 

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