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lundi 25 août 2025

Une chose en entraîne une autre

 

Une chose en entraîne une autre. C'est toujours comme ça que ça se passe pour moi. Elle m'a dit : « Je suis au bout du rouleau. Ça ne peut plus durer. » Mais enfin calme-toi, ce n'est pas si grave ! Elle ouvre des yeux si grands que je suis pris d'un fou rire nerveux. « C'est nerveux », que je dis, mais c'est trop tard, elle a attrapé la carabine et elle me tire dessus à bout portant dans la cuisse. Ça fait très mal. Je dois m'asseoir, sinon je vais tomber. Elle regarde ma cuisse, le sang qui coule, et je vois bien qu'elle se demande quoi faire. Elle ne sait pas : c'est la première fois qu'elle fait une chose pareille. Enfin, c'est ce que je pense. Après tout, je ne la connais que depuis dix ans. Elle est en culotte et soutien-gorge, toute frêle, et elle me dit : « Quelque chose s'est brisé en moi, tu sais. Un ressort s'est cassé. » En fait de ressort, j'aimerais bien qu'elle regarde un peu le mien, car il m'a l'air mal en point. Je dois être pâle, car elle pose la carabine et va chercher du coton et du désinfectant à la salle de bain. Ça me rassure un peu, mais j'ai tout de même très mal. « On ne devrait pas appeler le Samu ? » Elle hausse les épaules et déchire la jambe de mon pantalon, comme on voit dans les films. « C'est pas un gros calibre, et tu es solide, non ? » Je pense à mon copain Patrick Perrin, sur qui j'avais tiré, à onze ans, à une dizaine de mètres de distance seulement, avec l'arc que venait de m'acheter mon père, un arc vert en fibre de verre, avec des flèches munies d'embouts métalliques pointus. Après m'avoir aspergé de désinfectant et vaguement épongé avec le coton, ça fait un mal de chien, elle va me chercher un verre de whisky et me recommande de le boire cul sec. « T'aurais pu faire ça avant, Carole ! »

« Tu m'as poussée à bout ! Ç'aurait pu être pire, tu sais. » Comme je ne dis rien, elle attrape mon verre et va le remplir à nouveau. Elle est sexy, comme ça, elle a les joues rouges et le regard luisant. Malgré la douleur, je crois que j'ai un commencement d'érection, ce qui ne lui a pas échappé. J'avale la moitié du deuxième verre de whisky et je la regarde en me demandant comment je suis censé réagir. « Tu ne vas pas tourner de l'œil, au moins ? » Elle inspecte ma cuisse et pose sa main gauche sur mon sexe, comme si elle ne voulait pas voir ça. Je suis un peu dans le coaltar et je cherche à me rappeler comment tout cela a commencé. Ce n'est pas très clair. « Je suis au bout du rouleau, ça ne peut plus durer », la phrase de Carole me revient, mais je suis incapable de savoir ce qui a bien pu la mettre dans cet état. « Tout ça c'est de ta faute », qu'elle me fait en caressant un peu ma bite et en me prenant le verre des mains pour le porter à sa bouche. 

C'est ma faute, d'accord, c'est ma faute, c'est le seul point indiscutable de l'incident, nous tombons d'accord là-dessus. Pour le reste, il nous paraît préférable de jeter un voile pudique sur nos désaccords et nous finissons au lit. Carole est déchaînée, je ne l'ai jamais vue aussi obscène, aussi impérieuse, et pour tout dire, aussi amoureuse. Quel dommage que l'artère fémorale ait été touchée et que je me sois vidé de mon sang en quelques minutes. 

lundi 28 juillet 2025

Pause

 


Gérard Dores écoutait l'andantino de la vingtième sonate de Schubert en buvant un lait-orgeat, dans son fauteuil club de cuir rouge, quand elle vint se poster devant lui à poil. Comme il ne réagissait pas, elle s'assit dans le fauteuil qui lui faisait face et écarta les jambes. 

On était dans le grand crescendo central, avant les cascades de gammes descendantes. Jessica choisissait toujours mal son moment. Cela, il l'avait remarqué dès le départ. À quoi bon s'en offusquer, se dit-il, mais il avait perdu le fil, et ça le contraria. Il attrapa la télécommande et mit sur pause. Elle esquissa un geste pour se lever, tout sourire, mais il l'ignora en lui indiquant d'un geste de se rasseoir et se dirigea vers la cuisine. Il revint très vite et plongea le couteau à pain dans la nuque de Jessica, ce qui ne fut pas aussi simple qu'il le pensait (les vertèbres, sans doute). Comme il voyait bien qu'il avait légèrement raté son coup, il changea de stratégie et lui trancha la gorge. 

Il y eut beaucoup de sang, ce qui ajouta à sa contrariété. Il faudrait sûrement racheter un fauteuil. Il se rassit et reprit là où il avait interrompu le piano. Il pensa que les CD avaient un avantage énorme sur les disques noirs. On pouvait arrêter la musique et reprendre à l'endroit précis de l'interruption. La technologie avait du bon. Il alla jusqu'à la fin du mouvement, puis il arrêta à nouveau la musique car la pensée que le sang allait sécher et devenir plus difficile à nettoyer lui était venue. Il en avait pour une heure, au moins. Il calcula mentalement que cela lui laissait suffisamment de temps avant que Thomas rentre de l'école. Il se mit donc au travail sur le champ en pensant que cette version de Mitsuko Uchida était tout de même étrange. Étrange, oui, mais il n'aurait pas su dire pourquoi. En tout cas, il la préférait à celle de Zimerman, il n'y avait aucun doute là-dessus. 

vendredi 25 juillet 2025

Raison garder


 

Il était cinq heures et demie quand je suis rentré du travail. En ouvrant la porte de l'appartement, j'ai senti une odeur inhabituelle. J'ai accroché ma veste à la patère de l'entrée, posé mon attaché case à terre et me suis dirigé vers la cuisine pour me servir un rafraichissement. Il y avait de la musique. J'ai reconnu Will You Still Be Mine ?, de Miles Davis, avec Oscar Pettiford, Red Garland et Philly Joe Jones. Ma femme aimait presque autant le jazz que moi, et tout particulièrement cette époque du milieu des années 50. Il faisait chaud, ce mardi soir. J'ai ouvert la porte-fenêtre de la cuisine qui donne sur le balcon, mon verre à la main, et j'ai contemplé le paysage, accoudé à la rambarde. Je n'étais pas très pressé de retrouver Cindy, puisque nous nous étions encore engueulés assez sévèrement ce matin. Elle savait que j'étais rentré, je n'avais aucun doute là-dessus, mais je faisais durer le suspense, et j'étais sûr qu'elle faisait de même. Ce serait à qui ferait le premier pas, comme d'habitude. Dans le court laps de temps qui séparait Will You Still Be Mine ? de I See Your Face Before Me, l'odeur que j'avais sentie en entrant dans l'appartement me revint aux narines et je la trouvai étrange et légèrement écœurante. Je n'avais que quelques pas à faire sur la droite pour apercevoir le salon par la baie vitrée, ouverte elle aussi, à en croire le son de la musique qui me parvenait sur le balcon — ce que je fis. 

Cindy était nue et recouverte de ses organes sanguinolents jusque sur le visage. Elle avait le ventre ouvert et une chaussure (verte) pendait à l'un de ses pieds (elle avait la jambe gauche posée sur la table basse dans une position étrange, naturelle si l'on veut, mais qui ne lui ressemblait pas). L'odeur que j'avais sentie était l'odeur du sang, du sang et de la merde, je le comprenais maintenant. Je fixai son corps quelques secondes, mon verre la main. Ce n'était pas beau à voir. Je fis quelques pas pour entrer dans le salon, posai mon verre sur la table basse et mis en route le grand ventilateur que nous avions acheté quelques jours plus tôt, espérant dissiper un peu l'odeur. J'allumai une cigarette et détournai mon regard du corps de Cindy. Je vis qu'il y avait du sang un peu partout, qu'un verre était brisé et que le tiroir aux CD était ouvert. Je repris mon verre sur la table basse et retournai sur le balcon. Pas beau à voir, non. Quand j'eus finis ma cigarette, je me rendis dans la chambre et m'allongeai sur le grand lit blanc cassé. Je pouvais entendre Night In Tunisia. Je pensais aux billets d'avion pour l'Île Maurice que j'avais achetés vendredi dernier. Allais-je pouvoir me les faire rembourser ? Rien n'était moins sûr. Je décidai de prendre une douche et de sortir acheter des sushis, car connaissant Cindy, j'étais certain qu'elle n'avait rien prévu pour le dîner. J'avais du travail, un travail urgent pour le boulot, et je ne pouvais pas me permettre de prendre du retard. J'irai voir la police demain matin, ou à l'heure du déjeuner. De toute façon, personne ne pouvait plus rien pour elle, il fallait raison garder. Le lecteur de CD jouait There Is No Greater Love



mercredi 17 mai 2023

Sang neuf [journal]

Je ne sais ce qui s'est passé, dimanche dernier, pour que les visiteurs (lecteurs ?) sur ce blog aient été si nombreux. Plus de cent trente, alors qu'en temps normal, ça doit tourner autour de la vingtaine, ou trentaine. Peut-être ont-ils été attirés par l'odeur de mon suicide (raté, malheureusement) ? Enfin débarrassés de Georges ? Peut-être plus simplement s'ennuyaient-ils plus que d'habitude ? (Faut-il s'ennuyer, tout de même, pour venir sur un blog lire des textes qui n'intéressent personne !) Les émissions religieuses à la télé (ça existe encore, ça ?) ont peut-être été supprimées ce jour-là par un mouvement de grève intempestif ? Ou bien un mouvement souterrain et hystérique de l'IA mondiale qui a piqué une crise de nerfs ? Heureusement, les choses se sont vite calmées. Vingt-quatre visiteurs hier, et deux aujourd'hui. Qu'il est bon de retrouver ses bonnes habitudes !

Quand je dis que j'ai raté ma vie, ce que personne ne comprend, ni ne croit, je suis sincère. Et je ne parle évidemment pas de réussite sociale. C'est à l'aune des femmes que ce ratage se mesure. Est-ce que je peux expliquer ça ? Oui, je crois, mais ce ne sera pas pour ce matin. 

J'ai regardé Koh-Lanta, hier-soir. Tania ne va rien lâcher, elle a la niaque. Elle a de jolies petites fesses, la diététicienne ! Esteban a le visage tout gonflé, il ressemble à un boxeur amoché après un combat. Il pense à ses deux enfants et à sa femme. Les autres aussi, d'ailleurs. Ils pensent tous à leurs petites femmes et à leurs enfants. Cette année, ils sont tous bien élevés, gentils, on ne trouve rien à leur reprocher. Certains sont même sympathiques. La France apaisée, elle se voit à 11 000 kilomètres de chez nous, aux Philippines. Denis-Jusqu'à-tant-que-Brogniart anime Koh Lanta depuis plus de vingt ans. Lui aussi il a la niaque. Moi, ce que je me demande, surtout, c'est comment font les concurrentes pour ne pas avoir de poils sous les bras. C'est louche.

Julia L.B. n'aime pas qu'on la traite de bourgeoise. Elle trouve que c'est une insulte car elle juge que « les bourgeois ont un esprit étriqué ». Je voudrais la rassurer : Je ne trouve pas du tout qu'elle ait l'air d'une bourgeoise. Elle ajoute que cela lui fait penser à « monsieur Bovary ». Ah, ce n''était que ça ? Allons, ce n'est pas si grave. 

Je dois aller me faire faire une prise de sang, dans quelques minutes. Je suis bien déçu, car ce ne sera pas Sophie, la très belle infirmière, qui me piquera. Je viens de l'avoir au téléphone : elle n'a pas une voix aussi jolie qu'on aimerait. Quand je l'avais vue en chair et en os, chez moi, il y a quelques années, sa voix ne m'avait pas dérangé, mais au téléphone, malheureusement, c'est flagrant. Je suis heureux qu'on me prenne mon sang. Je crois aux vertus de la saignée, moi. En revanche je me fous du résultat des analyses. Je regrette d'ailleurs que l'ordonnance soit si brève. J'aurais aimé qu'on remplisse six ou sept flacons de mon sang. Il faut faire de la place pour du neuf. Je suis empli de vieux sang. 

Philippe Sollers affirmait qu'écrire et lire c'était la même chose. Rien de plus juste ! J'avais fait hier un tweet qui disait : « En voyant comment les gens écrivent, on sait comment ils lisent. Leur lecture se retrouve entièrement dans leur écriture. » et quelqu'un m'a répondu en citant Nicolás Gómez Dávila : « La décadence d'une littérature commence quand ses lecteurs ne savent pas écrire. » Tout cela est parfaitement cohérent. Savoir lire, tout est là. Quand il a eu cinq ans, Sollers s'est aperçu tout à coup qu'il savait lire, et ce moment a été pour lui une révélation d'une extrême importance. Savoir lire, c'est la liberté. C'est pour cette raison que nous avons toujours l'impression de ne croiser que des gens qui sont enfermés dans une prison, la prison de la langue, ou plutôt de la non-langue. Il suffit de lire deux phrases écrites par eux pour savoir qu'ils ne savent pas lire. Ils auront beau faire, ils auront beau se débattre, hurler et tout casser, ils seront toujours enfermés en eux-mêmes. Savoir lire ne va pas de soi. Il faut lutter, pour apprendre à lire. Il faut se battre contre soi-même. Au moins étions-nous un peu aidés par l'École, nous autres qui avons plus de soixante ans, ce qui n'est plus du tout le cas, depuis longtemps. C'est quelque chose qu'on extirpe de soi, comme un sang neuf qu'on extrait de nos vieilles racines, la lecture, ça plonge très loin en nous, contrairement à la vidéo qui reste à la surface.