samedi 11 octobre 2014

La Perruque (3)


J'allais dehors fumer une cigarette. J'en profitais pour passer des coups de téléphone, bien qu'il m'arrivât souvent de téléphoner des toilettes de la chambre. Elle est au Mexique avec son mari. J'envoie un texto. Elle est dans son bain. « Ça doit être les enfants ! » Il prend le téléphone et lit le texto. Elle venait de m'écrire qu'elle voulait nager nue avec moi, là-bas… J'aimais beaucoup le son que faisait son portable quand elle recevait un sms. Une cloche, un sol dièse, aigu, solitaire, à la fois très présent et perdu, comme elle. J'imagine sa tête, le pauvre… Quelle horreur ! Il avait déjà déboulé à la maison, une fois. On sonne, j'étais en haut, avec ma mère, je descends quatre à quatre, ça tombait mal, j'ouvre, il est là, tout gêné. « Je peux vous parler ? » Je n'ai vraiment pas le temps… « J'insiste, c'est très important. » Je ne le fais pas entrer, on discute sur le palier. « Vous comprenez, j'adore ma femme. Elle passe beaucoup de temps avec vous. Je ne vous en veux pas, hein, mais j'aimerais qu'elle soit un peu plus présente, avec les enfants et moi, vous me comprenez ? Il faut que vous la laissiez tranquille ! » Un mélange de colère et de gêne, il ne sait pas sur quel pied danser, moi non plus. Je ne peux pas lui dire la vérité, je lui dis que je comprends, bien sûr, qu'il a raison, mais que, vraiment, là, je dois y aller, et c'est la pure vérité. Je remonte en vitesse. Ça va, pas de catastrophe. Maman s'est tenue tranquille. Il est grand, assez beau, un nez aigu, assez proéminent, il porte un prénom démodé, c'est un notable cool. Je repense à notre entrevue en donnant à manger à ma mère. Plus tard, je le croiserai à l'hôpital, pendant une séance de chimiothérapie de sa femme. On attend tous les deux, hors de la chambre. Je fume une cigarette. Lui qui ne fume pas m'en demande une. « Vous ne connaissez pas la belle-mère ? Alors bonne chance… » Il me demande : « Vous êtes fou amoureux, c'est ça ? » Je me demande s'il est con ou s'il prend la pose. On finit par sympathiser, ou plutôt, on joue aux mecs qui sympathisent. Je le regarde et je me marre intérieurement. Fou amoureux ? Peut-être, oui, mais sur le moment ça m'a exaspéré. C'était la question d'un type qui se dit qu'il a passé un temps fou avec une femme, qu'il lui a fait trois enfants, et qu'il n'a jamais rien compris à ce qui se passait. Tout allait bien dans leur vie, vraiment. De l'argent, une belle maison, de beaux enfants, des métiers sympas, des amis, la famille, des voyages, tout… Vous êtes fou amoureux, mon pauvre vieux, moi aussi je l'étais, et puis voilà, vous êtes là, elle a un cancer, tout se casse la gueule du jour au lendemain, vous voyez, on est là tous les deux comme deux cons, devant une chambre d'hôpital, on se regarde comme des planètes qui cherchent un soleil, quelque chose, quoi, un système… Je ne dis rien. Il parle pour deux. Il ne sait pas fumer. Je sais bien ce qu'il pense, à quoi il pense, cette chose dont il n'osera jamais me parler. La chose qui brûle, la seule qui fait mal, finalement. 

(…)